L. 106.  >
À Charles Spon,
le 13 juin 1644

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 13 juin 1644

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0106

(Consulté le 19/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Sur l’appréhension que j’ai que vous ne soyez malcontent de moi pour avoir été trop longtemps à vous envoyer ma dernière, et avant qu’en attendre aussi la réponse, je prends la hardiesse de vous écrire celle-ci de nouveau pour vous dire qu’un imprimeur de Lyon nommé M. Barbier, [1][2] qui est honnête homme et assez savant pour sa condition, m’a fait l’honneur de me visiter céans, où nous avons amplement parlé de vous : devinez si c’est en bien ou en mal. Il m’a promis qu’en s’en retournant à Lyon, comme il l’espère que ce sera en bref, il emportera le petit paquet qui est céans pour vous, contenant quelques thèses [3] de reste du carême passé avec les trois parties de la Philosophie de M. Du Moulin, [4] notre arrêt [5] contre le Gazetier[6] les deux requêtes du recteur de l’Université [7] contre les jésuites reliées ensemble, trois de mes thèses [8] de la deuxième édition et six exemplaires de la troisième que j’ai fait faire tout de nouveau, laquelle est de beaucoup augmentée, de près d’une page en divers endroits, et tous bons mots bien choisis et tirés de bons auteurs. [2] Vous y trouverez aussi un petit paquet que m’a donné pour vous M. Moreau, [9] et un autre que je prends la hardiesse de recommander à votre fidélité et diligence, s’il vous plaît, pour faire tenir avec assurance à un de mes bons et intimes amis qui est à Valence, [10] comme porte l’inscription. Excusez-moi, je vous prie, de cette peine que je vous donne : c’est pour M. Froment, [11] docteur en droit, que j’ai connu ici il y a quelques années. Je pense que vous trouverez aisément occasion de lui faire tenir sûrement ce petit paquet qu’il sera ravi de recevoir, et vous en aura obligation aussi. Il est savant et excellent homme, et de mes plus particuliers amis. [3]

Depuis ce que dessus écrit, j’ai reçu votre dernière dont je vous remercie. Le Petrus Castellanus [12] est bien au service de M. de Serres, [13] et du vôtre aussi. Je pense que c’est celui qui a traduit la Pharmacie de M. de Renou. [4][14] Il obligerait fort cet auteur s’il pouvait en procurer une nouvelle édition en latin in‑4o à Lyon, ce serait un fort bon livre. Je n’eusse jamais cru que l’auteur du Divorce céleste [15] eût été un pur et naturel Italien, mais puisque cela est, il le faut ainsi croire. Mala sua sorte periit[5] pour avoir dit et publié avant que de mourir tant de belles vérités que la tyrannie du pape, [16] ou au moins de ses officiers, n’a pu souffrir. Je suis tout prêt de croire que vous vous moquez de moi quand vous parlez de taxer ce que je vous envoie, qui n’est rien au prix de ce que je vous dois. Je tâcherai de grossir le paquet de ce qui viendra afin que je vous sois moins obéré, et si je ne m’en acquitte tout à fait, au moins vous promets-je et vous prie de croire que je ferai tout ce que je pourrai pour obtenir quittance de votre gratitude. Il me semble que la voie des libraires n’est pas moins sûre que celle du coche de Lyon, c’est pourquoi je vous prie de m’envoyer à la première occasion, par la voie de M. Barbier ou de M. Borde, [17] à M. Jost, [18] votre premier paquet : éprouvons encore un coup cette voie. Le factum qui fut ici fait pour M. de Monconys, [19] votre lieutenant criminel, est fort rare et est connu de peu de personnes, vu l’importance de l’affaire. Je vous en envoie un que vous trouverez dans mon premier paquet. Puisque vous me renvoyez le Castellanus, c’est signe que vous avez reçu le petit paquet que j’avais commis à M. Jost dans lequel vous aurez trouvé le chétif ouvrage fait par M. Guillaume Du Val, [20] touchant les professeurs du roi, qui est une très certaine marque fugientis et senescentis ingenii in tanto homine[6] Quand vous aurez lu quelque jour le factum de M. de Liergues, je pourrai vous en mander ce que j’en ai ici ouï dire à des gens de remarque et signalés qui étaient issus de Lyon, et à d’autres qui étaient de Paris et du Parlement, et qui savaient le nœud de l’affaire. Je n’ai pu trouver le factum ni le paquet dans lequel il est. [7]

