L. 254.  >
À André Falconet,
le 30 décembre 1650

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 30 décembre 1650

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0254

(Consulté le 19/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Enfin me voilà tantôt réduit à ne pouvoir plus écrire que rarement à mes meilleurs amis, dont vous et M. Spon êtes les premiers. Je ne vis jamais un tel embarras d’affaires, outre la brièveté des jours, laquelle m’incommode par trop. Enfin, notre bon vin de Bourgogne [2] est fini avec le festin que je fis à mes amis le lundi 19e de ce mois, que mon fils [3] passa docteur. [1] La plupart étaient autres qu’au premier festin et cela suivait la règle. On y but, avec mon vin vieux, douze bouteilles de vin nouveau qui était le meilleur et le plus friand de Paris qu’un de mes bons amis m’avait donné, avec deux bouteilles de La Cioutat, [2][4][5] et deux d’Espagne. [6] Si j’eusse eu le bonheur de vous avoir en cette ville, je me fusse bien gardé de vous mettre derrière quelque coin de tapisserie comme vous dites, il y eût eu une belle place pour vous parmi d’honnêtes gens et eux se fussent tenus bien honorés de vous avoir. Pour mon fils, il est votre très humble serviteur, il ira quelque jour vous voir à Lyon, nous avons prétention à quelque voyage. [7] Ma femme [8] vous baise très humblement les mains et vous remercie de votre souvenir. Permettez-moi qu’en échange je salue de tout mon cœur Mlle Falconet, à laquelle j’offre de deçà toute sorte de services. Je vous remercie de toute mon affection de la peine que vous avez prise de me rendre ami de M. Arnaud, [9] il m’a envoyé une lettre toute civile. Voilà que je lui fais réponse, je pense qu’à l’avenir, par votre moyen, nous serons toujours bons amis. Je vous prie de la lui faire tenir et de l’assurer que je suis son très humble serviteur, et que je le serai toute ma vie. Tâchez qu’il vous montre celle que je lui écris.

J’ai rencontré deux fois cette semaine M. Le Breton, [10] lequel m’a avoué tout ce que j’ai voulu en votre querelle avec M. Guillemin, [11] et m’a cédé en tout : genius Cæsaris fortior est genio Pompeii[3] Il m’a protesté et assuré qu’après ce que je lui en avais déduit en notre première entrevue, il avait conseillé à M. Guillemin de ne plus toucher ni penser à cette affaire et que depuis ce temps-là, il n’en avait rien ouï ; et je pense qu’il est vrai, car ce M. Le Breton est honnête homme et n’est point dissimulé. Il me dit bien la première fois que M. Guillemin me connaissait de réputation et faisait grand état de moi, qu’il s’offrait de m’en faire le juge. Je lui dis aussitôt qu’il s’en gardât bien et qu’il perdrait son procès qui avait déjà été jugé par le malade lorsqu’il fut guéri, et il acquiesça à tout ce que je lui dis pour votre défense, me promettant dès lors et s’obligeant à moi de lui en écrire, et lui conseiller de se taire puisque l’événement avait justifié votre procédé qui ne manquait point de raisons bonnes, valables et efficaces, et que tout ce qu’on pourrait dire à l’encontre n’était que problème. [4] Enfin, si M. Guillemin est bien sage, il se taira et sapiet in posterum[5] Nous sommes ici 113 docteurs, mais nous ne nous entrechoquons pas de si peu de chose, bien que souvent il y en ait occasion. Nemo sapit omnibus horis, neque volunt omnes sapere ; plures enim litare malunt Mercurio quam Palladi et bonæ menti ; sic hodie vivitur a multis, rari quippe boni[6][12][13]

