< L. latine 228.
> À Sebastian Scheffer, le 24 février 1663 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Sebastian Scheffer, le 24 février 1663
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[Ms BIU Santé no 2007, fo 136 ro | LAT | IMG] Au très distingué M. Sebastian Scheffer, docteur en médecine à Francfort. Très distingué Monsieur, [a][1] J’ai reçu avec grande joie votre lettre datée de Francfort le 18e d’octobre de l’an passé ; mais j’ignore pourquoi elle ne m’est pas parvenue plus vite. M. Euchs [2] me l’a remise, à qui j’ai remboursé les frais de port, bien que presque 4 mois se soient écoulés depuis ; je me réjouis pourtant qu’elle me soit enfin arrivée et m’ait assuré du bon et heureux état de vos affaires. [1] Je me désole fort que ma lettre ne soit pas parvenue à M. Lotich, [3] et me résigne à contrecœur à sa perte, sans pourtant pouvoir deviner qui en est responsable. Si M. Lotich a besoin d’une autre lettre qui contienne la même chose que ce que je lui avais écrit l’an passé au mois de juillet, je la lui enverrai sans peine ; [2] mais en attendant, vous saluerez ce grand homme de ma part et lui ferez savoir qu’en raison de la dureté des temps, même depuis la paix conclue, [4] il n’y absolument aucun espoir de promouvoir ici l’édition de son Pétrone ; [5] dureté qui demeure chez nous extrême en raison du prix déraisonnable du papier et de l’abondance de moines qui alourdissent dangereusement la petite barque de Pierre ; [3][6][7] et je ne pense pas qu’il y ait en toute la France une ville qui puisse prendre soin d’imprimer un si gros ouvrage ; sinon, cela pourra peut-être se faire à Genève. Je salue votre très chère épouse, [8] puisse Dieu faire prospérer votre mariage, et le rendre heureux et fécond. N’allez pas vous mettre en peine pour les opuscules de Caspar Hofmann, [9] sauf si vous avez le loisir de vous en occuper. Je vous remercie de bien vouloir songer durant vos heures perdues à une nouvelle édition de votre Introductio ad artem medicam. [4] J’ai moi-même remis votre lettre pour M. Mocquillon à M. Breteau, [10] qui est le père de son épouse ; [11] il m’en a promis une réponse que je vous enverrai s’il me l’apporte. Je n’ai pas encore reçu l’Historia de Vorburg ; [5][12][13] je l’espère pourtant dans les prochains jours car les frères Tournes [14] m’ont fait savoir qu’elle a été expédiée de Francfort à Genève, puis de Genève à Lyon, où j’ai écrit à un ami qui l’avait reçue d’eux pour qu’il me l’envoie à Paris, comme il fera sans aucun doute ; je l’espère donc avant le 20e de mars. Mais en attendant et [Ms BIU Santé no 2007, fo 136 vo | LAT | IMG] quoi qu’il en advienne, saluez de ma part ce très illustre auteur qui a voulu me gratifier d’un si volumineux, rare et singulier présent ; je lui écrirai pour lui témoigner ma gratitude aussitôt que je l’aurai reçu. J’aurais certes dû lui adresser mes remerciements bien plus tôt, mais n’avais pas osé le faire car, n’en ayant pas encore reçu l’avis, je n’avais pas pris la mesure de son opulent cadeau ; néanmoins, vous lui transmettrez ma reconnaissance et ma volonté de lui rendre la pareille, c’est-à-dire tout ce qu’il pourra attendre de moi, venant de cette ville, à titre de revanche. Mais dites-moi, je vous prie, qui est ce Vorburg : est-il vieux, est-il marié, qui m’en a fait un ami ? N’est-ce pas vous, comme je pense ? La lenteur que de tels livres mettent à nous parvenir ne me surprend guère : les causes en sont la longueur du voyage et tant de difficultés qu’il