Ces deux assertions montrent bien que le mot fièvre était à l’époque synonyme d’inflammation locale, avec retentissement général.
Réaction d’un tissu, d’un organe ou d’un organisme vivant à une agression, quelle qu’en soit la nature (traumatique, infectieuse, immune, chimique…), l’inflammation se définissait déjà par la tétrade (ou signes cardinaux) de Celse (De Medicina [La Médecine], livre iii, chapitre x, édition de Johannes Antonides Vander Linden, Leyde, 1657 [v. note [20], lettre de Charles Spon, datée du 28 août 1657], page 139, lignes 12‑14) :
Notæ vero inflammationis sunt quatuor, rubor, et tumor, cum calore, et dolore.
[En vérité, l’inflammation se manifeste par quatre signes : rougeur, tuméfaction, chaleur et douleur].
La longue définition donnée par Thomas Corneille explique ce qu’on pensait exactement de cette notion centrale de la pathologie au xviie s. après la découverte de la circulation sanguine :
« Tumeur produite par le sang qui, abordant incessamment sans s’écouler à proportion, s’arrête dans quelque partie où il se ramasse. Ainsi la cause prochaine de toutes les inflammations est le sang qui déborde parce que son retour est empêché. Supposé, par exemple, qu’à chaque battement du cœur, il arrive une demi-drachme de sang à chaque partie, d’où il n’en revienne qu’un scrupule, il en reste demi-scrupule qui déborde, {a} et à chaque pulsation la quantité du sang s’augmentant toujours, produit nécessairement une inflammation. Comme le sang qui cause l’inflammation est rouge et chaud, il faut que la partie soit de même chaude et rouge, et le sang venant toujours sans s’en retourner, la partie se distend, et la douleur suit la distension. L’épaisseur et la coagulation du sang sont pour l’ordinaire les causes universelles des inflammations. Les signes sont la tumeur, la rougeur, la chaleur et la douleur. L’inflammation en général se dissipe, ou suppure, ou dégénère en squirre ou en gangrène. {b} La dissipation {c} est la meilleure manière et, aprés elle, la suppuration lors que l’inflammation se change en abcès. {d} L’inflammation où l’acide abonde et prédomine, et qui dégénère en squirre, est mauvaise, à cause de la tumeur qui est opiniâtre et que l’on ne peut guérir que très difficilement. La plus dangereuse de toutes est celle qui arrive par le mouvement du sang absolument arrêté dans la partie, et qui dégénère en gangrène.
La décoction de l’herbe ou de la racine de chiendent est salutaire dans l’inflammation de la luette, pour laquelle le chènevis légèrement cuit dans de l’oxycrat est un très bon gargarisme. {e}
L’inflammation du ventricule {f} a les mêmes causes que les autres inflammations en général, et surtout les choses âcres ou viciées qu’on avale. Elle est accompagnée de symptômes très violents, ce qui la rend un mal terrible, fort aigu et souvent désesperé quand, dans le commencement, les forces sont abbatues.
L’inflammation des intestins a du rapport à celle du ventricule. Outre les causes communes qui les enflamment, ils sont enflammés tantost par le miséréré, tantôt par une hernie, et tantôt par une contusion externe. {g} Cette inflammation se connaît en ce qu’on apperçoit au lieu enflammé une tumeur ronde et résistante, à cause que les intestins paraissent entortillés et durs comme une corde. On sent une douleur véhémente au même endroit. Le ventre est non seulement constipé, mais encore souvent retiré. On rejette la matière fécale par la bouche {h} comme dans le miséréré ; la fièvre est aiguë et les tranchées des intestins {i} vont en montant. Les symptômes sont plus doux quand l’inflammation est aux gros intestins ; mais ils sont plus grands et plus dangereux quand ce sont les intestins grêles qui sont affligés, et alors la douleur et la chaleur occupent le milieu du ventre.
L’inflammation du fondement est causée par une violente percussion d’une cause externe, ou par l’irritation des choses poivrées ou vitriolées qu’on y applique. Les hémorroïdes {j} supprimées produisent aussi fort souvent l’inflammation dans l’intestin rectum ou au fondement. Cette inflammation se connaît par la douleur avec pulsation, à cause des artères hémorroïdales et du mouvement du sang répercuté qui excite ce sentiment. La pulsation est tantôt lente et obscure, quand l’inflammation est interne, et tantôt sensible au doigt qu’on applique extérieurement ou avec lequel on presse l’anus.
