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Thomas Diafoirus (1673) et sa thèse (1670) |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
Autres écrits. Thomas Diafoirus (1673) et sa thèse (1670)
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Le 10 février 1673, Molière donnait pour la première fois, au Palais-Royal, [1] son Malade imaginaire, [1][2] avec la fameuse scène 5 de l’acte ii où Thomas Diafoirus, accompagné de son père, déroule sa thèse aux pieds d’Angélique, fille de l’hypocondriaque Argan qui veut la marier à Thomas :
Ainsi dépeint, Thomas Diafoirus fait irrésistiblement penser à Guy Patin, avec ses idées médicales bornées, et la thèse contre la circulation qu’il avait rédigée, présidée et fait disputer le 18 décembre 1670. [2][3][4][5][6][7][8] Certains l’ont supposé, mais sans preuve bien convaincante à l’appui. [3][9] La biographie et les lettres de Patin offrent pourtant quelques bons arguments. Avant de les examiner, prenons connaissance de cette fameuse thèse qui, à ma connaissance, n’avait encore jamais été traduite et annotée. Elle pourrait bien être celle dont le jeune Diafoirus faisait l’hommage à Angélique. Donc, le sang ne circule pas en parcourant toutes les artères et veines du corps [10] Titre [Texte latin] « À Dieu tout-puissant, qui est une seule et trois personnes à la fois, à la Vierge qui a engendré Dieu, et à saint Luc qui est le patron des médecins orthodoxes ; Thèse médicale à discuter le matin aux disputes quodlibétaires dans les Écoles de médecine, le jeudi 18 décembre, sous la présidence de M. Guy Patin, docteur en médecine et professeur royal. Le sang circule-t-il continuellement en parcourant toutes les veines et artères du corps ? » Article i [Texte latin] « Il faut attribuer le moteur de notre vie à la chaleur ; c’est-à-dire à la nutrition, pour l’essentiel. [4][11] Par elle, la Nature produit continuellement la matière qui s’écoule en permanence et qui procure la vie ; laquelle est certes assez longue, mais pourtant pas éternelle. Pour ce faire, rien n’est plus approprié que le sang. Le chyle en est le composant premier : [12] ébauché dans la bouche et dans le gosier, il est parachevé dans l’estomac ; au sein des veines qui le propulsent alors vers le foie, il revêt déjà l’aspect du sang ; ensuite, la force propre et innée du foie l’ayant nourri, le chyle adopte la forme complète du sang authentique. [13] De là toutefois, poussé dans la veine cave et d’autres veines particulières, il se purifie et devient fort brillant. [5] De fait, le sang aime être entièrement enfermé dans ce réservoir ; et s’il était abandonné à lui-même, il n’en sortirait plus. Mais bientôt après, il en est chassé car il devient une charge pour son propre géniteur ; d’autres parties du corps le captent pour tirer de lui de quoi satisfaire leur propre faim. Le sang est donc bien en mouvement dans les veines ; mais ce n’est pas à la manière d’une rivière qui s’écoule, c’est fort lentement, et seulement à mesure qu’il s’en va et que s’en vient celui qui le remplace. » [6] Article ii [Texte latin] « Le sang serait perpétuellement animé d’un mouvement circulaire : venu de la veine cave ascendante dans la cavité droite du cœur, il en est chassé dans toute la substance des poumons ; ramené ensuite par l’artère veineuse dans la cavité gauche du cœur, [7] il passe dans l’aorte et les autres artères pour en être chassé dans les veines et revenir dans le cœur, en une marche circulaire rapide. [8] Telle est la douce vision d’Harvey [14] rêvant ou s’amusant, avec certes force ingéniosité ; mais qu’il s’agisse de l’observation oculaire (qui, de fait, a vu la Nature en pleine action ?) ou d’expériences incontestables, rien ne la vérifie et nul raisonnement de poids ne l’établit. De fait, quand on serre un garrot pour saigner, la force appliquée au membre fait que les veines sous-jacentes gonflent outre mesure ; la constriction, mais non pas l’accumulation de sang dans les veines sans qu’il puisse en sortir, s’accompagne de douleur. [9] Et quand une grosse artère est ouverte, il est vrai que tout le sang sort, même celui des veines, [10] parce que, transvasé par la voie des petites bouches des veines et des artères qui les réunissent partout les unes aux autres, [11] il s’échappe soit sous l’effet de son propre poids, soit sous l’impulsion des esprits ou de la Nature qui a horreur du vide, où qu’il se crée dans le corps. Les valvules de soutien qui se trouvent dans les veines ne servent absolument à rien, [15] quand bien même ils prétendent qu’elles remontent le sang, comme par des marches construites et disposées pour qu’il ne refoule pas en arrière subitement, et qu’elles freinent sa chute. » [12] Article iii [Texte latin] « Le circuit du sang et sa marche en boucle par tous les vaisseaux, est une production d’esprits oisifs ; c’est un pur et simple nuage, qu’embrassent ceux qui ont créé les ixions, les centaures et les monstres. [13][16][17] Il est bien sûr