n’est pas facile de surmonter. Si au printemps prochain les frères Tournes sont aux foires de Francfort, portez-leur tout ce que vous aurez à m’envoyer, et cela finira sûrement par me parvenir. Je vous enverrai aisément mes lettres par nos marchands ; de votre côté, vous pourrez m’écrire par M. Öchs, par Sebastian Switzer ou par un autre de ses commis, [6][15][16] qui viennent chez nous deux ou trois fois l’an pour y commercer. J’ai ici cette Ampelographia de Philipp Jakob Sachs : [17] je ne m’étonne pas de ces nouveautés chimiques et ne m’y arrête guère ; je m’étonne seulement et m’indigne même profondément quod homines eruditi, canoris illis nugis tantopere delutentur ; [7][18][19] mais je pardonne volontiers à ceux qui ne perçoivent pas la vérité, la certitude et le mérite de la doctrine hippocratique et de la méthode galénique. [20][21] Ne cherchez pas plus longtemps la thèse du très distingué M. Conring de Scorbuto : [8][22][23] un médecin allemand me l’a promise. Pour votre graveur qui songe à rééditer les Elogia de Jean-Jacques Boissard, [9][24] saluez-le, s’il vous plaît, en mon nom le plus obligeamment que vous pourrez ; je voudrais que vous lui offriez de ma part tout ce qu’il pourra [Ms BIU Santé no 2007, fo 137 ro | LAT | IMG] souhaiter de moi venant de Paris : mon portrait en tout premier ; et même, s’il veut, je lui fournirai mon éloge, afin que d’autres ne se trompent pas en le faisant ; je l’ai ici, préparé naguère par un de mes savants auditeurs. Je vous enverrai mon portrait imprimé sur papier, [25] ainsi que gravé sur métal, battu en argent et en or il y a 12 ans, quand j’étais doyen de notre Faculté. [10][26][27] Mais indiquez-moi, je vous prie, qui sera ce graveur, et s’il joindra des portraits aux éloges des hommes illustres, ou plutôt des éloges aux portraits, comme avait fait jadis Boissard en divers tomes, et si ce qu’il nous donnera sera en plusieurs volumes. Combien y a-t-il aujourd’hui de tomes de ces Elogia et Imagines Virorum Illustrium ? Combien y en aura-t-il à l’avenir ? Je pourrais aussi, pour ce projet, vous envoyer bien d’autres portraits, comme ceux des deux Riolan, [28][29] de Jacques Cousinot l’ancien, [30] dont le fils a été professeur royal et premier médecin de notre roi très-chrétien, [31] de René Moreau, [32] de Jean de Renou, [33] de Guillaume de Baillou, [34] de Jacques Mentel, [35] et d’autres encore. Indiquez-moi, je vous prie, ce que vous voulez là-dessus, et ce que vous pensez que je doive faire. Aujourd’hui, 14e de février, M. Jean Merlet, [36] plus ancien maître de notre Compagnie, [37] a été inhumé ; un catarrhe suffocant l’a étouffé en deux jours dans sa 82e année d’âge. [38] Il a été enterré en grande pompe, suivant notre coutume, dans l’église Saint-Jacques-de-la-Boucherie, [39] où de grands hommes de jadis gisent et reposent dans la paix du Seigneur : Jean Fernel, [40] dont on ne doit jamais parler sans louange, Jean Tagault et Jean Haultin ; [41][42] le premier des deux a écrit une Chirurgie, [11] mais le second a laissé des commentaires et des observations choisies sur le livre de Houllier de Morbis internis ; on imprime aujourd’hui cet ouvrage in‑fo et il sera achevé dans six mois. [12][43] À la sortie de l’église, après les funérailles, j’ai rencontré cet homme qui avait reçu mes lettres pour les envoyer à M. Granel ; [44][45] l’une vous était destinée, et l’autre à M. Lotich. Il m’a affirmé et solennellement promis que M. Granel avait reçu ce paquet, comme il le lui avait confirmé par