Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 4, note 46.
Note [46]

Florimond de Raemond (Raymond ou Rémond, Agen 1540-Bordeaux 1601), avocat et magistrat bordelais catholique, a publié quelques livres d’histoire dirigés contre le calvinisme. Il a correspondu amicalement avec Juste Lipse (v. notule {c}, note [7], lettre 753). Son Anti-papesse, publiée pour la première fois anonymement sous le titre d’Erreur populaire de la papesse Jane (Bordeaux, S. Millanges, 1587, in‑4o), a connu de nombreuses éditions. Le chapitre xxxi (et dernier), pages 254‑255, se conclut sur ce verdict sans appel (édition de Paris, Abel L’Angelier, 1607, in‑8o) :

« Ainsi, cette Chimérique Papesse étant coulée des mains de ses premiers pères et auteurs, nue, simple, sans artifice, sous le sauf-conduit d’un seul ouï-dire, nous avait été depuis envoyée si déguisée et travestie qu’il était très difficile, après qu’un chacun lui a eu donné un trait de sa main, < de > lui lever le masque, afin de faire voir au jour son imposture, si pièce à pièce je ne l’eusse démontée et mise à nu, comme j’ai fait afin que, honteuse, elle s’aille cacher sans oser désormais paraître. Je ne plaindrai point la peine que j’ai eue en l’amas de ces curieuses recherches si je connais que, par la vérité de mes écrits, on connaisse la fausseté de cette fable ; et si je suis cause que vous voyez l’imposture de ce conte, comme vous êtes cause que l’on voit ce que j’en ai écrit. {a} Ce mensonge est si apparent de soi, et j’y pense y avoir apporté tant de lumière que j’accuserai la faiblesse de votre vue si vous ne le voyez à clair. Je dirai que vous faites comme ceux qui, se cillant les yeux en plein midi, soutiennent qu’il est nuit, ou que vous êtes de la race d’Herpaste, {b} folle de Sénèque, laquelle ayant perdu la vue ne se pouvait pourtant persuader d’être aveugle, criant sans cesse après son gouverneur, qui la laissait sortir pour voir la clarté du soleil, que la maison de son maître était devenue obscure. Si vous n’y voulez voir, ne vous en prenez pas à moi, qui vous ai mis en plein midi, n’ayant autre fin plus désirée qu’à dessiller vos yeux et, combattant l’incertitude de ceux de l’autorité desquels vous vous couvrez, représenter l’occasion et source de cette fable. Tenez-la désormais pour telle, sous la parole et caution de tant de graves auteurs que je vous ai mis en avant. Après lesquels, si vous vous écartez tant soit peu, si vous abandonnez votre croyance, si vous vous montrez si faciles et ployables à la moindre ondée qui vous pousse, je pourrai avec vérité dire que c’est quelque mauvaise affection qui vous porte et fait tenir pour véritable ce qui se dément de soi-même. »


  1. Note de l’imprimeur : « L’auteur s’adresse à ceux qui lui ont donné occasion d’écrire sur ce sujet. »

  2. Sic pour Harpaste, Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, épître l :

    Harpasten, uxoris meæ fatuam, scis hereditarium onus in domo mea remansisse. Ipse enim aversissimus ab istis prodigiis sum ; si quando fatuo delectari volo, non est mihi longe quærendus: me rideo. Hæc fatua subito desiit videre. Incredibilem rem tibi narro, sed veram : nescit esse se cæcam; subinde pædagogum suum rogat ut migret, ait domum tenebricosam esse. Hoc quod in illa ridemus omnibus nobis accidere liqueat tibi.

    [Vous savez que j’ai gardé chez moi, comme une des charges de la succession, Harpaste, la folle de ma femme ; car, pour moi, j’ai la plus grande aversion pour de tels monstres ; et si je veux m’amuser d’un fou, je ne vais pas le chercher bien loin : je ris de moi-même. Harpaste a perdu tout à coup la vue ; voici un fait incroyable, mais très vrai : elle ne sait pas qu’elle est aveugle, et ne cesse de prier son guide de déménager : « Dans la maison, dit-elle, on ne voit goutte. » Nous rions d’elle, et autant puisse-t-il nous en arriver tous les jours !]

