À Charles Spon, le 27 août 1658, note 8.
Note [8]

« en haut de la 2e colonne. »

Dans le dédale des rééditions lyonnaises alors disponibles (1654 et 1656) du Sennertus, c’est-à-dire des Opera [Œuvres (complètes)] de Daniel Sennert (v. note [33], lettre 285), il devait exister un tome premier contenant plus de 616 pages, mais je n’ai pas su le trouver. Toutefois, par heureuse coïncidence, ce numéro de page existe dans une réimpression ultérieure (Lyon, 1666, v. note [3], lettre 819) et le lecteur voudra bien me pardonner cet anachronisme bibliographique. Ce qui mettait Guy Patin « tout en colère » était sans aucun doute le paragraphe intitulé De venæ sectione in Infantibus et Senib. Zacutus Lusitanus [Zacutus Lusitanus sur la phlébotomie chez les enfants et les vieillards], dans le chapitre xvii (De venæ Sectione [La Phlébotomie]), section i (De Indicatione præservatoria [L’Indication préventive]), partie ii (De Methodo medendi [La Méthode pour remédier]) du livre v (De Therapeutica [La Thérapeutique]) des Institutiones Medicæ [Institutions de médecine] :

Quod ætas puerilis et senilis, ob debilitatem virium, venæ sectionem non admittat, apud Medicos plerosque in confesso est : aliqui tamen audaciores etiam in his ætatibus venas aperiunt, ut supra dictum. Inter eos non immerito numeratur Zacutus Lusitanus, qui non solum, in Prax. Med. Admir. lib. 3. observ. 3. refert, se puello quadrimo, febre calidissima laboranti, sanguineo, eadem die bis venam aperuisse, et postea adhuc quinquies sanginem emisisse, et puerum onere sanguinis levatum septimo die sudore iudicatum fuisse ; et ibid. observ. 5. scribit, se sæpius venæ sectionem in senibus adhibuisse, in octogenariis multoties, in ætate 85. annorum septies, in nonagenariis bis solum ; sed et de Med. Princ. histor. lib. 1. histor. 80. q. 47. prolixe probare conatur, quod etiam infantibus duos annos natis, imo septimo sextove mense, vena aperiri tuto possit : et Medicos Septentrionales oscitantiæ arguit, quod in mittendo sanguine in pueris ante 14. annuum adeo timidi sint, et plures ægrorum acutis morbis correptos perire sinant, qui sanguinis missone servari potuerint. Et in specie Hamburegenses Medicos reprehendit, qui sancita veluti lege caveant, ne ante annum ætatis nonum vena aperiatur ; cum sine venæ sectione etiam minoris ætatis pueri in inflammationibus internis, et acutissimis morbis servari non possint. Imprimis vero eos taxat, qui in adultis in sanguine mittendo sunt timidiores, et inter eos, Medicos in Septentrionalibus locis medicinam facientes ; et quidem ea de caussa, quod homines in istis regionibus sunt robustissimi, sanguinei, rubicundi, quippe qui victu utantur valentissimo, carnibus avide nutrientibus, et similibus, et cervisiam sanguini generando satis aptam copiosus bibant. […]

Responsio ad obiectionem Zacuti de venæ s. in Septentrionalibus

Quod vero Zacutus Medicos Septentrionales reprehendit, quod in mittendo sanguine parciores et minus audaces sint, id sine caussa facit. Nam cum, ut ipse ait, differat pro natura locorum medicina, et aliud sit Romæ, aliud in Ægypto, aliud in Gallia medicinam facere : omnino, quod licet in venæ sectione in Italia, Hispania, Ægypro, India ; non licet in Germania, et præcipue locis magis septentrionalibus. […]

Præterea cum Septentionales plerumque sunt carnosi, maxima pars sanguinis in carnes absumitur : contra qui in calidis regionibus habitant, plerumque minus sunt carnosi ; propterea plus sanguinis in venis colligunt. Cum ergo in iis, qui in regionibus calidis habitant, sanguis et copiosus et calidus, ac spirituosus, imo nec tam copiosus est, imitari tutum non est. Et experientia testatur, quam faile multi in hisce regionibus, qui etiam videntur robustissimi, si sanguis paulo copiosus emittatur, animo linquantur, vel etiam in alium morbum incidant. Memini, cum adhuc Studiosus, Medicinæ operam darem, Medicum quendam, qui ex Italia nuper huc venerat, cuidam Studioso, civi meo, pleuritide laboranti, non semel, sed aliquoties venam aperuisse, et sanguinem satis copiose emisisse. Unde factum, ut æger quidem pleuritide liberatus fuerit, palo post vero, hepate ob sanguinis nimiam evacuationem, valde refrigerato, in hydropem inciderit : quo et obiit.

