L. 336.  >
À Charles Spon,
le 6 janvier 1654

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 6 janvier 1654

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(Consulté le 19/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Bon jour et bon an. Depuis ma dernière, laquelle fut du 30e < de > décembre de l’an passé, avec un épigramme imprimé de Stibio triomphante [2][3] (tant il a fait de massacres), [1] je vous dirai que je traite ici M. de Bois-Morand, [4] prévôt d’Angoulême, lequel m’a dit que M. de Balzac [5] avait été mené d’une fièvre continue [6] jusqu’au dernier point de la vie ; qu’il avait tout de bon cru mourir de ce coup, son testament fait et tout son bien légué à des hôpitaux ; qu’enfin il en est revenu et que l’on imprimera bientôt de lui son Aristippe ou de la Cour[2] après que ses amis en auront retranché quelque chose contre celui qui aujourd’hui summo suo immerito rerum potitur[3]

Voici les vers extraits d’une lettre, laquelle vient de Flandres, [7] sur la mort de M. de Saumaise : [8]

Ingens exigua iacet hac sub mole sepultus
Assertor regum, Numinis atque pugil :
Finivit Spadæ vitam Salmasius hospes,
Traiectum 
cineres ossaque triste tenet.            Mastric.
Quod mortale fuit, periit : pars altera cœlis
Reddita, fit maior, doctior esse nequit
[4]

Ce 1erde janvier 1654. Mais Dieu merci, voilà une belle étrenne et très gracieuse, laquelle m’arrive de votre part : c’est votre lettre sans date, mais pourtant nouvelle, que je reçois avec grande joie inter alia munera quæ tali die solent offerri[5] Je suis très aise que soyez, vous et toute votre famille, en parfaite santé. Utinam perennet[6] mais je m’étonne de quoi vous vous avisez de m’envoyer des présents de prunes de Brignoles, [7][9] vous et Mlle Spon, [10] que je respecte très fort à cause de vous, et que j’aime tant plus chèrement et tendrement qu’elle me connaît comme si elle m’avait nourri. Ô que j’aurais été heureux si feu ma bonne mère (optima sane mulierum[8][11] avait eu autant d’esprit que mademoiselle votre femme, j’aurais eu ma part de ce bon esprit, et aurais été déniaisé de bonne heure et de bonne sorte ; mais je n’ai point été si heureux, non cuivis datum est habere nasum[9][12] En attendant que ces prunes viendront, je prendrai patience et vous en remercie par provision jusqu’au rendre.

Vous êtes donc né l’an 1609 qui est l’an que moururent Ios. Scaliger, [13] André Du Laurens, [14] M. François Miron, [15] lieutenant civil, [10] et un méchant, impudent et ignorant charlatan, le sieur de La Violette, [16] autrement dit Josephus Quercetanus. Puissiez-vous vivre sans pierre, sans goutte [17] et sans catarrhe [18] jusqu’à l’an 1709 afin de faire le centenaire parfait, et que voyiez dans votre famille toutes les bénédictions que Dieu a promises diligentibus se[11] Je fais part de mes vœux à Mlle Spon, jusqu’à ce que j’aie le moyen de lui témoigner et faire connaître par effet jusqu’à quel point je l’honore comme la meilleure femme de Lyon et la fidèle compagne du meilleur ami que j’aie au monde.