un courrier. Il vous appartiendra de m’indiquer si cela est vrai, comme je le souhaite ardemment, et si vous et M. Lotich avez reçu vos lettres. [13] Si vous connaissez un gentilhomme allemand nommé M. Pentz von Pentzenau, [46] saluez-le s’il vous plaît de ma part ; il est revenu dans votre pays après avoir ici réglé des affaires pour un prince d’Allemagne, de la famille de Nassau. Je ne veux pas omettre de vous dire que 42 docteurs, vêtus de la toge pourpre, ont assisté aux funérailles de M. Merlet ; beaucoup d’autres en habit de deuil suivaient en grande procession ; ce qui ne s’est peut-être jamais fait pour quiconque et je suppute que c’est une rare sorte de félicité, qui pourtant est de grande importance, et relève plutôt de la coutume que de l’événement. Je dirai avec Martial : Si post fata venit gloria, non propero. [14][47] Je salue monsieur votre vénérable père, [48] votre très douce épouse et M. Mocquillon, à qui vous confierez les lettres qu’il doit nous remettre quand il reviendra à Paris. Je salue de tout cœur le P. Gamans, ce révérend jésuite. [15][49] Le P. Philippe Labbe [50] mentionne beaucoup de livres qui n’ont pas encore vu le jour ; il n’a publié aucun ouvrage sur la médecine ; maintenant, il se consacre entièrement à promouvoir une nouvelle édition de tous les conciles, qui contiendra 15 tomes ; [16] quand il l’aura achevée, il songe à mettre au jour de nombreux manuscrits. Ce père Labbe est un homme très savant ; il porte certes l’habit jésuite, et en a même l’esprit, le style et la plume, mais pour le reste, c’est un excellent homme, honnête et parfaitement digne d’amitié, et je ne fuis [Ms BIU Santé no 2007, fo 137 vo | LAT | IMG] jamais sa conversation, n’en connaissant guère de meilleure et de plus savante. Il y a eu ici grande rumeur d’une guerre à engager contre le pape, [51] pour venger une insulte que des neveux du pape ont faite à notre ambassadeur, M. de Créqui ; [52] mais toute cette affaire est obscure ; hormis le roi, [53] nul mortel ne saurait pénétrer un tel mystère et un si grand secret. [17] M. Nicolas Fouquet, [54] autrefois notre surintendant des finances, est encore détenu dans les prisons du roi avec quelques partisans qui ont jadis misérablement tondu la France tout entière, sur l’ordre de Mazarin, [55] vaurien empourpré et immense pillard, et de concert avec lui. La nouvelle édition des œuvres complètes de Cardan paraîtra à Lyon le mois prochain. [56] M. Vander Linden [57] prépare un nouvel Hippocrate, grec et latin. [18][58] Nous attendons ici de Hollande quelque chose de Sternuatione, de Fermento et Fermentatione, de Cervisia, etc. ; [19][59][60][61][62] et d’Angleterre, le mois prochain, le Diogène Laërce [63] avec les notes de Henri Estienne, [64] Casaubon, [65] Aldobrandi, [66] Ménage [67] et d’autres, ainsi que le livre de Samuel Bochart, pasteur de Caen, de Animantibus sacræ Scripturæ, qu’on attend depuis longtemps. [20][68] Une rumeur incertaine annonce que le roi d’Espagne va mourir dans peu de temps ; [69] on en déduit que notre roi se prépare à la guerre en Italie, non tant contre le Jupiter capitolin que pour reprendre le duché de Milan, [70][71] sur lequel la Couronne de France a des droits depuis Louis xii, roi des Français, le meilleur de tous les bons princes. [21][72] Vale et continuez de m’aimer comme vous faites. De Paris, ce samedi 24e de février 1663. Vôtre de tout cœur, G.P. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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