Texte
Lettres de soutien
adressées à Jean Pecquet :
Samuel Sorbière, alias
Sebastianus Alethophilus (1654)  >

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Sebastianus Alethophilus [1][1][2]
félicite
le très distingué M. Jean Pecquet,
très célèbre et sagace docteur en médecine,
pour son heureuse découverte des veines lactées thoraciques
.

Quand, voilà trois jours, en ma présence, et sous les yeux de notre ami Du Prat[3] de votre ami Auzout [4] et des deux éminents médecins que sont les D’Aquin[2][5][6] vous avez reproduit l’expérience qui démontre les vaisseaux lactés du thorax[7][8][9] elle a rendu le fait si indubitable, mon très cher Pecquet, que, ni pour moi ni pour eux, il ne reste aucune raison d’en débattre. En effet, en pressant le mésentère, on a vu cette cavité, qui se cache sous un dédoublement du péritoine, au-dessous de la racine du mésentère, et qui avait jusqu’alors échappé au regard des anatomistes, se remplir très manifestement de chyle ; [10] puis on l’a vu s’écouler par des canaux que vous avez jadis découverts dans les veines subclavières [11][12] et, de là, dans la veine cave [13][14][15] et dans la cavité droite du cœur, [16] dont vous aviez coupé la pointe ; et ce si clairement que désormais, sauf à être aveugle, la chose doit être tenue pour certaine, évidente et [Page 165 | LAT | IMG] parfaitement démontrée.

Je me réjouis donc doublement, et du fond du cœur : d’abord au nom de la médecine que vous avez enrichie de cette nouveauté, à qui, de toute évidence, elle manquait, bien qu’elle ait été odieusement mise à terre dans les Écoles, écrasée sous la pesante moue des maîtres ; et ensuite au nom d’un ami qui a eu le grand bonheur d’avoir le premier mis au jour une chose si utile.

Continuez, je vous prie, à chercher et à fouiller dans la même voie, et à arracher des ténèbres ce qui doit encore y être élucidé. Puissent les foudres et le menaçant murmure de quelques vieillards jaloux ne pas vous épouvanter, mais leur vanité vous inspirer le courage indéfectible et le fervent désir d’être le premier à briser les chaînes que la nature a cadenassées, pour les vaincre et nous expliquer comment se meut la machine de notre corps ! Exæquabit te victoria cælo[3][17]

Après la tranquillité de l’âme, que procure la piété sincère, rien n’est plus utile au genre humain qu’une bonne santé, vivere, sed valere, vita[4][18] Comment chacun pourra-t-il protéger et conserver cette bonne santé s’il ne s’astreint à ce qui la procure ? Une fois perdue, comment saura-t-il la restaurer si la construction de notre corps n’est pas bien connue ? Si donc quelque nouveau Démocrite [19] tel que vous, cher ami, guidé par l’expérience, montre la manière dont la nourriture est transformée en chyle, puis le chyle en sang, [20] et enseigne les fonctions de chaque partie du corps qui contribuent à purifier le sang, à restaurer les chairs, à éliminer les humeurs salées, à élaborer le levain, à préparer la semence, à parfaire les esprits [21] à engendrer les facultés des sens [Page 166 | LAT | IMG] nonne decebit hunc hominem numero divûm dignarier esse ? [5]

Je n’ai assurément connu, mon cher Pecquet, aucun anatomiste qui vous surpasse dans les talents requis pour repousser les frontières de cet art : profondément imprégné de préceptes géométriques (sans lesquels ceux qui s’efforcent d’étudier les phénomènes naturels se hasarderaient sine cortice nare ou à sillonner les océans sans boussole), [6][22] parfaitement au fait des inventions de la mécanique et vous-même fort industrieux, homo factus ad unguem[7][23] habile en toutes les disciplines, explorateur zélé de l’hydraulique [24] et de toutes ses machines, vous êtes parvenu par une longue pratique à être capable ut curvo rectum, quid solidum crepet discernere[8][25][26] et ne donnez pas le nom de raisonnements et de démonstrations à des sornettes, à des mots sans poids et aux fourberies d’un discours tortueux.

Voilà bien ce dont, depuis longtemps, d’érudits personnages ont envahi la médecine : ils ont appris en ressassant plutôt qu’en cherchant à comprendre ; ils ont cultivé leur mémoire plutôt que leur jugement et leur faculté à réfléchir ; ils n’ont jamais approché la nature de très près ; ils n’ont pas plongé leur esprit dans la pratique expérimentale ; ils se sont évertués à philosopher élégamment, subtilement et savamment sur les phénomènes naturels sans connaître la rhétorique, la philologie, l’éthique et les subtilités métaphysiques, plutôt qu’en examinant les faits eux-mêmes. De là viennent : cet être qui serait plus grand que l’être physique parce que l’essence de l’un aurait une masse supérieure à celle de l’autre ; ce qui tient à l’essence et à l’existence ; cette très subtile distinction entre êtres, semi-êtres et modes ; [9][27] cette différence entre la matière connue et obscure ; cette fonction des facultés échappant formellement à leur charge ou [Page 167 | LAT | IMG] s’en séparant ; cette disposition du corps humain qu’on s’est imaginée semblable à celle d’une cité ou d’une république ; la garde montée par les sens ; la présence, à la limite du royaume, de l’objet signifié à l’imagination acceptant le secours de l’objet qui l’est aux sens communs ; quelque message envoyé au jugement par les esprits animaux, semblables à des coursiers qui le porteraient à quelque roi, et la garde qui en est confiée à la mémoire, comme à quelque secrétaire ou trésorier qui le tirera de ses coffres ou de ses tiroirs au moment opportun ; l’irritation des facultés, des esprits ou des parties auxiliaires qui refusent parfois d’accomplir leur charge et doivent, pour l’exécuter, être contraintes par la force, ou amadouées, comme par de l’argent ou par de bonnes paroles. [10] Et quand ils présentent et prescrivent tout cela, généralement dans une séduisante parade de mots, leurs lecteurs trouvent d’honnêtes gens, habitués à traiter les affaires politiques ou à s’y intéresser de près, qui s’en délectent et se réjouissent qu’on en fasse, à tort ou à raison, un modèle qui s’applique aux phénomènes naturels.

Il en est pourtant qui ne se laissent pas si facilement duper par la vacuité de ces propos et qui, hormis les corps, leur configuration et leur mouvement, n’admettent pas qu’on explique quantité de phénomènes de la nature par les machines, puisqu’ils ne manqueraient pas de maintes choses qui ressortissent à la mécanique et que les artisans les pourvoiraient entièrement des autres. Sauf à avoir l’esprit mal timbré, quel architecte, invité à exposer le projet de sa construction, a-t-il jamais raconté autre chose que la forme et la qualité des pierres, des poutres et des planchers ? L’un d’eux a-t-il alors jamais attribué une disposition à son conduit de cheminée, à ses tables à manger, à ses latrines, à ses galeries de tableaux et de statues, à ses salles pour les domestiques, à ses écuries, à sa bibliothèque et à la manière d’y ranger et d’en tirer les livres ? [11] Pourtant, dis-je, il est des incrédules qui, en toute sincérité et [Page 168 | LAT | IMG] et avec mûre réflexion, examinent de telles métaphores et les bannissent des sciences naturelles, sans user d’autre suffrage que celui procuré par les faits. Pauci quidem isti reperiuntur Iupiter quos æquus amavit, rarique nantes in gurgite vasto[12][28][29] car on nous a habitués depuis l’entrée dans l’adolescence à ne pas considérer les faits eux-mêmes ni à peser le sens des mots, mais à en user la plupart du temps sans discernement (et Dieu sait si le génie humain en a inventé pour meubler ses ratiocinations !) et sans nous soucier du tout de ce qu’ils signifient exactement.

