L. latine 106.  >
À Johannes Antonides Vander Linden,
le 30 août 1658

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johannes Antonides Vander Linden, le 30 août 1658

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1139

(Consulté le 19/03/2024)

 

[Ms BIU Santé no 2007, fo 72 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Vander Linden, docteur et professeur de médecine à Leyde.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Voici que je reçois votre paquet par le courrier ordinaire, où j’ai trouvé deux lettres de vous : l’une écrite le 28e de mars et l’autre le 8e d’août ; avec deux autres, de notre ami M. Utenbogard [2] et d’un autre médecin ; tout ce de quoi je vous remercie beaucoup. Votre M. Rompf est depuis longtemps retourné dans votre pays, [3] mais j’ignore tout à fait où il demeure maintenant. Je me réjouis fort que vous ayez reçu nos livres. Je m’étonne et ne sais comment il se fait que vous n’y ayez pas trouvé celui de Simeo Seth ; mais il ne manquera pas à mon prochain paquet. [1][4] Vous n’aurez rien à espérer de M. Fouquet pour le manuscrit d’Archigène περι υποδραμ. αιμ. que vous cherchez, car sa bibliothèque n’est ouverte à personne, pas même à lui. [2][5][6][7][8][9] Par la bienveillance du cardinal Mazarin, [10] il a été nommé surintendant des finances royales. Cette charge l’écrase sous le poids de toutes les affaires du royaume puisqu’il occupe deux dignités qui sont diamétralement opposées l’une à l’autre : comme procureur général du Parlement de Paris, la Cour se plaint de lui parce qu’il se maintient dans cet office, mais ne s’en acquitte pas ; comme surintendant des finances royales, il ne se montre pas, même à la vue des princes. Vous n’ignorez pas, je pense, à quel point on accorde honneur et prix à la dive Fortune : Et genus et formam Regina Pecunia donat[3][11][12] Au temps de Juvénal, [13] cette funeste divinité n’habitait pas encore dans un temple, mais on a aujourd’hui transformé en sanctuaire tout lieu où elle se cache et se dissimule. Au moins Fouquet [Ms BIU Santé no 2007, fo 72 vo | LAT | IMG] a-t-il ceci en commun avec Dieu d’être invisible (mais il s’en faut de beaucoup pour le reste), car presque personne ne le voit, à part certains financiers, pures sangsues d’un royaume jadis très florissant, et un certain jésuite, son allié ; [4] et aussi quand il se rend à la cour pour saluer le roi [14] et voir son patron Mazarin, pour le conseiller ou être conseillé sur les moyens de se procurer de l’argent, dans l’unique but ne quis quid habeat, ne cuiquam quidquam supersit, comme celui-là [15] disait dans Suétone ; [5][16] après avoir quitté la cour, il demeure terré dans sa maison, invisus de tous, au double sens du mot, [6] hormis d’un fort petit nombre de gens. Mes fils vous remercient pour votre bon souvenir et vous saluent en retour, [17][18] de même que je fais à M. van Horne. [19]

Veuillez ne pas m’envoyer l’Avicenne de notre très distingué Plempius car je l’ai déjà depuis longtemps, M. Robert de Farvacques, docteur en médecine et mon excellent ami, me l’a envoyé de Bruxelles. [7][20][21][22] Je me réjouis vivement que vous me proposiez votre portrait : occupez-vous-en donc et menez l’affaire au bout. [23] La taille du tableau ne m’importe guère ; je vous envoie pourtant un fil de la longueur requise pour qu’il s’équilibre avec le portrait peint de mon très honorable précepteur Nicolas Piètre, homme remarquable qui mourut ici il y a neuf ans, âgé de 80 ans, alors le plus ancien maître de l’École. [24] J’honore et admire ce vénérable vieillard comme une grande étoile d’éclatante splendeur : c’est que le grand âge lui avait donné de savoir quantité de choses ; il a non seulement été le plus expérimenté dans l’art de soigner, mais aussi le meilleur, le plus prudent et le plus sage pendant tout le cours de sa vie, avec beaucoup d’érudition et d’honnêteté. Je l’ai ici présent, et sous les yeux et dans mon esprit ; je ne parle presque jamais publiquement, dans la chaire royale ou dans les consultations des malades, qui se tiennent ici très fréquemment, [25][26] sans me souvenir de quelque précepte qu’il m’a jadis fourni. Je vous placerai à côté de lui et cela ne mécontentera personne. En son art, il fut un véritable Roscius, [8][27][28] et même absolument remarquable en l’art de la vie, en homme sage et bon qui la connaissait parfaitement. Mais tandis que je me laisse entraîner dans les louanges d’un si grand personnage, dont le souvenir m’est tellement doux que des larmes me montent aux yeux, voici qu’un ami me fait porter six melons d’excellente odeur et parfaitement mûrs. [29] J’aurais souhaité pouvoir vous les envoyer ; mais puisque cela ne se peut faire, en les dégustant au dîner avec mes très aimables fils que j’ai invités, je boirai à votre santé un plein verre de vin mêlé de beaucoup d’eau, suivant mon habitude ; et plus tard, quand vous voudrez, vous me rendrez la pareille. Au lieu de melons, je vous enverrai les six tomes des Opera de Pierre Gassendi, que vous attendrez patiemment s’il vous plaît ; ils auraient déjà dû nous arriver de Lyon, mais je n’en ai encore vu en vente chez aucun libraire, tout comme pour le Heurnius ; mais ils viendront enfin. [9][30][31]

