À Charles Spon, le 16 novembre 1643, note 35.
Note [35]

« Et cela est bien jésuite ».

Guy Patin s’est ici trompé de Fabri. Il voulait parler non pas d’Honoré Fabri, jésuite, mais de Johann Fabri, médecin allemand (Bamberg, Bavière 1574-Rome 1629) qui se fixa en Italie où il devint professeur de médecine à Rome puis médecin et botaniste du pape Urbain viii. Parmi ses écrits, on trouve en effet un traité intitulé :

Ioannis Fabri Bambergensis, medici Romani, de nardo et epithymo adversus Iosephum Scaligerum Disputatio. Qua plantarum istarum vera descriptio continetur ; Dioscoridis et Ovidii loca declarantur, et a corruptela defenduntur ; medicorum denique et pharmacopœorum honos a Scaligeri calumniis vindicatur…

[Dispute de Johann Fabri, natif de Bamberg, médecin de Rome, contre Joseph Scaliger au sujet du nard {a} et de l’épithyme. {b} Où se trouve la véritable description de ces plantes ; où des passages d’Aristote et d’Ovide sont mis en avant et défendus contre la corruption ; et où enfin, l’honneur des médecins et des pharmaciens est vengé des calomnies de Scaliger…] {c}


  1. V. note [8] de l’observation vii.

  2. Filament roussâtre qui vient sur le thym.

  3. Rome, Gullielmus Facciottus, 1607, in‑4o.

En échantillon des propos de Fabri contre Scaliger, cet extrait de l’épître dédicatoire à Victorio Mervilli, protonotaire apostolique (v. note [19] du Patiniana I‑3) et premier médecin du pape, pages 3‑4 :

Videmus etiam grammaticos, qui fere ne duo quidem verba dextre possunt contexere, velle unumquemq. ex antiquis, qui dicendi facultate, et Græci sermonis proprietate plurimum valuerunt, ut Thucydidem, Platonem, Demosthenem, tanquam barbaros arguere.

Atque hanc non magis Philosophi sententiam esse, quam Delphicam dictionem et oraculum ex tripode profectum, cum multorum aliorum ætatis nostræ Grammaticorum ac Criticorum, tum eius, qui dictatuam inter eos gerit, Iosephi sive Scaligeri, sive Burdonis exemplo satis fuit, ceteris quasi monibus scientiis ac disciplinis se immiscere, hominesq. plurimum, maximaq. cum omnium gratulatione ac gloria in iisdem versatos arrogantissime in ordinem redigere, nisi Medicos quoque, et ριζοτομιας peritos (quorum complures ætas nostra vidit) censoria animadversione hotaret, gravissimamq. periculosæ ingorantiæ culpam promiscue omnibus impingeret. Sed habemus nos Medici, et Botanicis addicti, quod gratulemur acumini Viri Clarissimi Gasperis Scioppii nostri. Hic enim cum in Iosephi Castigationes Propertianas incidisset, quo loco de Nardo et epithymo disputat, deque restituto Dioscoride insolentissime gloriatur, quod longo librorum eius usu doctus, nullam ipsius ostentationem, non cum insigni et propudioso aliquo errore, ac flagitio conjunctam sciret, maximas hoc quoque loco frustrationes eum dedisse et ludibrium doctis debere statim suspicatus est.

Veruntamen quoniam longissime a criticorum istorum abest insania, et plurimum in sua cuique artifici professionne deferre ac credere didicit : recte atque ordine facere se iudicavit, si mihi iudicium de Iosephi Conatu et successu potissimum deferret. Rescripsi itaque festinanter nonnulla, ne scilicet solus mutus essem in hoc loquaci, scribaci, ac strepero sæculo (Nam si unquam, hoc certe tempore verissimum est illud Iuvenalis :

Laqueo tenet ambitiosi
Consuetudo mali, tenet insanabile multos
Scribendi cacoethes, et ægro in corde senescit).

Respondi, inquam, paucula, quæ ipse postea libro suo, quo Iosephum L. Cornelia de falsis reum peragit, et furtim in Scaligerorum Veronæ, et Vicetiæ principum familiam irrepsisse coarguit, appingendum et typis æneis in Germania describendum curavit. Sed quoniam eius libri perpauca huc afferuntur exemplaria, complures autem amici videndæ meæ cum Iosepho disceptationis desiderio teneri se oftendunt.

[Nous voyons même des grammairiens, à peine capables d’aligner correctement deux mots, vouloir dénoncer comme barbares chacun des anciens, comme Thucydide, Platon ou Démosthène, qui ont tant mérité par leur faculté d’enseigner et par la pureté de leur langue grecque.