S’il est sincère et neque naris obesæ[13] quiconque se remémore les années de collège qu’il a passées à s’initier aux belles-lettres, se rend compte qu’il ne s’y est sérieusement agi que de l’habituer à articuler certains mots, dont le sens n’était pas toujours faux si on les examinait séparément, mais qui devenaient inintelligibles quand on les joignait les uns aux autres ; et quand il a entrepris d’étudier la médecine, on lui a surtout inculqué des sentences grecques qui ne manquent pas d’élégance et s’appuient sur l’autorité d’Hippocrate de Cos [30][31] et que le jugement de Galien de Pergame a confirmées. [32][33]

Ses maîtres lui ont présenté ces brillants hommes comme des dieux à adorer et vénérer, comme s’ils avaient inventé l’art médical et l’avaient mené à sa perfection, tant et si bien que pour s’y instruire, il ne lui restait que ce qu’on avait voulu comprendre dans leurs écrits. Je ne désire nullement dénigrer le renom de si grands auteurs, mais oserais affirmer que nos professeurs ont divagué quand ils ont fait avaler de force à leurs élèves ces préceptes, dont ils jugent inutile de s’éreinter à y ajouter quoi que ce fût. Leurs enseignements restent et resteront certainement fort utiles, mais convient-il d’empêcher quiconque est né tant de siècles après eux de les développer en quelque façon ?

[Page 169 | LAT | IMG] Comme en témoignent ses écrits, Hippocrate a été un médecin de génie qui s’est illustré par son inlassable labeur, un homme parfaitement sincère et qui n’a pu ni s’y tromper sciemment ni vouloir tromper ceux qui les lisent. Il y a soigneusement noté tout ce qui se présentait à lui dans sa pratique des maladies, mais qu’on n’avait pas suffisamment observé, ou qui n’était pas encore bien clair, ou qu’il fallait remettre sur l’enclume. De là sont venus les livres des Aphorismes qu’il a réunis et que, comme il se devait, la postérité a reçus avec zèle et vénération. Ils sont pourtant confus et rédigés sans aucun ordre, on voit nettement qu’il s’est agi de notes qu’Hippocrate a crayonnées, quand il en ressentait l’envie ; mais, à tort et en dépit du bon sens, on les a tenus pour oracles écrits depuis le trépied [14][34][35] Je crois bien que Du Prat, qui est un médecin fort aguerri, en fera la démonstration, si ses loisirs lui permettent un jour de publier ce qu’il médite d’écrire contre les Aphorismes de l’excellent vieillard, où soit il les expliquera avec toute l’acuité de son raisonnement, soit il en confirmera la vérité à la lumière de son expérience, soit il les enrichira d’innombrables commentaires, grâce à la louable fécondité de son esprit, formant comme un supplément et qui seront fort utiles à la médecine en permettant une plus nette compréhension des phénomènes naturels. [15]

Galien est, après Hippocrate, l’autre inventeur de cette médecine qu’on enseigne dans les écoles. Homme omniscient et d’un très élégant génie, il s’est si hautement signalé par la quantité de volumes qu’il a écrits qu’on ne doit en aucune façon les ranger parmi les derniers ornements des lettres. À lui seul, son livre sur l’Utilité des parties [36] lui a valu l’immortalité, que lui a aussi assurée le reste de ses ouvrages, bien qu’Argenterio se soit vainement acharné à le dépouiller d’une gloire que tant de siècles ont confirmée. [16][37] Pour la déplorable prolixité qui dégouline de cette œuvre asiatique, laissez-moi vous parler franchement et vous dire à la manière de Pline : Heu vana et [Page 170 | LAT | IMG] imprudens diligentia. Numerus librorum computatur ubi quæritur pondus[17][38] Les écrits des médecins, non moins que ceux des mathématiciens et des naturalistes, doivent chasser bien loin cette prodigalité du discours et ce caquetage incessant ; il faut ramasser beaucoup en peu, autant que possible et dans la mesure où l’on respecte clarté, netteté et dépouillement. Dans les ouvrages didactiques, faire autrement et se laisser aller à la surabondance, au point de se complaire à énoncer une seule et même chose de cent manières différentes et à tout bout de champ, c’est gâcher son propre temps et celui du lecteur.

Ce style de Galien a néanmoins plu aux doctes régents des écoles et a semblé parfaitement apte à caresser les oreilles des malades, des femmelettes et des messieurs simplets ; et sans la moindre surprise, il en a résulté que le seul souci des médecins a été d’inculquer à leurs fils cette capacité à discourir qui permet sur-le-champ de pérorer sur toutes les maladies ou sur leurs symptômes, sans discontinuer tant qu’on ne leur aura pas dit : cute perditus ô he jam satis est ! [18] Grâce à ce talent, ils ne se lassent pas de répondre aux ennuyeuses questions de leur auditoire, que leurs verbeuses réparties finissent par dégoûter. Je me rappelle avoir vu dans la cour de quelque prince un médecin tout à fait savant et expérimenté qui, pour se libérer des remèdes de malveillantes bonnes femmes qui le désavantageaient, mais en osant à peine en parler, disait avoir sous la main une armée de quelques centaines de médicaments, qu’il tirait de son arsenal de matière médicale et dont il débitait les noms par ordre alphabétique, sans difficulté ni reprendre son souffle, au grand ébahissement des malades et des dames qu’il soignait ; mais cela fait, pour les délivrer de leurs maux, [Page 171 | LAT | IMG] il ne recourait qu’à un unique remède, tel un général en chef qui n’aurait sorti de son armée qu’un seul soldat prêt au combat. Decipi voluit populus, æquum est, ut decipiatur [19][39] Ils agiraient sans doute avec moins d’aisance s’ils convenaient être très souvent à court de temps et demandaient à en avoir davantage à leur disposition pour examiner plus soigneusement les choses ; mais leur présente méthode, qui consiste à disserter, et leur habitude d’agir sur-le-champ et de ne pas réfléchir viennent au secours de leur ignorance. Par leur impéritie, qui est comme une boulette que doit avaler le cerveau, ils noient les énigmes et répandent les ténèbres, par cette ruse, disent-ils, qu’emploie la sèche pour s’échapper en répandant son encre. [20][40] Je cite Pline : Hinc illæ circa ægros miseræ sententiarum concentrationes, nullo idem censente, ne videatur assertio alterius. Hinc illa infelix monumenti inscriptio, turba se medicorum periisse. Mutatur ars quotidie interpollis, et ingeniorum Græciæ flatu impellimur. Palàmque est, ut quisque inter istos loquendo pollet, imperatorum illico vitæ nostræ necisque fieri. Discunt periculis nostris, et experimenta per mortes agunt[21][41]

Pour le dire autrement, je craignais en silence que quelque rieur emunctæ naris et petulanti splene cachinno, définirait la médecine comme l’art des balivernes qu’on doit débiter avec pesante arrogance en présence du malade, et celui de lui administrer des remèdes hasardeux, afin que sa profonde affliction de l’esprit soit tant soit peu adoucie et qu’il attende sereinement ou la restauration d’une bonne santé, quand la nature joue bien son rôle, ou mors ultima rerum linea, fatis properantibus[22][42] Qui voudrait en dire plus long et mieux décrire ces praticiens, dirait encore que leur hardiesse consiste à proférer des insanités et à vouloir vendre des mots d’un pied et demi de long, qui font grand bruit mais n’ont absolument [Page 172 | LAT | IMG] aucun sens ; que leur témérité les mène à prescrire les plus douteux remèdes comme s’ils étaient les plus efficaces de tous ; et leur ruse qui les fait s’enorgueillir de leur audace quand la chance leur a souri, mais esquiver les reproches quand l’affaire a mal tourné et mettre leur échec sur le dos d’autres responsables.