Je vous remercie très humblement du Feyneus [14] et du livre chimique de M. Arnaud qui m’ont été apportés céans. [7] Je pense que c’est ce que vous aviez donné à M. de Label [15] pour me le faire tenir. Je vous prie de lui faire mes très humbles recommandations et de lui dire que je m’en vais demeurer dans huit jours au logis de M. Marchais le jeune, [16][17] et que je fais ma bibliothèque [18][19] dans la grande chambre dans laquelle mourut feu Mme de Lubert [20] le mois d’août passé, lorsqu’il était ici. [8] Il vous pourra dire combien mes 10 000 volumes seront bien rangés en belle place et en bel air : c’est pour le reste de ma vie, laquelle durera, tant qu’il plaira au Grand Maître, à votre service. Je pense vous avoir envoyé ci-devant Stibii noxæ vindiciæ en vers hexamètres et pentamètres contre l’antimoine, [9][21] en voilà d’autres un peu meilleurs que je vous envoie. Ne dites à personne que ce soit moi qui vous les ai envoyés, je ne sais qui en est l’auteur, on les envoie ici par paquets de quatre à nos docteurs. Ceux qui y sont nommés en ont grand regret, mais ils le méritent, ce sont des empoisonneurs publics.

Le Mazarin [22] a été à Reims [23] et delà, il est allé à Soissons [24] où il est encore. L’on parle ici fort obscurément et douteusement de son retour ; même on dit que la reine [25] est en grande inquiétude pour lui, elle voudrait bien qu’il fût ici ; et moi je désirerais bien qu’il fût à tous les diables. La reine garde encore le lit pour quelque reste de maladie, flux de ventre [26] et hémorroïdes. [27] J’apprends que le duc d’Orléans [28] et elle ne sont pas en bonne intelligence, et que Gaston témoigne trop ouvertement favoriser le parti des frondeurs qui sont les plus honnêtes gens que nous ayons aujourd’hui et pour le certain, reliquiæ aurei sæculi[10] Je prie Dieu qu’il donne de la force et de la connaissance à ce parti qui est le vrai ennemi de la tyrannie.

On exécuta, le 15e du courant, deux voleurs de grands chemins, dont l’un a été décapité et l’autre a été pendu. [29][30] Le corps de celui-ci a été demandé pour faire anatomie[31] Un de nos docteurs nommé Régnier [32] ayant obtenu, en vertu de la requête que je lui avais signée comme doyen, le corps d’un de ceux qui furent roués [33] il y a trois semaines pour en faire des opérations de chirurgie en sa maison, on y a remarqué une chose fort extraordinaire, savoir le foie [34] du côté gauche et la rate [35] du côté droit. [36] Tout le monde a été voir cette particularité, et même M. Riolan [37] qui est ravi d’avoir vu cela. M. Régnier en fait un petit discours qui sera imprimé à ce qu’il m’a dit. [11] Un honnête homme de mes amis, sachant que j’avais été élu doyen de notre Faculté [38] à la place de M. Jean Piètre [39] le 5e de novembre dernier, m’a remis entre les mains un vieux registre de nos Écoles, en lettres abrégées et presque gothiques, [40] de l’année 1390, dans lequel sont marqués de deux en deux ans le nombre des docteurs et des licences. [41] Celui des docteurs est quelquefois de 15, 20, 25 et va même jusqu’à 40. [12] Je l’ai prêté à M. Riolan qui a trouvé qu’il y était fait mention d’un honnête homme qui légua par testament un manuscrit de médecine qu’il avait de Galien [42] de Usu partium[13] Ce legs est de l’an 1009 et est d’autant plus de conséquence qu’il prouve, contre ceux qui en voudraient douter, qu’en cette année-là et auparavant il y avait une Faculté de médecine à Paris.

Nous voilà à la fin de l’année, je vous souhaite toute sorte de prospérité, pour vous et pour toute votre famille, dans celle où nous allons entrer. Je suis en train de déménager ; ce me sera une peine pour mes livres et quand j’y pense, cela me fait dresser les cheveux à la tête. Je change de maison, [43] mais non pas de quartier : je vais demeurer dans la place du Chevalier du Guet, joignant le logis de M. Miron, [44] maître des comptes. J’espère que j’y serai bien logé et que j’y mourrai en repos. Je vous salue et suis, etc. [14]

De Paris, le 30e de décembre 1650.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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