La Légende [19][20] a véritablement bien touché nos docteurs antimoniaux, lesquels menacent de grosse peine celui qui en sera découvert l’auteur, même de lui faire faire amende honorable ; [21] sed nondum ille innotuit[12] Quelques-uns m’ont soupçonné, mais ce soupçon a passé à d’autres avec beaucoup plus de probabilité. Le sieur Des Gorris [22] a toute sa vie été du mauvais parti, des chimistes, [23] des charlatans, [24] du Gazetier[25] des étrangers, gens de secrets contre la goutte, l’épilepsie, [26] la fièvre quarte, [27] et dans une curiosité de savoir des préparations du laudanum, [28] de l’antimoine et du vitriol ; [13][29] très malheureux praticien qui en a bien tué avec les expériences qu’il a voulu faire, à cause de quoi il s’est vu réduit sans pratique et sans aucun emploi ; malheureux mari, médecin sans pratique qui sait bien du grec et du latin, mais qui applique fort mal ; qui n’a jamais eu le courage de résister à la tentation de l’or et de l’argent qu’on lui a offerts pour quelque coyonnerie ou corruption du métier. L’an 1647, l’Orviétan, [14][30] pour mieux débiter sa drogue, s’adressa à un homme d’honneur, lors doyen de notre Faculté, nommé M. Perreau, [31] pour obtenir de lui, moyennant gros argent qu’il offrait, approbation de la Faculté pour sa drogue ; il en fut refusé de belle hauteur. Ce charlatan [32] s’adressa ensuite à Des Gorris qui reçut de lui grosse somme et qui lui promit de faire signer cette approbation de l’opiate [33] qu’il vend sur le Pont-Neuf, [34] à plusieurs docteurs ; ce qu’il fit faire par douze autres affamés d’argent qui furent les deux Chartier, [35][36] Guénault, [37] Le Soubz, [38] Rainssant, [39] Beaurains, [40] Pijart, [41] Du Clédat, [15][42] des Fougerais, [43] un des deux Renaudot [44][45] et Mauvillain. [16][46][47] Cet imposteur italien, non content de telles signatures, tâcha d’avoir l’approbation entière de la Faculté et pressa le nouveau doyen, savoir M. Piètre, [48] mon prédécesseur, de la lui faire donner moyennant 400 écus qu’il offrait, sur l’espérance qu’il avait de bien mieux débiter sa drogue s’il pouvait obtenir ce qu’il désirait. Ce nouveau doyen ayant appris de la propre bouche du charlatan tout ce que Des Gorris lui avait fait, lui demanda cette approbation (pour laquelle ledit Des G. avait touché 200 écus) et dès qu’il l’eut, il fit assembler toute la Faculté per iuramentum[17] où il se rendit délateur contre tous ces douze Messieurs ; sur quoi, après avoir avoué leur fait et demandé pardon à la Faculté, ayant très humblement reconnu leur faute, on leur pardonna moyennant certaines conditions, etc. ; mais quelque chose qu’ils aient pu faire, la tache en est demeurée et in toto ordine ridiculi facti sunt[18] Voilà la prouesse de Des Gorris avec l’Orviétan ; mais ce n’est point sa faute, ce n’est que sa coutume. C’est un homme affamé d’argent et de secrets : si un enfant, un moine, une femme, un charlatan lui parlent de quelque secret, il leur adhérera. C’est un pauvre homme qui n’a tantôt pas plus d’esprit qu’une bête, qui fait et qui souffre jusqu’en sa maison beaucoup de choses qu’un homme de cœur ne souffrira jamais, etc. [19]

M. Bourgeois [49] est un boiteux cafard qui met son nez partout ; homme sot et impertinent, de faible esprit, qui n’a jamais été que du mauvais parti et qui, pour couvrir sa faiblesse, a tâché de se faire passer pour janséniste, [50] dont il se trémousse fort ; [20] et qui n’en a aucun autre avantage que d’un badin qui se pique fort de religion, nonobstant laquelle il a signé l’antimoine [51] avec Saint-Jacques, [52] Léger [53] et de Mersenne, [21][54] qui se piquent du jansénisme aussi bien que lui et qui n’ont pris ce nouveau parti que pour tâcher d’avoir de la pratique, ut faciant rem cum novis fratribus[22] L’homme est un misérable animal, fortunæ ludibrium[23] à qui un peu d’intérêt fait changer de parti quand il veut. Sed pudet me atque piget tot ineptiarum[24]