Si quantité d’éminents médecins ne se comportaient tout à fait autrement, tant par la qualité et l’honnêteté de leurs avis que par leurs secourables prescriptions, qu’on ne louera jamais assez, et par leur acharnement à comprendre l’agencement du corps humain grâce aux dissections, c’est en vain que les autres se démèneraient dans nos cours princières, où ils profèrent tant d’insignes sornettes avec tant d’autorité. Sans parler de Vesling[43] d’Aselli[44] d’Harvey[45] quels grands hommes per Apollinem tuum ! [46] il nous reste encore, grâce à Dieu ! Bartholin[47] Conring[48] Patin[49] Spon[50] Mentel[51] Du Prat, et les autres émules de votre diligence, grâce auxquels il nous est permis d’espérer que plus de clarté luira encore un jour. [23]

Ceux qui vous féliciteront n’iront pas se demander si vous aviez reçu le grade de docteur au moment où vous avez mis au jour pour la première fois ces veines lactées du thorax, et ils chanteront plus encore vos louanges quand ils sauront que c’est un philiatre [52] (titre que notre vieillard, dont un pied est déjà dans la tombe, vous a jeté à la figure pour tenter de vous humilier) qui a ravi ce très grand honneur à des professeurs chenus qui n’ont rien enseigné d’autre que de recuire indéfiniment le même chou. Certè hostem qui feriet erit mihi Carthaginiensis[24][53][54] J’accorderai mon estime, et elle ne sera pas mince, au médecin qui sera parvenu jusqu’aux embouchures du chyle sans se fier au hasard et à la chance, mais en y consacrant plus de recherche, d’obstination et de soin, et en y réussissant mieux que les autres. [25][55]

Bien que vous ayez aujourd’hui, très brillant Pecquet , le grade de médecin, je voudrais qu’on vous donne toujours celui de philiatre et que les devoirs qui vous occupent ne vous absorbent [Page 173 | LAT | IMG] si entièrement que vous abandonniez un jour tout intérêt pour l’anatomie. Votre protecteur [56] emploie heureusement vos talents à régler ses affaires et vous y dépensez tout votre temps, dont une partie non négligeable devrait rester consacrée au bien public.

Dans ce jeune âge ou cette enfance de la médecine, qui est encore loin d’être adulte, car elle parle en balbutiant et marche en titubant, il est surprenant de voir des hommes qui osent mettre en avant leur diplôme de doctorat, tout en sachant bien qu’il ne vaut pas grand’chose, et les privilèges académiques qui y sont attachés, comme si on n’y voyait pas aussi trouble à Paris [57] ou en Occitanie que dans les Flandres ou en Italie. Je ne puis que rire des frileuses railleries de Courtaud, [58] de sa bastonnade [59] et des autres protagonistes, où c’est la plupart du temps Clodius accusat mœchos, Catilina Cethegum, mais sans apparence que l’un ou l’autre n’en tire rien de bien utile et de profitable. [26]

Je pense que les princes n’ont pas établi les universités pour borner l’entendement humain et le zèle des savants, mais pour que de brillants esprits y viennent en foule et, en se frottant les uns aux autres, fassent jaillir les étincelles des vérités. La doctrine d’Hippocrate et les commentaires de Galien ne sont pas à tenir pour si éminents qu’il faille interdire d’en dévier d’un pouce. J’approuve encore bien moins qu’on ait mis dans la tête des citoyens et des hommes libres qu’ils ne doivent s’en remettre aux avis d’un médecin que si le doctorat lui a été conféré par telle ou telle université, car il ne saute pas aux yeux que les autres ne forment que des crétins et des balourds.

Summos posse viros et magna exempla daturos
Vervecum in patriâ crassoque sub aëre nasci
[27]

Cela revient presque à dire qu’il ne serait pas permis à tout un chacun de risquer sa propre peau, ou que l’expérience, qui est la base de l’art, n’aurait pas bien souvent enseigné au peuple de [Page 174 | LAT | IMG] très remarquables remèdes dont les médecins n’ont jamais entendu parler. Au témoignage de Pline, Hinc enim nata Medicina. Hæc sola Naturæ placuerat esse remedia, parata vulgo, inventu facilia ac sine impendio, et quibus vivimus. Postea fraudes hominum et ingeniorum capturæ officinas invenire istas, in quibus sua cuique homini vænalis promittitur vita. Statim compositiones et misturæ inexplicabiles decantantur. Arabia atque India in medio æstimantur, ulcerique parvo medicina à rubro mari inputatur, cùm remedia vera quotidie pauperrimus quisque cœnet. Nam si ex horto petantur, aut herba, vel frutex quæratur, nulla artium vilior fiat. Certè nulla nunc inconstantior, nulla, quæ sæpius mutetur, cum sit fructuosior nulla[28][60] En fidèle et très sérieux commentateur de la nature, le même auteur est revenu plus loin sur le sujet, en ajoutant : Non rem antiqui damnabant, sed artem[29]

Je reviens à notre siècle. L’impudence de l’esprit humain s’étale bien dans l’enseignement de la théologie et du droit, où les étudiants, sans exception, peinent à comprendre le sens de textes consacrés ; mais puisque les lois et les dogmes sont établis, et ne doivent être tirés d’aucun autre livre, rien n’en est abandonné à la faiblesse de l’entendement humain. Il n’en va pas de même en médecine, dont la totalité ne se trouve pas dans les ouvrages d’Hippocrate et de Galien ; elle n’est donc pas inaccessible à l’ingéniosité expérimentale et aux subtilités de l’argumentation, et ses fragiles acquis semblent encore implorer votre aide, mon cher Pecquet, et l’appui des autres anatomistes.

Avant de poser votre pinceau, je veux dire, avant d’abandonner le scalpel et les loupes, [61] je vous demande de satisfaire le vœu que partagent tous les curieux en explorant maints autres viscères, [Page 175 | LAT | IMG] car je pense qu’une très riche moisson d’observations reste à faire. L’acquisition de ce savoir montrera peut-être aux gens (dont nous espérons faire partie) le chemin vers une mort qu’ils attendront plus longtemps et en meilleure santé, ou qu’ils atteindront en endurant de moins cruelles souffrances. L’utilité des découvertes physiologiques n’apparaît certes pas encore assez clairement en pathologie et en thérapeutique, mais s’ils ont bon esprit, tous ceux qui aiment faire des objections doivent déjà convenir qu’elles ont peu ou prou éclairé leur savoir.

J’ai coutume de dire que la circulation du sang et la dérivation du chyle jusqu’au ventricule cardiaque droit sont sans conteste les deux étoiles qui fondent une révolution du système de la médecine : [62] sans leur éclairage, c’est en vain qu’on avait jusqu’alors travaillé à l’enrichir ; mais sous leur impulsion, il n’est plus possible de demeurer immobile. On pourra établir un lien entre ces deux découvertes, et ce que les cogitations et la sagacité des curieux ont encore à élucider sur les fonctions normales ou altérées des parties similaires et dissimilaires. [30] Ces progrès doivent en effet dépendre du petit nombre de nouvelles structures qui ont été mises au jour (orifices, canaux, valvules, anastomoses, insertions et bifurcations vasculaires, et autres détails de ce genre qui échappaient jusqu’ici à notre regard lors des dissections), étant donné que le fonctionnement du corps vivant ne sort de l’ombre que grâce à ses bouleversements : épanchement de liquide, évaporation des esprits, rupture de vaisseaux ou quelque autre changement dans la disposition des organes telle qu’on l’avait précédemment observée chez les animaux.

Pour votre remarque comparant le cerveau à une plante dont la racine serait bulbeuse, elle me semble élégante sans que j’y puisse rien ajouter, car votre intérêt n’a pas encore porté sur ce très vaste organe [Page 176 | LAT | IMG] que Du Prat appelle la Terra Australis incognita du microcosme. Il ne suffit pourtant pas d’avoir abordé ses rives, il est utile d’en visiter l’intérieur car nous y échappe manifestement ce que contiennent les replis de ses anfractuosités, ventricules, callosités et glandes. Les rameaux nerveux issus de son bulbe formant sept paires qui s’éparpillent en tous sens, [31][63][64] puis ceux de la moelle épinière, qui s’en répandent comme d’un ample tronc, gagnent tous des muscles, qui sont comme des feuilles qu’irrigue continuellement l’ondée des artères, ce sang que les veines se chargent de rapporter au cœur ; sans vous harceler plus avant avec ces questions, il ne suffit pas que je vous les aie pointées du doigt pour que vous sachiez à quel point vous aurez à vous en souvenir.

