Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 3, note 10.
Note [10]

Carême (Furetière) :

« Temps de pénitence où l’on jeûne 40 jours pour se préparer à célébrer la fête de Pâques. Il faut faire une dette payable à Pâques pour trouver le carême court. Les anciens Latins faisaient trois carêmes : le grand, devant Pâques ; l’autre, devant Noël, qu’on appelait de la Saint-Martin ; et l’autre, de Saint-Jean-Baptiste ; {a} tous trois de quarante jours. Les Grecs en observaient quatre, qu’ils nommaient de Pâques, des Apôtres, de l’Assomption et de Noël. Les jacobites en font un cinquième, qu’ils appellent de la pénitence de Ninive ; les chaldéens et les nestoriens, de même. Les maronites en font six, y ajoutant celui de l’Exaltation de la sainte Croix. Les arméniens en font huit de différente durée. {b} Le carême est bas, quand il commence en février, et il est haut, quand il commence en mars. La mi-carême est une fête où les harengères se réjouissent : c’est le jeudi qui est au milieu du carême. Faire le carême, c’est observer les règles du jeûne ; rompre le carême, c’est y contrevenir, manger gras. On dit qu’on fait faire un long carême à quelqu’un quand on l’a longtemps privé de quelque chose qu’il aimait bien. On appelle fruits de carême, les fruits secs et réservés pour le carême, comme raisins, figues, pruneaux, brignoles, {c} etc. ; viandes de carême, le poisson et tous les autres mets, à la réserve de la chair. Ce mot vient de quadragesima. » {d}


  1. Ou Saint-Jean, le 24 juin.

  2. Contrairement à toutes ces catégories de chrétiens, les protestants ne respectent pas le jeûne de carême.

  3. Les catholiques laïcs n’observaient ordinairement que le carême de Pâques.

  4. Pruneaux de Brignoles, v. note [7], lettre 336.

  5. Espace de 40 jours en latin.

Gabriel Naudé se référait à trois auteurs qui ont écrit sur le jeûne du carême.

  1. L’impétueux Tertullien (v. note [9], lettre 119) a écrit un livre De jejunio adversus psychicos [Du Jeûne, contre les psychiques]. Nicolas Rigault l’a intitulé De Ieiuniis [Des Jeûnes] (pages 700‑714) dans son édition des Opera Tertulliani [Œuvres de Tertullien] (Paris, 1641, v. note [13], lettre 195).

    Par dénigrement, Tertullien appelait les chrétiens psychiques (soumis à leurs propres impulsions), après qu’il eut abandonné leur foi pour adhérer à l’hérésie montanistes {a} (pneumatiques, soumis aux impulsions de l’Esprit) qui prônaient, bien avant l’institution du carême chrétien, des jeûnes extrêmement fréquents et rigoureux (chapitre ii) :

    « Quant aux xérophagies, {b} c’est pour eux {c} un nom tout nouveau qui désigne je ne sais quel devoir chimérique, on plutôt quelque superstition voisine des superstitions païennes, comme qui dirait les abstinences et les purifications par lesquelles on célèbre les fêtes d’Apis, d’Isis et de Cybèle, {d} mère des dieux ; tandis que la foi chrétienne, affranchie par Jésus-Christ, ne doit pas même s’interdire quelques aliments, comme le prescrivait la loi mosaïque, puisque l’Apôtre {e} a permis de manger indistinctement de toutes les viandes que l’on vend, en détestant “ tous ceux qui interdisent le mariage et l’usage des viandes que Dieu a créées ”. Voilà pourquoi le même Apôtre nous {f} désignait d’avance, quand il parlait “ de ces hommes qui abandonneront la foi, en suivant des esprits d’erreur et des doctrines de démons, et de ces imposteurs pleins d’hypocrisie qui auront la conscience cautérisée ”. Cautérisée par quels feux, s’il vous plaît ? Par les feux que nous allumons sans doute pour les noces ou les banquets que nous célébrons tous les jours ! Ainsi encore nous sommes frappés, disent-ils, par les mêmes traits que ces Galates “ qui observaient les jours, les mois et les années ”. Ils nous opposent également ces paroles d’Isaïe : “ Tel n’est pas le jeûne que le Seigneur a choisi ”, c’est-à-dire, non pas l’abstinence des aliments, mais les œuvres de justice qu’il énumère. On veut enfin que le Seigneur, dans son Évangile, ait répondu en quelques mots à ces scrupules au sujet des aliments : “ Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais ce qui en sort. ” D’ailleurs, ne mangeait-il pas ? Ne buvait-il pas lui-même jusqu’à faire dire : “ C’est un homme insatiable et adonné au vin “ ? C’est encore dans ce sens que l’Apôtre disait : “ Le manger n’est pas ce qui nous rend agréables à Dieu ; car, si nous mangeons, nous n’aurons rien de plus devant lui, ni rien de moins, si nous ne mangeons pas. ”

