L. française reçue 44.  >
De Charles Spon,
le 13 août 1657

De Lyon, ce 13e d’août 1657.

Monsieur, [a][1][2]

Le procès intenté contre notre Collège [3] par le sieur Basset, [4] duquel je vous ai ci-devant écrit, ayant obligé notredit Collège de députer à Paris M. Sauvageon, [5] j’ai cru que vous ne seriez pas marri qu’il vous présente ces lignes, avec les assurances de mes très humbles services, pour vous supplier de le vouloir assister de votre bon conseil et de votre crédit dans cette affaire que nous avons sur les bras contre un étourdi que la présomption et bonne opinion de soi-même, jointes à l’appétit de la vengeance (j’ai failli à dire de vendange, aussi l’aime-t-il passionnément), font agir brutalement contre une Compagnie qui ne l’a pu ni dû flatter comme il prétendait que l’on fît. Ses griefs sont d’avoir été renvoyé pour six mois et du depuis, d’avoir été constitué prisonnier à notre requête. Quant au premier, on l’a traité comme on en a traité plusieurs autres qui en savaient plus que lui ; et les soufflets fréquents qu’il donnait à Priscian, [1][6] l’ignorance du grec, la bassesse de ses pensées, la mauvaise méthode de tout son discours ne permettaient pas qu’on lui fît autre grâce. Quant à l’emprisonnement, qu’il ne s’en prenne qu’à lui-même, κιχλα χεζει αυτη κακον. [2][7][8] Pourquoi écrivait-il injurieusement contre le Collège ? Cur irritabat crabrones ? [3][9] On ne lui demandait rien, et que ne nous laissait-il en paix ? Voilà où nous en sommes, et si la Cour n’est prévenue par quelques artifices, notre bon droit ne peut manquer d’être conservé à la confusion de notre partie, quoiqu’il ait eu l’effronterie de défier à la dispute toute notre Compagnie par une rodomontade des plus ridicules ; sur quoi il suffirait de lui dire ce que disait Théocrite, [10] υς ποτ’ ’Αθηναιαν εριν ηρισε ; [4] mais le pauvre garçon ne l’entendrait pas car du grec, il n’en casse point. Je vous baise très humblement les mains et demeure, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

Spon, D.M.


a.

Lettre autographe de Charles Spon « À Monsieur/ Monsieur Patin,/ Coner Médecin, & lecteur/ ordine du Roy, dans la/ place du chevalier du/ guet/ À Paris » : ms BIU Santé no 2007, fos 291 ro‑292 ro ; Pic no 11 (pages 243‑244).

1.

Façon sibylline et pédante de fustiger l’ignorance médicale et celle des langues anciennes (que Guy Patin eut peut-être quelque mal à digérer, étant donné sa propre indigence en grec).

Dans ses harangues, Bonaventure Basset (v. note [27], lettre 477) devait fort maltraiter Théodore Priscian (Priscien ou Priscianus), médecin grec du ive s. qui était attaché à la cour de Constantinople. Il appartenait à l’École empirique, ce qui ne l’empêchait pas d’adopter, dans différents cas, les doctrines de l’École méthodique (Éloy). Son œuvre est composée de quatre livres de médecine qu’il a lui-même traduits du grec en latin, imprimés pour la première fois sous le titre pseudonyme de Octavii Horatiani Rerum medicarum libri quatuor [Quatre livres de médecine d’Octavius Horatianus] (Strasbourg, Ioannes Schottus, 1532, in‑fo) :

  1. Logicus de curationibus omnium morborum corporis humani [Logique sur les guérisons de toutes les maladies du corps humain] ;

  2. Logicus ou Oxyoris, seu de acutis et chronicis passionibus [des affections aiguës et chroniques] ;

  3. Gynæcia, seu de mulierum accidentibus et curis eorumdem [Gynécée, ou des maladies des femmes et de leur traitement] ;

  4. De physica Scientia experimentorum [La Science physique des expériences].

Charles Spon pouvait aussi faire ici allusion au grammairien Priscianus Cæsariensis (Priscien ou Priscian de Césarée, v. deuxième notule {a}, note [4], lettre 137) : le contexte y incite même plutôt, me semble-t-il, si on le met en lien avec ce qui se lit dans le titre complet du Centonis Κακορραφιας… (première pièce citée dans ladite note [4]), contre Siméon Courtaud, doyen de Montpellier et intime ami de Spon.