Je ne doute pas que vos Meletemata medecinæ Hippocraticæ seront excellents, tant parce qu’ils sont de votre plume que parce qu’ils sont tirés d’Hippocrate ; et j’approuve tout à fait votre avis, notre Hippocrate est un fonds inépuisable ; Dieu fasse que vous meniez rapidement votre ouvrage à son terme. [10][32][33] Je vous enverrai, si vous voulez, l’Hippocrate de Calvus avec le Gassendi, le Simeo Seth, le Nardi, le Persona, le Riolan, et d’autres encore. [11][34][35][36][37][38] Par l’intermédiaire de quelque marchand, je rembourserai très volontiers le prix de votre tableau au peintre. Les œuvres complètes de Cardan comprendront huit tomes, mais l’édition n’en est pas encore commencée. [12][39] Notre roi reprend des forces ; [40] nous l’avons eu ici pendant sept jours pour que tous le voient en la cité la plus peuplée du royaume, notamment ceux de la plèbe qui avaient prédit sa mort. Sa maladie n’a pas été violente : il a souffert d’une synoque putride, [41] provoquée par une insolation et par la puanteur des contrées maritimes, dont il ne s’est pas suffisamment méfié car le médecin qui l’accompagnait ne l’a pas mis en garde ; c’est un vaurien chimique qui n’y connaît rien, mis à part les arts de cour et la philargyrie. Une consultation de plusieurs praticiens l’a enfin mis hors de danger avant le 11e jour de la maladie ; neuf saignées et trois purgations avec moelle de casse et feuilles de séné l’ont libéré de sa fièvre[42][43][44][45][46] [Ms BIU Santé no 2007, fo 73 ro | LAT | IMG] Aucune tache de purpura n’est apparue : [47] c’était une l’invention d’un chimiatre, [48] parfait menteur qui exagérait la maladie pour sembler tirer plus grande gloire de l’avoir guérie ; ou, comme dit Tertullien (qu’il n’a jamais lu, ou qu’il n’aurait pas compris s’il l’avait lu), contre Marcion (misérable charlatan qui peponem habebat loco cordis), quo pretiosus aut famosius curaret[13][49][50] Au début de la maladie, il y a pourtant eu certaines rougeurs dans la région des lombes, simples signes de chaleur que la phlébotomie a immédiatement arrêtés, ou plutôt éteints ; ce furent des érythèmes d’Hippocrate que la phlébotomie a aussitôt effacés. [14][51] Je n’ai rien entendu de nouveau sur Christine de Suède : elle voyage de corps comme d’esprit ; c’est une Didon qui se cherche un Énée, que peut-être elle n’attrapera jamais. [15][52][53][54] On dit qu’à Genève on a achevé l’édition des œuvres de Paracelse, le fanatique ami des ténèbres ; mais on n’en a encore expédié aucun exemplaire, ni à Lyon ni à Paris. [16][55]

{Une fable court ici par toute la ville et aucune autre rumeur ne la surpasse : il s’agit de moines augustins  qui ont tous été déclarés rebelles, sur intervention du Parlement de Paris, tandis qu’ils se battaient énergiquement les uns contre les autres, tanquam pro aris et focis[17][56][57] pour un différend sur l’argent que la piété de certaines gens leur avait fait recevoir pour des messes et autres prières à l’intention des défunts ; et ils n’ont voulu déférer aux volontés de personne ni en appeler à l’autorité de leur Jupiter capitolin ; [58] mais leur espoir a été déçu, car en effet, par insolence, les craintifs attendent beaucoup des autres : le Parlement ayant prévalu sur la violence ouverte, tous ont été pris et jetés dans différentes prisons ; [59] ce qui fait rire les autres moines, quia Monachus Monacho invidet, ut figulus figulo, et cantor cantori[18][60] D’ailleurs, la Nature tout entière souffre de stupide effronterie et ici chez nous, l’injure ne manque ni de matière ni de lieu puisqu’il y a cette immense nation des moines, et leur nombre est sans limite, qui ne cherchent rien d’autre qu’à alimenter honteusement leur indolence par quelque simulacre de religion et dont la copieuse ordure fait presque couler la petite barque de Pierre. [19][61] Vous connaissez le distique :

O Monachi, vestri stomachi sunt amphora Bacchi,
Vos estis, Deus est testis, teterrima pestis
.} [20][62][63][64]

La nouvelle édition de l’Eusèbe de Scaliger n’est-elle pas achevée ? Est-ce vrai que mon nom est mentionné dans la préface de cette édition, comme me l’a écrit notre cher Utenbogard ? J’ignore ce que c’est, mais voudrais savoir qui est l’auteur de ladite préface. Si vous me l’apprenez, je vous en saurai profondément gré. [21][65][66][67] Dieu fasse aussi qu’on entreprenne une édition nouvelle des épîtres d’un si grand homme, mais augmentée ; ce qui peut facilement se faire, par l’addition de nombreuses lettres, dont j’ai moi aussi quelques-unes ici. [22][68] Vale et vive, et aimez celui qui vous aime de tout cœur en retour.

De Paris, ce vendredi 30e d’août 1658. Demain, j’entrerai dans ma 57e année.

Guy Patin.

Très distingué Monsieur, j’ai très récemment entendu dire que l’excellent Alexandre More, qui réside à Amsterdam, a jadis publié à Middelbourg un discours dont le titre est Sol et clypeus ; [23][69][70][71] je vous prie de me le faire parvenir.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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