< L. 535.
> À Charles Spon, le 27 août 1658 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Charles Spon, le 27 août 1658
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Le cardinal Mazarin [2] est toujours à Calais, [3] d’où il presse le siège de Gravelines. [4] Le fils de M. d’Aligre [5] (qui est aujourd’hui directeur des finances et ancien conseiller d’État, et fils du chancelier), [6] qui était capitaine, [7] et revenant de l’armée, à trois lieues de Paris, a voulu violer une fille de village, laquelle s’est défendue ; lui, outré du refus de cette fille, la blessa de son épée ; le monde vint au secours ; un paysan voulant chasser ce capitaine fut blessé ; mais aussitôt il ne manqua pas ce capitaine, à qui on fait le procès. [1][8] Le roi [9] a été le 15e de ce mois à la messe à Notre-Dame [10] où il a fait ses dévotions et delà, est revenu au Louvre [11] y toucher les malades d’écrouelles [12] pro more solito. [2] Je l’ai vu au bout du Pont-Neuf [13] comme il revenait de Notre-Dame dans son carrosse bien plein et bien accompagné. Il est fort bien fait, il me semble qu’il est tout à fait revenu de son mal. [3] Le même jour, nouvelles sont arrivées que le canon de Gravelines joue rudement sur nos gens ; il a emporté deux de nos capitaines qui en sont fort regrettés, savoir un lieutenant général de l’armée nommé de Varennes, [14] fort chéri du maréchal de Turenne, et le comte de Moret, [15] aimé du roi et du Mazarin, à qui l’on avait promis le gouvernement de Gravelines [16] après que nous l’aurions. [4] C’est un jeune gentilhomme fort beau et bien fait, fils du marquis de Vardes [17][18] et de la feu comtesse de Moret, [19][20][21] quæ olim fuerat amasia Henrici iv circa annum 1609. [5] C’est celle qui est appelée Casina dans l’Euphormion de Barclay, [22] où se lit le contrat de mariage d’un homme qui s’offre et s’oblige d’être cocu. [6][23] C’est celui à qui cette comtesse fut premièrement accordée en mariage, nommé le comte de Cézy, [24][25] de la famille du premier président de Harlay, [26] et qui fut tôt après envoyé ambassadeur à Constantinople. [27] Il fut démarié d’avec cette première femme et en épousa une autre dont il eut quelques enfants, dont il y en a eu un aumônier du roi, qui est aujourd’hui évêque en Languedoc depuis deux ans. [7][28] Je viens de lire quelque chose dans votre Sennertus, [29] j’en suis tout en colère : 1o pour la quantité de fautes qui s’y rencontrent ; 2o pour ce que le bonhomme était bien neuf et peu intelligent en pratique. Il n’entend rien en la saignée [30] des enfants ni des vieillards, [31] voyez ce qu’il en dit tome premier, page 616, initio col. 2. [8][32][33][34][35] Ce misérable exemple me fait pitié. Je pense que ce pauvre homme n’a jamais guère vu de malades et que nullus fuit in praxi, saltem admodum indiguit Delio Natatore. [9][36] Si l’on faisait ainsi à Paris, tous nos malades mourraient bien vite. Nous guérissons nos malades après 80 ans par la saignée, et saignons aussi fort heureusement les enfants de deux et trois mois sans aucun inconvénient ; j’en pourrais montrer vivants dans Paris, saignés dans ce bas âge, plus de deux cents. Je pense que les malades sont bien malheureux en Allemagne avec de tels médecins, qui n’ont que le nom de la qualité qu’ils portent et qui, n’entendant ni méthode, ni remède, cherchent des secrets de chimie [37] dans Paracelse [38] et dans Crollius, [39] qui ne furent jamais médecins. Il ne se passe jour à Paris que nous ne fassions saigner plusieurs enfants à la mamelle et plusieurs septuagénaires, qui singuli feliciter inde convalescunt. [10] Il n’y a point de femme à Paris qui ne veuille bien croire à la saignée et que son enfant soit saigné dans la fièvre à la petite vérole [40] ou à la rougeole, [41] ou aux dents, [42] ou aux convulsions, [43] tant elles en ont vu d’expériences, tant qu’elles sont. On fait ici des feux de joie sur la rivière vis-à-vis le Louvre pour la convalescence du roi, qui a vu aussi de ses propres yeux plusieurs autres réjouissances du peuple. Je viens d’apprendre que les médecins de Dijon voulaient, à l’imitation de Lyon, faire et dresser entre eux un Collège ; [44] mais qu’ils sont en procès, principalement pour la diversité de religion