À Claude II Belin, le 15 mai 1643, note 5.
Note [5]

À n’en pas douter, les sotériques sont un surnom des jésuites : François Sublet de Noyers, alors tombé en disgrâce, était l’un de leurs grands défenseurs ; Guy Patin a réutilisé plus tard l’expression à propos d’une censure que les jésuites ont exercée contre un livre d’un des leurs, le P. Théophile Raynaud (v. note [12], lettre autographe du 21 octobre 1644, à Charles Spon). Ce sobriquet n’est pourtant pas des mieux choisis : en tant que doctrine du salut par le Christ, la sotériologie (de sôtêrion, salut en grec) inclut certes la repentance et la rémission des péchés pour accéder à la rédemption finale, mais se fonde sur la prédestination des élus du Christ et ne privilégie pas le libre arbitre (si cher aux jésuites).

  • Pour les jésuites marchands de blé, l’expression se lit dans le Cabinet jésuitique, contenant plusieurs pièces curieuses des R. Pères jésuites ; avec un Recueil des mystères de l’Église romaine… (Cologne, Jean le Blanc, 1674, in‑12), suite d’écrits contre la Compagnie de Jésus, mis les uns derrière les autres, sans commentaire sur leur contexte ou leur origine. Après la Jesuitographia (en latin, v. note [6], lettre 40) et plusieurs virulentes pièces en vers français (pages 168‑178), vient un Sonnet sur bout rimés aux Mêmes [jésuites] (page 179) :

    « Jésuites, vos esprits sont toujours au… bivouac,
    Vous êtes plus méchants que des dragons d’… Afrique,
    Et toujours plus pensifs qu’un faiseur de… musique,
    Vous rêvez quelque usure ou quelque autre… micmac ;

    Marchands de blé, de vin, de bois et de… tabac,
    Vous tireriez ma foi de l’argent d’une… brique,
    Rien ne peut échapper à votre… politique,
    Car vous en savez prendre et… ab hoc et ab hac ; {a}

    Péchez tant qu’il vous plaît, vous avez le… remède ;
    Car on traite chez vous Vénus et… Ganymède, {b}
    Aussi franc qu’un Picard pourrait faire un… rébus : {c}

    Vous tournez les esprits comme on fait une… esclanche, {d}
    Vous n’observez ni loi, ni fête, ni… dimanche,
    Et tout cela s’appelle affaires de… bibus. ; {e} »


    1. À tort et à travers.

    2. Ganymède, amant de Zeus (v. note [5], lettre 134).

    3. V. ce mot dans le Glossaire.

    4. Gigot (sur la rôtissoire).

    5. Moins que rien.

    Antoine ii Arnauld (v. note [47], lettre 101) a expliqué pourquoi on affublait les jésuites de ce sobriquet dans le chapitre Les jésuites chassés de Malte pour leur insatiable avarice, et un crime abominable de La Morale pratique des jésuistes, représentée en plusieurs histoires arrivées dans toutes les parties du monde ; extraite, ou de livres très autorisés et fidèlement traduits, ou de mémoires très sûrs et indubitables (premier volume des précédentes éditions ; Œuvres de Messire Antoine Arnauld, docteur de la Maison et Société de Sorbonne, tome 32, Paris, Sigismond d’Arnay et Cie, 1780 ; pages 161‑162) :

    « Il est certain que l’on ne chasse point d’ordinaire des communautés toutes entières pour les fautes d’un particulier, et que des personnes sages et judicieuses, comme sont celles qui gouvernent les royaumes et les républiques, ne punissent pas tout un Ordre pour la faute d’un religieux. C’est pourquoi nous pouvons assurer que les jésuites ayant été chassés de plusieurs endroits, ce n’a pas été pour la faute de quelque particulier, mais pour celle de tout le corps et des chefs qui le gouvernent.

    En 1643 ou 44, ils furent chassés de Malte, et en voici le sujet.

