À Charles Spon, le 24 décembre 1649, note 9.
Note [9]

Vincent ii Voiture (Amiens 1597-Paris 26 mai 1648) était le fils unique de Vincent i, marchand de vin originaire d’Amiens et fournisseur attitré de la cour. Le jeune Vincent avait mené de brillantes études au Collège de Boncourt. Entré au service de Gaston d’Orléans en 1627, il le suivit en 1632 en Lorraine, à Bruxelles et dans le Languedoc. Il entra donc avec lui à main armée en France et fut son ambassadeur auprès de la cour d’Espagne pour obtenir du duc d’Olivares des secours contre le roi de France (1633). Quand Monsieur se réconcilia avec la cour, Voiture rentra en grâce auprès de Richelieu par une lettre où il célébrait la prise de Corbie sur les Espagnols (1636, v. note [2], lettre 31) :

« Je ne suis pas de ceux qui, ayant dessein, comme vous dites, de convertir des éloges en brevets, font des miracles de toutes les actions de Monsieur le cardinal ; portent ses louanges au delà de ce que peuvent et doivent aller celles des hommes, et à force de vouloir trop faire croire de bien de lui, n’en disent que des choses incroyables. Mais aussi n’ai-je pas cette basse malignité de haïr un homme à cause qu’il est au-dessus des autres ; et je ne me laisse pas non plus emporter aux affections ni aux haines publiques, que je sais être quasi toujours fort injustes. Je le considère avec un jugement que la passion ne fait pencher ni d’un côté, ni d’autre, et je le vois des mêmes yeux dont la postérité le verra. […]

Ouvrez donc les yeux, je vous supplie, à tant de lumière, ne haïssez pas plus longtemps un homme qui est si heureux à se venger de ses ennemis, et cessez de vouloir du mal à celui qui le sait tourner à sa gloire et qui le porte si courageusement. Quittez votre parti devant qu’il vous quitte ; aussi bien, une grande partie de ceux qui haïssaient Monsieur le cardinal se sont convertis par le dernier miracle qu’il vient de faire. […]

Aussi ce grand esprit qui n’a été occupé jusqu’à présent qu’à songer aux moyens de fournir aux frais de la guerre, à lever de l’argent et des hommes, à prendre des villes et à gagner des batailles, ne s’occupera désormais qu’à rétablir le repos, la richesse et l’abondance. Cette même tête qui nous a enfanté Pallas armée, nous la rendra avec son olive, paisible, douce et savante, et suivie de tous les arts qui marchent d’ordinaire avec elle. Il ne se fera plus de nouveaux édits que pour régler le luxe et pour rétablir le commerce. […]

Alors les ennemis de Monsieur le cardinal ne sauront plus que dire contre lui, comme ils n’ont su que faire jusqu’à cette heure. Alors les bourgeois de Paris seront ses gardes et il connaîtra combien il est plus doux d’entendre ses louanges dans la bouche du peuple que dans celle des poètes. »

En 1638, Voiture fut celui que la cour envoya à Florence pour notifier au grand-duc la naissance du fils de Louis xiii. Maître d’hôtel du roi, interprète des ambassadeurs chez la reine, premier commis du contrôleur général des finances, etc., ce bel esprit fut comblé de plus de grâces (au bas mot 18 000 livres de rente) que tous les grands génies du siècle de Louis xiv ensemble. Adulé des plus grands, un mot de lui, un quatrain étaient répétés, commentés et admirés sans réserve. Telle fut la fameuse querelle des uranistes et des jobelins : c’est ainsi qu’on nommait respectivement à la cour les partisans du sonnet d’Uranie (v. notule {b}, note [6] du Borboniana 7 manuscrit, pour cette Muse) par Voiture et ceux de Job par Isaac de Benserade (v. note [2], lettre 889). Après de longs débats, le prince de Conti, chef des jobelins, termina cette lutte en disant des deux sonnets : « L’un est plus grand, plus élevé, mais je voudrais avoir fait l’autre. »

Les Œuvres de Voiture ont été publiées pour la première fois en 1650 (Paris, Augustin Courbé, in‑4o), deux ans après son décès : il n’avait rien publié de son vivant, prédisant que quelque sot prendrait cette peine après sa mort. Elles se composent principalement de poésies et de lettres ; Guez de Balzac et lui étaient les deux épistoliers en vogue. Plein d’esprit, de facilité et d’instruction, Voiture n’a cependant su tirer d’autre parti de ses talents que de donner une forme littéraire au caquetage des ruelles (v. note [4] du Faux Patiniana II‑4), à ce jargon précieux dont Molière a fait justice et qui passait alors pour la dernière expression du sublime (R. et S. Pillorget et G.D.U. xixe s.).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 24 décembre 1649, note 9.

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(Consulté le 20/04/2024)

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