L. latine 220.  >
À Marten Schoock,
le 27 novembre 1662

[Ms BIU Santé no 2007, fo 119 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Marten Schoock, professeur de philosophie à Groningue.

Très éminent Monsieur, [a][1]

Je vous écris car je pense très souvent à vous, et désire ardemment savoir comment vous vous portez et quand donc vous voudrez envoyer votre fils à Paris. [2] Je l’accueillerai chez moi comme s’il était le mien et le garderai aussi longtemps que vous voudrez. Tandis qu’il s’adonnera à l’étude du droit civil et apprendra à parler français, il occupera ses heures de loisir à visiter notre ville qui est la plus grande, la plus riche et la plus peuplée. [1] Quand donc votre livre de Fermentatione et la seconde édition de votre livre de Cervisia nous arriveront-ils ? [2][3] Il est ici question d’introduire en usage quotidien turfas sive cespes bituminoses[3][4] surtout pour le tiers état, afin d’économiser le prix du bois qui est tout à fait indu et excessif. À cette fin, un certain M. de Chambré a obtenu du roi une autorisation d’en faire le commerce ; [5][6] le Parlement de Paris l’a confirmée par un arrêt spécial, mais non sans avoir entendu six médecins que le premier président avait choisis à cette fin : [7] Utrum turfarum usus aliquomodo noxius esse posset : an potius civium nostrorum valetudini, et reipublicæ commodo infensus esse posset ? [4] La question mise en jugement a été soumise aux médecins, dont j’étais l’un. J’ai montré et offert votre livre à l’illustrissime M. Guillaume de Lamoignon, premier président ; mais j’en avais un autre exemplaire. Éclairé et instruit par votre ouvrage, mon second fils, prénommé Charles, docteur en médecine, a écrit quelque chose en français sur ces mêmes tourbes. [5][8] Si ce qu’il médite est finalement publié, il parera son livre d’une très honorifique mention de votre renom et de votre érudition particulièrement louable, ou plutôt parfaitement universelle, et de votre savoir encyclopédique, accompli en tous ses aspects, lequel vous place parmi les plus savants de notre siècle, comme vous le méritez au plus haut point. [6] C’est pourquoi je vous envoie une lettre de mon fils, qu’il a seulement écrite à cette fin. J’ai exhorté un de nos libraires à se soucier de faire livrer en cette ville cent exemplaires de votre livre de Fabula Hamelensi ; [7] vous m’en aviez donné un, mais je l’ai offert au premier président du Parlement qui le voulait et en avait besoin. Je vous en demande un autre, à moins que vos libraires n’en expédient ici ; ils les vendront aisément en raison de la bonne qualité et de la vérité de votre livre, non sans profit ni gain évident pour eux. Notre ami M. Utenbogard, [9] qui vous remettra celle-ci, connaît une voie sûre par laquelle je pourrai aisément vous faire parvenir ce qu’il vous plaira. N’avez-vous pas vu le livre que M. Galateau, médecin de Bordeaux en grande réputation, a écrit en français de la Fermentation, contre Thomas Willis, médecin anglais ? [8][10][11] Si vous désirez le voir, je vous l’enverrai sans difficulté. Sans vouloir vous mettre en peine, je salue votre ami Deusing ; [12] mais vous, très distingué Monsieur, vive et vale, et continuez de m’aimer comme vous faites. Avec votre permission, je salue très obligeamment toute votre famille, vos enfants et vos amis.

De Paris, ce lundi 27e de novembre 1662.

Vôtre en tout, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Marten Schoock, ms BIU Santé no 2007, fo 119 vo.

1.

Comparée aux autres villes d’Europe, Paris avait en effet toutes ces qualités au xviie s. Toutefois, on n’y enseignait formellement que le droit canonique (à la Sorbonne) ; aboli depuis le début du xiiie s., l’enseignement du droit civil (romain) n’y reprit qu’en 1679 ; en 1662, on ne pouvait s’y former que pratiquement, auprès d’un avocat ou d’un magistrat.

2.

Le livre de Marten Schoock « sur la Fermentation » (v. note [3], lettre 723) a paru à Groningue en 1663 ; il ne réédita pas son traité « sur la Bière » (Groningue, 1661, v. note [1], lettre 719).

3.

Allusion au traité de Marten Schoock de Turffis, ceu cespitibus bituminosis [sur les Tourbes ou mottes bitumineuses] (Groningue, 1658, v. 4e référence de la note [2] de sa lettre datée du 12 août 1656).

4.

« L’emploi des tourbes pourrait-il en quelque façon être nuisible, ou plutôt pourrait-il être contraire à la santé de nos concitoyens et au profit du public ? »

V. infra note [5] pour M. de Chambré et son brevet sur les tourbes.

5.

