L. latine 174.  >
À Marten Schoock,
le 17 janvier 1662

[Ms BIU Santé no 2007, fo 123 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Marten Schoock, à Groningue.

Très distingué Monsieur, [a][1]

J’ai récemment reçu votre extraordinaire cadeau ou plutôt, devrais-je dire, le rayon de librairie qu’est ce colis de vos livres. On me l’a livré le 5e de ce mois ; je vous en remercie immensément, espérant même pouvoir vous rendre la pareille un jour et vous offrir, pour ce cadeau en or, quelque petite offrande qui charmera votre bon naturel. J’ai tout dernièrement écrit là-dessus à notre grand ami, M. Christiaen Utenbogard, médecin d’Utrecht. [2] Dans votre paquet, j’ai trouvé vos traités de Ecstasi, de Fœnore unciario, de Figmento legis regiæ, de Nihilo, avec deux exemplaires du Liber de Cervisia, que vous avez bien voulu me dédier, à moi dont le nom n’est pas même connu en Europe et l’est à peine en son propre pays. [1][2] J’ai reçu ce volumineux envoi comme étant ce qu’il y a de plus précieux au monde. Les hommes intelligents et aguerris ne peuvent en effet l’estimer autrement puisque votre œuvre fournit la preuve très éclatante de votre savoir sans limite et de votre immense érudition ; mais ce cadeau est aussi le plus éclatant témoignage de l’amour peu commun que vous me portez et de votre singulière bienveillance à mon égard. Je le dis en toutes sincérité et liberté : Dieu veuille que je puisse vous rendre la pareille et chasser loin de moi toute trace d’ingratitude ! Je le ferai sans aucun doute s’il me le permet, lui qui accorde tout à tous. J’attendrai impatiemment votre de Fermentatione Commentarius[2] sans douter qu’il sera excellent et plaira à tous les doctes hommes, en particulier à ceux dont de meliore luto finxit præcordia Titan[3][3][4] et dont l’esprit a encore la soif d’explorer l’histoire naturelle, et cherche à toute force la vérité parce que cette matière est encore obscure et enveloppée de denses ténèbres presque cimmériennes. [4][5] Dieu veuille donc que ce livre tombe vite entre les mains des savants. Si par la paresse ou par l’indigence de vos imprimeurs quelque empêchement compromet cette édition, [6] je vous offre de donner de ma personne, c’est-à-dire de fournir de l’argent, un libraire ou toute autre aide que vous pourriez désirer ; bref, si vous voulez, j’assisterai vel ope, vel opera, comme dit le poète, vel consilio ; [5][7] sinon, dites de ma part à l’imprimeur que je suis disposé à acheter 50 exemplaires, argent comptant, dès que le livre sera fait. Notre ami M. Utenbogard lui en comptera la somme sur-le-champ, et un marchand de Leyde la lui remboursera sans délai de ma part. Vous voyez que je suis prêt à promouvoir votre ouvrage, ordonnez donc et commandez ; indiquez-moi du moins de quelle manière et jusqu’à quel point je serais en mesure de vous obliger ou d’être utile à vos études, à l’imitation du très sage Socrate, [8] le meilleur des hommes, qui, alors qu’il n’écrivait aucun livre, apportait pourtant son aide aux brillantes productions du génie des autres, soit en contribuant à leur enfantement, soit en les publiant. [6][9] Il ne tiendra donc qu’à vous, très distingué Monsieur, de recourir à mon argent ou à mon appui. Je vous offre ce que je peux et même tout ce que vous voudrez si, du moins, je comprends bien votre pensée et votre esprit. Faites-moi donc savoir ce que vous attendez de moi et ce que je puis faire en votre faveur, moi qui voudrais vous donner beaucoup plus, en volume, en prix, [7] et en qualité aussi. Je souhaite aussi vous aviser, très distingué Monsieur, que si vous désirez procurer une seconde édition de votre livre de Cervisia, après y avoir corrigé quelques fautes typographiques, j’en rachèterai à votre libraire cent exemplaires ; ou bien je ferai réimprimer ici, par mes soins et à mes frais, l’exemplaire que vous aurez amendé. Voyez donc cela et faites-moi savoir ce que vous désirez là-dessus ; mais en attendant, très distingué Monsieur,vive, vale, conservez-moi votre faveur et continuez de m’aimer comme vous faites.

De Paris, ce 17e de janvier 1662.

Votre Guy Patin de tout cœur.


a.

Brouillon manuscrit d’une lettre que Guy Patin, malade (v. note [1], lettre 717), a dictée à l’intention de Marten Schoock, ms BIU Santé no 2007, fo 123 vo ; la suscription, la fin et quelques corrections sont de la plume de Patin.

1.

V. notes [1] et [2], lettre 719, pour les traités de Marten Schoock « sur l’Extase », « sur l’Emprunt au douzième », « sur la Fiction de la loi royale » et « sur le Néant », et pour son « Livre sur la Bière » (avec sa dédicace à Guy Patin) ; tous publiés à Groningue en 1661.

Cette lettre française du 19 janvier 1662 à Christiaen Utenbogard était celle où Guy Patin lui accussait bonne réception de 10 traités de Schoock, dont il possédait déjà la moitié.

