L. 464.  >
À Charles Spon,
le 23 février 1657

Paris, le 23e de février 1657. [1]

Monsieur, [a][1]

Depuis ma dernière, laquelle fut de quatre pages le vendredi 16e de février, je puis vous dire que le cardinal Mazarin [2] est malade, tum ex podagra, tum ex mærore illius quæ nuper obiit Mercoriæ[2][3][4][5][6] Il y a quelque part dans le droit canon Qui dixerit episcopum podagra laborare, anathema esto ; [3] mais bien m’en prend : puisqu’il n’est point évêque, je ne serai point excommunié. [7] Si la maladie augmente, elle fera bien parler du monde, et même elle pourrait bien produire quelque chose de nouveau à la cour car je ne doute point qu’il n’y ait en ce pays-là divers partis pour les uns et les autres. Dii meliora ! [4]

Ce samedi 17e de février à sept heures du soir. Mais voici bien pis : je viens de chez M. Riolan, [8] le bonhomme, qui est en grand danger ; il pisse beaucoup de sang, [9] mais ce qui est de pis, c’est que je le trouve, ou au moins il me semble être très faible et en très grand danger ; son pouls est diminué de moitié. J’ai peur qu’il ne s’en aille bientôt chercher M. Moreau [10] en l’autre monde par sa propre faute : il n’a pu se réduire à vivre sobrement et à mettre beaucoup d’eau en son vin ; quand je l’en avertissais, il me disait qu’il avait l’estomac vigoureux et accoutumé au vin, que celui qu’il buvait était de Bourgogne, [11] du vin vieux de trois ans, et qu’il n’était pas besoin d’y mettre de l’eau, qu’il était doux comme du lait, qu’il était du vin de Plaute, [12] fugiens et edentulum[5] que je ne vivrais jamais tant que lui à cause que je mettais trop d’eau en mon vin. Me voilà fort affligé de voir encore ce bon homme réduit à ce danger, qui était mon meilleur ami. Le pape ne serait pas tant affligé de la mort de six cardinaux (car il y gagnerait) comme j’ai occasion de me douloir si nous perdons ce bonhomme. [6]

Je vous avertis que le maréchal Foucault [13] a été fort malade, mais il n’est pas mort comme je vous avais écrit par ma dernière. [7] Le Mazarin se porte mieux, on parle d’achever le mariage de sa nièce, Mlle de Mancini, [14] avec le prince Eugène, [15] fils de la princesse de Carignan. [16]

Ce dimanche 18e de février à neuf heures du soir. M. Riolan a été confessé, communié et a eu l’extrême-onction, [17] more maiorum[8] aujourd’hui au soir. Une heure devant il avait été sondé, me præsente[9] par un chirurgien de la Charité nommé Ruffin, [18] qui fait aussi bien que feu M. Colot ; [19] la sonde [20] a désempli la vessie et a fait couler bien du sang aussi bien que de l’urine. [10] Le pauvre bon homme est en mauvais état, il m’a baisé et m’a fait pleurer. Son fils, [21][22] le débauché, l’est venu voir et lui a demandé pardon ; mais cela ne va pas bien de part ni d’autre car j’apprends que le père ne lui fait que bonne mine et mauvais jeu, [11] et qu’il y a une exhérédation tout entière, [12] bien canonique et faite dans la rigueur des lois par le conseil de trois des meilleurs avocats du Parlement ; et par icelle, il est réduit à 500 livres de rente sa vie durant. Voilà la récompense de sa malice et du mauvais traitement qu’il a fait à son bon homme de père. On dit d’ailleurs que ce fils reste toujours bien débauché et que c’est un dangereux garçon. Voilà grande pitié. On me vient d’apprendre que le cardinal Mazarin a donné l’abbaye de Saint-Denis [23] à un de ses petits-neveux, qui est un des trois petits garçons que la duchesse de Mercœur a laissés à son mari. [13]

Ce lundi 19e de février. Adhuc vivit Riolanus, sed heri desiturus[14] il souffle si fort que je ne vous saurais dire s’il passera la nuit ; s’il vit jusqu’à demain, il aura vécu 77 ans car c’est demain son jour natal, le 20e de février.

Il court ici un bruit de plusieurs gens fort malades, savoir de M. le chancelier [24] qui a été saigné trois fois depuis hier, de la duchesse de Lorraine [25] que l’on dit être à l’extrémité, du petit M. de Joyeuse [26] et de M. de Bautru, [27] et autres. On me vient de dire que la duchesse de Lorraine est morte à ce soir, son mari [28] qui est prisonnier en Espagne pourra dorénavant se remarier. [15] Elle est morte le mardi 20e de février à sept heures du soir.

Enfin, le bonhomme M. Riolan est mort le lundi 19e de février à sept heures du soir, âgé de 77 ans moins un jour, et a été enterré le mercredi 21e de février dans Saint-Germain< -l’Auxerrois > [29] en fort belle et fort grande compagnie. Hier, 20e de février, la nièce du Mazarin a été mariée avec le prince Eugène. [16]

Le roi [30] presse le Clergé [31] de lui donner de l’argent : il leur demande neuf millions ; ils en ont offert un ; maintenant ils montent à quinze cent mille livres, mais le roi leur a écrit et leur a reproché plusieurs cas, et entre autres leur a dit qu’ils sont obligés de l’assister pour les diverses armées qu’il est obligé de mettre sur pied, et que même voilà l’empereur [32] qui va rompre avec nous.

[Le petit de Joyeuse est mort. Son père [33] mourut il y a trois ans, il n’y a plus que M. de Guise [34] d’aujourd’hui de reste de toute la famille de Henri duc de Guise, dit le balafré, [35] qui fut tué à Blois [36] l’an 1588 ; et celui-ci n’a point d’enfants de trois femmes qu’il a eues. Feu M. Riolan disait qu’il n’en aura jamais, propter infelicem quandam vesicæ sectionem, ad eximendum calculem[17] en laquelle il fut blessé aux glandules séminales. Les princes se font si peu aimer et se rendent si odieux pour leurs vanités qu’il me semble qu’il n’y a presque rien à regretter en tout leur fait. On dit aussi que Mme de Chevreuse, [37] veuve depuis peu, est fort malade. Elle est fille du bonhomme feu M. de Montbazon [38] et avait été la première femme du connétable de Luynes, [39] dont elle avait eu fils et fille.] Falsum[18]

Il est ici mort depuis peu un honnête homme fort dévot qui était bâtard de feu M. Séguier de Saint-Brisson, [40] jadis prévôt de Paris, [19] lequel a laissé au nouvel hôpital, [41][42] que l’on bâtit pour y enfermer les pauvres, [20] tout son bien qui passe 50 000 écus. Vale et me ama. Tuus ex animo[21]

Guido Patin

Je s[alue ce]s Messieurs vos collègues nos bons amis, et entre autres MM. Gras[, Falconet], Guillemin, Garnier, et M. Huguetan l’avocat.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 23 février 1657

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(Consulté le 02/11/2024)

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