Parce que vous désirez que je vous dise quelque chose de ma famille [21][22] après m’en avoir instruit de la vôtre, je le ferai très volontiers et très librement à cause de vous ; joint que, absit verbo iactancia[8] vous me demandez une chose que vingt autres personnes différentes ont désirée par ci-devant de moi, qui néanmoins ne me connaissaient que par lettre la plupart, croyant qu’il n’y avait en cela aucun mal, comme je l’ai appris en bonne part. Je leur ai dit ce que je vous dirai tout présentement. Mon lieu natal est un village à trois lieues de Beauvais [23] en Picardie, nommé Houdan, [9][24][25] troisième baronnie de la comté de Clermont-en-Beauvaisis. [10][26] Le plus ancien de ma race que j’aie pu découvrir a été un Noël Patin, qui vivait dans la même paroisse il y a plus de 300 ans, duquel la famille a duré jusqu’à moi. [11][27] De ses descendants, quelques-uns se sont retirés dans les villes, et y ont été notaires à Beauvais et marchands drapiers à Paris ; d’autres ont porté les armes ; d’autres sont demeurés aux champs. Mon grand-père, [28] de qui je porte le nom, avait un frère [29] conseiller au présidial et avocat du roi à Beauvais, qui était fort savant et duquel feu mon père [30] honorait extrêmement la mémoire. [12] Mon grand-père était homme de guerre, comme tout ce temps-là fut de guerre. Feu mon père avait étudié pour être ici avocat, où il fut reçu l’an 1588, huit jours avant les barricades, [31] après avoir étudié à Orléans [32] et à Bourges [33] sous feu MM. Fournier [34] et Cujas. [13][35] Il se fût arrêté à Paris pour toute sa vie si la mort du roi Henri iii[36] et le siège de Paris qui ensuivit, ne l’en eût empêché. L’an 1590, il fut pris prisonnier par les ligueurs [37] et ne put être racheté à moins de 400 livres, qu’il fallut payer comptant, somme qui n’est pas grande aujourd’hui, mais qui l’était alors, et principalement en temps de guerre et aux champs. Feu ma grand-mère [38] m’a dit que, pour parachever cette somme ramassée çà et là, elle engagea ses bagues de mariage et son demi-ceint d’argent [14] chez un orfèvre de Beauvais à gros intérêt ; ce que je lui ai maintes fois ouï dire en pleurant et détestant le malheur de ce temps-là. Le seigneur de notre pays voyant qu’il pouvait tirer bon service de feu mon père, qui était un jeune homme bien fait, qui parlait d’or et qui n’était point vicieux, fit tant qu’il le retint près de soi pour s’en servir en ses affaires, annuente avo meo, imo urgente ; [15] et pour l’attacher davantage et le retenir au pays, lui procura le plus riche parti qui y fût et lui fit épouser, avec de belles promesses qu’il n’a jamais exécutées, feu ma mère, laquelle s’appelait Claire Manessier, [16][39] descendue d’une bonne et ancienne famille d’Amiens. [40] Feu mon père s’appelait François Patin, homme de bien si jamais il en fut un : si tout le monde lui ressemblait, il ne faudrait point de notaires. Il venait à Paris tous les ans pour les affaires de son maître, où il avait tout le crédit imaginable, et y ai trouvé quantité d’amis que je ne connaissais point du tout, qui m’ont fait mille caresses à cause de lui, ce qui me l’a maintes fois fait regretter de plus en plus. [17] De ce mariage sont sortis sept enfants adhuc superstites : [18] deux fils, dont je suis l’aîné, et un frère qui est en Hollande ; [19][41] les cinq filles sont toutes cinq mariées et ont eu entre elles tout le bien de la mère, lequel étant divisé en cinq a suffi pour les marier. Mon frère et moi avons eu le bien paternel qui ne me vaut pas encore, apporté ici, 100 écus de rente ; mais ce n’est pas la faute des bonnes gens, qui ont vécu moribus antiquis[20] sans avarice et sans ambition. Tout le malheur de feu mon père était un maître ingrat et avare, [42] et avec lequel il n’a rien gagné, nonobstant presque 30 années de fâcheux services. Le regret qu’il eut d’avoir quitté Paris et s’être arrêté à la campagne sur les belles paroles d’un seigneur qui nimium attendebat ad rem suam[21] fit qu’il pensa, dès que j’étais tout petit, de me faire ici avocat, disant que la campagne était trop malheureuse, qu’il se fallait