2.

« la grive chie elle-même son propre malheur » ; proverbe de l’Antiquité (Turdus ipse sibi malum cacat, en latin) commenté par Érasme (Adages, no 55) :

Plautus paulo diversius extulit : Ipsa, inquiens, sibi avis mortem creat. Quanquam non dubitemus affirmare, a Plauto, Cacat, non creat fuisse scriptum : deinde locum a Quopiam semidocto, et Græcanici proberbii ignaro, depravatum, supposita voce adulterina Creat.

[Plaute {a} a exprimé l’idée un peu différemment, Ipsa, inquiens, sibi avis mortem creat. {a} Je n’hésiterais cependant pas à affirmer que Plaute a écrit cacat et non creat, et qu’est venu ensuite quelque médiocre savant qui, ne connaissant pas le proverbe grec, a déformé le passage en substituant au mot d’origine un terme corrompu, creat]. {c}


  1. Fragments, iii.

  2. « L’oiseau, dit-il, se crée lui-même sa mort. »

  3. Ô pudibonderie, que de falsifications ne commet-on pas en ton nom !

Les anciens croyaient le gui engendré par les déjections d’oiseau, principalement celles des pigeons et des grives. « On en fait de la glu […]. Les grives sont fort friandes du gui, lesquelles en émeutissent [chient] la graine sur les arbres où elles se perchent, et donnent lieu à une nouvelle production du gui dans lequel elles demeurent après engluées ; ce qui a donné lieu à Plaute de dire, que “ la grive chie sa mort ” » (Furetière).

3.

« Pourquoi jetait-il de l’huile sur le feu ? » : « Pourquoi excitait-il les frelons ? » (v. note [8], lettre 386).

4.

Variante grecque (Érasme, Adages, no 41) de Sus Minervam (v. note [13], lettre 6) :

Sus cum Minerva certamen suscepit.
Cum hoc, aut idem, aut certe quam maxime finitimus, quod apud Theocritum legitur in Hodœporis :
Υς ποτ’ ’Αθηναιαν εριν ηρισε, id est : Cum diva est ausus sus decertare Minerva. Quoties indocti, stolidique, et depugnare parati, non verentur summos in omni doctrina viros in certamen literarium provocare.

[Un pourceau a entrepris une joute avec Minerve.
Ce qui est semblable ou du moins très proche de ce qu’on lit dans les Boucoliastes de Théocrite : {a} “ Un pourceau a osé combattre avec la dive Minerve. ” On le dit chaque fois que des ignares et des sots, prêts à en découdre, ne craignent pas d’inciter à une joute littéraire des hommes pétris de science].


  1. Idylle 5, Οδοιποροι η βουκολιασται [Les Chanteurs bucoliques], réponse de Comatas à Lacon.

À la fin de la phrase, « du grec, il n’en casse point » est une expression populaire expliquée par Antoine Oudin (Curiosités françaises pour supplément aux dictionnaires) :

« J’en casse, i. {a} “  je n’y entends rien. Notre vulgaire allonge le quolibet et dit : Je n’entends rien au latin, mais du grec, j’en casse. C’est une allusion à grès.  ” Casser du grès, i. “  faire peu de compte de {b} quelqu’un.  ” »


  1. id est, c’est-à-dire.

  2. Avoir peu d’estime pour.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Charles Spon, le 13 août 1657

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(Consulté le 11/05/2024)

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