À Charles Spon, le 20 août 1649

Note [3]

« c’est le roi de la Chersonèse Taurique ».

La Chersonèse (Péninsule) Taurique (petite Tartarie) était la Crimée d’aujourd’hui, en Ukraine. Précopie était l’autre nom de la Tartarie. Son souverain était le Tatar ou Tartare précopite ou Grand Kan (ou Kam) des Tartares (Tatars), dont les États comprenaient aussi la la Nogai (Daguestan), le Boudgiac (Moldavie), avec une partie de la Circassie (républiques russes du Caucase septentrional), soit ce qu’on appelait alors la Scythie européenne (v. note [4], lettre latine 287).

Deux fils de Selamet ier Giray ont été tartares précopites pendant la période de Guy Patin : Mehmed iv Giray (vers 1606-1672), dit Sofu (le Pieux), prit le pouvoir en 1641, mais fut déposé en 1644, pour céder la place à son frère Islam iii Giray (vers 1604-1654) ; à sa mort, Mehmed iv régna de nouveau jusqu’en 1666.

Patin venait sans doute de lire la Gazette (ordinaire du 14 août 1649, no 88, page 626) :

« De Dantzig, le 13 juillet 1649. Nouvelles sont ici venues de la mort du Grand Seigneur et que le Grand Kan des Tartares arme puissamment pour se mettre sur le trône de l’Empire ottoman, où il dit avoir plus de droit qu’un autre. »

La nouvelle était fausse : le Grand Seigneur ottoman Mehmed iv (v. note [12], lettre 184), alors âgé de 7 ans, ne mourut qu’en 1691 ; il était en 1649 sous la tutelle de sa grand-mère, Kensym et sous la protection de Sofu Mehmed Pasha (v. note [37], lettre 207), le chef, devenu grand vizir, des révoltés qui avaient étranglé son père (Ibrahim ier, v. note [2], lettre 178). Une authentique nouvelle touchant l’Empire turc était sa désastreuse défaite navale, en mai 1649, devant les Dardanelles (v. note [51], lettre 413), contre la flotte vénitienne que commandait le général Giacomo de Riva.

Ordinaire du 31 juillet 1649, no 81 (pages 558‑559) :

« De Venise, le 7 juillet 1649. On écrit de Constantinople que la nouvelle de la défaite entière de l’armée navale ottomane par celle des Vénitiens n’y fut pas plus tôt sue que tous les habitants de cette grande ville, s’étant couverts de sacs et cilices [ceintures de crin], se rendirent dans leurs mosquées pour essayer par leurs jeûnes et prières publiques d’apaiser la colère divine, et particulièrement y implorer l’assistance de leur grand prophète Mahomet, accompagnant leurs prières de cris et hurlements épouvantables qui témoignent assez la violence de leur affliction. Leur jeune empereur fut aussi conduit par son Divan {a} dans l’église de Sainte-Sophie la Grande pour y faire ses dévotions afin de détourner de son Empire la justice de Dieu. Le menu peuple n’en demeura pas là car il fut si vivement piqué de ce désordre inopiné et arrivé en un temps auquel on lui faisait croire que la République de Venise était aux abois qu’il courut tumultuairement dans les quartiers de Pera et Galata, qui sont réservés pour la demeure des chrétiens, et y fit beaucoup de désordre […]. Mais ils ont jeté une partie de leur rage sur le grand vizir qui a été déposé honteusement comme étant cause de ce que l’armée ottomane était sortie du détroit des Dardanelles sans être suffisamment pourvue de gens de guerre et autres choses nécessaires à sa défense, les spahis essayant de lui substituer leur aga ou capitaine général. »


  1. Conseil.

Ordinaire du 11 septembre 1649, no 107 (pages 786‑787) :

« De Venise, le 17 août 1649. Les Turcs ayant depuis peu déposé leur grand vizir, auquel ils ont substitué l’aga des janissaires, sur l’avis qu’on eut au Divan que sept à huit mille spahis s’étaient assemblés dans l’Anatolie, menacent de venir en la ville de Constantinople tirer vengeance des janissaires pour avoir fait mourir Ibrahim, dernier Grand Seigneur, bien que les autres spahis, leurs compagnons qui sont en cette ville-là, témoignassent n’être point de leur intelligence. Ce Conseil pour les apaiser a fait couper la tête à ce grand vizir déposé ; outre laquelle, ces spahis publient en vouloir encore une douzaine des principaux ministres qui ont contribué à cette mort. »

Le Grand Kan (Tartare précopite) n’eut donc pas l’occasion de prendre la place du jeune Grand Seigneur, dont il était un des vassaux.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 20 août 1649, note 3.

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(Consulté le 25/04/2024)

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