Je dois réponse à deux des vôtres, auxquelles je satisferai par ordre. M. Le Fèvre [2] se peut bien vanter d’avoir guéri M. de Bordeaux, [1][3] car il n’y a ici guère de gens qui le disent, et encore moins qui le croient : il a, tant il est ignorant en notre dogmatique, [2][4] ordonné de la thériaque [5] en des flux de ventre [6] chyleux [7] et à des phtisiques, [3][8] qui m’ont bien fait courir. J’estimerai toujours heureux notre parti si nous n’avons jamais de plus savants adversaires que lui. Il ne savait ce qu’il faisait à M. de Bordeaux et il a été en ce coup-là plus heureux que sage, et son malade n’en est réchappé que fati ope, non medici, [4] qui n’en fût pas mort quand on l’eût saigné jusqu’à une poêlette, [5] comme les médecins lui demandaient ; [9] et M. Le Fèvre même le tenait pour moribond dans le jour suivant. Pour Zacutus, [10] c’était un médecin, portugais de nation, juif de religion, qui est mort à Amsterdam [11] le 21e de janvier dernier. J’ai céans de lui douze volumes in‑8o qui contiennent une explication de tous les exemples et de toutes les histoires médicinales qui se lisent dans Hippocrate, [12] dans Galien, [13] dans Avicenne [14] et aliis medicinæ scriptoribus, [6] qu’il y a réduites en ordre et appropriées chacune en son rang des maux de tête, de la poitrine, du ventre, etc. ; et en ce dessein sont employés les six premiers volumes ; le septième est, de praxi medica admiranda ; les autres contiennent Introitum ad praxim Pharmacopœam et une méthode particulière telle quelle. Huguetan, [15] libraire de Lyon, fait imprimer tout cela ensemble en deux volumes in‑fo, dont le premier est en vente tandis que le second s’achève. L’auteur est louable pour le dessein qu’il a eu de servir au public, et encore plus pour la peine qu’il a prise de ramasser tant d’exemples épars çà et là ; mais il parle latin comme un Espagnol et est fort avicenniste, et trop dans l’abus des drogues et de la prétendue doctrine des Arabes. [16] Je n’ai point encore vu celui qui est imprimé. Je pense qu’il nous viendra de Lyon, mais je ne sais ce qu’il nous coûtera ; je pourrai alors vous en donner avis. Pour votre dernière, je suis bien aise que monsieur votre frère [17] soit heureusement arrivé à Troyes ; [18] mais je pense que son chemin l’a un peu empiré car il me semble qu’il était mieux quand il est parti d’ici, que vous ne me mandez. [7] J’espère pourtant qu’il en sortira heureusement et bientôt, étant tombé entre des mains si favorables et si justes que sont les vôtres ; et surtout, je crois que, sans le faire saigner, il n’aura besoin que d’être purgé [19] de doux et bénins remèdes, ce que je tiens déjà pour tout fait. [20][21] Pour le Capucin de M. Du Moulin, [22][23] c’est un petit livret français, imprimé à Sedan [24] l’an passé, que j’ai vu quelquefois ici. [8] Je ne crois pas qu’il soit malaisé d’en trouver un. Il est éveillé et plein de facéties, qui sont presque naturelles à l’auteur, duquel je ne fais point peu d’estime. Pour l’Hippocrate de Foesius, [9][25][26] il ne faut pas douter qu’il sera fort bon quand il sera achevé à Lyon, et que vous n’en sauriez avoir de meilleur ; mais un tel œuvre que celui-là sera longtemps à rouler sur la presse et sera meilleur que tous les vieux. [10] Il y a cinq Centuries de Fabricius Hildanus, [11][27] dont la quatrième et la cinquième sont les meilleures, qui ont été imprimées premièrement in‑4o. Les deux premières, que vous n’avez pas, sont in‑8o, comme votre troisième ; mais tout cela qui vous manque est fort rare, vous aurez bien plus tôt fait de les acheter de l’impression de Lyon, in‑4o, toutes ensemble ; l’édition en est fort belle. Le roi [28] est à Chantilly. [12][29] La reine [30] est à Saint-Germain [31] avec les petits princes. [13][32][33] Son Éminence [34] est encore à Tarascon, [35] d’où on dit qu’il sortira bientôt pour venir à Valence [36] ou à Lyon. [14] Perpignan [37] n’est pas encore pris ; on dit que ce sera pour le mois qui vient. [15] Je vous baise les mains, à Mme Belin, Messieurs vos frères, MM. Camusat et Allen, pour être toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Patin.
De Paris, ce 25e d’août 1642.