étonnant de voir combien cette fiction, à elle seule, obscurcirait et bouleverserait toute l’organisation des corps vivants ; à quel point les fondements de l’art médical seraient malencontreusement mis à bas ; à quel point le médecin se trouverait privé du secours que lui procurent les remèdes primordiaux, pour devenir le contemplateur inutile et oisif de la Nature terrassée et implorant de l’aide ; ou s’il faisait autrement, quel blâme il encourrait en les prescrivant avec clairvoyance. Il ne manque pourtant pas de gens qui, attirés par une si futile opinion, s’y attachent opiniâtrement, comme à un rocher, et accusent faussement l’ancien temps d’avoir été coupable de cécité. Ceux-là, s’ils ouvraient les yeux jusqu’à percevoir la lumière, excluraient très facilement du système de la Nature cette erreur que la nouveauté de la chose nous a apportée. » Article iv [Texte latin] « Dire que le sang circule par tout le corps est si contraire à la disposition de la Nature, que cela revient à laisser ce mouvement continu bouleverser l’ordre universel de la nutrition et à encourir les plus lourds dommages. Car si on retranche constamment au réservoir une portion du sang enfermé dans les veines, ce qui sort de chacune des parties du corps doit la combler. Pour s’accomplir entièrement, ce phénomène exige un certain temps ; mais puisque le sang s’en vient en même temps qu’il s’en va, sans jamais prendre de retard, comment peut-il s’accrocher à la vie, et s’enfoncer et se transformer dans la substance des parties ? Examinez de plus près la chose et vous comprendrez qu’elle est non seulement préjudiciable, mais vulgairement choquante, et qu’elle va en quelque façon à l’encontre du bon sens. Telles sont certes la nature et l’organisation des éléments fluides qu’ils arracheront des petits fragments et finiront par provoquer une blessure superficielle, tout comme un fleuve, si paisible soit-il, ronge et érode peu à peu les rives de son lit ; ils lécheront tous les corps, que parfois ces dégâts perpétuels finiront par faire périr. Imaginez-vous aussi que le sang n’est jamais attiré par n’importe quelle partie du corps, qui l’a choisi par quelque amour, et pour la seule raison et nécessité de se sauvegarder elle-même, mais que le cœur le pousse çà et là par pour irriguer une partie sans que soit ’elle se couvre de phlegmons, [14][18] soit elle se trouve écrasée par son affluence, qui est comme celle d’un aliment trop riche ? » Article v [Texte latin] « La conséquence de cette fameuse et fumeuse théorie est une perturbation qui touche autant la nature des corps que l’art médical, et sème le désordre en toutes choses. Il n’y a en effet plus de secours à attendre de la purgation, [19] ni de la saignée ; [20] bien pire, il s’ensuit que la première incendie le corps, et que la seconde le corrompt et l’empoisonne presque, puisque, du fait que le sang s’est dispersé dans tout le corps, celui qui reste dans les veines est moindre en masse en en abondance. En outre, le sang se déplace plus rapidement et son propre mouvement l’échauffe ; et comme il y pénètre plus souvent, la cavité du cœur, siège et foyer de la chaleur radiante, doit lui procurer un supplément d’ardeur. Les humeurs crasses et comme endormies, elles qui s’accrochaient naguère aux tuniques des vaisseaux, d’où l’opération d’un médicament purgatif les délogeait, suivront la course du sang qui s’écoule à leur contact pour être emportées dans les profondeurs du cœur, qu’elles souilleront ; et ensuite, elles apporteront un délabrement similaire aux parties restantes du corps. Et c’est ainsi que les mortels seront massacrés en masse immense, puisque les médecins seront démunis de tout remède efficace, et que procéderont en toute impunité les maladies qu’ont engendrée soit la ferveur du sang, soit l’impureté des humeurs. Commentaires (Loïc Capron)
En résumé : les arguments que William Harvey a employés pour démontrer la circulation du sang sont ridicules ; et c’est heureux, parce qu’une telle organisation du corps humain serait incompatible avec la vie et priverait la médecine de ses meilleurs traitements, la saignée et la purge. Mieux valait-il en rire :
Moins d’un an après le décès de Guy Patin (30 mars 1672), Molière mourut chez lui le 17 février 1673, le soir de la quatrième représentation de son Malade imaginaire. Selon plusieurs historiens, il avait eu Armand-Jean de Mauvillain pour ami et principal conseiller de ses satires médicales. [23][29] Que ce fût par lui ou par un autre, Molière était sûrement fort bien renseigné sur les docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris, les plus proches modèles dont il pouvait s’inspirer. Lesquels voulait-il exactement ridiculiser sous les traits des Diafoirus père et fils ? Dans la scène 5 de l’acte i, s’adressant à Angélique, Argan fournit un précieux renseignement sur Thomas : | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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