Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 3
Note [32]
L’édition voulue par Richelieu est intitulée De Imitatione Christi Libri iv (Paris, Imprimerie royale, 1640, in‑4o de 550 pages).
Une foule de savants, religieux et historiens, s’est évertuée à établir l’identité du véritable auteur d’un des livres les plus admirés et les plus édités de la dévotion chrétienne. En écartant saint Bernard de Clairvaux (v. note [36], lettre 524), faute du moindre argument solide, et Giovanni Gersen, abbé de Verceil sans doute inventé par les bénédictins (v. supra note [30]), il ne reste que deux candidats sérieux à l’honneur d’avoir écrit l’Imitation de Jésus-Christ : l’augustinien flamand Thomas a Kempis (1380-1471) paraît aujourd’hui l’avoir emporté. Il semble pourtant difficile d’écarter les arguments de Charles Labbé (parmi d’autres) en faveur du célestin français Jean Gerson (1363-1429) ; ils sont malheureusement demeurés inédits, hormis sous la forme, exclusive et discutable, d’un privilège royal accordé en 1654 et transcrit en 1706 (v. supra note [31]).
Gabriel Naudé, partisan de Kempis, n’a épargné ni sueur ni encre dans cette érudite querelle monastique (Naudæana, 1701, pages 2‑4).
« Les révérends pères Robert Quatremaires et François Valgrave, bénédictins, ont écrit contre cette Relation du sieur Naudé ; ce qui causa un procès au Parlement de Paris entre lui et les chanoines réguliers de Sainte-Geneviève contre les bénédictins ; ce qui obligea ledit Naudé à faire les pièces suivantes pour sa justification. »
Paris, Cramoisy, 1649, in‑8o.
Bien que ceci paraisse avoir échappé aux historiens de Port-Royal, le feu de ce mémorable incendie a pu être attisé par la dispute contemporaine du jansénisme augustinien, défendant l’autorité de l’augustin Thomas a Kempis, contre celle de Johannes Gersen, bénédictin proche des jésuites, à en croire l’exubérant dom Constantino Gaetano (v. supra note [29]). Jean Gerson fut peut-être alors le malheureux dindon de cette farce.
Additions et corrections du P. de Vitry
(1702-1703, v. note [12] des Préfaces), pages 216‑218 :
« Pour apprendre la suite de ce fameux différend, qui a exercé pendant longtemps deux des plus illustres congrégations de France, il faut voir la Conjectio Causæ Kempensis de Naudé, imprimée en 1651, {a} avec cette précaution néanmoins d’être très persuadé qu’il y entrait un peu trop de chaleur dans le procédé de Naudé. Il s’en faut bien qu’il n’ait eu la modération d’un savant bénédictin, qui fait à présent l’ornement de son Ordre ; {b} lequel, sans se servir d’aucuns termes injurieux à la mémoire de Naudé, a réfuté les principaux chefs d’accusation que cet anti-gerséniste avait produits contre la bonne foi des bénédictins, et n’a laissé passer aucune occasion de faire remarquer qu’on trouvait dans les bibliothèques plusieurs manuscrits du livre de Imitatione Christi d’une écriture antérieure au temps de Thomas à Kempis, et dont certains portaient le nom de Gersen. Ajoutons aussi, pour l’honneur de l’abbé Cajetan que les manuscrits sur lesquels il se fondait, ayant été apportés en France et examinés avec exactitude en 1673, en présence du défunt archevêque de Paris, furent déclarés authentiques et non falsifiés. » {c}
- Causæ Kempensis Coniectio pro Curia Romana. A Gab. Naudæo actore et sodales quosdam Benedictinos quinque falsitatum arcessente, scripta ; ad Eminentissimum cardinalem Franciscum Barberinum.
[Conjecture sur l’affaire de Kempis devant la curie romaine. Écrite par Gab. Naudé, avocat, et attaquant de falsification quelque cinq frères bénédictins ; dédiée à l’éminentissime cardinal Francesco Barberini] {i}
- Paris, Sébastien et Gabriel Cramoisy, 1651, in‑8o de 199 pages.
- « D. Mabillon, Diplomatic. lib. 3. c. 3 et ibid. lib. 5. Item in Itin. Italic. p. 21, 208, 219, et alibi », note de Vitry renvoyant à deux ouvrages de Jean Mabillon cités dans la seconde notule {f} note [29] supra :
- sa « Diplomatique » (1681), livre iii, chapitre iii, pages 226‑231, qui sont les seules références à la dispute avec Naudé, selon l’excellent index de cet ouvrage (dont le livre v est entièrement consacré à commenter des exemples paléographiques) ;
- son « Voyage d’Italie » (1685-1686), Arona, mai 1685, page 21, Brescello, mai 1686, page 208, Pavie, juin 1686, page 219, « et ailleurs » (mais ce sont les trois renvois à Johannes Gersen que contient l’index de l’ouvrage).
- François ii Harlay de Champvallon a été archevêque de Paris de 1671 à 1695 (v. note [25], lettre 420).
J.-B. Malou, chanoine honoraire de la cathédrale de Bruges, a fait un point très détaillé sur les Recherches historiques et critiques sur le véritable auteur du livre de L’Imitation de Jésus-Christ… (Compte rendu des séances de la Commission royale d’histoire, tome 14, 1848, pages 279‑527). Il y relate (pages 300‑302) les débats de la commision réunie par Mgr Harlay en 1671-1674, sans toutefois convenir qu’elle mit un terme à la controverse sur l’attribution de L’Imitation à Gersen (comme laissait ici entendre le bon Père Vitry).