L. 894.  >
À André Falconet,
le 7 décembre 1666

Monsieur, [a][1]

Ce que je vous ai écrit ci-devant de la mort du pauvre M. Hinselin, [2] maître de la Chambre aux deniers, est très vrai : il est mort par la malice de son valet de chambre qui était un Lorrain nommé Genesson. [3] Hé Dieu, que les méchants ont de crédit au monde ! J’avais recommencé mes leçons au Collège royal[4][5] mais les voilà cessées pour un temps à cause d’une anatomie que l’on y va faire ; ainsi nous nous y reposerons jusqu’après les Rois[6] Enfin, les fêtes sont retranchées par l’autorité de notre archevêque [7] et par un arrêt du privé Conseil. [8] Il y a ici une grosse querelle entre M. de Verthamon, sieur de Villemenon, [9] maître des requêtes, et Monsieur notre archevêque, contre lequel il court un factum fort piquant. [1] On s’en va imprimer la réformation que le roi [10] a fait faire pour les abus de la chicane, ce sera un tome in‑4o[2]

Le roi donna hier l’évêché de Coutances, [11] vaquant par la mort de M. Leclerc de Lesseville, [12] à M. l’abbé de Brienne, [3][13] frère de celui qui s’est rendu père de l’Oratoire[14][15] Le petit duc de Valois, [16] fils de M. le duc d’Orléans, [17] est si fort exténué, avec si peu d’espérance de guérison, que l’on a résolu de le baptiser. Son parrain sera le prince de Condé, [18] à la place du roi d’Angleterre, [19] et la marraine sera Mlle de Montpensier, [20] au lieu de la reine [21] qui ne bouge du lit pour se mieux conserver. [4] On a mis à Saint-Germain [22] auprès de M. le Dauphin [23] quelques jeunes enfants de qualité pour être élevés avec lui, le fils de M. de Vitry [24][25][26] en est un. [5] Je vous baise très humblement les mains et suis de toute mon âme votre, etc.

De Paris, ce 7e de décembre 1666.


a.

Bulderen, no ccccxxxiv (tome iii, page 211‑212).

1.

François ii de Verthamon, comte de Villemenon (mort en 1697 à l’âge de 92 ans), cousin de François i, {a} avait été reçu conseiller au Parlement de Paris en 1647 (première des Enquêtes), puis maître des requêtes en 1653 ; Popoff, no 2448 :

« Il avait été déclaré inhabile, lui et sa postérité, de posséder à l’avenir aucune charge de magistrature, par arrêt du Conseil du roi, pour avoir faussement accusé d’incontinence Hardouin de Péréfixe, archevêque de Paris, {b} envers lequel il fut condamné par le même arrêt de faire réparation d’honneur. Il avait entrepris ce prélat pour avoir soutenu contre lui le parti d’un gentilhomme nommé Servon, qui était son ami et qui avait eu recours à lui pour se délivrer de Verthamon dont il était voisin à la campagne, et qui voulait l’accabler ; François de Verthamon s’étant présenté devant le roi à son lever, quelques jours après l’arrêt rendu contre lui, espérant que Sa Majesté lui remettrait une partie des peines portées contre lui, eut ordre de sortir sur-le-champ de la chambre et de se retirer à la campagne, le séjour de Paris lui étant défendu. Sa disgrâce dura cinq ans, au bout desquels il eut l’honneur de saluer le roi à Saint-Germain-en-Laye, avec ses trois fils, le 5 octobre 1671, étant présenté par François de Harlay, archevêque de Paris. » {c}


  1. V. note [3], lettre 884.

  2. De 1662 à 1671, v. note [38], lettre 106 ; l’incontinence qualifiait la débauche de mœurs.

  3. François ii de Harlay de Champvallon (v. note [25], lettre 420), sucsesseur de Péréfixe à l’archevêché de Paris en 1671.

Les Vies intéressantes et édifiantes des Religieuses de Port-Royal, et de plusieurs personnes qui leur étaient attachées… sans lieu, « Aux dépens de la Compagnie », 1752, in‑12, tome quatrième) fournissent quelques détails, mal écrits mais éclairants, sur cette affaire (chapitre xii, pages 236‑237) :

« Ce fut en ce temps {a} qu’arriva l’affaire de M. de Verthamon, maître des requêtes, qui fit grand bruit à Paris, et où éclata la puissance de M. l’archevêque.

