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Consultations et mémorandums (ms BIU Santé 2007) : 3  >

[Ms BIU Santé no 2007, fo 237 ro | LAT | IMG]

Épilepsie chez un jeune homme de Troyes
[consultation, 1636]

Très distingué Monsieur, [a][1][2][3]

Vous avez fort élégamment et exactement relaté l’expression de la maladie, si bien qu’il nous est impossible de douter que la grave affection dont souffre cet honnête jeune homme soit une épilepsie : ses signes sont certains et manifestes ; nous nous abstiendrons de les recenser puisque vous les connaissez parfaitement. [1] La cause de ce mal est une exhalaison si maligne qu’elle mérite le nom de souffle venimeux qui, rampant vers le cerveau, irrite ses méninges et déclenche la crise ; mais l’origine de la maladie se tapit dans les viscères nutritifs que beaucoup d’ordure a souillés. De là vient la lourde exhalaison qui se répand ; une intempérie très chaude et même ardente du foie entretient l’affection ; [4] elle est due à l’imprudente façon de se nourrir que ce jeune homme a observée dans le passé. Les symptômes de son mal s’accroissent et, s’il n’est pas bientôt plus sage, ils s’accroîtront encore dorénavant, étant donné que le sang est imprégné d’une grande quantité de bile, [5] dont il est à craindre qu’elle n’accable enfin le cerveau, fiatque æger tuus Libitinæ quæstus acerbæ[2][6][7] Les remèdes propres à chasser le mal sont ceux que vous avez pris soin d’administrer consciencieusement, de sorte qu’il nous est impossible de ne pas louer votre consultation. Toutefois, nous vous avertissons que cette affection sera difficile à soigner, étant donné que le cerveau, qui a été atteint par ce fléau, ne peut être rétabli dans sa santé première, à moins d’être rapidement et diligemment secouru multa manu medica Phœbique potentibus herbis[3][8][9] Nous estimons donc, comme vous, que la saignée, [10] pratiquée trois ou quatre fois aux deux veines basiliques, [11] doit immédiatement dénouer cet impur engorgement qui distend les grands vaisseaux situés entre les aisselles et les aines ; ensuite il faudra en venir à la saignée des deux veines saphènes. [4][12][13]

[Ms BIU Santé no 2007, fo 237 vo | LAT | IMG]

Le ventre sera toujours bien relâché, que cela advienne naturellement ou par effet de l’art. Enfin, viendra le moment de purger [14] avec une décoction de toutes les sortes de chicorées, [15] à laquelle on aura mêlé du séné [16] et du sirop laxatif de roses. [17] Nous n’approuvons pas les cathartiques plus violents, [18] en vue de ne pas trop stimuler ni remuer la bile. On lavera souvent les pieds avec de l’eau tiède et on posera des ventouses aux omoplates. [19] Rien n’enflamme la bile tant que les veilles, il faudra donc induire le sommeil, etc.

Pour un jeune épileptique de Troyes, le 15e de novembre 1636.

Et n’en déplaise aux forts esprits, je n’en voudrais point pour le prix [5]

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a.

Manuscrit autographe de Guy Patin ; Pimpaud, Document 3, pages 19‑21.

1.

Pour la traduction, j’ai respecté les conjugaisons à la première personne du pluriel, en l’interprétant comme voulant dire que plusieurs médecins avaient contribué à la consultation (bien qu’il soit arrivé à Guy Patin de recourir au nous singulier, dit d’emphase ou d’autorité).

2.

« et que votre malade ne fasse le profit de la cruelle Libitine [la mort] » (Horace, v. note [20], lettre 619).

V. note [1], lettre 172, pour la manière dont Guy Patin concevait les mécanismes et les causes de l’épilepsie, notamment sur la part qu’y prenaient le foie, la pléthore humorale et la consommation d’alcool.

3.

« par les soins diligents du médecin et par les puissantes herbes de Phébus » (Virgile, v. note [2], lettre latine 22).

4.

Le refus, bien plutôt que l’ignorance, de la circulation sanguine (vThomas Diafoirus et sa thèse) menait à ce raisonnement aberrant qui compartimentait le sang en secteurs distincts (tronc, membres, tête…), qu’il fallait évacuer sélectivement, et aux discussions sans fin sur la veine qu’il convenait de saigner, selon la nature et le mécanisme de la maladie à soigner (v. note [29], lettre latine 87).

5.

Guy Patin a écrit sa consultation (sans destinataire identifiable, mais dont rien n’autorise à mettre en doute l’authenticité) sur une feuille de brouillon où subsistaient ces quelques mots d’une autre plume, rédigés verticalement dans la marge de droite.

s.

Ms BIU Santé 2007, fo 237 ro.

Dilucidè Eleganter et atq. graphicè admodum morbi idæam
declarasti, vir clarissime, adeo ut nulli dubium esse
possit, quin affectus ille gravis, quo conflictatur
honestus adolescens, epilepsia sit : certa sunt et
manifesta illius signa, quorum recensione supersede-
mus, cùm illa tibi apprime innotescant. Causa
hujus affectus, est vapor est adeo malignus, ut auræ
venenatæ nomen mereatur, qui ad cerebrum repens,
ejus meninges vellicat, et paroxysmum excitat.
Sed prima mali labes in nutritiis visceribus delitescit, quæ
multa sordent eluvie : ^ unde exspi-/ratio gravis sursum/ effertur ad morbum fovet intemperies
præcalida ac præfervida hepatis ab incauta victus ratione
quâ antehac usus est adolescens ille ; augentur etiam
et in posterum augebuntur, nisi maturè sibi prospiciatur,
ejusd. morbi symptomata, ab organo sanguinis multa
bile f suffusi, à quo metus est ne cerebrum tandem
opprimatur, fiátq. æger tuus Libitinæ quæstus
acerbæ. Remedia expugnando affectui idonea ea sunt
quæ curasti sedulò administrari, ut non possimus non
laudare consilium tuum : monebimus tamen difficilis
curationis fore hunc affectum, quod cerebrum ista labe
tactum nonnisi ægrè possit restitui pristinæ valetudini,
nisi multa manu medica Phœbiq. potentib. herbis
citò et diligenter admoveantur. Tecum itaq.censemus
statim solvendam esse 2 plenitudinem 1 illam impuram, qua majora
vasa inter alas et inguina posita distenduntur,
sanguinis missione ter quaterve repetita ex utraque
basilica : dein deveniendum erit ad utriusq. saphenæ sectionem :

t.

Ms BIU Santé 2007, fo 237 vo.

semper erit alvus fluida, aut natura, aut arte. Tandem suus
erit purgationi locus ex decocto cichorar. omnium, in cujus
libra in quo infund. fol. Oriental. cum syrup. rosar.
solutivo. Vehementiora cathartica non probamus, ne bilem
moveant magis et exacuant. Pedes sæpe abluantur
tepidâ : scoptulis opertis affigantur cucurbitulæ. Nihil æquè
bilem exasperat quàm vigiliæ, propterea provocandus erit somnus
etc.

Pro juvene Trecensi epileptico, xv. Nov. 1636.

Et n’en déplaise aux forts esprits
je n’en voudrois point pour le prix


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Consultations et mémorandums (ms BIU Santé 2007) : 3

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(Consulté le 26/04/2024)

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