Mais cela n’est pas tant un avis de philosophe qu’une prédiction de Delphes et un oracle prononcé depuis le trépied de la Pythie. En attestent à l’envi tant l’exemple de maints autres grammairiens et critiques de notre siècle, que celui du dictateur qui règne sur eux, savoir Joseph Scaliger, autrement dit Burdon. Et il n’a pas suffi à cet homme de se mêler de presque toutes les sciences et disciplines, et surtout de rappeler à l’ordre avec la plus extrême arrogance ceux qui s’y sont appliqués avec la plus grande gloire et les félicitations de tous ; il a aussi flétri d’un châtiment censorial les médecins et les botanistes (dont plusieurs de notre temps) ; et sur tous indistinctement, il a jeté l’accusation gravissime de dangereuse ignorance. Mais nous, médecins et botanistes, tenons bon, ce dont nous sommes gré à la plume de notre Caspar Scioppius. {a} En effet, cet homme très illustre était tombé sur le passage des Castigations de Joseph contre Properce, où l’auteur disserte sur le nard et l’épithyme et tire fort insolemment gloire de ce que Dioscoride a rétabli ; {b} alors, parce qu’un usage assidu des livres de Scaliger l’avait instruit, Scioppius n’y a reconnu que de l’ostentation de soi-même mêlée d’infamie, non sans quelque duperie insigne et éhontée ; on a aussitôt accusé Scioppius d’avoir prétendu de très grandes tromperies sur ce passage et de s’être moqué des savants.

Mais pourtant, parce que Scioppius est fort étranger à l’extravagance de ces critiques, chacune de ses habiles déclarations a beaucoup servi à révéler et dénoncer Scaliger : il s’est résolu à le faire méticuleusement et point par point, principalement à mon avis quand il s’est prononcé contre le dessein et la réussite de Joseph. J’ai donc écrit à la hâte quelques mots de réponse, pour évidemment ne pas rester muet en ce siècle bavard, scribouillard et bruyant ; car ces vers de Juvénal n’ont jamais été aussi vrai qu’à présent :

Laqueo tenet ambitiosi
Consuetudo mali, tenet insanabile multos
Scribendi cacoethes, et ægro in corde senescit
. {c}

J’ai ensuite répondu, dis-je, en fort peu de mots, que le livre de Scioppius met Joseph sous le coup de la loi Cornelia sur les faux, {d} montrant qu’il s’est furtivement glissé dans la famille des Scaliger de Vérone et des princes de Vicence. Voilà ce que Scioppius a pris le soin d’écrire et de faire imprimer en Allemagne. Mais étant donné que fort peu d’exemplaires de son livre ont été divulgués ici, quantité d’amis ont manifesté le désir de voir ma contestation de Joseph].


  1. V. note [10], lettre 104.

  2. Iosephi Scaligeri Iul. Cæs. fili Castigationes in Catullum, Tibullum, Propertium [Blâmes de Joseph Scaliger, fils de Jules-César, sur Catulle, Tibulle, Properce] (Paris, Mamert Patisson, 1577, in‑8o).

    Ce commentaire porte sur le vers 74, chant vi, livre iv des Élégies de Properce, Terque lavet nostras spica Cilissa comas [Que l’épine de Cilicie me lave trois fois la chevelure]. Il occupe les pages 227‑230 des Castigationes dans l’édition de 1582 (v. note [2], lettre latine 426) ; Scaliger y disserte sur la nature de cette épine : Properce voulait-il parler du nard (v. notule {f}, note [29], lettre latine 351), de l’épithyme (fleur médicinale parasite du thym), du crocus (safran, v. note [52], même lettre, hypothèse finalement retenue, contre l’opinion d’autres interprètes) ? Et fidèle à sa solide habitude, il se plaît à mordre :

    In quo multum decepti sunt isti immanium Commentariorum consarcinatores, qui maluerunt pertinaciter pensitare. Sed quid pensitassent homines et Latine, et Græce ignari ? Quibus id facile ignosco, quia et nemo hactenus errorem insignem in Dioscoridis verbis non deprehendit.

    [En quoi se sont grandement trompés ces compilateurs de recueils qui ont préféré s’obstiner à argumenter ; mais quel prix donner aux arguties de gens qui ignorent le latin comme le grec ? Je le leur pardonne aisément parce que l’énorme erreur qui se lit dans Dioscoride avait jusqu’ici échappé à tout le monde].

  3. « L’habitude de flatter bassement étreint beaucoup de gens, l’incurable vice d’écrire les tient et rancit en leur cœur aigri » ( Satire vii, vers 50‑52).

  4. « La loi Cornelia sur les faux, nommée aussi testamentaire, punit celui qui aurait écrit, scellé, lu, représenté un testament ou tout autre acte faux ; et celui qui aurait fait, gravé ou apposé un faux cachet, sciemment et à mauvaise intention. La peine est, contre les esclaves, le dernier supplice, de même que dans la loi sur les sicaires et les empoisonneurs ; et contre les hommes libres, la déportation » (Institutes de Justinien, iv, 18).

Imprimer cette note
Citer cette note
x
Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 16 novembre 1643, note 35.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0097&cln=35

(Consulté le 24/04/2024)

Licence Creative Commons