Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 10 manuscrit
Note [60]
Le cardinal Jacques Davy Duperron, {a} est mort à Bagnolet, âgé de 61 ans, le 5 septembre 1618, jour même où le glissement d’une montagne, sans doute dû à une secousse tellurique, fut cause De l’accident advenu sur la ville de Plurs, {b} tel qu’il est incidemment relaté aux pages 117‑126 de :
La Valteline, {c} ou Mémoires, Discours, Traités et Actes des Négociations sur le sujet des troubles et guerres survenues en la Valteline et au pays des Grisons, {d} depuis l’invasion et usurpation de ladite Valteline en l’an 1620 jusques en l’an 1629, que les principaux passages et lieux de tout le pays des Grisons ont été derechef pris par les troupes de l’empereur. Recueil très-utile et nécessaire en ce temps à tous bons patriotes. {e}
Voici l’essentiel de ce récit (sans les réflexions sur les causes divines de la catastrophe) :
« Le 15e d’août, style ancien, {a} par un samedi, il commença de pleuvoir ; et enfin, cette pluie se renforçant avec éclairs et tonnerres, dura jusques au jeudi 30e, auquel jour l’air, paraissant fort serein, donnait espérance de beau temps ; mais la nuit suivante, la pluie, les éclairs et tonnerres recommencèrent jusques au lundi matin, que le temps, et le lendemain mardi, fut derechef assez clair. Auquel jour de mardi, 25e d’août, style ancien, et 4e de septembre, style nouveau, {f} après midi et à côté de cette rivière Meire, commença de se former une ruine, et la terre à s’ébouler de la troisième montagne, nommée Conte, sur des vignes proches de Schilon, du côté de Chavenne ; {g} en laquelle montagne, jadis, on creusait et prenait de la pierre pour faire des pots de terre fort bons, et propres à cuire chair et autre viande, appelés Lavezzi, et < dé>jà depuis dix ans, les habitants d’Uscion, {h} village voisin qui est au-dessus, y avaient aperçu quelques fentes et ouvertures ; mais, pource que ces ruines étaient assez fréquentes en ce même lieu, ceux de Plurs n’en faisaient pas état. Ceux-là cependant qui, dans la prairie, recueillaient les foins, aperçurent la terre trembler sous leurs pieds ; et furent ceux de Plurs avertis, par quelques paysans de Roncal, de sortir promptement de la ville, disant qu’il y avait danger de quelque grande ruine prochaine. Cet avis fut méprisé ; et néanmoins, à l’heure des vêpres, les catholiques s’assemblèrent dans l’église Saint-Cassien, et la plus grande part aussi des protestants (qui n’étaient que 40 dans ladite ville et à Schilon), dans certaines maisons, pour faire prière à Dieu.Sur le soir, la pleine lune se découvrant < dé>jà un peu dans un ciel assez clair et serein, ce grand et élevé désert, cette montagne de Conte, en un moment, avec un horrible bruit et impétuosité, fut agitée, ou par quelques vents souterrains, ou par quelque autre secrète tempête que Dieu suscita dans ses entrailles, de telle sorte que ce qui semblait inébranlable se vit en bien peu de temps arraché et tiré de ses propres racines, et emporté par la fureur des vents, comme il fut remarqué par une femme qui était sur l’autre montagne. Chose du tout {i} étrange et sans exemple d’un si horrible tremblement et transport d’une montagne entière. Depuis Chavenne, on en ouït le bruit tel que le son de plusieurs gros canons tous tirés à la fois ; et fut aperçue par aucuns {j} à Chavenne, regardant vers Plurs, une grande fumée entremêlée de flammes ; voire en parvint jusques à Chavenne de la poussière sur les chapeaux d’aucuns, comme ils ont attesté.
Cette montagne, donc, tomba avec une telle impétuosité sur cette pauvre ville qu’elle l’ensevelit sous ses tombes, {k} et tous ses habitants aussi, dans leurs beaux, riches et délicieux palais, à l’heure que la plupart étaient à table. Le village de Schilon, où il y avait 25 maisons, et la ville de Plurs, où il y en avait 125 avec 930 habitants, furent accablés et couverts sous cette puissante ruine, sans qu’aucun en soit échappé vif. Et comme la vallée était trop étroite pour contenir tout le corps et matière de cette montagne, une partie remonta en l’air contre l’autre quartier de la montagne, et vint retomber dans la rivière de Meire, de laquelle le cours fut retenu environ deux heures : ce qui donna grande frayeur à ceux de Chavenne, craignant une inondation quand ce torrent viendrait à se débonder ; mais il n’en survint autre < conséquence >, sinon qu’il s’en forma sur le lieu un lac de la longueur d’un quart d’heure, lequel s’y voit à présent. La longueur de cette ruine contient l’espace de demi-heure. {l} […]
Le mercredi, le peuple des environs, un peu remis de ce grand effroi, accourait à ce spectacle ; et au lieu d’y trouver une ville où il y avait deux églises paroissiales, et six autres, < ainsi > que monastères < et > qu’hôpitaux, dans une belle et agréable petite vallée, n’y trouva qu’une haute et épouvantable montagne, sans aucune marque ni trace de la précédente situation de la ville. »
- V. l’avant-dernier alinéa de la note [7] supra.
- Destruction complète de la petite ville de Piuro (Plurs en allemand).
- Alpes lombardes, v. note [7], lettre 29.
- V. note [28], lettre 240.
- Genève, sans nom ni auteur, 1631, in‑8o de 538 pages.
- Calendrier julien, alors toujours en vigueur à Genève, république calviniste opposée au calendrier grégorien romain (où cette date correspondait au 25 août 1618).
- Une « ruine » est un glissement de terrain. La « Meire » est la rivière Mera, qui se jette dans le lac de Côme. « Chavenne » est Chavenna, ville située quelques kilomètres en aval de Piuro, sur la Mera. Le mont Conte et le village de Schilon n’existent plus.
- Uschione est un village proche de Piuro. La pierre de Lavezzi, autrement nommée pierre de Côme ou colomine, est une variété d’argile talqueuse, qui durcit à la cuisson en prenant de jolis reflets argentés ; les poteries qu’on en fabriquait étaient fort réputées depuis l’Antiquité.
- Tout à fait.
- Certains.
- Blocs de pierre.
- « Heure » : distance parcourue en une heure de marche, soit une lieue (4,4 kilomètres).
Jean-André Lumagne (ou Lumague), banquier parisien originaire de Piuro, mourut en 1637. Il était arrivé en France en 1600, dans la suite de Marie de Médicis. Sa fille Marie (1599-1657), disciple de Vincent de Paul (v. note [27], lettre 402), fonda avec lui, en 1652, la Congrégation de l’Union-Chrétienne de Saint-Chaumond, initialement destinée à accompagner la conversion des femmes protestantes au catholicisme.
Ces trois derniers articles qui concluent le Borboniana 10 manuscrit concernent des « faits divers » (méfaits et exécution de François Sorbesse, œuvres des bourreaux et séisme de Piuro) et sont peu dans le ton général de la conversation de Nicolas Bourbon. Il pourrait s’agir d’additions venant de Guy Patin, que ses lettres montrent plus enclin à ce genre de récits. Ça n’est qu’une spéculation de ma part, mais on va voir que la suite (Borboniana 11) peut être entièrement attribuée à Patin (v. sa note [1]).