    Voilà sur quelle autorité ils s’appuient pour encourager adroitement tous ceux qui se laissent aller aux convoitises du ventre, à regarder comme choses superflues et nullement nécessaires les jeûnes, les abstinences et la sobriété, sous le prétexte que Dieu leur préfère les œuvres de la justice et de l’innocence. Quels sont les arts qui flattent les appétits de la chair ? Nous le savons, parce qu’il en coûte peu pour dire : “ Il faut que je croie de tout mon cœur, ou que j’aime Dieu et mon prochain. ” »


    1. Schisme ou hérésie née en Phrygie au iie s. et autrement appelée cataphrygienne : « ils avaient, dit saint Épiphane, les mêmes sentiments que les catholiques sur le mystère de la Trinité ; ils parlaient du Père, du Fils et du Saint-Esprit, de la même manière que l’Église, mais ils l’avaient abandonnée en reconnaissant Montan pour prophète, et Priscilla et Maximilla pour de véritables prophétesses, qu’il fallait consulter sur tout ce qui regardait la religion, comme si le Saint-Esprit avait abandonné l’Église, et qu’elle n’eût plus aucun don céleste » (Trévoux).

    2. Alimentations à base exclusive de végétaux (fruits et pain, v. infra notule {a} suivante), ancêtres du végétalisme moderne.

    3. Pour les chrétiens.

    4. V. note [8], lettre latine 103.

    5. Saint Paul, premier instaurateur du rituel chrétien.

    6. Nous les montanistes.

    Rigault a commenté ce livre aux pages 118‑120 de ses Observationes [Observations] ; il y défend notamment l’idée que les premiers chrétiens ont instauré le jeûne du carême pour se distinguer des juifs, en n’observant pas les mêmes rites alimentaires qu’eux.

  2. De Ieiuno quadragesimæ [Le jeûne du carême], qui en détaille l’institution par les Pères de l’Église, les papes et les conciles, est le remier chapitre (pages 1p‑6) du De Ieiuniis et varia eorum apud Antiquos Observantia [Les Jeûnes et leur observance variable chez les Anciens] {a} de Ciaconius. {b} On y retrouve Tertullien (pages 5‑6) :

    Tum temporis scribens contra Psychicos, Tertullianus, Xerophagias diebus jejunii observatas fuisse asserit, siccato cibo ab omni carne et jurulentia. Et libro de cultu mulierum, quasdam creaturas Dei sibi interdicere abstinentes vino, et animalibus Hieronymus dicit. Paulum palmæ fructibus, et Hilarionem paucis massæ caricis perpetuo victitasse. Athanasius et Basilus lib. de virginitate, leguminibus, pane, et oleo paucis nonnunquam adhibitis olusculis, jejuniis carnem spiritui servire cogebant. Ut hinc quantum nostra ætas ab illa antiqua parsimonia degenerarit, quamquam imperfecta sint nostra jejunia, si ad illorum normam conferamus, videre licebit. Certe inter omnia, magnum jejunium, solum Quadragesima dicebatur, quæ velut caput, princeps et initium omnium aliorum videatur.

