< L. 127.
> À Charles Spon, le 24 octobre 1645 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Charles Spon, le 24 octobre 1645
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Depuis ma dernière j’ai appris que le comte d’Olivares [2] est mort en Espagne avec grand regret du roi [3] car, quoiqu’il semblât disgracié, il ne laissait pas toujours d’avoir grand crédit dans l’esprit de son maître ; et de fait le gouvernement est encore entre les mains du comte de Haro, [4] son neveu. Les Espagnols font courir le bruit que le jour de sa mort il arriva le plus grand orage qui se vît jamais, et même qu’une petite rivière se déborda si furieusement qu’elle pensa noyer tout Madrid. [1] Je laisse tous ces prodiges qu’on dit arriver à la mort des grands à Tite-Live [5] et à quelques autres anciens historiens, [2] et à la superstition des Espagnols. Je crois qu’ils meurent tout à fait comme les autres, en cédant à la mort qui ne manque jamais de venir en son temps. Nous avons ici vu mourir le cardinal de Richelieu [6] naturellement comme les autres, sans miracle [7] aussi bien que sans orage, un des beaux jours de l’année, quoique ce fût le 4e de décembre. Ce serait une belle affaire si la terre était délivrée de cette engeance de tyranneaux qui ravagent tout ; mais je pense que cela n’arrivera jamais car Dieu le permet à cause des péchés du peuple ; joint que si la race en venait à manquer, comme celle des loups en Angleterre, je crois qu’il en renaîtrait d’autres aussitôt, puisque nous voyons tous les jours cette vérité que l’homme est un loup à l’homme même. [3][8] La signora Olympia, [9] belle-sœur du pape, [10] et qui lui gouverne le corps et l’âme, gouverne aussi le papat. [4] On dit qu’elle vend tout, prend tout, et reçoit tout. Elle est devenue, aussi bien que les avocats, un animal qui prend à droite et à gauche ; ce qui a fait dire un bon mot à Pasquin : [11] Olympia, olim pia, nunc harpia. [5] Et comme cette femme est en crédit, j’ai peur qu’on ne nous débite encore quelque jubilation spirituelle, comme si elle avait parlé au Saint-Esprit. Ces jours passés mourut à Pignerol [12] M. le président Barillon, [13] homme d’honneur et digne d’un meilleur siècle ; et M. le président Gayant, [14] fort vieux et disgracié, est mort ici. Ces deux hommes étaient véritablement ex ultimis Gallorum, [6] et il n’y en a plus guère de leur trempe. Un sac de pistoles, et quelque chose bien moindre quelquefois, emporte aujourd’hui la générosité des Français qui, au lieu d’être honnêtes gens et courageux comme leurs aïeux, sont devenus de misérables pécores. [7] J’ai peur que la vertu ne finisse ici, tant je vois de corruption. Enfin nous avons appris que M. Grotius [15] est mort à Rostock [16] d’une fièvre continue [17] à son retour de Suède. [8] On dit que ce n’est pas sans soupçon de poison de la part des luthériens [18] à cause de ce qu’il a écrit de l’Antéchrist [19] en faveur du pape ; [9] mais je ne pense pas qu’on empoisonne en ce pays-là, comme on fait en quelques endroits d’Italie. [20] On n‘a point bien pu savoir sa religion depuis 20 ans. Dans sa querelle contre M. Rivet, [10][21] il semblait favoriser le parti des catholiques romains. Il était hollandais et avait été arminien, [22] il était ambassadeur d’une reine luthérienne ; [11][23][24] il est mort dans une ville luthérienne entre les bras d’un ministre luthérien, lui qui haïssait fort Luther [25] et Calvin. [12][26] Quelques-uns disent qu’il est mort socinien, [27] et que quelque mine qu’il fît, il l’était dans son âme. [13] Cette secte est ainsi nommée de Lælius [28] et Faustus Socinus, de Sienne, [29] qui ont répandu leur pestilente doctrine dans la Pologne, la Transylvanie [30] et la Hongrie. [14] C’étaient deux Italiens d’un esprit subtil, oncle et neveu, qui voulant raffiner en matière de religion, vinrent à nier, comme les Turcs, la divinité de Jésus-Christ que les Saints Pères ont si solidement confirmée. Depuis que Grotius était sorti de Paris, on avait imprimé de lui à Amsterdam [31] un nouveau livre contre M. Rivet, dans lequel il se range fort du parti du pape et se sert de l’autorité du P. Petau [32] qu’il appelle son ami. [15] Je vous baise les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, De Paris, ce 24e d’octobre 1645. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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