À André Falconet, le 3 novembre 1651

Note [12]

Iusti Lipsii Epistolarum selectarum Chilias, in qua i. ii. iii. Centuriæ ad Belgas, Germanos, Gallos, Italos, Hispanos. iv. Singularis ad Germanos et Gallos. v. Miscellanea. vi. vii. viii. ad Belgas. ix. x. Miscellaneæ Postumæ. Epistolica Institutio eiusdem Lipsii. Accessit in gratiam studiosæ Iuventutis, Rerum aliquot insignium, et elegantissimarum Similitudinum, quæ in nonnullis Epistolis occurrunt, Index Locupletissimum.

[Millier de lettres choisies de Juste Lipse, {a} où les centuries i, ii, iii sont adressées à des Flamands, des Allemands, des Français, des Italiens, des Espagnols ; la iv, seulement à des Allemands et des Français ; la v, à des correspondants variés ; les vi, vii, viii, à des Flamands ; et les ix, x, à des correspondants divers et publiées après sa mort. Avec l’Institution épistolaire du même Lipse. {b} À l’intention de la jeunesse studieuse, on y a ajouté un très riche Index de quelques faits remarquables et très élégantes descriptions qui se trouvent dans quelques-unes lettres]. {c}


  1. V. note [8], lettre 36.

  2. Iusti Lipsii Epistolica Institutio, Excepta e dicantis eius ore, Anno m.d.lxxxviii mense Iunio. Adiunctum est Demetrii Phalerei eiusdem argumenti scriptum [Institution épistolaire de Juste Lipse (en 13 chapitres), recueillie sous sa propre dictée au mois de juin 1588. On y a ajouté ce qu’a écrit Démétrios de Phalère (v. note [14] du Faux Patiniana II‑7) sur le même sujet].

    V. note [18], lettre 396 pour les cinq livres des Epistolicarum Quæstionum [Question épistolaires] de Lipse, qui sont un ouvrage distinct.

  3. Avignon [Genève], sans nom, 1609, in‑8o de 1 078 pages.

Guy Patin faisait allusion à la lettre xxii de la centurie i (pages 23‑29), datée d’Anvers le 3 avril 1578, adressée à Philippe de Lanoye (v. note [6], lettre latine 10), « très noble jeune homme de Douai » qui souhaitait faire un voyage en Italie. C’est l’occasion de fournir un exemple du latin elliptique de Lipse.