Pour l’article 28 où il est parlé du père < Le > Mercier, [25][55][56] je vous dirai que l’an 1630, un de nos docteurs, d’esprit satirique et malin, fit ici courir un libelle diffamatoire intitulé Bibliotheca Patinica où il n’y a point d’autre mal de moi, mais où plusieurs docteurs de ce temps-là sont fort maltraités, entre autres MM. Nicolas Piètre, [57] Merlet, [58] Moreau, [59] et autres. Le bonhomme Mercier était un vieux ivrogne qui faisait la médecine à Château-Thierry. [60] Il y a là-dedans un article de lui en ces termes, Mercerus degobillans, etc[26] Enfin, M. Moreau en découvrit le vrai auteur qui était Victor Pallu, Turonensis[27][61] mais il lui pardonna, à la prière de beaucoup d’honnêtes gens qui s’en mêlèrent (il était frère de Mme Bonneau [62][63] qui est femme d’un des plus fameux partisans de Paris [64] et qui se vante aujourd’hui que le roi [65] lui doit sept millions, il était petit marchand en son commencement). [28] L’affaire assagie, Pallu ne laissa point de demeurer chargé du soupçon et de la haine de plusieurs, quo agnito, secessit in patriam[29] Dès qu’il fut à Tours, [66] il fit querelle à plusieurs médecins ; dont s’étant trouvé mal, il quitta sa ville et s’en alla à Sedan [67] y être médecin du comte de Soissons, [68] avec lequel il demeura jusqu’en l’an 1641 que ce prince fut tué. À son retour, nous dînâmes ici deux fois ensemble ; delà, il s’en retourna à Tours où se trouvant contrecarré par des gens qui avaient la tête mieux faite que lui, de dépit, il s’en revint à Paris ubi nascenti Iansenismo nomen dedit[30] Nos docteurs disaient qu’il y était allé faire pénitence ; enfin il y est mort environ l’an 1647 sans que le public y ait rien perdu. [31] De cette Bibliothèque Patinique, j’en ai céans une copie manuscrite que je vous enverrai quand il vous plaira si vous en êtes curieux ; elle a pourtant été imprimée, mais cela s’est vu si rarement que je n’en ai jamais pu avoir une. Autrefois, M. Moreau me l’avait promise, sed immemor pollicitorum et adeo morosus factus est [32] que je ne daigne lui rien demander.

Pour Bachot, [69] c’est qu’il fit, il y a près de deux ans, un Panégyrique latin au roi in‑fo[33] dans lequel il a extrêmement flatté feu Vautier [70] en intention qu’il lui ferait du bien. [34] Il y a fort loué le roi de choses qu’il n’a point encore faites, mais que j’espère qu’il fera ; atque ut ex una ac eadem fidelia tres parietes dealbaret[35][71] il a dédié ce beau latin, qu’il pense être un chef-d’œuvre, à la reine de Suède, [72] espérant d’elle quelque présent qu’il n’a pas eu. Je n’ai jamais vu ce livre, il m’en avait promis un lorsqu’il me vint prier d’écrire à feu M. Naudé, [73] qui lors était en Suède, et de le prier de dire à la reine quelque chose en sa faveur ; ce que je fis et M. Naudé pareillement, mais tout cela ne servit de rien car on trouva tant de fautes de jugement, et même de syntaxe, dans son épître qu’on ne lui en a pas dit grand merci. M. Naudé m’en écrivit alors une page de plaintes contre lui et ses fautes. Bachot n’était point alors à Paris, il avait pris alors parti avec M. le garde des sceaux de Châteauneuf, [74] qui depuis est mort. Il est de retour à Paris, je l’ai vu une fois aux Écoles, mais il ne m’est point venu voir ; peut-être de honte de ses fautes et de peur que je ne lui fasse voir la lettre de M. Naudé. Bachot est un pauvre serpent qui ne sait où donner de la tête, âgé d’environ 46 ans, pauvre, glorieux, délicat et malsain, et dont la femme n’est plus guère belle. Il avait parlé fort impertinemment dans cette lettre à la reine de Suède : Vellem te suaviari ; [36] je voudrais être monté sur vos épaules pour voir de plus loin, etc., ce que je n’ai jamais vu. J’achèterai ce panégyrique et alors je vous en manderai d’autres particularités.

