À Claude II Belin, le 8 décembre 1637, note 8.
Note [8]

Joest (Juste) Lipse (Justius Lipsius, Isca, Brabant, 1547-Louvain 1606) avait fait ses études à Bruxelles, Ath, puis Cologne, où il suivit les cours supérieurs du collège des jésuites. Comme il semblait déjà disposé à entrer dans cette Compagnie, ses parents le rappelèrent et l’envoyèrent faire son droit à Louvain ; mais il préféra suivre la carrière des lettres et dès l’âge de 19 ans, il envoyait et dédiait au cardinal Antoine Perrenot de Granvelle (v. notes [19][24] du Borboniana 5 manuscrit), dont il se conciliait par là les bonnes grâces, trois livres de corrections et variantes, Variarum lectionum libri iii, qui furent publiés trois ans plus tard (Anvers, in‑8°). Granvelle le prit pour secrétaire et l’emmena en 1567 à Rome, où Lipse suivit les leçons de Muret.

Assidu aux bibliothèques, il collationna un grand nombre de manuscrits, étudia les monuments publics et grâce à une mémoire prodigieuse, put bientôt rivaliser avec son maître. De retour à Louvain, après deux ans d’absence, il passa une année dans la dissipation et les plaisirs, puis entreprit un voyage en Allemagne. Comme il regagnait Louvain, il apprit en route les troubles qui agitaient sa patrie, et accepta une chaire de professeur d’histoire et d’éloquence à Iéna, où il séjourna deux ans (1572-1574) et prit part, comme il le fit toute sa vie, aux discussions religieuses, défendant à outrance les idées luthériennes. Soit qu’il fût fatigué de ces controverses sans fin, soit parce que ses collègues jaloux lui avaient refusé la place de doyen à laquelle il avait droit, il donna sa démission, passa à Cologne et s’y maria. À cette époque, il manifestait déjà le désir de se retirer dans sa ville natale, mais il changea de résolution et s’établit à Louvain, qu’il quitta bientôt pour accepter une chaire d’histoire à l’Université de Leyde (1579). C’est à ce moment qu’il abandonna le luthéranisme pour le calvinisme. En 1589, il publia ses six livres de Politiques [Polticorum libri vi] (Leyde, 1589, v. note [22], lettre 177) où il prêchait la nécessité d’une religion unique et exclusive, et la répression des sectaires par le fer et le feu. On pouvait considérer cette publication comme une avance faite au parti catholique. En effet, depuis plusieurs années déjà, Lipse était en relation avec les jésuites et méditait de retourner dans le giron de l’Église catholique. Sa théorie sur la persécution souleva la population hollandaise et fut combattue avec énergie par Coornhert (Gouda, 1590, en néerlandais), ce qui amena une réplique de Lipse, intitulée La Religion unique (Adversus Dialogistam Liber de una Religione, Leyde, 1590), où, pour pallier les conséquences de son système, il allégua que les paroles terribles qu’on lui reprochait, ure et seca [brûle et coupe (par le feu et le fer)], étaient une simple métaphore empruntée à la médecine pour désigner un remède urgent et actif. V. notes [32] et [33] du Grotiana 1 pour les références de ces ouvrages et d’autres détails sur cette controverse.

Voyant tous les esprits irrités et sentant s’échapper l’autorité que la science lui avait acquise, il résolut de quitter la Hollande. Sous prétexte de maladie, il se rendit à Spa, d’où il envoya sa démission aux curateurs de l’Université de Leyde. Vainement, le sénat de cette ville, les États généraux de Hollande insistèrent et lui firent les offres les plus brillantes ; Lipse persista dans son refus et en 1591, il fit publiquement acte d’adhésion à la religion catholique. Lipse vit alors les rois, les princes de l’Europe lui offrir à l’envi une chaire dans leurs États ; Henri iv, entre autres, s’efforça de l’attirer à Paris. Malgré la modicité des émoluments attachés aux fonctions de professeur d’histoire, Lipse choisit la ville de Louvain (1594). Comme professeur, il y eut autant de succès qu’à Leyde, y reçut le titre d’historiographe de Philippe ii d’Espagne et celui de conseiller d’État de l’archiduc Albert. Il rédigea alors deux curieux ouvrages, Virgo Hallensis [La Vierge de Hal] (Anvers, 1604) et Virgo Sichemensis [La Vierge de Sichem] (ibid. 1605), dans lesquels, au jugement des catholiques eux-mêmes, il préconisa l’adoration des images miraculeuses (v. note [29], lettre 195) en adoptant « les traditions les plus incertaines et les fables les plus puériles » (G.D.U. xixe s.).

Le Grotiana s’est longuement étendu sur la vie, les œuvres et les pensées de Juste Lipse (et me semble avoir généreusement alimenté l’article du G.D.U. xixe s.) : v. notes [14][35] de sa première partie.

Guy Patin signalait ici les Iusti Lipsii v.c. Opera omnia, postrerum ab ipso aucta et recensita : nunc primum copioso rerum indice illustrata [Œuvres complètes du très illustre Juste Lipse, qu’il a lui-même augmentées et recensées avant de mourir, maintenant enrichies d’un copieux index] (Anvers, Balthazar Moret, 1637, 4 volumes in‑fo).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 8 décembre 1637, note 8.

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(Consulté le 26/04/2024)

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