qui est entre eux. Il y en a là parmi eux un vieux, nommé Guiot, [45] qui a bon esprit et de qui j’ai vu quelque chose de bien fait. [11] Ceux de Rouen [46] sont bien d’accord ensemble, mais ils plaident rudement contre les apothicaires ; [47] ceux d’Amiens [48] contre leur Dourlens [49] et n’en font point la petite bouche : ils disent tout haut qu’ils le ruineront et n’ont point voulu entendre Vallot [50] qui leur en voulait parler pour les accorder ; ils se sont moqués de lui et de son autorité prétendue, et l’ont traité de façon dont il prétend être fort offensé d’eux et dit qu’il se vengera ; mais je pense qu’il a assez à faire à la cour, tant près du roi que de peur d’être chassé, de quo fuit quæstio, [12] et de travailler et poursuivre le paiement de ses gages, dont il se plaint fort. La cour est une belle putain qui a bien donné la vérole [51] à des gens. Aulica fortuna est splendida servitus plenissima calamitatis, laboris et miserarium ; paucos beavit aula, quos tandem perdidit. [13][52] Heureux qui n’est point attaché à cet écueil infâme de tant de naufrages : [53]
Je me tiens céans plus heureux avec mes livres et un peu de loisir que n’est le Mazarin avec tous ses écus et ses inquiétudes. Si panem et aquam habuero, de felicitate cum ipso Iove certare paratus sum ; [15][54] mais il faut de la santé ensuite, et un peu de loisir pour étudier et pour méditer la patience de Dieu sur les péchés des hommes, et considérer le trictrac [55] du monde aujourd’hui, [16] qui est autant fou que jamais. [56] Le roi alla sur les dix heures du matin, le 17e de ce mois, à Saint-Eustache [57] où il se fit enrôler et écrire sur le livre de la Sainte et Grande Confrérie, quænam autem illa sit nescio, etc. [17][58] Le soir sur les cinq heures, il partit pour s’en aller coucher à Essonnes, [59] et delà à Fontainebleau. [18][60] Son précepteur, M. l’évêque de Rodez, [61] a fait un vœu, pour sa convalescence d’aller à pied à Notre-Dame-des-Ardilliers ; [62] il est en chemin de revenir. Que dites-vous de ce vœu ? Sunt vota et somnia, imo sunt ludibria et figmenta. [19] Nouvelles sont arrivées que le marquis d’Uxelles [63] est mort de sa blessure à l’armée. Voilà une grande perte, il était le plus habile et le plus vaillant de tous nos capitaines ; on lui promettait le bâton de maréchal de France, qu’il avait mérité il y a longtemps. Il laisse deux fils [64][65] et est mort âgé de 38 ans, avec une maison fort incommodée pour le bien qu’il a dépensé au service du roi. [20] M. de Fabert, [66] maréchal de France et gouverneur de Sedan, [67] fuit olim typographus et est filius typographi Metensis, [21][68] mais on dit qu’il est excellent homme, tam belli quam pacis artibus. [22] Il a fort les bonnes grâces de Son Éminence et a eu autrefois celles du vieux d’Épernon [69] qui, étant gouverneur de Metz, [70] fit faire son père échevin [71] de la ville et a enrichi cette famille. Les libraires de Hollande ont tout fraîchement achevé d’imprimer l’Eusèbe de Scaliger [72][73] in‑fo, sur les corrections que l’auteur en avait laissées, et ce livre est tertia parte auctior, [23] dédiée à M. le président de Thou [74] d’aujourd’hui et de présent ambassadeur en Hollande, comme en 1606 il avait été dédié à M. de Thou, [75] président à mortier, son père. Je ne sais si les jésuites n’y trouveront point leur part, mais il y a bien du travail in canonibus isagogicis. [24] Il y a ici une plaisante querelle qui fait bien parler du monde. Les augustins du grand couvent, [76][77] au bout du Pont-Neuf, se battent et se chicanent cruellement les uns aux autres depuis quelques années ; tantôt un parti prévaut, tantôt l’autre ; le Conseil en a fait arrêter d’un côté à cause que le Parlement en avait fait emprisonner de l’autre parti, et jusqu’ici le Conseil a été le maître car ceux qu’il avait fait prendre dès le carême sont encore prisonniers, au grand regret du président de Mesmes [78] qui les portait extrêmement. La querelle s’est réchauffée de plus belle depuis quelques jours : requête présentée au Parlement, dont a été suivi arrêt qui leur a été signifié et auquel ils n’ont point voulu obéir. Imo, [25] ils se sont barricadés, ont fermé leur église, ont cessé leurs messes et prières et ont