    Dans la cécité dite corticale, c’est-à-dire par atteinte du cortex cérébral occipital, et non des yeux ou des voies optiques, il peut y avoir anosognosie (ignorance du mal) : sans du tout être fou, le malade ne se rend pas compte qu’il a perdu la vue ; il dit voir, mais son cerveau a perdu la capacité d’interpréter les images qu’il perçoit.


Le P. Pierre Cotton, « Forézien de la Compagnie de Jésus, prédicateur ordinaire du roi [Henri iv] » (v. note [9], lettre 128), est auteur, parmi quantité d’autres ouvrages, de l’Institution catholique, où est déclarée et confirmée la vérité de la foi. Contre les hérésies et superstitions de ce temps. Divisée en quatre livres, qui servent d’antidote aux quatre de l’Institution de Jean Calvin (Paris, Claude Chappelet, 1610, in‑4o, avec un splendide frontispice dû au burin de Pierre Firens [1580-1638]). Le chapitre xiv du livre second (pages 443‑462) est intitulé De la prétendue papesse Jeanne. Une des versions du sujet est résumée page 445 :

« La fable donc, que l’on appelle histoire, porte qu’une pauvre fille allemande, ou anglaise, nommée Geliberte, s’étant laissé débaucher par un moine de l’abbaye de Fulde, en Allemagne, après avoir couru plusieurs universités, caché son sexe, changé son nom, pour prendre celui de Jean l’Anglais, en faveur de son ami qui était de la Grande-Bretagne ; le moine mort, elle se rendit d’Athènes à Rome, où elle enseigna publiquement ès {a} écoles, durant six ans, avec admiration de tous, causée de son grand savoir ; le peuple et le clergé furent tellement aveuglés, et trompés par ses déportements {b} qu’ils l’élurent pape après Léon iv ; {c} et sut si bien dissimuler son sexe qu’aucun ne s’en aperçut, jusques à ce que, par l’accointance d’un cardinal, elle accoucha en pleine procession générale, au milieu d’une rue et, à l’instant, rendit l’âme. Voilà en substance la teneur de l’histoire fabuleuse de laquelle, pour plus grande clarté, nous traiterons à la < manière > scolastique et avec la méthode de saint Thomas, proposant en premier lieu les preuves qui sont pour l’affirmative, puis celles qui sont pour la négative, et répondant finalement aux objections contraires. »

La cinquième (et plus célèbre) preuve avancée à l’appui de la papesse (pages 446‑447) est :

« extraite de la coutume que l’on dit être depuis ce grand scandale de faire seoir les papes, le jour de leur coronation, sur une chaire {d} percée pour examiner (qu’est-ce que n’ose controuver l’imposture !) leur sexe et sonder s’ils sont hommes. »

Cotton la réfute ainsi (pages 458‑459) :

« Quant est de la chaire percée, il n’y a que les esprits percés à jour de folie et malice qui se persuadent une telle absurdité. Vrai est que, comme toutes les fables ont quelque fondement en l’histoire, il y avait une chaire basse de pierre, où l’on mettait le nouveau pontife après son élection pour l’admonester qu’encore qu’il fût élevé au Siège de saint Pierre, il se devait souvenir de l’humilité de celui qu’il représentait, lequel se fit le moindre de tous, ores qu’il fût {e} le plus grand. Le rituel, livre premier, section 2, fait mention de deux chaires, où lesdits pontifes étaient colloqués {f} successivement, et là étaient admonestés que comme par leur promotion ils étaient rehaussés au faîte des dignités, un jour aussi ils seraient dégradés par la mort, qui est commune à tous. Et pour cela même en la première chaire, appelée d’aucuns Stercoraria, {g} non pour être percée, mais d’autant que le clergé chantait alors ce qui est écrit au premier des Rois, chapitre second, Suscitat de pulvere egenum et de stercore elevat pauperem, ut sedeat cum principibus, et solium gloriæ teneat. {h} Pour cette raison, donc, et pour lui servir de document {i} en cette chaire basse, on lui baillait les clefs, et en une plus éminente, incontinent après, il les remettait à un autre. Mais à quoi faire prennent peine les théologiens de reconnaître quatre sens, tant en la parole de Dieu que ès {a} actions et intentions de son Église, à savoir l’historique, le tropologique, {j} le mystique et l’analogique : puisqu’il plaît à Dive Réformation en ajouter et suivre plutôt un cinquième qui est diabolique ? » {k}