    Ils entrèrent en cette île en intention de se rendre maîtres de toute la Religion de Saint-Jean qui y tient son siège ; {a} ils crurent que pour acquérir du crédit parmi tous les chevaliers, ils devaient se charger d’instruire et de faire étudier les jeunes chevaliers qu’on y élève. Le Grand Maître leur donna une maison et du revenu suffisant pour s’entretenir avec honneur. L’île de Malte est entièrement stérile, parce que son fond n’est qu’un rocher ; et cela est si vrai que si quelque habitant de la ville veut avoir un jardin chez lui, il faut qu’il fasse apporter de la terre de Sicile par les galères. Cela étant ainsi, tous les vivres leur viennent par mer ; et par conséquent le blé, sur lequel les marchands profitent d’ordinaire beaucoup et dont ils font le plus grand commerce, y est cher. Les jésuites étant poussés de leur inclination naturelle à trafiquer, entrèrent dans ce commerce et causèrent un grand préjudice à ceux de l’île : ils faisaient venir de Sicile une grande quantité de froment, qu’ils serraient {b} jusqu’à ce qu’ils vissent qu’on était menacé de la famine, et qu’on en avait grand besoin ; et alors, ils le vendaient un prix excessif. Il arriva que l’île fut grandement pressée de la faim, qu’il restait peu de blé dans les greniers publics, et même dans ceux des marchands particuliers. On ne pouvait en aller quérir en Sicile parce qu’il y avait plus de trois mois que les galères de Bizerte {c} et d’autres vaisseaux turcs tenaient toutes ces mers, et qu’ils prenaient tous les vaisseaux marchands qui faisaient voile. Les jésuites voyant cette extrémité, n’eurent garde de déclarer qu’ils avaient dans leur grenier environ cinq mille mines de froment à vendre, {d} parce qu’ils craignaient que si le Grand Maître venait à le savoir, il ne les obligeât à le donner à bon marché et sans aucun profit. Ils trouvèrent plus à propos de dissimuler, et de se mettre au rang des affamés et de ceux qui avaient besoin de blé. Ils allèrent donc trouver le Grand Maître et lui dirent qu’ils souffraient une grande disette et qu’ils avaient passé le jour précédent sans manger de pain, parce qu’ils n’en avaient point et qu’ils n’en avaient pu trouver à acheter. Le Grand Maître, qui avait de la compassion et qui les aimait, ordonna que du peu de froment qui restait, on leur en donnât quelques boisseaux. Quelques chevaliers des plus considérables voulurent empêcher cette libéralité, en disant qu’ils avaient appris de gens qui le savaient bien, que les jésuites avaient du blé pour nourrir toute l’île durant plusieurs mois. Mais le Grand Maître n’y eut aucun égard et crut que c’étaient des discours de personnes passionnées, et mal intentionnées pour les jésuites.

    Il arriva dans ce même temps une chose que l’auteur décrit amplement ; {e} mais qui est si horrible dans toutes ses circonstance, que je crois la devoir passer sous silence et me contenter de dire qu’un crime si abominable ayant irrité tous les chevaliers, ils punirent le P. Cassiaita, jésuite qui en était l’auteur, d’une manière proportionnée à sa faute, et le mirent ensuite dans une felouque avec tous ses compagnons et les envoyèrent en Sicile.

    Ils visitèrent aussi tout le collège et trouvèrent bientôt le grenier, où il y avait du blé suffisamment pour nourrir longtemps toute la ville. {f} Le Grand Maître ayant appris le désordre que les chevaliers avaient commis dans un lieu qu’il regardait comme un sanctuaire, vint pour y remédier, lorsqu’il n’en était plus temps ; ils lui montrèrent les greniers pleins de froment, en le faisant souvenir de la vérité de ce qu’ils lui avaient dit peu de temps auparavant, ce qui le désabusa. {g} Il approuva ce qui avait été fait et se servit du blé qu’il trouva pour remédier à la nécessité présente. Je ne m’arrête pas présentement à l’histoire particulière de Cassiaita ; mais je remarque que l’avarice des jésuites fut cause de leur expulsion, car ils conservèrent leur blé dans la nécessité que le peuple souffrait, et ne furent point touchés de compassion, préférant leur intérêt au salut de toute l’île. »


    1. L’Ordre hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, ou des chevaliers de Malte, avait alors pour 57e Grand Maître Jean-Paul de Lascaris-Castellar (qui exerça cette fonction de 1636 à sa mort en 1657).

