À Claude II Belin, le 24 avril 1638, note 9.
Note [9]

Zaga-Christ (ou Zagaxe, quelque part en Afrique vers 1610-Rueil 1638) était celui que Guy Patin appelait le prince d’Éthiopie. Vers 1630, les moines abyssins de Jérusalem virent arriver chez eux un jeune homme de haute taille au front audacieux, à la démarche aisée, suivi de 15 hommes noirs ou basanés, vêtus de chemises bleues en coton et coiffés de turbans de soie. Cet homme se disait prince d’Abyssinie. Il avait dû, racontait-il, chercher son salut dans la fuite après la mort de son père Hasse Yakoub, que ses sujets chrétiens révoltés avaient tué dans une bataille en 1618, sous les ordres de Socinius ou Susneus, empereur d’Éthiopie (de 1605 à 1632) qui, sous l’influence des jésuites, y avait établi le catholicisme.

Zaga-Christ disait que le roi de Fungi, près duquel il s’était retiré, avait voulu le livrer aux sociniens (v. note [13], lettre 127), mais qu’il s’était échappé avec ses fidèles compagnons, avait gagné l’Égypte et avait pris alors la résolution de se rendre à Jérusalem pour y embrasser le catholicisme. Les prêtres auxquels le prétendu Zaga-Christ fit cette demande, redoutant que cette conversion ne leur attirât des persécutions de la part des mahométans, lui conseillèrent d’aller en Europe où il pourrait librement exercer sa nouvelle religion et lui en fournirent les moyens. En 1634, l’imposteur arriva à Rome où le pape l’accueillit avec honneur. Il se rendit ensuite à Paris où il fut bien accueilli du roi et de Richelieu, qui lui donna un logement dans son château de Rueil. Là, sa jactance fit moins de dupes qu’à Jérusalem et en Italie ; néanmoins, il vit s’ouvrir devant lui les palais et les maisons des plus célèbres personnages, pour s’adonner à toutes sortes d’excès. Il enleva la femme de François Saulnier, conseiller au Parlement (v. note [3], lettre 83), fut poursuivi et mourut tout à coup, selon les uns, des suites de ses honteuses débauches, selon d’autres, d’un poison qu’il prit lui-même (G.D.U. xixe s.).

Le frère Eugène Roger, missionnaire récollet, a donné un pieux récit Du Prince Zaga-Christ et de sa conversion (avec son portrait), dans le chapitre ii (pages 349‑360), livre ii de son ouvrage intitulé La Terre sainte… (Paris, 1646, v. note [10] du Naudæana 4). Il le conclut sur la venue à Rome puis à Paris de celui qu’il tenait pour un prince authentique :

« À cette occasion, {a} on le fit embarquer avec ces deux renégats, lombard et maltais, qui avaient été remis au giron de l’Église par le père Jacques de Vendôme, récollet de Paris, gardien de Nazareth, lequel donna au prince deux religieux pour le conduire au pape. Sa Sainteté le reçut, lui donna un palais pour son logement, et le traita environ deux ans qu’il demeura à Rome. Pour lors, M. de Créqui, {b} qui était à Rome ambassadeur, où voyant souvent Zaga-Christ, il lui persuada de voir la France et de venir à Paris ; ce qu’il fit, et a demeuré en cette ville de Paris environ trois ans, {c} après lequel temps, Dieu l’appela de ce monde en l’autre, mourant d’une pleurésie à Rueil, où son corps fut inhumé auprès du prince de Portugal, {d} l’an mil six cent trente-huit. Il vous semblera peut-être que cette remarque ait été une pièce détachée de mon sujet, mais je l’ai voulu rapporter pour faire connaître à tous ceux qui ont vu ce prince la vérité de son extraction, et qu’il était prince et fils légitime. »


  1. En 1634, le pape Urbain viii avait envoyé un légat à Jérusalem en le chargeant, entre autres missions, de lui ramener Zaga-Christ, qui s’y était converti l’année précédente.

  2. Charles ier de Créqui, v. note [13], lettre 39.

  3. 1636-1638. L’arrivée du prodige en France fut précédée par la parution des :

    Étranges événements du voyage de Son Altesse, le sérénissime prince Zaga-Christ d’Éthiopie, du grand empire des Abyssins. Issu de la lignée de David et de Salomon, fils de l’empereur Jacob, appelé communément le Prêtre-Jan. Avec la défaite de l’empereur Jacob et la fuite de ses deux enfants, Cosme et Zaga-Christ. Écrits par le Sieur de Réhac, {i} le Jeune. {ii}

    1. Le dominicain Jean de Giffre de Réhac (1604-1660).

    2. Paris, Louis Sevestre, 1635, in‑4o, ouvrage de propagande dédié à la reine Anne d’Autriche.
  4. Antoine ier s. d’Aviz (Lisbonne 1531-Rueil 1595), roi du Portugal en 1580, mais chassé de son trône au bout d’un mois de règne à Rueil par le roi Philippe ii d’Espagne, et exilé en France.

Moréri :

« On publia en ce même temps une épitaphe où on parle de lui comme d’un imposteur, qui n’était pas ce qu’il disait. En voici les paroles :

Zaga-Christ, publié pour roi d’Éthiopie,
Ayant imbu Paris de ses grands accidents,
Fut cru tant seulement en être la copie,
Et non l’original, par les hommes de sens
. »

V. notes [16] et [17] du Borboniana 7 manuscrit pour ce que Nicolas Bourbon et quelques autres ont dit de Zaga-Christ.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 24 avril 1638, note 9.

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(Consulté le 06/11/2024)

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