Ingenium, et subtilitas, et magni erectique animi in illis locis habitant : non semper puri, simplices, et ad Gallicam istam nivem. Ideoque incautis et apertis nobis nonnullum ibi periculum, et quidem a duplici telo. Nam et inter viros multi tecti, callidi, periti simulare : et inter fæminas, formæ conspicuæ, sed lascivæ et procaces. Hic Scylla, ibi Charybdis : et duo hæc discrimina ut enauiges, opus non prudentia quadam solum, sed dicam fortuna. Prius tamen illud me angit minus. quod amoliri magnam partem posse videor caventibus quibusdam præceptis. Nam contra insidiantes illos aut simulantes, quidni firmum scutum a simulatione item aliqua sit ? Cres mihi esto inter Cretas. Nec viam tibi tamen ad fraudes præeo. absit. sed ut medici, venena quædam venenis pello, in salutem tuam, non in noxam. Ad minutas et innocentes quasdam simulatiunculas te voco : nec ad alienas insidias, sed ad animi tui opportuna tegimenta. In Italia tota tria hæc mihi serua. Frons tibi aperta, lingua parca, mens clausa. Comis et communis vultus adversus omnes sit, animus externo nulli pateat : et velut in theca clausum eum habeas, dum redeas ad notos animos et vere amicos. Epicharmææ sapientiæ ille neruus hic valeat, nulli fidere. Nisi facis : non unus Ulysses Aiacem te circumveniet, et dolorem nobis debes, illis risum. Atque hæc tamen cautio mea proprie in vulgus Italorum dirigitur. Nam de nobilibus cur diffitear ? revera optimates illi plerumque optimi : celsi, alti, sinceri, virtutis, gloriæ, litterarum amantes. In vulgo aliter esse observavimus, qui fex et limus, et vere vulgus. Itaque in illis, vetus Italicus aut Romanus sanguis fere apparet : in istis, peream, nisi claræ reliquiæ (fidenter dicam) Gothorum, Vandalorum. Iam contra telum alterum qui muniam te, aut moneam ? Ita sim salvus, ut opto potius quam spero te hic plane salvum. Tantum mihi metus et ætas tua facit, quæ in ipso æstu : et illæ non dicam fæminæ, sed Veneres, Venetæ aut Romanæ. In natura tantum tua spes omnis præsidii, hic in et voluntate. Quarum si alterutra ad calidas et callidas istas Solis filias inclinat : quis hominum te servet ? certe rues : nec ullo præceptorum sufflamine te sistam. Tamen ne nihil dicam aut addam : ecce armaturam a me duplicem, Oculis, Auribusque : Oculos, inquam, primum mihi claude et averte longe ab illecebroso hoc adspectu. Aditus enim mali morbi hinc est : nec amor aut cupido facile irruperit, nisi per geminas has fenestras. Sed et aures etiam muni, contra omnes non Venereos solum, sed paullo magis venustos sermones. Ii sunt enim qui titillant, qui excitant : et ut cupere ab aspectu est, sic velle ab auditu. Igitur ut athletis olim, munimenta quædam aurium adponi mos (αμφωτιδας vocabant) ad vitandos ictus : sic tu hoc firmum contra amatoria vulnera habe velamentum, Amatorium nil audire. De hominibus dixi (quæso ne cum invidia cuiusquam aut ira : quia libere aliquid protulerim fortasse, nihil acerbe aut maligne) adiungam et aliquis de locis. Qui varii in Italia omni et pulchri : ut non iniuria deliberes, quem præferas ad vivendum, sive habitandum ; et meo quidem sensu (vidimus enim plerosque omnes, et triuimus) prima tibi vel antiquitatis caussa, adeunda Roma est : adeunda tamen non habitanda. Confusio enim ibi συγχυσις, aëris et morum haud pura puritas : et quod verissime a Varrone dictum, turba turbulenta. Loca igitur illa prisca et vetera, monumenta ac rudera,

et campos ubi Troia fuit,

cum lustratus satis et veneratus fueritis
.