Quant aux injures qui parsèment les écrits de vos adversaires qu’afflige une si grande démence frugibus inventis ut glande vescantur[32][65] sachez bien, mon cher Pecquet, que hanc esse æruginem meram, hunc nigræ succum loliginis[33] Si vous désirez batailler avec eux en conservant votre sérieux et avec philosophique mansuétude, nihilo plus ages, quàm si velis operam dare, ut cum ratione insanias[34][66]

Ελεγχ’, ελεγχου, λοιδοεισθαι δ’ ου πρεπει
Ανδρας ποιητας ωσπερ αρτοπωλιδας, [35][67]

et bien moins encore comme des philosophes chrétiens. Augustin tenait cet élégant propos à Petilianus : Si ego tibi vellem pro maledictis maledicta rependere, quid aliud, quàm duo maledici essemus ? ut ij, qui nos legerent, alij detestati abjicerent sanâ gravitate, alij suaviter haurirent malevolâ voluntate[36][68][69] Nihil autem ad convitia silentio et taciturnitate accommodatius, nisi poscas lusco dicere lusce, et in eodem valetudinario deprehendi. Canes oblatrant, quos trepidantes vident ; at si prætereas nescio similis, tacent. [37][70][71] Vous ne pourriez faire plus plaisir aux hommes qui tiennent d’aigres propos contre vous [Page 177 | LAT | IMG] qu’en leur donnant dans un de vos écrits l’occasion de riposter, hoc est, oleum adderes camino[38]

Écoutons donc Hippocrate qui s’est lui-même insurgé contre votre ennemi, puisqu’en très docte vieillard qu’il est, [39][72] il l’a sans aucun doute lu et relu, mais il est surprenant qu’il n’ait pas pris bonne note des phrases cedro digna, auro quidem contrà non cara[40] qui sont écrites au tout début du livre de l’Art [73] et devraient être écrites aux portes des facultés de médecine :

Εισι τινες οι τεχνην πεποιηνται, το τας τεχνας αισχροεπειν, ως μεν οιονται οι τουτο διαπρησσομενοι, ο εγω λεγω, αλλ’ ιστοριης οικειης επιδειξιν ποιευμενοι. Ε’ μοι δε το μεν τι των μη ευρισκομενων εξευρισκειν, ο, τι και ερεθεν χρεσσον η ανεξευρετον, ξυνεσιος δοκεει επιθυμημα τε και εργον ειναι. Και το τα ημιεργα ες τελος εξεργαζεσθαι ωσαυτως. Το δε λογων ου καλων τεχνη τα τοις αλλοις ευρημενα αισχυνειν προθυμεεσθαι, επανορθουντα μεν μηδεν, διαβαλλοντα δε τα των ειδοτων προς τους μη ειδοτας εξευρηματα, ουκ ετι δοκεει ξυνεσιος επιθυμημα τε και εργον ειναι, αλλα κακαγγελιη μαλλον φυσιος, η ατεχνιη. Μουνοισι γαρ τοισιν ατεχνοισιν, η εργασιη αυτη αρμοζει, φιλοτιμεομενων μεν (ουδαμα δε δυναμενων κακιης υπουργεειν) εις το τα των πελας εργα η ορθα εοντα διαβαλλειν, η ουκ ορθα μωμεεσθαι.

Sunt quidam qui artem profitentur hanc, quæ cæteras artes deshonestare docet. Attamen id, ut illi sperabant, non conficiunt, sed tamen id, ut mihi videtur, faciunt, non aliam ob causam, quàm, ut variam suam eruditionem ostentent. Mihi verò investigare aliquid eorum, quæ nondum inventa sunt, quod ipsum notum, quàm ignotum esse præstet, scientiæ omnium votis optabilis, negotium videtur esse ; similitérque ea, quæ dimidium per vestigationis habent, [Page 178 | LAT | IMG] plenè absolvere. Contrà, maledicentiæ arte, ea quæ ab aliis inventa sunt turpiter incessere velle, nullo quidem castigandi, sed ea quæ à peritis pervestigata sunt apud imperitos calumniandi studio, id profectò non scientiæ optabilis negotium videtur esse, sed aut (malignæ) naturæ, aut ignorantiæ argumentum. Solos enim imperitos artis hoc factum docet, qui ambitiosè quidem contendunt (quamvis maliciei non respondeant eorum vires) ut aliorum præclara opera calumnientur ; vel, si illa vitiosa fuerint, ad reprehendum se convertant[41]

Quoi qu’on en pense, je crois qu’il faut pardonner à un vieillard qui n’a pas démérité de la république des lettres, qui a parsemé son Anatomie [74] des fleurs qu’il a tirées avec un louable soin des meilleurs ouvrages classiques, qui a fort élégamment habillé et orné des faits fort rebattus et vulgaires, et qui a surtout eu le souci non négligeable de rappeler leur intérêt dans la pratique médicale. Comme il a jadis été fort bien dit, Neminem mortalium omnibus horis sapere[42] et on aurait admiré bien plus encore un homme qui a passé le plus clair de sa longue existence à se pencher sur les livres si les siens n’avaient taillé en pièces des propos qu’il aurait dû absoudre, et s’il n’en avait lui-même écrit quelques-uns dont il aurait mieux fait de s’abstenir. Le fait est bien qu’avant de mettre la main à la plume, usant du privilège de l’âge et de son autorité professorale, il n’a pas prié le philiatre que vous étiez alors de lui faire une démonstration privée des lactifères thoraciques qui étaient l’objet de la controverse, ce que vous n’auriez sûrement pas refusé, puisque vous avez plus que très souvent offert de les montrer à qui voulait. [43][75] Telle est la raison de son opinion si blâmable car elle est erronée, funeste et pleine de détestables paradoxes sur une découverte dont la confirmation ne requiert qu’une habile main d’anatomiste et des yeux qui acceptent de voir ce qui est ; et dont j’augure que nul ne pourra dorénavant la mettre en doute s’il a bien examiné la question. Les défauts d’un vieillard émérite sont pourtant de ne pas vouloir renier sa foi dans ce qu’il a appris durant sa jeunesse et, plus encore, [Page 179 | LAT | IMG] de ne pas souffrir que les plus jeunes aient du talent : γηρασκειν διδασκομενη, και διδασκειν γηρασκομενη. [44][76] Prenons garde, mon cher Pecquet, quand nous aurons atteint cet âge (si nous y parvenons jamais), [45] de ne pas nous fracasser contre les mêmes écueils, et encourageons la jeunesse à s’appliquer avec plus d’entrain aux travaux qu’elle a entrepris. Il est pourtant fallacieux, mais aussi inconvenant d’attacher la moindre valeur aux lares et aux richesses, même si les auteurs des plus belles inventions mériteraient de naître dans la plume et la pourpre. Ce censeur des lactifères dit que sa très vénérable et savante Compagnie [77] a remporté la victoire dans votre querelle, en voulant dire que vous avez dû recourir à la bienfaisance d’une autre qu’elle, mais qu’est-ce là d’autre que blâmer l’injustice du sort et murmurer contre la providence divine ? Que veut-il dire d’autre que les Révérends Pères [78] ont sur-le-champ reconnu le lion à sa griffe, pour que le vieillard qui devient aveugle [79] ne prête pas attention à sa gueule et à la puissance de ses pattes ? Je ne puis certainement pas digérer que ce réprobateur vous range parmi les monstruosités de l’esprit pour avoir découvert le canal chylifère. [46][80] Je vous conseille pourtant d’en rire car il me semble entendre quelque batelier vieillot à trois sous, de la famille des marins qui traversent la Seine en barque et qui, sans faire grand cas des Magellan, Colomb, Marius, Drake, Barentz, [47][81][82][83][84] ni avoir encore donné de lustre à leur confrérie, auraient la folle témérité de s’aventurer sur l’Océan pour dévoiler des terres inconnues aux Parisiens. Comme est maigre l’influence qu’exerce la faculté d’une seule ville qui recourt à une méthode unique pour soigner ses habitants, si on la compare à l’ensemble du genre humain, dont l’intérêt est qu’en sortent des gens industrieux qui ont du goût pour l’authentique gloire et placent leurs avantages privés derrière ceux du public ! Ne perdez pas votre temps à réfuter les insultes de ceux [Page 180 | LAT | IMG] qui s’attaquent vainement à votre découverte, quand d’autres font croire à tous et à qui mieux mieux en être les auteurs, que le fait est indéniable et que la gloire inébranlable leur en revient.