V. notes [1], lettre 743, et [12], lettre 748, pour le Traité des tourbes combustibles de Charles Patin (Paris, 1663), ouvrage fortement inspiré par celui de Marten Schoock (v. supra note [3]), et dédicacé au premier président Guillaume de Lamoignon. Il contient à la fin la transcription de plusieurs pièces relatives aux travaux du sieur de Chambré, prénommé Anne (v. la fin de la présente note) :

Ces dernières confirment et développent ce que Guy Patin écrivait ici à Marten Schoock :

« Louis par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, Salut. Le public, et notamment les pauvres et artisans, tant de notre bonne ville de Paris que des environs, étant en très grande nécessité de bois à brûler, tant pour sa rareté que pour son prix excessif, le sieur de Chambré, trésorier des gendarmes, Nous a remontré que le véritable moyen d’y remédier était par la confection de certaines tourbes à brûler ; que même cet usage apportera au public un profit considérable pour la diminution dudit bois à brûler, qui doit arriver vraisemblablement en ce que tous ceux qui en font une grande consommation en leurs ouvrages et manufactures s’en pourront passer employant desdites tourbes ; et qu’il peut facilement parvenir à l’accomplissement de ce dessein, si utile pour la grande quantité de fonds marécageux de terres et prés incultes, abandonnés ou de peu de valeur, propres à faire desdites tourbes ; qu’il a reconnus et remarqués ès {a} environs de notre dite ville de Paris et lieux voisins ; et d’autant que nous avons une forte inclination au soulagement de nos sujets, principalement des pauvres. Pour ces causes et autres bonnes considérations, à ce nous mouvant, et désirant gratifier et favorablement traiter ledit de Chambré, en considération d’un avis si avantageux, et de ses bons et agréables services, et pour lui donner moyen de nous les continuer à l’avenir, Nous, en confirmant notre brevet du 30 novembre dernier […] donnons et octroyons par ces présentes, signées de notre main, audit sieur de Chambré, seul, le pouvoir, faculté et permission de faire faire, seul ou par ceux qui auront droit de lui, pendant trente années consécutives, à commencer du jour de l’établissement, des tourbes à brûler, dans l’espace et étendue de vingt-cinq lieues ès {a} environs de la ville de Paris, le long et proche des rivières, ruisseaux et marécages, dont les terres seront par lui ou ses commis à ce trouvées propres, à la charge qu’il sera tenu payer le prix desdites terres propres à la confection desdites tourbes au prix qu’il sera convenu, volontairement et à l’amiable, entre lui ou ses ayants cause et les propriétaires desdites terres. Voulons que ceux desdits propriétaires des terres, prés, marécages de la qualité susdite, qui les lui vendront ou loueront, que les baux qu’ils pourraient en avoir faits auparavant ladite vente ou loyer, demeurent cassés et résolus. Et pour faire jouir ledit sieur de Chambré ou ses ayants cause, pleinement et paisiblement, du privilège à lui ci-dessus octroyé, Nous avons fait et faisons très expresses inhibitions et défenses à toutes autres personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient, de s’entremettre directement ou indirectement dans ladite étendue et durant ledit temps, ni sur lesdites rivières et ruisseaux, depuis leur source jusques à leur fin, à faire faire desdites tourbes, à peine de confiscation d’icelles et de vingt mille livres d’amende, applicable ; savoir : le tiers à l’Hôpital général de Paris, le tiers audit de Chambré, et l’autre tiers au dénonciateur, auquel nous en avons fait et faisons don irrévocable par cesdites présentes, pour en jouir et user, en faire et disposer par ledit de Chambré, ses hoirs, {b} successeurs et ayants cause, pleinement et paisiblement, pendant lesdites trente années, ainsi que bon lui semblera. […] Donné à Lyon, le dix-huitième jour de décembre, l’an de grâce mil six cent cinquante-huit […].

Lesdites lettres vérifiées en Parlement le septième d’août mil six cent soixante et deux, après avoir vu par la Cour, et en conséquence de ses arrêts, l’avis de Messieurs le prévôt des marchands et échevins de la ville de Paris, du vingt-troisième d’août mil six cent cinquante-neuf, contenant que lesdites tourbes seront de très grande utilité au public ; celui des sieurs Des Gorris, Guénault, Patin, Brayer, Rainssant et Blondel, {c} docteurs régents en la Faculté de médecine de Paris, du 21e juin 1662, contenant qu’on se peut servir utilement desdites tourbes, et qu’elles ne sont aucunement préjudiciables à la santé ; et celui des sieurs Rolland, Pocquelin, Reims, Vitré, Bridaut et Iabac, bourgeois de Paris, du 19e juin au dit an 1662, portant que lesdites tourbes peuvent être mises en usage et qu’il ne se peut que le public n’en retire beaucoup d’utilité. Les derniers avis donnés en suite de l’épreuve desdites tourbes, faite dans la grande salle de Monsieur le premier président, en sa présence et celle de Monsieur Ferrand, conseiller de la Cour, doyen de la Grand’Chambre, {d} et de plusieurs autres de Messieurs les conseillers de ladite Cour, et desdits médecins et bourgeois. »