retirer dans les villes ; et me disait souvent ce bon mot du sage, Labor stultorum affliget eos qui nesciunt in urbem pergere ; [22][43] à cause de quoi il me faisait lire, encore tout petit, les Vies de Plutarque [44] tout haut et m’apprenait à bien prononcer. [23] À ce dessein, il me mit au Collège à Beauvais, âgé de neuf ans ; puis m’amena à Paris au Collège de Boncourt [45] où je fus deux ans pensionnaire, [24] y faisant mon cours de philosophie. Quelque temps après, sa Noblesse, pour le récompenser d’une façon qui ne leur coûtât rien, lui voulut donner un bénéfice pour moi, que je refusai tout à plat, protestant absolument que je ne serais jamais prêtre (benedictus Deus qui mihi illam mentem immisit in tenera adhuc ætate). [25] Feu mon père, qui reconnaissait en ce refus quelque chose de bon et d’ingénieux, ne s’irrita pas bien fort de mon refus ; mais ma mère en demeura outrée contre moi plus de cinq ans, disant que je refusais la récompense des longs services que feu mon père avait rendus à cette Noblesse, mais il n’en fut autre chose. Dieu m’aida : je fus cinq ans sans la voir ni aller chez nous ; durant ce temps-là j’eus connaissance d’un homme qui me conseilla de me faire médecin à Paris ; [26][46][47] pour à quoi parvenir j’étudiai de grand cœur depuis l’an 1622 jusqu’à l’an 1624, que je fus ici reçu ; [27] et alors, père et mère s’apaisèrent, qui m’assistèrent de ce qu’ils purent pour mes degrés et avoir des livres. Cinq ans après, duxi uxorem[28][48] de laquelle j’aurai de succession directe 20 000 écus, ses père [49] et mère [50] vivant encore, mais fort vieux, sans une collatérale qui est une sœur sans enfants et fort riche. Dieu a béni mon alliance de quatre fils, savoir est de Robert, [51] Charles, [52] Pierrot [53] et François. [29][54] Annum ætatis attigi 41 [30] avec plus d’emploi que de mérite en ma profession et moins de santé qu’il ne me serait de besoin, quam potissimum labefactarunt vigiliæ iuges et elucubrationes nocturnæ ; a quibus etiam necdum abstineo ; sed hoc erat in fatis[31][55] Voilà, ce me semble, ce qu’avez désiré de moi, et peut-être beaucoup davantage. Excusez mon importunité et ma prolixité in re tam vili et tam exigua[32] Le Daléchamps [56] de M. Piètre [57] est in‑4o, d’ici, mais fort rare ; si jamais j’en trouve un, je le retiendrai. Le Falcon sur Guidon [58][59] est si rare qu’à peine l’ai-je jamais vu. Quelques chirurgiens [60] qui en ont ici le gardent comme un trésor, il est in‑4o, impression de Lyon. [33] Pour le livre de Meyssonnier [61] du Collège de Lyon, [34][62] il témoignera toujours de son auteur, qui vieillit tous les ans sans devenir sage. Le voyage de saint Luc à Lyon a été forgé dans son cerveau, aussi bien que beaucoup d’autres extravagances ; bien lui serait s’il n’avait que celle-là. [35] Je parlerai à M. Moreau des anciens médecins de Lyon, comme le désirez. [36] M. le duc d’Orléans [63] et notre armée sont devant Gravelines ; [64] de cuius successu, comme disaient les pyrrhoniens, επιχω και οιδεν ορεζω. [37] On a donné au roi [65] pour précepteur un nommé M. de Beaumont, [38][66][67][68] docteur en Sorbonne, [69] qui avait par ci-devant été camérier du cardinal de Richelieu. [70] Les loyolites [71] prétendaient à cette place pour leur P. de Lingendes, [72] mais la chance a tourné car celui-ci qui y est les connaît fort bien, eosque odit egregie[39] La cour est toute mazarinesque. Le roi et la reine [73] s’en vont à Fontainebleau [74] y passer une partie de l’été. [40] Je vous baise les mains de tout mon cœur et serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 13e de juin 1644.

Je vous prie de me mander à votre premier loisir quel âge peut avoir M. Meyssonnier, s’il est marié, s’il a des enfants, ce qu’il fait ; et voudrais aussi bien savoir s’il a vu ma thèse et ce qu’il en a dit. Tout ce qu’il écrit ne me plaît guère ; j’apprendrais volontiers s’il en dit autant de moi. Ne fait-il rien imprimer de nouveau ? Un si bel esprit peut-il bien en conscience demeurer oisif ? [41]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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