    [C’est alors que Tertullien, écrivant contre les psychiques, établit que les xérophagies {c} ont été observées pendant les jours de jeûne, à l’exclusion de toute viande et de tout bouillon qu’on en tire ; et Jérôme dit, en son livre sur le culte des femmes, {d} que certaines créatures de Dieu se sont restreintes en s’abstenant de vin et de chair animale. Paul a perpétuellement vécu des fruits du palmier, et Hilarion, d’une petite quantité de figues. {e} Athanase et Basile, {f} au livre sur la virginité, incitaient à soumettre la chair à l’esprit par des jeûnes recourant aux légumes, au pain et à l’huile, en s’autorisant de temps en temps des petites herbes. {g} Si nous nous référons à leur règle, on pourra voir combien notre époque a dégénéré par rapport à cette antique parcimonie, et à quel point nos jeûnes sont imparfaits. Entre tous, le carême a certainement été qualifié de seul grand jeûne, pour devenir comme le chef, le premier et l’initiateur de tous les autres].


    1. Rome, Stephanus Paulinus, 1599, in‑4o de 88 pages.

    2. Alfonso Chacon, v. note [2], lettre 304.

    3. Définition de Chacon imprimée dans la marge :

      Xerophagia est rerum aridarum comestio, ut ficuum, nucum, amygdalarum, cariotarum, uvarum passarum, et olivarum, vel similium.

      [La xérophagie est la consommation exclusive d’aliments non carnés, comme figues, noix, amandes, carottes, raisins secs, olives, et ainsi de suite].

    4. Saint Jérôme, v. note [16], lettre 81.

    5. Hilarion de Gaza, ascète palestinien du ive s., saint de l’Église catholique, est considéré comme le fondateur du monachisme.

    6. Athanase, évêque d’Alexandrie au ive s., et son contemporain, Basile, évêque de Césarée, sont deux saints et Pères de l’Église.

    7. Probable erreur typographique : olusculis, « des petites herbes », pour jusculis, « des bouillons de viande ».

  3. Ludovicus Guiccardinus (Lodovico Guiccardini, Guichardin ; Florence 1521-Anvers 1589), historien, géographe et marchand, s’installa à Anvers en 1541 pour y passer le reste de sa vie.

    L’ouvrage de « Lodovico Guichardini, fils de Jacopo [Jacobus] et petit-fils de Francesco [Franciscus, François Guichardin, v. note [14], lettre 816] », qui a connu le plus grand succès est son de Belgia [sur les Flandres] : paru en italien en 1567, il a été traduit en latin, sous le titre de Belgiographia (1612 pour la première de nombreuses éditions), et en français, Description de tous les Pays-Bas, autrement appelés la Germanie Inférieure ou Basse Allemagne (Amsterdam, Henry Laurents, 1641, in‑4o de 606 pages) ; mais la mésaventure que lui valut le carême se lit dans dans L’Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou, à la fin du livre xcvi (règne de Henri iii, année 1589), dans le chapitre intitulé Mort de Louis Guichardin (édition française de Londres, 1734, volume 10, pages 723‑724) :

    « Le dernier dont je parlerai est Louis Guichardin, fils de Jacques et petit-fils de François Guichardin, ce célèbre historien si digne de l’estime de tous les hommes. À l’égard de Louis, il fixa sa demeure aux Pays-Bas, et on peut dire que ces provinces doivent lui savoir gré de la description très exacte qu’il en a faite et qu’il a donnée au public. Il y mourut le 22e de mars dans la 66e année de son âge. Il avait autrefois encouru la disgrâce du duc d’Albe {a} pour lui avoir donné de vive voix et par écrit le conseil salutaire d’abolir l’impôt du quarantième : {b} il n’en fallut pas davantage pour le faire arrêter. Le duc d’Albe avouait cependant que c’était par son ordre que Guichardin avait écrit sur ce sujet ; il convenait même que c’était un parfaitement honnête homme. Aussi, disait-il, lorsqu’il voulut excuser depuis la conduite qu’il avait tenue en cette occasion, que ce n’était pas le conseil de Guichardin qui l’avait si fort irrité, mais qu’il avait été vivement piqué de ce que son écrit, au lieu de lui avoir été remis par l’auteur même, était tombé entre ses mains par le canal d’un perfide et d’un traître qui cherchait à lui faire sa cour, et à se mettre en faveur auprès de lui. »


    1. V. note [24], lettre 601, pour le duc d’Albe, gouverneur des Pays-Bas de 1563 à 1573.

    2. Fâcheux contresens du traducteur (Nicolas Rigault) sur de abolenda quadragesima, « d’abolir le carême ».

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 3, note 10.

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(Consulté le 14/12/2024)

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