J’ai écrit à mon vieil ami Henricus Bornius, professeur de Leyde, [48][85][86] pour m’étonner qu’il ait pu se faire que le très distingué M. Jan van Horne, quand il écrivait sur le canal chylifère, n’ait pas vu votre petit traité publié deux ans auparavant, [49][87][88] puisqu’il n’a échappé à quiconque est instruit et n’est pas hostile à l’anatomie, que vous avez été le tout premier à découvrir ce qu’on peut vraiment tenir pour un détroit de Magellan. Notre collègue sera la risée de la postérité s’il ne reconnaît pas cela à la première occasion qu’il aura de le faire, et jure qu’il n’avait pas vu votre livre et que sa dissection l’avait mené à la même conclusion que vous. Refusez néanmoins de me croire dans le doute sur le fait que van Horne ait aussi trouvé le canal thoracique, mais la bonne réputation d’un homme qui jouit aujourd’hui d’un grand renom ne sera pas à l’abri d’un soupçon de plagiat s’il ne s’en délivre pas en relatant purement et simplement l’expérience qu’il a faite et en vous attribuant la gloire d’y être parvenu avant lui. J’ai donc demandé qu’on rappelle habilement ce très savant homme à ses devoirs. Quant à vous, très illustre Pecquet, vale et évertuez-vous à servir la médecine. Il est en effet souhaitable qu’on cesse enfin de conter des sornettes sur un sujet si sérieux. Vale une fois encore. De Paris, le 13 août 1654.


1.

Au témoignage de Guy Patin (v. infra notes [22] et [23]) et de nombreux autres, Sebastianus Alethophilus (hellénisme signifiant « qui aime la vérité », alêthéia), est le pseudonyme de Samuel Sorbière. Né en 1615 dans le Languedoc, il était de sept ans plus âgé que Jean Pecquet. Tous deux avaient étudié la médecine à Paris sans y atteindre le grade de bachelier et furent reçus docteur ailleurs : une faculté de Hollande (probablement Leyde) pour Sorbière, et Montpellier pour Pecquet.

Cette lettre se consacre beaucoup moins à commenter la science des veines lactées qu’à consoler Pecquet des attaques que sa découverte lui a values, et tout particulièrement celles de Jean ii Riolan. Une préoccupation majeure de Sorbière, plusieurs fois répétée, était de convaincre son ami de ne pas se décourager et de poursuivre ses recherches anatomiques avec la même ardeur.

Le latin de Sorbière est endimanché et souvent tortueux, mais plus correct que celui de Pecquet. Sans prétendre être parvenu à toutes les identifier (j’en ai trouvé 40), j’ai maintenu dans leur langue originale les nombreuses citations classiques, grecques et latines, dont il a truffé sa lettre, à la mode de maints auteurs académiques de son siècle. V. note [11], préface des Responsiones duæ, pour l’avis favorable de Riolan sur le style d’Alethophilus (qu’il croyait être Pecquet).

2.

Dans sa lettre à Jean Pecquet (1651), Adrien Auzout lui avait déjà témoigné son admiration. V. notes :

3.

« La victoire te rendra égal aux dieux. » En en gommant l’athéisme épicurien de Lucrèce, ce latin imite La Nature des choses (vnote Patin 131/166), livre i, vers 178‑179 :

Quare religio pedibus subiecta vicissim
opteritur, nos exæquat victoria cælo
.

[Pour avoir vaincu la religion et l’avoir foulée aux pieds, la victoire nous rend égaux aux dieux].

Jean ii Riolan était le plus acerbe des « vieillards jaloux » qui s’attaquaient à Jean Pecquet. Samuel Sorbière encourageait son ami à poursuivre ses travaux sur les voies du chyle, mais en laissant entendre que leur interprétation ne l’avait pas encore entièrement convaincu.

4.

« puisque la vie ne consiste pas à vivre, mais à se bien porter », Martial, Épigrammes, livre i, lxx, vers 15 : Non est vivere, sed valere, vita.

5.

« ne devra-t-on pas juger cet homme digne d’être compté parmi les dieux ? », Lucrèce, La Nature des choses, livre v, vers 49‑51, sur les vices qui corrompent l’âme et le corps humain :

Hæc igitur qui cuncta subegerit ex animoque
expulerit dictis, non armis, nonne decebit
hunc hominem numero divorum digniarier esse ?

[Ne devra-t-on donc pas juger digne d’être compté parmi les dieux cet homme qui a dompté tous ces ennemis et les a chassés de nos cœurs par la vertu de sa parole et sans armes ?]

6.

« à nager sans bouée », Horace Satires, livre i, iv, vers 119‑120 :

                           Simul ac durauerit ætas
membra animumque tuum, nabis sine cortice
.

[Dès que les années t’auront fortifié le corps et l’esprit, tu nageras sans bouée].

7.

« en homme accompli à l’ongle », Horace Satires, livre i, v, vers 32 ; Érasme en a fait son adage no 491, Ad unguem, « À l’ongle » (parfaitement accompli), avec cette explication :

A marmorariis sumpta metaphora, qui superinducto ungui commissuras explorant marmorum.

[La métaphore nous vient des marbriers qui recherchent les fissures en passant un ongle sur la pierre].

8.

« de distinguer une droite d’une courbe et le plein du vide, au son qu’ils rendent » :

9.

Sans se référer à un texte que je sois parvenu à identifier, Sebastianus Alethophilus brocardait les arguties de la philosophie aristotélicienne (scolastique) tenant à la nature de l’être. {a} Furetière en a donné ce bref aperçu :

« Être de raison, en termes de logique, est un être qui ne subsiste que dans l’imagination qui le forme, qui est opposé à être réel. {b} Les universaux {c} sont des êtres de raison. Les pédants {d} multiplient fort les êtres de raison, et forgent mille chimères qui sont de purs êtres de raison, qui ne sont point dans l’être des choses. Il ne faut point multiplier les êtres sans nécessité. »


  1. En scolastique, l’être (ens en latin), autrement nommé substance ou créature, désigne ce qui est (essence) ou existe (existence). On le distinguait des semi-êtres ou modes de sa substance.

  2. Ou physique ; « en philosophie on appelle essence, ce que l’on conçoit de premier en une chose, et on le distingue de son acte, qu’on appelle son existence » (ibid).

  3. « Termes généraux sous lesquels sont compris plusieurs espèces et individus. On en compte cinq : le genre, l’espèce, la différence, le propre et l’accident » (ibid).

  4. Professeurs (régents) des collèges qui farcissaient d’aristotélisme la tête de leurs élèves.

10.

Bien moins intéressé par le mouvement du chyle que par le fonctionnement du système nerveux (v. infra note [31]) et la nature des esprits animaux (influx nerveux), Sebastianus Alethophilus étalait quelques-unes des fadaises allégoriques que les médecins et les philosophes de son temps colportaient doctement sur le sujet.

11.

Quand il présente son projet, l’architecte, comparé à la Nature (Dieu créateur des êtres), ne se perd pas dans les détails intérieurs de sa construction.

12.

« On trouve bien peu de ceux-là qui, chers à Jupiter le juste, nagent sur le vaste abîme » ; Virgile, Énéide :

13.

« et n’a pas le nez bouché » : Horace (Épodes, xii, vers 3) a utilisé naris obesæ pour désigner une personne qui n’a pas le nez (l’esprit) fin.

14.

Vnote Patin 8/9065 pour le trépied de Delphes, d’où la pythie prononçait ses oracles.

Labourées en tous sens par une kyrielle d’auteurs, les sept sections des Aphorismes d’Hippocrate formaient encore la base intangible de l’enseignement médical au milieu du xviie s. (vnote Patin 7/86).