2.

V. note [3], lettre 723, pour le « Commentaire sur la Fermentation » de Marten Schoock (Groningue, 1663).

3.

« le Titan [Prométhée, à qui Guy Patin comparait flatteusement Marten Schoock] a façonné les cœurs de la meilleure argile » (Juvénal, v. note [16], lettre 210).

4.

V. note [19], lettre 901, pour le commentaire d’Érasme sur les ténèbres cimmériennes.

5.

« ou par ma richesse ou par mon travail… ou par mes conseils » (v. note [13], lettre 201).

6.

Allusion certaine à la maïeutique socratique (v. note [2], lettre latine 383), et probable à Diogène Laërce (Vies et doctrines des philosophes illustres, livre ii, 18), disant de Socrate (dont aucun écrit n’a subsisté) : « il avait la réputation de collaborer avec Euripide. »

7.

Reprise impromptue de la plume par Guy Patin.

Après y avoir beaucoup réfléchi, il choisit de remercier Marten Schoock en lui envoyant 6 pistoles (66 livres tournois) : v. note [2], lettre latine 190.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 123 vo.

Cl. viro D. Mart. Schoockio, Groningam.

Vir Clarissime,

Eximium tuum munus, aut potiùs, ut ita dicam, librariam illam tuam suppellectilem
et fasciculum librorum tuorum nuper accepi : redditus enim mihi fuit fasciculus
tuus
die 5.
v. hujus mensis, pro quo gratias tibi ago amplissimas, quas utinam aliquando
etiam referre possim, tibiq. pro aureo munere munusculum aliquod offere egregiæ
tuæ indoli quod arrideat : de quo scripsi nuperrime ad singularem Amicum nostrum,
D. Christianum Utenbogardum, Medicum Ultrajectinum. In illo tuo fasciculo
deprehendi librum de Ex
cstasi : de Fœnore unciario : de Figmento legis regiæ : de Nihilo :
cum duobus exemplaribus libri de Cervisia, quem Nomini meo nequidem in
Europa, vix inter suos noto inscriptum voluisti : Tanti momenti munus accepi
tanquam aliquid pretiosissimum, nec enim aliter æstimari potest à Viris
intelligentibus et peritis, cùm sit o
Opus infinitæ tuæ lectionis, et summæ eruditionis
argumentum uberrimum, et amoris in me tui non vulgaris atq. singularis
benevolentiæ testimonium amplissimum : pro quo, liberè verèq. dico, utinam
possim retaliare, et omnem ingratitudinis notam à me repellere : quod faciam
haud dubiè si dederit Ille qui omnibus dedit omnia. de Tuum de Fermentatione
Commentarium
avidè expectabo, quem nec dubito optimum, gratissimumq.,
futurum omnibus eruditis, ijs præsertim quibus de meliore luto finxit præcordia
Titan
, et quorum animus in rerum Phis
ysicarum investigatione sitit adhuc
et veritatem quærit ea potissimum de causa, quod sit ejusmodi materia adhuc
obscura et Cimmerijs penè tenebris fortiter involuta : Utinam igitur citò
veniat in manus eruditorum : quod si per Typographorum vestrorum inertiam
vel inopiam tibi interveniat aliquod impedimentum super ejus editione, ego
t
Tibi me ipsum offero i. vel pretium, vel Typographum, aut aliud quid quale
volueris : deniq. vel ope, vel opera, ut ait Pœ
oeta, vel consilio juvabo, si volueris :
sin minus, age meo nomine cum Typographo, à quo quinquagenta Exemplar[ia]
præsentibus nummis statim confecto libro redimere paratus sum : pecuniam illi
numerabit præsentaneam Amicus noster D. Utembogardus, qui eam curâ meâ
recipiet per Mercatorem Leidensem. v
Vides animum meum paratum in
promovendo tuo Opere, jube igitur et impera, aut saltem indica quomodo Tibi
gratificari, aut quatenus studijs tuis inservire queam, ad imitationem Optimi
Virorum sapientissimi Socratis, qui cùm libros nullos scriberet, alijs tamen
opem ferebat in præclaris ingenij fœtibus, vel parturiendis, vel publicandis.
Tuum idcirco erit, Vir Cl. ope vel operâ meâ uti : hoc offero quod possum, imò
etiam illud offero qualecunque volueris, si modò mentem tuam et animum tuum
intelligam ; fac igitur ut sciam quid à me requires, et quid in gratiam tuam possim,

qui longè plura eáq. majora et ampliora vellem præstare, ut et meliora. Tu quoque monitum velim, Vir Cl. si resectis sphalmatis
aliquot Typographicis libri tui de Cervisia, velis novam ejus editionem procurare, à Bibliopola tuo centum Exemplaria redimam 2. illius Editionis, vel ex
tuo Exemplari emendato, novam ejus Editionem hîc procurabo, curis meis et sumptibus meis. Vide igitur, et fac ut sciam quid super ea re cupias. Interea v.
Vir Cl. vive, vale, fave, et me quod facis amare perge. Datum Parisijs, die 17. Ianuarij, 1662. Tuus ex animo Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Marten Schoock, le 17 janvier 1662

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(Consulté le 26/04/2024)

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