Pierre Régnier, natif de Paris, avait été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1647 (Baron) ; Guy Patin a signalé sa mort à l’âge de 40 ans et son enterrement le 23 novembre 1658.
La dissection avait été exécutée sur l’un des deux agresseurs du carrosse de Beaufort le 29 octobre 1650 (v. note [7], lettre 248), qu’on avait étranglés et rompus sur la roue le 3 décembre ; Dubuisson-Aubenay (Journal des guerres civiles, tome i, pages 345‑346, 3 décembre 1650) :
« Environ ce temps, furent, par sentence définitive du lieutenant de robe courte du prévôt de Paris, étranglés et rompus sur la roue, deux complices du meurtre fait en la personne de Saint-Aiglan, dans le carrosse du duc de Beaufort, dont il y en a eu trois exécutés dès le mois précédent, à la Croix du Tiroir. {a} L’un de ces deux, petit homme trapu d’environ vingt ans, parisien et filou, ayant été porté chez le sieur Régnier jeune, médecin anatomiste, au haut de la rue de la Tisseranderie, joignant le bout de celle des Mauvais-Garçons, et été mis au théâtre d’anatomie qui y est dressé, {b} fut trouvé avoir toutes les parties qui doivent être dextres, comme le poumon et le foie, changés et portant sur le côté sénestre, et la base du cœur, le foie et vaisseaux en dépendant. »
- La Croix du Trahoir, v. note [5], lettre 39.
- Ce n’était pas celui de la Faculté (v. note [10], lettre 8), mais un amphithéâtre d’anatomie privé.
Le supplicié était atteint d’un situs inversus viscerum [position inversée des viscères] : défaut de la rotation que subissent normalement les organes du tronc durant la période embryonnaire ; il en résulte une inversion des viscères thoraciques (cœur à droite ou dextrocardie) et abdominaux (foie à gauche et rate à droite, au lieu du contraire). Le Pr Serge Amsellem (Université Pierre et Marie Curie, département de génétique, hôpital Armand-Trousseau) m’a aimablement renseigné sur cette anomalie :
- soit elle est isolée (une naissance sur 7 000), liée à une perturbation génétique de la latéralisation des viscères centraux, sans provoquer aucune maladie ;
- soit, plus rarement, elle exprime un défaut inné et héréditaire de la mobilité des cils (dyskinésie ciliaire primitive) qui couvrent les cellules de certaines muqueuses (arbre respiratoire, trompe utérine de Fallope) ou de ceux (flagelles) qui permettent aux spermatozoïdes de se mouvoir ; ce qui provoque le syndrome qu’a décrit le médecin allemand Manes Kartagener en 1933, avec situs inversus, infections respiratoires récidivantes, baisse de la fertilité féminine et stérilité masculine ; la dyskinésie ciliaire primitive (une naissance sur 15 000) s’associe en fait à une latéralisation aléatoire (et non pas toujours inversée) des viscères, ce qui ne provoque un situs inversus que dans un cas sur deux.
V. notes :
- [11], lettre 254, pour les relations imprimées de cette dissection de 1650, dont aucune n’a été signée par Pierre Régnier ;
- [1], lettre 245, pour l’observation lyonnaise d’un syndrome de Kartagener complet chez un enfant, en 1667.
Dans les Raræ Observationes anatomicæ [Rares observations anatomiques] mises à la fin de ses Opera anatomica vetera… (1649, pages 870‑871), Jean ii Riolan avait rapporté deux tels cas de situs inversus (dont Jacques Mentel s’est servi en 1651 pour l’agacer, v. note [11], lettre 254).
- Me Bedeau, « homme très docte et très expérimenté en l’art médical, ancien et doyen de la Faculté de médecine de Nantes en Bretagne », lui avait rapporté la première dans une lettre : c’était le cas d’un noble, conseiller au parlement de Bretagne, mort d’une fièvre pourprée le 28 avril 1648 à l’âge de 40 ans ; l’autopsie avait trouvé un gros foie dans l’hypocondre gauche se prolongeant vers l’hypocondre droit, où il cachait sous sa courbure une rate « très petite et ronde, entièrement décolorée et ridée en surface, ressemblant à un petit fromage blanc » ; dans le thorax, la base du cœur était à gauche et la pointe à droite ; le plus remarquable de l’observation était que le patient lui-même, bien qu’il n’eût aucune instruction médicale, se savait porteur de l’anomalie et plusieurs années avant sa mort, ressentant une douleur dans la poitrine lors d’une fièvre, il en avait averti un chirurgien qui l’examinait.
- Le second cas émanait de « notre collègue Me Puilon, médecin très docte et anatomiste très expérimenté » (Gilbert Puilon, v. note [30], lettre 399), qui a observé « avec Me Simon Pimpernelle, chirurgien très expérimenté », la même anomalie en ouvrant le cadavre d’un enfant de 16 mois. Riolan termine sa relation en se demandant s’il est permis de douter qu’existe une telle conformation chez ceux dont le battement du cœur est le mieux perçu sous le sein droit : nihil affirmo, quoniam id non satis liquet [je n’affirme rien parce que ça n’est pas suffisamment clair].
V. note [1], lettre 245, pour la relation plus tardive d’un autre cas de situs inversus chez un enfant de cinq ans.