  1. Dans les.

  2. Bonnes mœurs.

  3. Léon iv, pape de 847 à 855, a été sanctifié. Son successeur, Benoît iii a régné de 855 à 858. La papesse Jeanne se serait intercalée, sous le nom de Jean viii ; mais le véritable pape de ce nom régna de 872 à 882.

  4. Chaise.

  5. Quoiqu’il fût.

  6. Placés (assis).

  7. Sella stercatoria est une expression néolatine dont le sens est transparent puisqu’il dérive de stercus (génitif stercoris), « excrément solide ».

  8. « Il retire l’indigent de la poussière, il relève le pauvre de la fange, pour le faire asseoir avec les princes et occuper un siège d’honneur » (Samuel, et non Rois, livre i, 2:8).

    C’est aussi lors de cette cérémonie qu’un officiant adressait au nouveau pape le célèbre Sic transit gloria mundi [Ainsi passe la gloire du monde] (v. notule {c}, note [118], lettre 166).

  9. Preuve.

  10. Figuré.

  11. Tout le monde sait que le diable (ou l’antipapisme protestant) a poussé la plaisanterie jusqu’à forger la formule liturgique qui fait rire, depuis des générations, mécréants et potaches : Duos habet et bene pendentes [Il en a deux et bien pendant(e)s].

    V. note [74] du Borboniana 4 manuscrit, pour un mauvais avis du cardinal Duperron sur cet ouvrage, qu’il ne trouvait guère à la hauteur de sa cible.


Je n’ai pas trouvé le livre du jésuite milanais sur la Papessa Giovanna.


Additions et corrections du P. de Vitry
(1702-1703, v. note [12] des Préfaces), pages 234‑235 :

« On peut dire que cette fable de la papesse Jeanne a perdu à présent tout son crédit. Quoi qu’en ait voulu dire M. Spanheim, {a} il n’a pu empêcher que les savants de son parti et ceux en qui se trouve quelque bonne foi n’aient reconnu que rien n’était plus mal fondé que cette prétendue papesse. On attend même d’un illustre écrivain d’Allemagne, très connu dans la république des lettres, une réponse aux arguments de M. Spanheim, qu’il a promise. » {b}


  1. Friderici Spanheimii F. de Papa Fœmina inter Leonem iv. et Benedictum iii. Disquisitio historica. Qua ut Onuphrii, sic præcipue Allatii, Labbei, Blondelli, Launoii, Mabilloni, adversus Papissam præsidia excutiuntur.

    [Recherche historique de Friedrich Spanheim, le fils, {i} sur la femme qui fut pape entre Léon iv et Benoît iii, où sont renversées les arguments d’Onofrio contre ladite papesse, {ii} tout comme principalement ceux d’Allatius, Labbe, Blondel, Launoy et Mabillon]. {iii}

    1. V. notes [47] de l’Autobiographie de Charles Patin pour Friedrich ii Spanheim, et [11], lettre 16, pour Friedrich i, son père.

    2. Tous cités ailleurs dans notre édition, ces auteurs contestés par Spanheim sont : Onofrio Panvinio, Leo Allatius, Philippe Labbe, David Blondel, Jean de Launoy et Jean Mabillon.

    3. Leyde, Johannes Verbessel, 1691, in‑8o de 516 pages ; ce livre été traduit et abrégé : Histoire de la papesse Jeanne fidèlement tirée de la dissertation latine de Monsieur de Spanheim, premier professeur de l’Université de Leyde (Cologne, chez *****, 1694, in‑12 de 320 pages).

  2. Écrivain et livre que je n’ai pas identifiés.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 4, note 46.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8195&cln=46

(Consulté le 19/04/2024)

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