[Talent, finesse et esprits fort éveillés habitent en ces lieux. Ils ne sont pas toujours purs, simples comme cette neige de France. Pour nous qui sommes imprudents et ouverts, il y a certes là quelque danger, et ce en raison de deux armes : d’un côté, parmi les hommes, beaucoup sont dissimulés, roués et savants simulateurs ; et parmi les femmes, beaucoup sont de belle apparence, mais folâtres et impudentes. Ici Scylla, là Charybde, et pour que tu navigues entre ces deux écueils, {a} il te faudra non seulement une certaine prudence, mais aussi, dirai-je, de la chance. Je m’inquiète pourtant moins du premier, parce que je crois qu’on peut en éviter une grande partie grâce à certaines précautions. Mais contre ceux qui tendent des pièges ou qui feignent, pourquoi quelque feinte ne procure-t-elle pas pareillement un solide bouclier ? Sois pour moi Crétois en Crète. Je suis pourtant loin de pouvoir te protéger des tromperies, mais comme les médecins, je repousse certains poisons par d’autres poisons, non pour te nuire, mais pour te sauver. Je t’incite à quelques minimes et innocentes petites fraudes, non pas des pièges pour attraper les autres, mais pour servir d’armures utiles à ton esprit. Dans toute l’Italie, observe pour moi trois choses : pour toi, mine ouverte, langue parcimonieuse, esprit fermé. Que le visage soit doux et avenant à l’égard de tous, que l’esprit ne s’ouvre à nul étranger ; tiens-le enfermé comme dans une cassette jusqu’à ton retour vers des êtres que tu connais et vraiment amis. Que prévale ici la vigueur du sage Épicharme : ne se fier à personne. Si tu ne le fais pas, plus d’un Ulysse t’opprimera comme un autre Ajax, {b} et alors pour nous les larmes et pour eux les éclats de rire. Ma mise en garde se dirige pourtant particulièrement contre le commun des Italiens. Car pourquoi la nierais-je des nobles ? À la vérité, pour la plupart ces grands sont excellents : fiers, élevés, francs, aimant la vertu, la gloire, les lettres. Nous avons observé qu’il en va autrement pour le peuple, qui est lie et fange, vraiment populace. Chez eux le vieux sang italique ou romain apparaît à peine ; que je meure s’il ne se trouve pas en eux les restes évidents des Goths et des Vandales {c} (je le dis avec assurance) ! Y a-t-il un autre danger contre lequel je te protégerai ou te mettrai en garde ? Que je sois donc sauvé quand je te souhaite plutôt que je ne t’espère de retour ici sain et sauf. Par l’ardeur qui le caractérise, ton âge me plonge dans une grande peur et je n’appellerai ni les Romaines, ni les Vénitiennes des femmes, mais des Vénus. Il n’y a espoir de secours que dans ta bonne nature et dans ta volonté. Si l’une ou l’autre de ces filles ardentes et madrées du soleil te séduit, quel homme pourra jamais te préserver ? Tu t’y précipiteras certainement, et aucun de mes préceptes n’y pourra faire obstacle. « Sans que j’aie rien à y ajouter, te dira-t-elle, vois comme je m’arme doublement, des yeux et des oreilles. » D’abord, ferme les yeux et détourne les loin de ce séduisant regard, car s’y ouvre la porte à une méchante maladie, et amour comme désir ne pénétreront pas aisément sans ces doubles fenêtres. Il faut aussi se protéger les oreilles contre tous les discours amoureux, et plus encore s’ils sont galants, car ce sont ceux qui chatouillent et excitent : la vue inspire le désir, mais c’est l’ouïe qui aimante. C’est pourquoi, de même que les lutteurs, pour se prémunir des coups, avaient jadis coutume de se couvrir les oreilles avec des protections (qu’on appelle amphôtidas), {d} aie, toi, ce solide rideau contre les blessures de l’amour, qui est de ne pas entendre la complainte amoureuse. J’ai parlé des gens (je te demande de n’y voir ni envie, ni colère, parce que je l’ai fait à peu près librement, sans rien d’amer ou de méchant) et j’y joindrai un propos sur quelques lieux. Tous en Italie sont variés et beaux, au point que non sans raison, tu hésiteras sur celui que tu préféreras pour y vivre ou y habiter ; et à mon sens (nous les avons presque tous visités et longtemps foulés), il faut aller à Rome, en raison de sa primauté ou de son antiquité : y aller, mais ne pas y habiter. Le désordre y est en effet confusion, la pureté de l’air et des mœurs n’y a rien de pur ; et comme a très véritablement dit Varron, la cohue y est agitée. Après que tu auras suffisamment fréquenté les mauvais lieux, tu vénéreras ces endroits vieux et très anciens, monuments et ruines,

Vois comme je m’arme doublement, des yeux et des oreilles. Ferme-moi d’abord les yeux et fuis loin de ce séduisant regard

et campos ubi Troia fuit]. {e}


  1. V. note [4], lettre latine 477.

  2. V. notule {b}, note [37], lettre 99.

  3. V. notule {a}, note [29], lettre 401.

  4. Couvre-oreilles en bronze employés par les lutteurs antiques ; v. note [59] des Préceptes particuliers d’un médecin à son fils pour une troublante reprise de ce passage dans un texte attribué à Patin.

  5. « et les champs où jadis s’éleva Troie » (Virgile, Énéide, chant iii, vers 11, Départ de Troade).

Suivent des brèves descriptions de Naples, Florence, Venise, etc. De Venise, Lipse dit :

Heu ad invidiam pulchra, opulens, felix urbs ! minus tamen ad nostrum Genium, quia Mercurio amicor quam Minervæ.

[Ah, c’est une ville belle, opulente, heureuse à l’envi ! Elle sied pourtant moins à notre génie car elle est plus amie de Mercure que de Minerve]. {a}


  1. C’est-à-dire plus amie de la filouterie que des beaux-arts.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 3 novembre 1651, note 12.

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(Consulté le 28/03/2024)

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