Le mésentère {k} est bien plus sujet aux inflammations que les autres parties, à cause qu’il a une infinité de vaisseaux qui portent le sang, et un nombre prodigieux de petites glandes. Il s’enflamme quelquefois seul, et quelquefois les intestins s’enflamment aussi. La dysenterie et la hernie en sont les deux causes principales. Dans cette inflammation, on sent un poids à l’abdomen. La chaleur occupe le nombril et la poitrine, quand le malade se tourne, et il y a une douleur avec pulsation enfoncée dans l’abdomen, et une espèce de tension au-dessous du ventricule au fond de l’abdomen sans beaucoup de dureté. Dans l’inflammation du nombril, la tumeur est moins enfoncée, et la fièvre qui s’y joint est différente selon la diversité de la partie enflammée.
Il n’y a point d’inflammations plus fréquentes que celles dont les parties internes de la poitrine sont affligées. Elles viennent toutes d’une certaine acidité du sang, et sont comprises sous le nom général de pleuro-pneumonie, qui prend divers noms ensuite. L’inflammation des poumons, c’est-à-dire des deux lobes, est ce qu’on appelle péripneumonie ; et s’il n’y a que la moitié du poumon qui soit enflammée, on la nomme pleuresie. {l}
L’inflammation du foie s’appelle hépatite, et celle des reins néphrétique. L’inflammation de la vessie urinaire, a rarement des causes internes, mais les externes sont très fréquentes. Ce sont les contusions et les coups violents reçus à la région du pubis. Elle succède particulièrement à la taille de la pierre mal faite ou mal traitée. Les signes sont l’ardeur, la tumeur et la douleur, à la region du pubis et de la vessie, qui s’augmentent par le moindre attouchement. On la connaît encore par la suppression d’urine dans la vessie {m}, par la fièvre aiguë qui a plus ou moins de violence suivant l’inflammation, par les insomnies et par les délires. Cette inflammation est rare à cause que la vessie a des vaisseaux fort déliés ; mais elle est si dangereuse que les malades en meurent souvent le quatrième ou le septième jour.
L’inflammation des membranes du cerveau est appellée frénésie {n} par les modernes, et l’inflammation des yeux, ophtalmie. Il y a aussi une inflammation des oreilles, qui vient quelquefois d’elle-même par une cause interne. Elle produit une ardeur extrême dans l’oreille, et une douleur véhémente et continue avec pulsation. Souvent on y remarque de la rougeur au dehors, selon que l’inflammation est plus ou moins profonde. Elle s’étend jusqu’aux joues et aux tempes quand elle est grande, et plus elle est enfoncée, plus la pulsation est vive aussi bien que la douleur. Alors la fièvre, le délire, et même les mouvements convulsifs surviennent. Cette inflammation se dissipe, ou dégénère en abcès qui laisse après soi un ulcère. Bartholin rapporte une chose fort extraordinaire d’un abcès à l’oreille : il en sortit une dent avec le pus sans qu’il en manquât aucune à la mâchoire. Horstius parle d’un abcès d’oreille qui causa la migraine.
Les inflammations érysipélateuses {o} viennent d’un acide occulte mêlé avec le sang même sans excès, qui fait que le sang se grumelle, soit que la lymphe trop acide, soit que quelque autre chose d’externe le lui communique. »
- La drachme (environ 4 grammes) contenait trois scrupules.
- V. notes [19], lettre 436, pour le squirre, et [17], lettre 41, pour la gangrène.
- Dissipation : « perte ou déperdition insensible qui se fait des petites parties d’une chose ; c’est l’écoulement par lequel elles se détachent et se perdent » (Trévoux).
- V. note [14], lettre 13.
- La description des inflammations locales commence par celle de l’angine (pharyngite) : v. notes [2] de la Consultation 4, pour le chiendent, [9], lettre 353, pour le chènevis, dérivé du chanvre (cannabis), et [2], lettre 427, pour le vinaigre oxycrat.
- Estomac.
- V. note [5], lettre de Charles Spon datée du 6 avril 1657, pour le misérés ou occlusion intestinale aiguë, dont l’étranglement des hernies est une des causes.
- Vomissements fécaloïdes (et non fécaux, à proprement parler), caractéristiques du stade tardif des occlusions intestinales.
- V. note [2], lettre 267.
- V. note [11], lettre 253
- V. note [4], lettre 69.
- Définition contestable, mais admissible si on y entend que l’épanchement de liquide inflammatoire dans la plèvre est l’effet d’une pneumonie sous-jacente, généralement unilatérale. Quoi qu’il en soit, c’est de loin l’inflammation la plus souvent mentionnée par Guy Patin.
- V. note [10], lettre 209, pour la suppression des urines, dont l’absence dans la vessie est la marque d’une anurie ou, plus rarement, d’une occlusion des voies urinaires hautes, dans le cas où un seul rein fonctionne.
- Les méningites graves sont une des causes de ce qu’on appelait la frénésie (v. note [34], lettre 216).
- V. note [16], lettre 41.
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