Un pamphlet anonyme intitulé Genius Πατουλιδαμας (Paris, 1654) rédigé par les docteurs en médecine de Montpellier contre ceux de Paris (v. infra note [26]) a sévèrement blâmé ce propos de Sebastianus Alethophilus, surnommé Gymnasiarcha Oraniensis, « le gymnasiarque d’Orange », ville où Samuel Sorbière avait enseigné (vnote Patin 31/399).

15.

Abraham Du Prat (v. supra note [2]) n’a, à ma connaissance, jamais publié ses commentaires sur les Aphorismes.

16.

Le médecin piémontais Giovanni Argenterio (Jean Argentier, vnote Patin 3/9) a été l’un des plus virulents antagonistes de Galien au xvie s., sans parler du Suisse Paracelse qui a brûlé ses ouvrages (vnote Patin 7/7).

17.

« Calcul vain et déraisonnable, hélas ! on compte le nombre des livres, quand il faut en peser la valeur » ; Pline (Histoire naturelle, livre vii, chapitre xli ; Littré Pli, volume 1, page 301) :

Heu vana et inprudens diligentia ! numerus dierum conparatur, ubi quaeritur pondus !

« Calcul vain et déraisonnable ! on compte les jours, il les faudrait peser. »

Le style grec dit asiatique était diffus et chargé d’ornements inutiles ; c’était une allusion à Pergame, en Asie Mineuse, d’où Galien était originaire.

18.

« holà, en voilà assez, l’outre est pleine ! » : Perse, Satire i, vers 23 (sur un vieux poète qui ne s’arrêtait plus de débiter ses vers), et dicas cute perditus, ohe !

19.

« Le peuple a voulu être trompé et il est juste qu’il le soit » : probable référence au Quandoquidem populus iste vult decipi, decipiatur ! du cardinal Carlo Carafa, impie et cynique légat pontifical, bénissant le peuple de Paris en 1556, selon la relation de Jacques-Auguste de Thou dans son Histoire universelle (vnote Patin 7/794).

20.

La boulette ne semble avoir du sens que si elle est soporifique, c’est-à-dire opiacée. L’allusion à l’encre de sèche (sépia) est plus transparente : v. note [45], première Responsio de Jean ii Riolan, 4e partie.

21.

Longue diatribe de Pline l’Ancien contre les médecins au début du livre xxix de son Histoire naturelle, chapitres v et viii (Littré Pli, volume 2, pages 299‑300) :

« De là ces misérables débats au chevet des malades, personne n’accédant à l’avis déjà émis, de peur de paraître subordonné à un autre ; de là cette funeste inscription sur un tombeau : “ Le grand nombre des médecins m’a tué. ” La médecine varie tous les jours, après avoir été tant de fois modifiée. Nous sommes poussés au charlatanisme grec ; et il est évident que le premier d’entre eux habile à pérorer devient aussitôt l’arbitre de notre vie et de notre mort. […] {a} Les médecins apprennent à nos risques et périls, ils expérimentent en tuant [avec une impunité souveraine, et le médecin est le seul qui puisse donner la mort.] » {b}


  1. Transition des chapitres v à viii

  2. medicoque tantum hominem occidisse impunitas summa est.

22.

Guy Patin a attribué sans ambages l’expression artem nugarum, « l’art des balivernes », à Samuel Sorbière : vnote 1/382 (lettre du 4  décembre 1654 à Charles Spon) :

« j’ai rencontré M. Sorbière […]. Reprochez-lui qu’il a eu tort de chanter des injures à M. Riolan, qui est un homme incomparable, et d’appeler notre métier Artem nugarum, etc. Dieu le punira et cela sera cause qu’il ne sera pas sitôt abbé comme il eût désiré, et moi aussi. » {a}


  1. Patin voulait sans doute simplement dire qu’il ne serait pas abbé de sitôt. Toutefois, en travaillant sur la lettre de Sebastianus Alethophilus, je me suis plusieurs fois demandé s’il n’y avait pas mis la main ; notamment en lui soufflant quelques-unes de ses citations favorites pour aiguiser les flèches lancées contre Jean ii Riolan, son tout-puissant mentor qu’il était contraint de vénérer, mais dont il trouvait grand plaisir à médire de temps en temps.

Les quatre citations latines de ce passage sont tirées d’auteurs satiriques :

23.

V. infra note [25] pour l’emploi du futur dans cette dernière proposition.

L’exclamation latine per Apollinem tuum !, « par votre Apollon ! », est une invocation au dieu Apollon qui, parmi bien d’autres titres, était l’inspirateur et le protecteur des médecins (vnote Patin 8/997) et, tout particulièrement ici, de Jean Pecquet, comme il avait été celui de Johann Vesling, de Gaspare Aselli et de William Harvey.

Samuel Sorbière fournissait aussi une intéressante liste de ceux qu’il tenait pour les émules de Pecquet. Déjà cités dans cette lettre ou ailleurs dans notre édition, Thomas Bartholin, Jacques Mentel, Abraham Du Prat et Hermann Conring y figurent de bon droit. Faute d’avoir fait utilement progresser la médecine de leur siècle, Guy Patin et son grand ami et prolifique correspondant lyonnais Charles Spon y sont plus surprenants. Patin a certes parlé des voies du chyle dans 34 des lettres qu’il a écrites à Spon, et il y est question de plusieurs visites que Pecquet a rendues à l’un et à l’autre ; on y devine entre les lignes que Spon avait plus d’admiration pour lui que n’en avait Patin, lequel ne voyait pas d’intérêt pratique à ses découvertes et lui reprochait (mais était-il tout à fait sincère ?) ses rudes médisances contre Jean ii Riolan. La seule certitude qu’on peut en tirer est que Sebastianus Alethophilus est le pseudonyme de Sorbière.

Deux de ces lettres à Spon écrites en 1654, prennent ici un relief particulier :

24.

« Quiconque frappera l’ennemi sera certainement pour moi Carthaginois », Cicéron (Plaidoyer pour Balbus, chapitre xxii) :

Neque enim ille summus poeta noster Hannibalis illam magis cohortationem quam communem imperatoriam voluit esse : “ Hostem qui feriet, erit, inquit, mihi Carthaginiensis, Quisquis erit, civitatis. ”

[Ce n’est en effet pas plus pour Hannibal {a} que pour tous les autres généraux qu’un de nos grands poètes {b} lui fait dire, en exhortant ses soldats : « Quiconque frappera l’ennemi sera pour moi Carthaginois, quel qu’il soit et de quelque cité qu’il vienne. »]


  1. V. notule {c}, note [11], Brevis Destructio d’Hyginus Thalassius, chapitre i.

  2. Quintus Ennius, poète latin du iie s. av. J.‑C., vnote Patin 7/33.

Juste avant cette citation, « recuire indéfiniment le même chou », crambem eandem recoquere, renvoie à Crambe bis posita, mors [Du chou resservi, et c’est la mort], adage antique qu’Érasme a commenté : vnote Patin 9/9061.

Jean ii Riolan avait traité Jean Pecquet de philiatre, en évoquant ses études parisiennes, dans ses Opuscula nova anatomica (Paris, 1653) : v. notule {d}, note [9], épître dédicatoire de la Dissertatio anatomica.

25.

Dans cette phrase, j’ai respecté la conjugaison des verbes au futur, car Sebastianus Alethophilus estimait que la découverte de Jean Pecquet n’avait pas entièrement résolu la question du chyle (v. supra notes [3] et [23]). Les mettre au présent inverserait le sens et ferait de Pecquet le médecin à qui Samuel Sorbrière accordait toute sa plus haute estime scientifique, qui, je crois, n’était pas inconditionnelle : peut-être qu’à ses yeux, comme à ceux de Jean ii Riolan et William Harvey, le foie n’était pas à exclure de la digestion des aliments, mais il ne voulait pas clairement le dire.

26.

« Clodius qui accuse les adultères, ou Catilina, Cethegus » : Juvénal, Satire ii, vers 27, qui est expliqué dans la note Patin 3/470.