Petrus Le Ledier [75] était un régent du Collège d’Harcourt [76] qui devint amoureux de la fille d’un tailleur, très belle, de ce quartier, et qui enfin l’a épousée. Il a quelque bien, mais ne sachant à quoi s’employer, il s’est adonné à tenir des maisons garnies ; et est devenu si fort jaloux de sa femme, laquelle est bien sage, qu’il en est devenu fou et l’a été plus de deux ans, inter illas moras, sæpius illi feci medicinam[37] Enfin il est guéri, reversus ad meliorem mentem[38] Il fait quelquefois du latin, comme je vous en ai envoyé. L’antimoine, à mon avis, ne peut pas être appelé φιλανθρωπος ni σωτηρ, [39] il est trop rude ; il vaut mieux l’appeler triomphant puisqu’il en a tant tué, sans ceux qu’il tuera ; il est vrai qu’il n’en tue plus guère car toutes les familles le détestent, on n’en donne plus qu’à quelques passevolants et malheureux las de vivre. [40]

Pour Henricus Valesius, [77] il vint encore hier céans. Il est fils d’un secrétaire du roi, il est rousseau, âgé d’environ 47 ans, fort savant en grec et en latin, écolier du feu P. Petau. [78] Il travaille aujourd’hui à la traduction de quelques Pères grecs, par ordre du Clergé de France, duquel il a pension. [41] Il a un autre frère, Hadrianus Valesius, [79] avec lequel il demeure, qui est encore fort savant, lequel travaille à l’histoire de France en latin, dont il y en a un tome de fait. [42] Les jésuites [80] et leurs sectaires ont voulu faire accroire que Jansenius, [81][82] Episcopus Iprensis[43] était l’auteur du Mars Gallicus ; [44] et pour le persuader aux autres, pro malignitate illa qua tument[45] ils font grand semblant de le croire, mais ce sont des méchants ; ce n’est qu’en intention de rendre odieux en France ce bon évêque qui était un homme sage et doux qui, ôté le service de Dieu, ne songeait qu’à faire son livre de Gratia [46] en lisant attentivement saint Augustin ; [83] ce qu’il a fait par plusieurs années sans faire du tout autre chose. [84] Ils disent que son évêché lui a été donné pour avoir fait ce livre ; qui est une autre imposture car ni dans le Pays-Bas [85] , neque in toto domanio Hispanico[47] on ne donne point les évêchés comme en France, mais par nomination seulement. Quiconque a fait le Mars Gallicus est un catholique romain fort zélé, Gallus ut puto, forsan etiam Iesuita[48] qui connaît fort bien nos désordres et qui est fort entendu en nos affaires ; même qui sait le fort et le faible de nos historiens. Le bon Jansenius avait bien d’autres affaires que de s’amuser à telles bagatelles ; mais les jésuites font semblant de le croire afin de rendre odieux ce saint homme à la cour, lequel néanmoins ils ne haïssent que pour avoir été plus savant qu’eux, plus homme de bien ; et qui est de plus, fundi Loyolitici calamitas[49] c’est qu’il a été en Espagne, député de l’Université de Louvain, [86] y plaider contre les jésuites en plein Conseil afin d’empêcher qu’ils n’enseignassent la théologie ; ce qu’il obtint frementibus et frendentibus Sociis[50] qui sont comme les autres moines, gens qui ne pardonnent jamais. [51][87] Et à tant de cette controverse, laquelle durera plus longtemps que nous.

Pour le fragment Epistolæ ad Hebræos[88] l’auteur est un ministre jadis de Nîmes, [89] nommé Codurc, [90] qui a fait une nouvelle version de Job [91][92] avec des commentaires. [52] Je l’ai vu quelquefois ici, mais je ne le vois plus ; je ne sais ce qu’il est devenu, il vivotait ici d’une petite pension que lui donnait le Clergé. [53]

