< L. 172.
> À Charles Spon, le 16 avril 1649 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Charles Spon, le 16 avril 1649
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Je [a][1] vous avertis que j’ai reçu votre lettre du 23e de mars et vous rends grâce du soin qu’avez de moi. Il me semble que l’épileptique [2] dont vous me parlez en votre dernière n’était pas si malaisé à guérir puisque ces vomissements lui sont venus, et d’une manière si étrange. Je vous dirai comment on se gouverne ici en cette maladie et soumettrai à votre jugement la censure de mon avis.
Et voilà mon avis que je soumets à votre prudente censure. Faites-moi la faveur de l’examiner et de m’en mander votre sentiment, auquel je m’offre de déférer ; mais à la charge que si sur ce sujet nous avons différente pensée, nous ne lairrons pas d’être bons amis. Dabis hoc philosophicæ libertati, [2] la diversité d’opinions ne doit pas dissoudre l’amitié. [15][16]
Je ne veux pas oublier à vous dire que les meilleurs purgatifs [17] que je sache, et qui nous sont ici les plus ordinaires, sont le séné [18] et le sirop de roses pâles, [19] en ce cas-là pourvu que le sirop soit d’un an ; si enim fuerit recens, purgat ad instar scammoniatorum. [4][20] Le sirop de fleurs de pêcher [21] nous est suspect et plaît moins, d’autant qu’outre qu’il est fort rare (les apothicaires [22] substituant les feuilles de l’arbre dum plurimo suco amaro turgent, [5] outre que pour le rendre plus purgatif ils y mettent tremper de la graine de coloquinte), [23] il est aussi plus âcre et plus fondant, [6] les fleurs sont rares et bien plus chères. C’est pourquoi feu M. Piètre [24] s’en défiait et même haïssait ce sirop, lui préférant toujours celui de roses pâles quem dicebat vi pollere aromatica et cardiaca, [7][25] pourvu qu’il fût vieux, tout au moins qu’il eût six mois passés. Cassia minus hic competit, quia vaporosa est, multisque fumis Cerebrum opplet. Suus etiam erit rheo locus, modo nulla adsit intemperies præfervida viscerum nutritiorum, præsertim hepatis. Et hæc pauca remedia sufficiunt ad expugnandum hunc morbum, præsertim ubi causa latet in prima regione corporis ; [26] quod si ad secundam usque extendatur, plurimum præfectura est sanguinis missio, etiam sæpius repetita, adeo ut depleantur venæ et quasi exhauriantur liberenturque putri illo tabo quod venosam cacochymiam constituit, quæ sola venæ sectione tuto et secure tollitur. [8][27][28] Et voilà ce que j’en pense, c’est à vous à me juger, et j’attends cela de votre équité et de la véritable charité que je crois que vous avez pour moi. [9] Revenons à nos nouvelles. Tout est ici autant libre que jamais fut : ponts, portes, passages, rivières, messagers, courriers, et toutes sortes de gens y arrivent de toutes parts. M. de Servien, [29] qui était le seul plénipotentiaire à Münster, [30] a été mandé et est arrivé à Saint-Germain. [10][31] M. le maréchal de La Meilleraye [32][33] enfin, après avoir bien marchandé, a remercié de sa charge de surintendant des finances, laquelle n’est pas encore donnée. [11] On dit qu’il y en a trois sur le bureau, savoir ledit sieur de Servien, le président de Maisons, autrement Longueil, [12][34][35] président au mortier, ou M. d’Avaux, [36] lequel est frère du président de Mesmes. [37] Les deux autres me sont fort suspects, ce troisième est honnête homme. Du mercredi 14e d’avril. Je vous donne avis que j’ai reçu deux lettres en un même jour et en même instant, dont l’une est du 6e d’avril et l’autre du 9e. [13] Durant toute notre guerre, on a fait les actes de notre École comme de coutume parce qu’il n’y avait ici aucun changement, sinon qu’on allait à la garde des portes [38] et que le petit peuple, qui n’avait point de provision, achetait le pain un peu plus cher que de coutume ; [39] mais on n’a point fait d’anatomie, d’autant que l’on n’a du tout exécuté personne. [40] Pour les imprimeurs, [41] ils avaient tous cessé et nul d’eux n’a travaillé qu’aux libelles mazariniques. [42] Nous ne savons pas qui sont les auteurs de tant de pièces et cela ne se dit pas encore ; mais quand je vous en enverrai le recueil, je vous en manderai plusieurs que je découvrirai pendant ce temps-là. Quand on montre à M. de La Mothe Le Vayer [43] quelque faute en ses livres (ce qui m’est arrivé cinq ou six fois), on le met aux nues, [14] et se fâche