Sebastianus Alethophilus, alias Samuel Sorbière, qui avait obtenu son doctorat en Hollande, venait de lire avec amusement le furieux libelle intitulé Cani miuro sive Curto fustis…, {a} où Charles Guillemeau (Carlus Guillemeus), docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, {b} fustigeait Siméon Courtaud (Simeo Curtus ou Curtaudus), doyen de l’Université de médecine de Montpellier, dont le discours inaugural de 1644 avait allumé une interminable querelle de préséances entre les deux compagnies. {c}


  1. « Bastonnade pour le chien dont on a coupé la queue, autrement dit Courtaud… », Paris, juin 1654, vnote Patin 14/358.

  2. Vnote Patin 5/3.

  3. Vnote Patin 19/128.

27.

Juvénal, Satire x, vers 29‑30, à propos de Démocrite : « De grands hommes, capables de donner de beaux exemples, peuvent naître au pays des moutons et sous un ciel grossier. »

28.

Vigoureuse diatribe de Pline l’Ancien contre les médicaments venus d’Orient (Histoire naturelle, livre xxiv, chapitre i, Littré Pli, volume 2, pages 133‑134) :

« De là est née la médecine. Les seuls remèdes que la nature nous avait destinés sont ceux qu’on trouve facilement, tout préparés et sans aucune dépense ; les substances mêmes qui nous font vivre. Plus tard la fraude humaine et des inventions lucratives ont produit ces officines, où l’on promet à chacun la vie pour de l’argent. Aussitôt on nous vante des compositions et des mélanges inexplicables. On prise parmi nous l’Inde et l’Arabie : pour un petit ulcère on demande un remède à la mer Rouge, tandis que chaque jour le plus pauvre d’entre nous dîne avec de vrais remèdes. Si on prenait les remèdes dans nos jardins, si on employait l’herbe ou l’arbrisseau qui y croissent, la profession médicale serait sans crédit. »

La dernière phrase, « Il n’y a sûrement maintenant aucune profession plus inconstante qu’elle, aucune ne change plus souvent, puisqu’aucune n’est plus lucrative », adapte un passage du livre xxix, chapitre i (Littré Pli, volume 2, page 297) :

Mirumque et indignum protinus subit, nullam artium inconstantiorem fuisse, et etiamnum sæpius mutari, quum sit fructiosor nulla.

« On s’étonnera, on s’indignera qu’aucun art n’ait été plus inconstant et ne soit encore sujet à plus de variations, bien que le plus lucratif de tous. »

29.

« Les anciens condamnaient l’art, mais non la chose » : Histoire naturelle, livre xxix chapitre viii (Littré Pli volume 2, page 299), à propos de l’art de soigner selon Caton l’Ancien (vnote Patin 5/8062) qui ne recourait pas aux services d’un médecin, se contentant d’un recueil de recettes pharmaceutiques (antidotaire) qu’il avait dans sa bibliothèque.

30.

Soit les systèmes et les appareils qui forment le corps humain : vnote Patin 7/270.

31.

Ayant déjà dit son grand intérêt pour le fonctionnement obscur du cerveau (v. supra note [10]), Sebastianus Alethophilus, alias Samuel Sorbière, faisait allusion aux entretiens (dont je n’ai pas trouvé de trace imprimée) qu’il avait eus sur le système nerveux avec deux de ses amis :

Vnote Patin 3/8150 pour les sept paires de nerfs crâniens qu’on comptait alors (contre 12 aujourd’hui).

32.

« qu’ils se nourrissent de gland quand on a du blé », Cicéron, L’Orateur, chapitre ix : Est in quibusdam tanta perversitas ut innuentis frugibus glande vescantur [Il y a chez certains tant de bizarrerie qu’ils se nourrissent de glands, quand on a le blé] ; citation reprise en exergue de deux libelles contradictoires de la guerre antimoniale en 1653 et 1654 (v. notule {b}, note Patin 21/312, notule {b}), que Samuel Sorbière avait sans doute lus.

33.

« c’est pure envie et sépia de calmar », Horace, Satires, livre i, 4, vers 100‑101 : {a}

hic nigræ succus lolliginis, hæc est
ærugo mera
.

[c’est de la sépia de calmar, {b} c’est de la pure envie]. {c}


  1. Sur un avocat qui dénonce les calomnies proférées contre son client.

  2. V. supra note [20] pour la seiche dont l’encre, similaire à celle du calmar, vise pareillement à obscurcir l’eau pour échapper aux prédateurs.

  3. Le sens premier du mot æruginosa est « rouille ».

34.

« vous n’y réussirez pas mieux que si vous essayiez de déraisonner raisonnablement », Térence, {a} L’Eunuque, acte I, scène 1, vers 61‑63 : {b}

Incerta hæc si tu postules
ratione certa facere, nihilo plus agas
quam si des operam ut cum ratione insanias
.

[Si tu prétends fixer par la raison des choses aussi mobiles, tu n’y réussiras pas mieux que si tu essayais de déraisonner raisonnablement].


  1. Vnote Patin 1/56.

  2. L’esclave Parménon veut dissuader son maître, Phédria, d’aller morigéner sa maîtresse Thaïs.

35.

Aristophane, {a} Les Grenouilles, vers 857‑858 : {b}

« En critiquant, critique avec modération. Il ne convient pas que des poètes s’injurient comme des boulangères. »


  1. Vnote Patin 7/952.

  2. Paroles de Dionysos, dieu du théâtre, au poète tragique Euripide (dont Aristophane voulait se moquer).

36.

Augustin d’Hippone, {a} Trois livres contre les lettres de Pétilien, {b} livre iii, chapitre i :

« Si je voulais répondre aux invectives par d’autres invectives, nous ne serions l’un et l’autre que deux invectiveurs, et ceux qui nous liraient nous rejetteraient avec dégoût dans leur saine gravité, ou boiraient nos paroles avec délices, dans leur mauvaise volonté. » {c}


  1. Saint Augustin, vnote Patin 5/91.

  2. Petilianus (Pétillien), évêque donatiste (schismatique tenant l’Église catholique pour prostituée) de Cirta en Numidie à la fin du ive s.

  3. Traduction de Péronne et al., 1872.

37.

Sebastianus Alethophilus plagiait sans scrupule André Rivet qui, après avoir cité les mêmes passages d’Aristophane et de saint Augustin, {a} écrivait dans son Apologeticus, pro suo de Veræ et sinceræ Pacis Ecclesiæ proposito, {b} page 317 :

Nihil autem ad convitia silentio et taciturnitate accommodatius, nisi poscas lusco dicere lusce, et in eodem valetudinario deprehendi. Canes oblatrant, quos trepidantes vident ; at si prætereas nescio similis, tacent.

[Rien ne répond pourtant mieux aux insultes que le silence et la taciturnité, à moins que vous n’exigiez lusco dicere lusce, {c} et in eodem valetudinario deprehendi. {d} Les chiens aboient quand ils te voient trembler, mais ils se taisent si tu passes ton chemin en semblant les ignorer].


  1. V. supra note [36].

  2. « Apologie en faveur de sa proposition d’une paix véritable et sincère de l’Église », Leyde, 1643, vnote Patin 25/79, dont la notule {a} résume la vie et les œuvres d’André Rivet, théologien protestant français qui professait à Leyde ; à la mode du temps, il ne se privait pas lui-même d’emprunter à d’autres auteurs sans les nommer.

  3. « de dire à un borgne qu’il est borgne », Perse, Satire i, vers 128, sur la vanité de blâmer les sots.

  4. Epistolæ de Dominicus Baudius, {i} centurie i, lettre lxxxix à Isaac Casaubon, {ii} datée de Leyde, le 12 octobre 1603 (pages 116‑117) : {iii}

    Prorsus, inquam, à scripturiendi scabie manum abstineo, ne ludibrium eruditis lectoribus debeam. Sunt in oculis Magistelli, quibus vapulantibus favere malo εκ βελεων, quam in eodem valetudinario deprehendi.

    [Je tiens très loin de moi, dis-je, l’envie d’écrire avec une plume galeuse, afin de ne pas outrager les lecteurs instruits. Je pense à ces petits maîtres dont j’aime mieux supporter les dards qui me piquent, qu’être interné dans le même hôpital qu’eux].