M. Riolan [93] n’a rien disséqué, [94] d’autant qu’il était alors malade ; il en a eu grand regret, il ne laisse point d’en avoir grande envie. Le dissecteur n’était point fort habile, c’était un jeune chirurgien nommé Juif, [95] cousin de cet autre qui eut tant de vogue [96] et qui était assez habile homme, mais grand bourreau et impitoyable opérateur. [54] Le docteur haranguant, mais qui ne haranguait que très mal et à peine, était notre M. Richard, [97] autant étourdi et ignorant qu’il est glorieux[55]

Nous avons beaucoup d’Allemands qui ont blâmé l’antimoine ; et tant de ceux-là que d’autres, nous en avons plus de cent auteurs pour opposer aux coyons de la Légende [12] qui sont tous honteux d’avoir fait une telle faute, et d’avoir si misérablement prostitué leur nom et leur réputation. Je ne suis point fâché que le chirurgien Lombard [98] soit reçu, il est parti d’ici et vous doit rendre à son arrivée un autre livre de M. Riolan, et trois livres de la part de M. Chifflet. [99]

Pour votre boîte de brignoles, [7] je vous en remercie de toute mon âme, mais que ferai-je pour vous après tant d’obligations que je vous ai d’ailleurs ? N’est-ce point assez, voire même trop, de me donner tant de livres avant l’année sans m’accabler de vos présents ? [56] Aristippus semper nummos, Plato semper libros[57][100][101][102] Soit donc ainsi, puisque vous l’avez voulu ainsi, mais à la charge que par ci-après vous ferez trêve de vos bienfaits jusqu’à tant que j’aurai pu me dégager de tant de sortes d’obligations par quelque bonne occasion ; car autrement, vous me mettriez en une extrême confusion.

Je me suis trouvé ce matin chez un hydropique [103] en consultation [104][105] où un frère frappart de capucin m’a demandé si le vin émétique [106][107] ne serait pas bon à ce malade. [108] Je lui ai sur-le-champ et en peu de mots répondu que le vin n’était jamais bon à de tels malades et qu’en tant qu’émétique, il était poison très pernicieux ; qu’il n’y avait plus que quelques malotrus charlatans et effrontés imposteurs qui se servaient d’antimoine ; encore n’était-ce que lorsqu’ils voulaient tuer quelqu’un et le délivrer de ce monde. Sur quoi un des parents du malade, présent, a dit nettement en ma présence et sérieusement : Messieurs les médecins ne se servent plus de vin émétique que sur leurs femmes, lorsqu’ils s’en veulent défaire pour en prendre de plus jeunes. Quand j’ai vu qu’il était de mon avis, je n’ai rien répliqué. Ne croyez-vous point que ce bourgeois a lu la Légende des docteurs antimoniaux, qui sont la plupart ici fort empêchés de leur contenance après la faute ridicule qu’ils ont commise ? [58] Quelques-uns d’entre eux veulent faire de nécessité vertu et disent que ce qu’ils en ont fait n’était qu’en dépit de ce qu’on les voulait faire passer pour empoisonneurs. Je disais hier à un de ceux-là : Je ne voudrais pas signer du séné [109] et du sirop de roses pâles [110] ce que vous avez signé de l’antimoine, d’autant que les plus innocents remèdes pris mal à propos peuvent tuer un malade, donc à plus forte raison l’antimoine qui n’est jamais innocent. À quoi ce badin me répondit que s’il en eût été averti, qu’il ne l’eût point signé. N’était-ce pas répondre à propos quand la faute est faite, laquelle a armé l’impudence des charlatans et l’ignorance des barbiers [111] qui, dans les occasions, se targueront de cette impertinente et misérable signature ? Mais Dieu soit loué qui en empêchera la mauvaise conséquence par la généreuse résistance que tous les gens de bien en font de deçà ; joint que dans ce nombre des légendaires, [59] ôté environ six d’iceux, la plupart ont la tête mal faite ou sont ignorants, et qui n’ont guère de sens commun, outre que tout le fretin et la racaille de l’École est comprise en ce nombre ; dont même quelques-uns ont reçu de l’argent de Guénault pour ce beau signe, [60] tant il y a en ce siècle de lâcheté, même parmi les docteurs, médecins, etc.