  1. Aux.

  2. Héritiers.

  3. Jean iii Des Gorris, François Guénault, Guy Patin, Nicolas Brayer, Sébastien Rainssant et François Blondel.

  4. Michel Ferrand, v. note [14], lettre 287.

Charles Patin, sur la page qui précède son glorieux portrait, a transcrit ces deux médiocres épigrammes « À Monsieur de Chambré » :

Dans les Mémoires des commissaires du roi et de ceux de Sa Majesté britannique, sur les possession et les droits respectifs des deux Couronnes en Amérique (Paris, Imprimerie royale, 1756, in‑12), tome seizième, Contenant les Pièces justificatives concernant la propriété de l’île Sainte-Lucie, article li, Acte de restitution par les Anglais de l’île de Sainte-Lucie aux Français, entre les mains des sieurs de Clodoré et de Chambré, en date du 20 octobre 1665 (page 171), Mre de Chambré est prénommé Anne et dit « conseiller du roi en ses conseils, et agent général de ladite Compagnie » [des Indes Occidentales]. Il est chronologiquement plausible (mais non assuré) d’identifier ce Chambré au titulaire du brevet royal sur les tourbes vérifié en 1662.

6.

V. note [12], lettre 748, pour l’hommage que Charles Patin a rendu un à Marten Schoock dans la Préface de son Traité des tourbes combustibles.

7.

V. 8e référence de la note [2], lettre de Marten Schoock, datée du 12 août 1656, pour son livre « sur la Fable de Hamelin ».

8.

V. note [4], lettre latine 217, pour Pierre de Galateau et Thomas Willis, et leurs livres « sur la Fermentation ».

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 119 vo.

Cl. viro D. Mart. Schoockio, Philosophiæ Professori, Groningam.

Ad Te scribo, vir præstantissime, dum sæpius de Te cogito, atque scire
aveo quî valeas, quandonam mittere voles Parisios Filium tuum, quem in ædibus
meis tanquam meum, excipiam ; et quamdiu volueris detinebo, dum Iuris Civilis
studio incumbet, ac discet Gallicè loqui, Civitatem nostram maximam, opulen-
tissimam et populosissimam horis subsecivis lustrabit. Liber tuus de Fermentatione
et altera editio libri tui de Cervisia, quandonam venient ? Hîc agitur de Turfis, sive
Cespitibus bituminosis, in usum quotidianum introducendis, in gratiam multorum præser-
tim terniorum, et ad imminuendum ligni pretium prorsus iniquum ac immodicum. In
eum finem quidam dictus D. de Chambré, ejus rei licentiam obtinuit à Rege, quam
Senatus Parisiensis singulari Edicto confirmavit, sed nonnisi post auditos sex
Medicos à Principe Senatus in eam rem delectos : utrum Turfarum usus aliquo-
modo noxius esse posset : an potius civium nostrorum valetudini, et Reipublicæ
commodo infensus esse posset ?
In examen revocata quæstio probata fuit à Medicis,
ex quib. unus fui. Librum tuum ostendi et exhibui D Illustrissimo viro D. Gul. de La-
moignon
, Senatus Principi ; sed alium habeo : filius quoque meus secundus, dictus
Carolus, Doctor Medicus, aliquid Gallicè scribit de ijsdem Turfis : à libro tuo edoctus
ac instructus : si quod meditatur, in publicam lucem tandem veniat, in illo scripto suo
decorum servabit, honorificentissima facta Nominis tui mentione, et laudata singu-
lari tua eruditione, vel potiùs absolutissima, omnibúsq. suis numeris perfecta Ency-
clopædia tua, quæ Te reponit inter eruditissimos nostri sæculi summo tuo merito.
Ea de causa mitto Tibi Epistolam Filij mei, ea dumtaxat de causa ad Te scriptam.
Monui unum è nostris Bibliopolis, ut in hanc Urbem devehi curaret centum Exem-
plaria libri tui de Fabula Hamelensi : unum per Te habebam, quem Principi
Senatus obtuli, volenti et requirenti : aliud unum à Te peto, nisi Bibliopolæ vestri
aliquot exemplar[ia] mittant, quæ propter bonitatem et veritatem facilè distrahentur,
non absque eorum commodo lucróque manifesto. Amicus noster D. Utenbogardus,
per quum hanc accipies, viam certam tenet per quam quod libuerit, facilè trans[mit-]
tere potero. ^ Deusingium vestrum saluto, nisi Tibi grave fuerit. Tu v. Vir Cl.
vive, vale, fave, et meque quod facis, amare perge. Cum bona tua venia,
totam tuam familiam, liberos omnes et amicos officiosissimè saluto. Parisijs,
die Lunæ, 27. Nov. 1662.

Tuus ad omnia, Guido Patin.

^ Vidistine librum Gallicum de Fermentatione, scriptum à Domino Galateau, mag[næ]
famæ Medico Burdegalensi, adv. Thomam Willis, Med. Anglum : si vide[re]
eum cupias, facilè Tibi mittam. Deusingium, etc.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Marten Schoock, le 27 novembre 1662

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(Consulté le 26/04/2024)

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