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Consultations et mémorandums (ms BIU Santé  2007) : 4  >

[Ms BIU Santé no 2007, fo 238 ro | LAT | IMG]

Fièvre chez M. de Rotois, noble de Beauvais
[consultation, 1637]

Pour M. de Rotois, frère du doyen de Beauvais[a][1]

Très distingué Monsieur, [1][2][3]

Il est fort aisé de comprendre que ce très noble malade se trouve en bien périlleuse situation, au point que si son mal empire, il est en danger de perdre la vie. Il va de soi que les viscères nutritifs, étant fort consumés par la chaleur, répandent continuellement un sang souillé par un genre particulier de putréfaction. En affluant vers diverses parties du corps, ce sang provoque des symptômes variés et annonciateurs de quelque désordre plus grave pesant sur les épaules du malade. De fait, si elle subsiste et s’accroît, la putréfaction, qui assiège les parties principales et, avant toutes les autres, embarrasse gravement le cerveau, affaiblira et ravagera entièrement la vigueur de la chaleur innée [4] et de l’humeur primitive ; [5] elle réduira à néant les plus solides secours de la nature et, qui plus est, elle abattra entièrement les forces qui, une fois terrassées, ne permettront pas au patient de s’en tirer sain et sauf. Quelque espérance d’éviter ce désastre (car il n’est pas permis de dire qu’il n’y en a aucune) repose sur les remèdes que vous avez opposés, parmi lesquels la phlébotomie doit tenir le tout premier rang, [6] à appliquer surtout aux membres supérieurs. Elle seule contiendra en effet le pourrissement qui s’insinue par toutes les veines et mettra un frein à la bile en furie ; [7] mais la phlébotomie n’apportera pas de soulagement à ce malade si on ne la répète trois ou quatre fois, dans la mesure où ses forces l’autoriseront. Étant donné que l’autre foyer de la fièvre, et celui-là est le plus grave, réside dans les profondeurs du foie et dans le mésentère, [8][9] là où tous les viscères se déchargent ordinairement de leur rebut, il faudra prendre soin, quand l’incendie fébrile aura décru, d’expulser, en tout premier, l’ignoble ordure et les mauvaises humeurs qui s’y sont naguère collectées. On fera alors boire à ce noble malade, durant quatre jours consécutifs, une infusion de deux gros de séné, [10] un demi-gros de rhubarbe [11] et une demi-once de moelle de casse, [12] dans une décoction de racines de chicorée, [13] chiendent [2][14] et pissenlit. [15] Employez donc ces remèdes à la première occasion qui se présentera de purger cette impureté. [16] Ajoutez à cela un régime alimentaire [17] adapté à la maladie et des apozèmes [18] réfrigérants qui atténueront l’ardeur du sang, adouciront la ferveur des viscères et répareront ainsi les principales parties qui ont été fort affaiblies. Vous aurez soin, très distingué Monsieur, de prescrire tout cela en temps voulu, avec cette compétence singulière qui vous distingue de tous les autres, et vous ne manquerez pas de mériter les bonnes grâces du très noble malade, ainsi que les nôtres, si vous rétablissez entièrement sa santé, comme on peut encore en nourrir l’ultime et faible espérance.

De Paris, ce 8e d’août 1637.

Patin, Piètre, [19] Richer. [3][20]

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a.

Manuscrit autographe de Guy Patin ; Pimpaud, Document 4, pages 22‑25.

1.

Ce titre, mis en italique, est en français dans le manuscrit.

Le nom de Rotois ne correspond à aucune famille beauvaisienne dont j’aie su trouver la trace dans les biographies.

2.

Le chiendent (gramen) est une « herbe qui jette quantité de racines, dont on se sert dans les infusions et décoctions. Elles sont rafraîchissantes et mises au rang des cinq racines apéritives mineures. Le chiendent est bon pour les obstructions du foie, de la rate et des uretères, et même pour le crachement du sang. Il y en a une espèce dont les feuilles sont rampantes, d’un vert fort clair, et faites en pointes comme les dents canines, ce qui lui a fait donner le nom de dent de chien, ou chiendent. Cette plante a beaucoup de nœuds qui, en s’approchant de terre, jettent des racines. L’autre espèce de chiendent est d’un vert plus foncé. Ses feuilles sont étroites et à fleur seulement de terre, environ d’un pied. C’est l’herbe la plus commune, et on l’a nommée simplement herbe, en latin gramen. Elle jette beaucoup de racines, et c’est ce qui fait les gazons » (Thomas Corneille).

