Ce fut le mardi, 12e de mars que je vous écrivais ma dernière. Depuis ce temps-là, je vous dirai que la reine de Suède, [2] avant qu’elle sorte de Paris, a voulu voir l’Académie [3] des beaux esprits et y a honoré de sa présence une de leurs assemblées. [1] Elle a témoigné avoir grand regret de quitter Paris et a dit qu’elle s’étonnait de ce que le roi [4] avait eu envie de maltraiter une si belle ville, [2] vu que le peuple y est si bon, et qu’il y a tant d’honnêtes gens et tant de savants. Elle est partie malcontente de la reine, [5] ayant appris qu’elle avait dit que si la reine de Suède ne s’en allait, elle sortirait du Louvre. [6] Elle lui a dit adieu avec quelque esprit de braverie et a obtenu du Mazarin [7] 200 000 livres. On dit ici que le roi de Suède [8] continue ses conquêtes dans le Danemark, qu’il s’est rendu maître de Copenhague [9] et que le roi de Danemark [10] est en fuite ; peut-être que cette première nouvelle est fausse. [3] Il n’y a encore rien d’assuré de ce que l’on dit touchant Cromwell, [11] sinon que plusieurs seigneurs anglais lui ont renvoyé les provisions qu’ils avaient reçues de lui pour lever des troupes. L’affaire d’Hesdin [12] n’est pas encore apaisée, il y en a qui disent que le roi sera obligé d’y aller en personne pour empêcher que cette ville ne tombe entre les mains des Espagnols. Un honnête homme de Metz [13] m’a dit aujourd’hui qu’il reçut hier des nouvelles de Sedan [14] par lesquelles il apprend la mort du bonhomme M. Pierre Du Moulin, [15] il avait 90 ans car il était né l’an 1568.
Ce 17e de mars. Un officier du roi m’a dit ce matin que M. le maréchal de Turenne [16] commandera cette armée en Allemagne si les électeurs, en faisant empereur le roi de Hongrie, [17] ne l’obligent à de certains articles, dont il y en a un pour la paix de l’Allemagne.
La révolte du lieutenant [18] et du major [19] d’Hesdin continue : on ne veut point leur accorder ce qu’ils demandent et eux en récompense, menacent et épouvantent de deçà ; on a peur qu’ils ne se donnent, ou plutôt qu’ils ne se vendent aux Espagnols qui voudraient bien rentrer dans cette ville ; il y en a même qui disent déjà que les Espagnols leur ont envoyé 600 hommes dans la place pour la défendre en cas que nous eussions envie de l’assiéger, ce que je ne crois pas. On y a renvoyé pour une seconde fois un nommé Carlier, [20] commis de M. Le Tellier, [21] secrétaire d’État, mais on croit qu’il ne fera rien si l’on n’envoie à ce lieutenant nommé La Rivière les provisions du gouvernement d’Hesdin. Quelques-uns disent que le roi s’y en va la semaine qui vient, quod mihi verisimile non videtur, [4] je ne crois pas qu’on le mène là que l’affaire ne soit accordée. On dit ici que la reine de Suède sortant de Paris, ou au moins voyant qu’elle avait à en sortir, a dit qu’elle n’avait jamais eu tant de peine à se résoudre de quitter son royaume que de sortir de Paris cette dernière fois. [5] Nous sommes en une horrible saison, il fait encore ici froid, et y grêle et y neige comme en hiver, et néanmoins nous voilà tantôt (ce sera demain) à l’équinoxe du printemps. Il y a sept mois entiers qu’il fait ici froid, nous avons eu l’été fort sec, l’automne trop humide, l’hiver trop long, avec de grandes gelées et de grands débordements ; de sorte que j’ai peur que l’été prochain, s’il est un peu ardent, nous n’ayons bien des fièvres malignes, [22] et même de la peste [23] si le [bon Dieu n’a] pitié de nous.
J’espère que ce sera M. Falconet qui vous rendra la présente. Il y a quelque apparence que le roi ne partira pas si tôt que l’on dit, vu que l’on a contremandé des troupes qui étaient commandées d’aller vers Hesdin et que M. de Castelnau [24] n’est point parti, qui avait ordre de partir hier pour le même dessein. [6] On dit que l’on a envoyé les provisions du gouvernement d’Hesdin aux deux beaux-frères, savoir La Rivière et de Fargues conjointement, comme ils l’ont demandé. La femme de ce de Fargues [25][26] avait été arrêtée prisonnière, mais elle a été remise en liberté sous bonne caution, il y a par là apparence que l’affaire s’adoucit et s’accorde. [7] Je me recommande à vos bonnes grâces, et à mademoiselle votre femme, et suis de toute mon affection, Monsieur, tout vôtre,
G.P.
De Paris, ce vendredi 22e de mars 1658.
Je viens de mettre dans le paquet que je vous apprête un poème latin fait par un nommé Gervaise, [27] de Phlebotomia, [8] dédié à Vallot. [28] C’est un médecin de la campagne, âgé d’environ 45 ans, qui se veut présenter à l’examen prochain pour être médecin de notre Faculté. Il était par ci-devant médecin à Étampes, [29] duquel j’apprends qu’il demande qu’on lui fasse grâce des dépens, nomine paupertatis, ea lege, etc. [9]