Ayant fait un factum où il {b} s’était un peu jeté sur sa personne, {c} laissant obscurément à conjecturer que le page, dont il se servait et qu’il aimait, était le fils d’une femme qu’il avait aimée dans son pays autrefois, et qu’il avait depuis fait venir à Paris et logée auprès de l’archevêché ; et ayant dit à la fin qu’il y avait bien loin depuis le commencement de M. de Péréfixe jusqu’à la dernière élévation d’archevêque, et que A Dominum factum est istud, (savoir le roi) et est mirabile in oculis nostris, {d} comme ayant choisi une buse {e} pour une place si importante, l’archevêque, qui ne pardonne pas aisément, en fit lui-même, et en fit faire par ses curés, des plaintes au roi, qui le {b} fit emmener à la Bastille, et fit ordonner par son Conseil qu’il se déferait de sa charge dans six mois et demanderait pardon à M. l’archevêque en plein chapitre. Ce pauvre homme, qui vit fondre sur lui un orage qu’il n’attendait pas, cala la voile doucement et fut souple, faisant dire par tous ses amis à M. l’archevêque qu’il voulait être son ami. Il fit redonner un autre arrêt du Conseil, par lequel il était dit en tête que, pour lui épargner la honte de demander pardon, on irait lui lire, etc.

Que ne fait point dans les hommes du monde l’intérêt et la peur de perdre une charge ! Il se soumit à tout ; et quoiqu’il vît qu’il était ruiné d’honneur, il ne se sentait pas assez fort pour suivre les conseils de générosité qu’on lui donnait. Il sortit donc après s’être soumis à tout. […] M. de Verthamon ayant toujours espéré de pouvoir conserver sa charge et ayant prié M. de Paris même, {c} qu’il croyait son ami, d’en parler au roi, ce prélat dit un mot à l’oreille de Sa Majesté, et vint dire ensuite à M. de Verthamon que le roi agréait qu’il conservât sa charge ; dont ce pauvre magistrat trop crédule voulant remercier le roi, dès qu’il fut devant lui, il fut rejeté avec la plus grande ignominie du monde, avec ordre de ne jamais paraître devant lui et de se défaire de sa charge. Cet événement fit voir que les plus grands prélats, aussi bien que les autres, ont des inimitiés irréconciliables, et qu’il vaut mieux avoir une bonne guerre avec eux qu’une fausse paix. » {f}


  1. Pendant la détention du janséniste Isaac Le Maistre de Sacy à la Bastille (1666-1668, v. note [5], lettre 867).

  2. Verthamon.

  3. Péréfixe, qui avait été évêque de Rodez avant d’être nommé archevêque de Paris.

  4. « C’est du maître que cela est venu, et c’est un prodige à nos yeux » Psaumes (118:23).

  5. V. note [4], lettre 806

  6. Des liens de Verthamon avec Port-Royal ont pu jouer un rôle dans cette affaire, mais sans preuve formelle que j’aie su en trouver.

2.

Recueil d’édits et déclarations de Louis xiv touchant la réformation de la justice, 1667 et 1669, in‑4o.

3.

Après la mort d’Eustache Leclerc de Lesseville (3 décembre 1665, v. note [5], lettre 849), l’évêché de Coutances avait d’abord été attribué à Claude Auvry (v. note [2], lettre 363), qui y avait renoncé en mai 1666. Il échut finalement, le 4 décembre 1666, à Charles-François de Loménie de Brienne (1638-1720), frère cadet de Louis-Henri (v. note [40], lettre 488) (Gallia Christiana).

4.

À un détail près (le duc d’Enghien au lieu de son père, le prince de Condé, comme parrain par procuration), la Gazette (ordinaire no 149 du 11 décembre, page 1263) a relaté en termes très similaires le baptême du petit prince qui avait eu lieu le 6 décembre au Palais-Royal. Philippe-Charles d’Orléans, duc de Valois, né en 1662 (v. note [1], lettre 791), mourut deux jours plus tard.

Mlle de Montpensier (Mémoires, seconde partie, chapitre viii, page 43) :

« M. de Valois, fils de Monsieur, était dans une grande langueur ; tout d’un coup il tourna à la mort, et mourut en parlant. Nous fûmes tout le jour à le voir agoniser ; cela fâcha {a} fort Monsieur. »


  1. Peina.

5.

Le fils aîné du duc de Vitry, François-Marie de L’Hospital (v. note [3], lettre 728), se prénommait Louis-Marie-Charles, comte de Châteauvillain ; né en 1653, il fut tué dans un duel en 1674.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 7 décembre 1666

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(Consulté le 26/04/2024)

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