[De nombreux médecins croient que les enfants et les vieillards ne tolèrent par la phlébotomie, en raison de leur faible résistance. Toutefois, certains audacieux ouvrent les veines même à ces âges, comme je l’ai dit plus haut. Parmi eux, il n’est pas injustifié de nommer Zacutus Lusitanus qui rapporte non seulement, en sa Praxis medica admiranda (livre 3, observation 3), {a} qu’il a ouvert les veines deux fois le même jour chez un petit garçon de tempérament sanguin, âgé de quatre ans, qui souffrait d’une fièvre très ardente, puis qu’il l’a encore saigné cinq autres fois, et qu’au septième jour, une fois l’enfant délivré de sa surcharge de sang, son mal s’est conclu par une suée ; mais il écrit aussi, ibid. observation 5, qu’il a très souvent prescrit la phlébotomie à des vieillards, maintes fois chez des octogénaires, dont sept fois à l’âge de 85 ans, mais seulement deux fois à des nonagénaires ; et aussi, en ses Medicorum principum Historiæ (livre 1, histoire 80, question 47), il entreprend de prouver longuement que, même chez des enfants de deux ans, voire de six ou sept mois, il a pu ouvrir les veines sans danger ; et il accuse les médecins septentrionaux de nonchalance pour leur timidité à saigner les enfants avant l’âge de 14 ans, si grande qu’ils laissent périr beaucoup de ceux qui sont atteints de maladies aiguës, quand ils auraient pu être secourus par la phlébotomie. Il s’en prend tout particulièrement aux médecins de Hambourg qui se gardent d’ouvrir les veines avant l’âge de neuf ans, comme si la loi l’interdisait, étant donné que, sans phlébotomie, même les enfants en bas âge ne pourraient être sauvés en cas d’inflammation {b} interne et de maladies suraiguës. En vérité, il blâme surtout ceux qui montrent trop de crainte à saigner les adultes et, parmi eux, les médecins qui exercent la médecine dans les pays du nord ; et ce pour la raison, bien sûr, que les hommes de ces contrées sont extrêmement robustes, sanguins, rubiconds, car ils se nourrissent très richement, étant fort friands de viandes et autres mets semblables, et consomment de grandes quantités de bière, qui est une boisson apte à engendrer le sang. (…)

Réponse à l’objection de Zacutus sur la phlébotomie chez les Septentrionaux.

Ce n’est pas sans raison que Zacutus reproche aux médecins septentrionaux d’être fort parcimonieux et de manquer d’audace dans le recours à la saignée, car, comme il dit lui-même, les remèdes diffèrent selon la nature des lieux, et la médecine s’exerce différemment à Rome, en Égypte, en France : en somme, ce qui permet la phlébotomie en Italie, en Espagne, en Égypte, en Inde, ne la permet pas en Allemagne, ni plus géralement dans les pays nordiques. (…)

En outre, puisque les Septentrionaux sont habituellement corpulents, la plus grande partie de leur sang est absorbée dans les chairs ; au contraire, ceux qui habitent dans les régions chaudes sont ordinairement moins charnus et ont en conséquence plus de sang dans les veines. Puisque donc, chez ceux qui habitent dans les régions chaudes, le sang des veines est abondant, chaud et spiritueux, il est permis de les saigner fort libéralement ; ce qu’il n’est pas prudent d’imiter chez les Septentrionaux dont le sang est plus froid et moins spiritueux, et surtout n’est pas aussi abondant. Et l’expérience atteste à quel point beaucoup de ceux-là, qui pourtant paraissent très robustes, rendent l’âme ou tombent aisément en une autre maladie si on les saigne, même en petite quantité. Je me souviens, alors que j’étudiais encore la médecine, d’un médecin récemment arrivé là {c} d’Italie qui avait prescrit non pas une, mais plusieurs saignées, et assez copieuses, à un étudiant de mes collègues qui souffrait de pleurésie. Cela fait, le malade guérit tout à fait de sa pleurésie ; mais peu après, le foie ayant été fort refroidi par la trop grande évacuation de sang, il tomba en hydropisie et en mourut].


  1. V. note [7], lettre 68, pour Abraham Zacutus Lusitanus, médecin portugais d’Amsterdam mort en 1642, et ses deux ouvrages que Sennert citait dans ce passage : la « Pratique médicale admirable » et ses six livres d’« Observations médicales des principaux médecins ».

  2. V. note [6], lettre latine 412.

  3. À Wittemberg, en Saxe (v. note [22], lettre 104), où Sennert avait étudié puis professé la médecine.

Ces propos se lisent à l’identique dans l’édition des Opera de Sennert parue à Lyon en 1650 (tome premier, pages 718‑719). Pourtant, ils ne figurent pas dans l’édition que Patin a donnée de ce chapitre (Paris, 1641, tome premier, pages 709‑715 ; impression entamée en novembre 1638, v. note [12], lettre 44) ; on ne peut cependant pas l’accuser de censure puisqu’ils ne figurent pas non plus dans ce même chapitre des Institutionum Medicinæ libri v. Authore Daniele Sennerto… Ultimum aucti, recogniti, iamque ter editi in Germania, nunc primum in Gallia [Cinq livres des Institutions médicales. Par Daniel Sennert… Augmentés pour la dernière fois, revus et déjà publiés trois fois en Allemagne, mais pour la première fois en France] (Paris, sans nom, 1632, in‑4o, pages 1041‑1054), qui était la dernière édition dont Patin avait pu se servir pour établir la sienne. Cette discussion oiseuse à propos de Zacutus ne se trouvant pas non plus dans l’édition publiée l’année même où mourut Sennert (Venise, Franciscus Baba, 1641, in‑fo, pages 441‑446), elle est à considérer comme une addition posthume. Patin pouvait donc légitimement en contester l’authenticité, et ce d’autant plus vigoureusement que sa teneur lui déplaisait : comme il l’a écrit plusieurs fois, il n’admettait pas la méfiance des médecins du nord de l’Europe à l’encontre de la saignée.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 27 août 1658, note 8.

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(Consulté le 19/03/2024)

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