pris avec eux des séculiers pour se défendre en cas qu’ils fussent attaqués ou assaillis. Le Parlement n’en a point voulu avoir l’affront, il a été ordonné que par un derrière de leur maison serait faite une brèche, que plusieurs archers y entreraient bien armés et qu’ils se saisiraient de ceux qui feraient résistance aux ordres du Parlement. Ceux de dedans, voyant la brèche, se sont mis en défense. Il y a deux moines de tués et deux archers. Enfin, les moines se sont rendus, plusieurs ont été menés à la Conciergerie [79] avec les séculiers qui ont été trouvés là-dedans. [26] Et notez que la cause de tous ces débats sont le meum et tuum [27] de Platon : [80] ce n’est que pour le partage des deniers qui se reçoivent à la sacristie et à qui en aura de reste pour boire, pour jouer [81] et pour friponner. Voilà comment les moines se jouent du purgatoire [82] et de l’argent qui leur en revient. O speciosa fabula ! [28][83][84] Mais à propos de moines et de fripons, je vous prie de me dire deux choses : la première est que peut être devenu un certain Arnaud, [85] moine chimiste qui voulait autrefois écrire contre ma thèse de Sobrietate, [29][86] qui fut fait prisonnier à Turin, [87] et qui avait voulu autrefois être ministre à Genève ; la seconde est quand aurons-nous le Paracelse de Genève, [30] on nous a mandé qu’il est achevé, en avez-vous à Lyon, combien y a-t-il de volumes ? Et hoc unum nobis deerat ad felicitatem sæculi [31] que Paracelse fût imprimé de notre temps afin que ce prince des charlatans et effronté imposteur en produise d’autres de nouveau, comme s’il n’en était pas assez partout et que quelque canton du royaume en pût manquer. Quis enim non vicus abundat tristibus illis et obscænis nebulonibus ac ciniflonibus qui carbonum suorum fœtore omnes inficiunt ? [32][88] Et le monde est si sot qu’il se fie à leurs impostures. Un certain misérable serpent nommé Madelain [89] ex agro Turonensi, [33] qui a été valet de feu M. Moreau, [90] qui nunc agit lenoniam cum uxore [34] et se dit médecin de Montpellier [91] (c’est la sauce sans laquelle le poisson ne se mangerait point), vendit l’autre jour des pilules [92] et des tablettes à un fripier qui était riche ; il était sujet à des convulsions épileptiques pour aller tous les jours au cabaret ; la femme du fripier, qui était sujette à un mal de tête, prit du même remède, croyant qu’il lui serait fort bon ; voyant que le charlatan en recevait 3 pistoles, le mari en perdit l’esprit et en mourut au bout de 8 jours, fou et insensé, après plusieurs évacuations par haut et par bas ; et la femme en est morte 22 jours après, avec un vomissement perpétuel qui ne l’a jamais quittée jusqu’à la mort. Vous ne doutez point qu’il n’y ait là de ce bon et précieux remède que Guénault [93] appelle de l’antimoine ; [94] mais bien plutôt, où est la justice de Dieu et des hommes ? Il n’en est plus. [95] Il est mort un fort homme de bien à Paris, âgé de 40 ans, c’est le chevalier Molé, [97] fils du défunt garde des sceaux [98] de France. Ces chevaliers de Malte [99] sont gens fort simples, fort innocents et fort chrétiens, gens qui n’ont rien de bon que l’appétit, cadets de bonne maison qui ne veulent rien savoir, rien valoir, mais qui voudraient bien tout avoir ; au reste, gens de bien et d’honneur, moines d’épée qui ont fait trois vœux, de pauvreté, de chasteté et d’obédience. Pauvreté au lit, ils couchent tout nus et n’ont qu’une chemise à leur dos. Chasteté à l’église, où ils ne baisent point les femmes. Leur troisième vœu est l’obéissance à table : quand on les prie d’y faire bonne chère, ils le souffrent, ils mangent, après qu’ils sont saouls, [36] d’une cuisse de perdrix, puis du biscuit, en buvant par-dessus du vin d’Espagne, [100] du rossolis [101] et du populo, [37][102] avec des confitures ou de la pâte de Gênes. [38][103] Et tout cela par obéissance, O sanctas gentes ! etc. [39][104] Ce bon chevalier laisse deux frères : l’un, M. Molé de Champlâtreux, [105]président à mortier, et l’autre, M. de Sainte-Croix Molé, maître des requêtes. [40][106] Vale et me ama, tuus ex animo. [41] De Paris, ce 27e d’août 1658. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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