3.

Les trois signatures sont de la plume de Guy Patin. V. note [57], lettre 99, pour Pierre Richer, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris reçu en 1636.

En 1637, deux Piètre, Nicolas et son fils Jean (v. note [5], lettre 15), exerçaient la médecine à Paris. Il s’agissait ici de Jean, reçu docteur régent en 1634, car Patin (reçu en 1627, soit 29 ans après son maître Nicolas Piètre) suivait la règle, établie par les statuts de la Faculté (v. note [5], lettre 32), de nommer les consultants dans l’ordre descendant de leur ancienneté.

Ce détail étant réglé, le lecteur reste sur sa faim quant aux caractères et au diagnostic exacts de la fièvre qui affligeait M. de Rotois. On peut aussi douter que le traitement que préconisaient les médecins parisiens, évacuateur et passe-partout, mais enrobé de doctes spéculations, l’ait tiré d’affaire, sauf à jouir d’une robuste constitution.

s.

Ms BIU Santé 2007, fo 238 ro.

Pour M. de Rotois, frère du Doyen de Beauvais.

Perfacile est intelligere, Vir clarissime, nobiliss. hunc ægrum
in summo salutis discrimine versari, adeóq. periculum esse ne
perbrevi morbus ingravescens illi vitam eripiat : Scilicet viscera
nutritia ardore multo conflagrantia, sanguinem singulari
quodam genere putredinis inquinatum assiduè fundunt, qui pro
suo ad varias corporis partes appulsu, diversa profert sym-
ptomata, eáq. gravioris alicujus mali prænuntia, illius
cervicibus impendentis : etenim quæ principes partes obsidet
putredo, et cerebro præ cæteris plurimum exhibet negotij, si
latiùs manet atq. invalescat, vim omnem caloris insiti et
humoris primigenij conficiet ac depopulabitur, firmissima
naturæ præsidia labefactabit, ipsáq. adeo vires funditus convel-
let, quib. profligatis æger salvus et incolumis esse non potest.
Hujus calamitatis arcendæ spes aliqua (nam nullam non libet
dicere) in ijs præsidijs posita est quæ sunt à te adducta in me-
dium, inter quæ principem locum tenere debet venæ sectio, è
superiorib. artubus maximè celebranda : hæc enim una grassantem
per omnes venas putredinem coercebit, bili furenti frænos inijciet,
ipsiq. ægroto non minimum afferet solatij, si ter quaterq. modò
vires consentiant, κατ’ επαφαιρεσιν administretur. Quoniam
v. hujus febris focus alter atq. ille multò gravissimus in
cavis jecoris et mesenterio subest, in quod viscera omnia solent reliquias
suas deponere, danda est opera cùm incendium febrile deferbuerit,
ut his in partibus collecta dudum fœda illuvies et cacochymia primo
quoq. tempore foras eliminetur, infuso Ӡij. fol. Orient. Ӡß. rhei,
℥ß. med. cassiæ in decocto rad. cich. gram. tarax. nobili ægro
per iiij. dies continuos propinato. Igitur quæ primùm oblata erit
opportunitas ilius impuritatis expurgandæ, ea utere ; accedant eò
victus ratio accommodata morbo et apozemata refrig. quæ san-
guinis æstum reprimant, leniant viscerum fervorem, ipsásq. adeo
partes principes multùm debilitatas recreent. Hæc omnia suo quæq.
tempore pro ea qua omnibus antecellis singulari prudentia, vir clariss.
curabis administrari, non mediocrem ab ægro nobiliss. et à nobis
gratiam initurus si valetudinem illius extrema exiguáq. spe pen-
dentem in integrum restitueris.

Datum Parisijs 8. Augusti, 1637.

Patin, Pietre, Richer.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Consultations et mémorandums (ms BIU Santé 2007) : 4

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(Consulté le 26/04/2024)

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