implacablement quasi vellet haberi αναμαρτητος ; [15] et néanmoins, je lui parlerai de son Pentagone au premier rencontre. [16] Vos deux lettres ont été rendues à leur adresse par mon valet, que j’ai envoyé à l’instant tout à l’heure, et le port même lui a été rendu sur-le-champ sans le demander, selon ce que je lui avais recommandé. Vous en pourrez assurer ceux à qui il importe. Je suis fort aise de ce qu’avez reçu mes trois grandes feuilles, j’avais grand peur qu’elles ne fussent en hasard. [17] Un professeur du roi nommé M. Tarin, [44] qui est un fort savant homme, a fait un épitaphe à feu M. Piètre, dont je vous envoie une copie. [18] M. Guérin [45] ne peut pas être notre ancien, [46] il y en a encore devant lui deux, savoir MM. Toutain [47] et Riolan. [19][48] Je sais bien que je vous dois trois Institutions de M. Hofmann, [49] et autre chose aussi, dont j’ai céans un mémoire particulier. [20] Je vous demandais seulement ce que je pourrais vous devoir pour la voiture de quelques paquets d’Allemagne, dont il me semble que vous n’avez rien compté. Je vous prie d’y regarder afin que je m’acquitte du tout ensemble. Pour la dette de M. Gras [50] à M. Le Petit, [51] gendre de Mme Camusat, [52] je vous avertis que j’ai plusieurs fois averti ledit gendre que j’avais charge d’acquitter vers lui ledit M. Gras ; lequel m’a toujours répondu, comme il est fort mon ami, que c’était assez puisque c’était moi qui lui devais ; qu’il viendrait quelque jour dîner céans et que nous achèverions cette affaire. Voyant qu’il n’y venait point, je l’ai pressé de me donner une copie du mémoire de M. Gras, que voilà que j’ai devant mes yeux dum hæc scribo, [21] par lequel il prétend lui être dû pour sept volumes qu’il a fournis au dit sieur Gras la somme de 10 livres 14 sols. L’hiver est venu, la guerre est venue, tout est demeuré là. Je vous promets que la première fois que j’irai au Pays latin, [53] je l’acquitterai afin qu’il n’en soit plus parlé. Interea quiescite, [22] je tâcherai de réduire la dette à neuf livres, ou tout au moins elle demeurera à dix ; et ainsi, je vous devrai encore de reste, longe plura debiturus quamdiu vivam. [23] Si M. Gras en attendant vous presse de prendre de son argent, prenez toujours dix livres par provision. L’Archiduc Léopold [54] n’a en tout jamais guère avancé ; et depuis le traité de paix, [55] il est reculé et rentré dans son pays ; et même nos troupes sont allées après lui. Il n’y a point eu ici d’émeute en aucune façon et je vous assure que tout y est aussi calme que si jamais il n’y avait eu de guerre. Nous y voyons même déjà plusieurs provinciaux et gens des champs qui y viennent pour affaires. Il y a seulement eu quelque petit peuple, infimæ et infirmæ regionis, [24] qui a demandé à Messieurs du Parlement un arrêt par lequel ils pussent être déchargés de payer leurs hôtes pour le terme passé, durant lequel ils n’ont rien fait ; à quoi Messieurs de la Cour ayant égard ont apporté quelque modération. [25] Hier, jeudi 15e d’avril, arrivèrent à Paris Mme la duchesse d’Orléans [56] et Monsieur, son mari, [57] qui fut aussitôt visité en son logis par M. le prévôt des marchands [58] et Messieurs les échevins, [59] lequel leur témoigna grande joie de son retour et qu’une autre fois il ne s’en lairra pas emporter comme il fit le jour des Rois ; et néanmoins, il faut se garder du débordement de La Rivière, [60] qui l’emporte où il veut et qui lui fait accroire ce qu’il veut. Mme la Princesse la mère [61] y arriva aussi. [26] Pour le reste, qui est encore à Saint-Germain, ils viendront ici quand ils voudront et lorsqu’ils auront moins de regret et de honte de tout le mal qu’ils ont causé dans la banlieue de Paris à tous les paysans qui n’avaient rien péché. Il n’y a pas encore de surintendant nommé, mais il y a du bruit à la cour, qui éclatera quand il plaira à Dieu. On dit que l’Archiduc Léopold assiège Ypres. [62] Adieu Monsieur. Tuus ex animo, totusque ære et libra. [27] De Paris, ce vendredi 16e d’avril 1649. Il y a eu ici depuis deux mois quantité de fièvres [63] malignes, qui sont la plupart mortelles, avec saignement de nez, assoupissement, gangrène [64] aux fesses et surtout cum typhomania, quæ est affectus mixtus ex phrenitide et lethargo. [28][65] | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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