    2. Tenaient caché.

    3. Port de Tunisie.

    4. « Quelques-uns entendent par le mot fanega seulement un boisseau ou un boisseau et demi » (note d’Arnauld). Ancienne mesure de volume, la mine valait la moitié d’un setier, soit 78,73 litres. La fanéga ou fanègue était une unité espagnole équivalant à 60 litres.

    5. Ce chapitre est le commentaire par Arnauld d’une histoire « rapportée par le même auteur du Théâtre jésuitique et dans un autre imprimé espagnol » :

      « Entre ces extraits de pièces se trouvent ceux du célèbre Théâtre jésuitique, que l’auteur de la Morale pratique [Arnauld] avait attribué à M. l’évêque de Malaga, sur des témoignages très respectables ; sur celui de deux dominicains, Jean Casulas et Contenson ;.du P. Théophile Raynaud, jésuite, etc., et sur l’opinion commune. Cependant, le désaveu qu’en fit M. l’évêque de Malaga ayant obligé d’examiner ce fait avec plus de soin, il parut plus probable qu’il avait pour auteur le P. Jean de Ribas, dominicain (mort le 4 novembre 1687), que son Ordre regardait comme un de ses membres les plus éminents en science et en esprit, et qui s’était acquis la vénération publique en Espagne, en Italie et dans les Indes. Les uns disent qu’il a travaillé seul à cet ouvrage ; mais que l’évêque de Malaga en faisait les honneurs ; les autres, qu’il n’a fait qu’aider ce prélat, et lui fournir des faits ; ce qu’il crut être suffisant pour s’en désavouer l’auteur » (Préface, page ii, note a).

    6. La Valette.

    7. Lui ouvrit les yeux.

    Toujours est-il que Guy Patin écrivait là-dessus à Claude ii Belin en mai 1643 ; date à laquelle le fait était connu et avait même déjà fait l’objet d’une plainte en justice. L’éditeur des Œuvres complètes remarque dans sa Préface du même tome (page ii, note b) que « M. Arnauld avait publié dès 1641 un petit écrit intitulé Théologie morale des jésuites extraite fidèlement de leurs Auteurs » (rééditée en 1644, v. note [3], lettre 98).

  • L’explication de la Theologia Patrum [Théologie des pères] se lit dans l’Apologie pour l’Université de Paris… de Godefroi Hermant (1643 ; v. note [12], lettre 79). Il y donne en effet (pages 12-13) comme 4e raison pour appréhender le « désordre en la Compagnie de Jésus » que :

    « La souplesse de leur politique ne prouve que trop cette vérité, leur conduite est un mystère caché ; et quelque dévotion apparente qu’ils aient de tout temps publié pour le Saint-Siège, ils n’ont point fait de difficultés d’en être les déserteurs en toute sorte d’occasions. Le pape sait bien quel traitement il a reçu d’eux, quand ils ont cru que son autorité était préjudiciable à leur intérêt, ou lorsqu’ils se sont laissé gagner, par la complaisance qui leur est naturelle, pour ceux dont ils peuvent espérer du support et du service ; ce que le public pourra voir plus amplement par le traité qui (sitôt qu’il en sera temps) paraîtra au jour sous le nom de Theologia Patrum Societatis. » {a}


    1. Cette Théologie des pères de la Société d’Hermant n’a pas vu le jour.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 15 mai 1643, note 5.

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(Consulté le 08/10/2024)

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