L’affaire du comte d’Harcourt [112] est fort incertaine : l’on a dit qu’il avait fait son accord avec l’empereur [113] qui lui promettait de le maintenir dans Philippsbourg, [114] Brisach [115] et l’Alsace ; après, on a dit qu’il avait été regagné par la cour et qu’il rentrait dans le service du roi, moyennant certaines conditions que même l’on spécifiait ; mais depuis trois jours on dit autrement, savoir qu’un petit mulet chargé d’or (de la race de celui de Philippe de Macédoine) [61][116][117] a été envoyé par le Mazarin [118] dans Philippsbourg, qui y a fait faire la révolte et chanter Vive le roi. Les uns disent qu’on en a chassé le lieutenant du comte d’Harcourt, les autres qu’on l’a poignardé. [62] Il en faut attendre le boiteux, la vérité en est encore au puits de Démocrite, [63][119] Dieu garde de mal celui qui l’en tirera. Le premier président de Grenoble, [120] jadis de Dijon, [121] mourut il y a environ six semaines ; et celui de Dijon, nommé Bouchu, [122] qui lui avait succédé, est mort depuis dix jours, en trois heures de temps après avoir bien soupé[64] Les deux places sont déjà remplies, d’autant qu’il ne faut que de l’argent pour cela, mais celles de M. de Saumaise et de M. Naudé sont encore vacantes ; aussi y a-t-il en toute l’Europe fort peu de gens qui les puissent représenter.

Enfin, je vous souhaite, l’an présent, toute sorte de prospérité, à vous, à Mlle Spon et à toute votre famille, et à Messieurs nos bons amis, MM. Gras, Falconet et Garnier ; à la charge que vous continuerez de m’aimer et de croire de moi la même chose. Vale omnibus e meis amicis Antistes, mihi millibus trecentis[65] puisque je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce 6e de janvier 1654.

J’avais oublié à vous dire que, pour M. Rigaud [123] le libraire, il faut, même malgré nous, prendre patience dans ce reste d’hiver : soit qu’il veuille achever quelque grand labeur qu’il ait sur les bras, soit la disette du papier, ou quelque autre incommodité, qui le presse pour le présent. [66]

Je viens de recevoir lettre de M. Musnier [124] de Gênes, [125] lequel est fort content d’avoir reçu le livre que lui avez envoyé de MM. Riolan et Bartholin, [67][126] et me mande qu’il vous en remerciera tout exprès.

Il n’y a qu’une heure que j’ai rencontré par la ville M. Marion, [127] votre beau-frère, auquel j’ai promis de faire vos recommandations.

Le sieur de Scudéry, [68][128] qui est un illustre écrivain, ayant fini son Grand Cyrus ou Artamène[129] qui est un roman fort bien reçu de deçà, a fait l’Histoire d’Alaric, roi des Goths que l’on commence d’imprimer, in‑fo, où il y aura plusieurs tailles-douces[69] Les romans sont une sorte de livres qui se débitent fort bien de deçà, aux courtisans, aux partisans et à leurs femmes, aussi bien que les livres de dévotion, principalement quand c’est quelque moine de réputation qui les a faits. [130]

On parle ici de duels, [131] où il y en a de tués et de blessés : le comte d’Aubijoux, [132] gouverneur de la citadelle de Montpellier, en est un ; la manie est grande parmi les nobles de se battre si cruellement pour peu de chose. [70] On parle aussi du mariage de Mlle de Longueville [133] pour M. de Nemours, [134] archevêque de Reims, ou pour le duc d’York ; [71][135] de M. de Candale [136] et du prince de Conti [137] avec des nièces de l’Éminence ; [138][139][140] aulico loquendi more[72] on les appelle nièces princesses. Cromwell [141] s’est rendu de nouveau maître en Angleterre et en a fait une déclaration publique, il a pareillement changé la face du Parlement [142] qu’il a réduit à plus petit nombre. [73] On ne parle plus du voyage du roi à Rouen ni à Orléans. [143] Cura ut valeas [74] et croyez que je suis tout vôtre.

Ex asse, G.P. [75]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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