L. 70.  >
À Claude II Belin,
le 25 août 1642

Monsieur, [a][1]

Je dois réponse à deux des vôtres, auxquelles je satisferai par ordre. M. Le Fèvre [2] se peut bien vanter d’avoir guéri M. de Bordeaux, [1][3] car il n’y a ici guère de gens qui le disent, et encore moins qui le croient : il a, tant il est ignorant en notre dogmatique, [2][4] ordonné de la thériaque [5] en des flux de ventre [6] chyleux [7] et à des phtisiques, [3][8] qui m’ont bien fait courir. J’estimerai toujours heureux notre parti si nous n’avons jamais de plus savants adversaires que lui. Il ne savait ce qu’il faisait à M. de Bordeaux et il a été en ce coup-là plus heureux que sage, et son malade n’en est réchappé que fati ope, non medici[4] qui n’en fût pas mort quand on l’eût saigné jusqu’à une poêlette, [5] comme les médecins lui demandaient ; [9] et M. Le Fèvre même le tenait pour moribond dans le jour suivant. Pour Zacutus, [10] c’était un médecin, portugais de nation, juif de religion, qui est mort à Amsterdam [11] le 21e de janvier dernier. J’ai céans de lui douze volumes in‑8o qui contiennent une explication de tous les exemples et de toutes les histoires médicinales qui se lisent dans Hippocrate, [12] dans Galien, [13] dans Avicenne [14] et aliis medicinæ scriptoribus[6] qu’il y a réduites en ordre et appropriées chacune en son rang des maux de tête, de la poitrine, du ventre, etc. ; et en ce dessein sont employés les six premiers volumes ; le septième est, de praxi medica admiranda ; les autres contiennent Introitum ad praxim Pharmacopœam et une méthode particulière telle quelle. Huguetan, [15] libraire de Lyon, fait imprimer tout cela ensemble en deux volumes in‑fo, dont le premier est en vente tandis que le second s’achève. L’auteur est louable pour le dessein qu’il a eu de servir au public, et encore plus pour la peine qu’il a prise de ramasser tant d’exemples épars çà et là ; mais il parle latin comme un Espagnol et est fort avicenniste, et trop dans l’abus des drogues et de la prétendue doctrine des Arabes. [16] Je n’ai point encore vu celui qui est imprimé. Je pense qu’il nous viendra de Lyon, mais je ne sais ce qu’il nous coûtera ; je pourrai alors vous en donner avis. Pour votre dernière, je suis bien aise que monsieur votre frère [17] soit heureusement arrivé à Troyes ; [18] mais je pense que son chemin l’a un peu empiré car il me semble qu’il était mieux quand il est parti d’ici, que vous ne me mandez. [7] J’espère pourtant qu’il en sortira heureusement et bientôt, étant tombé entre des mains si favorables et si justes que sont les vôtres ; et surtout, je crois que, sans le faire saigner, il n’aura besoin que d’être purgé [19] de doux et bénins remèdes, ce que je tiens déjà pour tout fait. [20][21] Pour le Capucin de M. Du Moulin, [22][23] c’est un petit livret français, imprimé à Sedan [24] l’an passé, que j’ai vu quelquefois ici. [8] Je ne crois pas qu’il soit malaisé d’en trouver un. Il est éveillé et plein de facéties, qui sont presque naturelles à l’auteur, duquel je ne fais point peu d’estime. Pour l’Hippocrate de Foesius, [9][25][26] il ne faut pas douter qu’il sera fort bon quand il sera achevé à Lyon, et que vous n’en sauriez avoir de meilleur ; mais un tel œuvre que celui-là sera longtemps à rouler sur la presse et sera meilleur que tous les vieux. [10] Il y a cinq Centuries de Fabricius Hildanus, [11][27] dont la quatrième et la cinquième sont les meilleures, qui ont été imprimées premièrement in‑4o. Les deux premières, que vous n’avez pas, sont in‑8o, comme votre troisième ; mais tout cela qui vous manque est fort rare, vous aurez bien plus tôt fait de les acheter de l’impression de Lyon, in‑4o, toutes ensemble ; l’édition en est fort belle. Le roi [28] est à Chantilly. [12][29] La reine [30] est à Saint-Germain [31] avec les petits princes. [13][32][33] Son Éminence [34] est encore à Tarascon, [35] d’où on dit qu’il sortira bientôt pour venir à Valence [36] ou à Lyon. [14] Perpignan [37] n’est pas encore pris ; on dit que ce sera pour le mois qui vient. [15] Je vous baise les mains, à Mme Belin, Messieurs vos frères, MM. Camusat et Allen, pour être toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 25e d’août 1642.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 25 août 1642

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(Consulté le 07/12/2024)

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