    1. Dominicus Baudius (Dominique Baudier), vnote Patin 30/195.

    2. Vnote Patin 7/36.

    3. Édition de Leyde, 1650, vnote Patin 8/334.

38.

« c’est-à-dire en jetant de l’huile sur le feu », Horace, Satire ii, 3, vers 321 (Damasippus enguirlandant Horace) : Adde poemata nunc, hoc est, oleum adde camino [Ajoute à cela tes poèmes, c’est-à-dire jette de l’huile sur le feu].

39.

L’allusion à Jean ii Riolan est ici parfaitement transparente.

40.

« dignes du cèdre, {a} et qui valent plus que leur pesant d’or ». {b}


  1. Dignes de l’éternité, v. notule {b}, note Patin 38/224.

  2. Vnote Patin 5/76 pour l’explication de cette locution par Joseph Scaliger.

41.

Hippocrate, De l’Art (c’est-à-dire le métier de médecin), chapitre i (Littré Hip, volume 6, pages 2‑3) :

« Il est des gens qui se font un art d’avilir les arts, s’imaginant faire par ce genre de travail non pas ce que je dis, mais étalage de leur propre savoir. À mon sens, découvrir chose qui n’ait pas été découverte et qui, trouvée, vaille mieux qu’ignorée, ou achever ce qui est resté inachevé, c’est le but et le fait de l’intelligence ; au contraire, vouloir, par un artifice peu honorable de langage, vilipender les inventions d’autrui, sans rien perfectionner, tout en décriant les travaux des savants auprès des ignorants, ce n’est plus le but et le fait de l’intelligence, mais c’est plutôt ou annonce d’un (mauvais) {a} naturel ou impéritie ; car à l’impéritie seule il appartient de vouloir, (mais sans aucunement le pouvoir), {a} satisfaire la malveillance qui aime, dans les ouvrages du prochain, à calomnier le bon, à railler le mauvais. »


  1. Ces mots ne sont pas entre parenthèses dans la transcription grecque et la traduction d’Émile Littré.

42.

« Nul mortel n’est sage à tout moment » : Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre vii, chapitre xl, Nemo mortalium omnibus horis sapit (Littré Pli, volume 1, page 301).

L’Anatomie de Jean ii Riolan est son Anthropographie (vnote Patin 25/146) qui, de son vivant, a été imprimée puis augmentée trois fois (Paris, 1618, 1626 et 1649) et traduite en français (1649). Son copieux texte est en effet rédigé dans un élégant latin, semé de références aux classiques grecs et romains. Cela est bien illustré par les extraits contenus dans les notes [8], [9] et [12] de la Brevis Destructio d’Hyginus Thalassius, chapitre 1.

43.

Le chirurgien Louis Gayan avait disséqué les lactifères thoraciques en présence de Jean ii Riolan, comme il en est convenu à la fin de la préface de sa première Responsio (1652). On apprend ici que, sans doute pour éviter une difficile discussion, il n’avait pas demandé au philiatre (c’est-à-dire non titulaire du baccalauréat en médecine) qu’était alors Jean Pecquet de lui présenter lui-même sa découverte. Il est important de noter que, dans sa critique, Riolan n’a pas nié les canaux thoraciques, qu’il a même proposé d’appeler « pecquétiens », mais a en revanche vigoureusement contesté l’interprétation excessive qu’en tirait Pecquet pour en faire la voie unique de l’absorption des aliments et en écarter à tort le foie.

44.

« vieillir en apprenant, et apprendre en vieillissant » ; inspiré par un vers attribué à Solon {a} que Platon a cité dans plusieurs de ses ouvrages ; {b} ce trait a été repris par Plutarque {c} et par Valère Maxime : {d}

Nam Solon quanta industria flagraverit et versibus complexus est, quibus significat se quotidie aliquid addiscentem senescere, et supremo vitæ die confirmavit, quod adsidentibus amicis et quadam de re sermonem inter se conferentibus fatis iam pressum caput erexit interrogatusque quapropter id fecisset respondit “ ut, cum istud, quidquid est, de quo disputatis, percepero, moriar ”. migrasset profecto ex hominibus inertia, si eo animo uitam ingrederentur, quo eam Solon egressus est.

« Quelle ne fut pas l’ardeur de Solon pour l’étude ? Il l’a exprimée dans les vers où il dit qu’il vieillissait en apprenant chaque jour quelque chose, et il en donna la preuve le dernier jour de sa vie. Comme ses amis étaient assis autour de son lit et conversaient ensemble, il souleva sa tête déjà appesantie à l’approche de la mort. On lui demanda la raison de ce mouvement. “ C’est, répondit-il, afin de ne mourir qu’après avoir bien compris, quel qu’il soit, le sujet de votre entretien. ” Certes la paresse aurait disparu de ce monde, si les hommes entraient dans la vie avec les sentiments qu’avait Solon en en sortant. » {e}


  1. Législateur et écrivain athénien du viie s. av. J.‑C.

  2. Lachès, La République, Les Rivaux : γηρασκω δ’ αει πολλα διδασκομενος [Je vieillis en apprenant toujours].

  3. Vies parallèles (vnote Patin 9/101), Solon, chapitre ii.

  4. Livre viii, chapitre vii, extension 14 des Faits et dits mémorables (vnote Patin 7/41).

  5. Traduction française de Charles Nisard, 1850.

45.

En août 1654, date de cette lettre, Jean ii Riolan était âgé de 74 ans, Samuel Sorbière en avait 39 et Jean Pecquet 32.

46.

Tout ce paragraphe est rédigé dans un latin si pompeux qu’il en devient difficile à traduire en étant certain de ne pas faire de contresens.

Sorbière feignait une relative bienveillance à l’égard du vieux maître de la Faculté parisienne, où il avait étudié en 1639-1641 mais sans en avoir obtenu le baccalauréat, tout comme Jean Pecquet.

47.

Vnotes Patin 57/8197 pour l’Anglais Francis Drake et le Portugais Fernand de Magellan, et 41/8229 pour le Génois Christophe Colomb.

Parmi les grands navigateurs que Sebastianus Alethophilus comparait aux marins d’eau douce qui ramaient sur la Seine, je n’ai pas identifié Marius (sans oser croire qu’il s’agissait d’une confusion avec le navire amiral de Colomb, la Santa Maria). J’ai pris Baransonius pour une latinisation saugrenue du nom de Willem Barentsz (1550-1597), pionnier hollandais des explorations arctiques.

48.

Henricus Bornius (Utrecht vers 1617-Leyde 1675), a célébré son accession à la chaire de philosophie de Leyde {a} par son Oratio inauguralis de Vera Philosophandi Libertate, dicta in Splendidissimo et Frequentissimo Auditorio Lugduni Batavorum, Die 11 Novembris Anni mdcliii [Discours inaugural sur la vraie liberté de philosopher, prononcé dans le très brillant auditorium de Leyde, plein à craquer, le 11 novembre 1653]. {b}


  1. Alors la plus prestigieuse université des Provinces-Unies (vnote Patin 22/98).

  2. Leyde, Jean et Daniel Elsevier, 1654, in‑4o de 35 pages.

49.

L’anatomiste hollandais Jan van Horne (Iohannes Hornius), professeur de médecine et chirurgie en 1653, a ignoré la priorité de Jean Pecquet dans son livre intitulé Novus ductus chyliferus. Nunc primum delineatus, descriptus et eruditorum examini expositus… [Nouveau conduit chylifère. Pour la première fois découvert, décrit et soumis à l’examen des savants…] (Leyde, 1652, vnote Patin 5‑3/390), mais n’a jamais reconnu son usurpation. {a} Les notes Patin 6/1402 et 4/1083 résument toute cette regrettable affaire.

Dans la conclusion de son livre (page D3 vo), van Horne a sombré dans la même déplorable erreur physiologique que Jean Pecquet et Thomas Bartholin :

Hæc similiaque minoris momenti, minusque nobilia ac necessaria Hepatis sunt Officia, Cæterum Cordi non in sanguificationis opere, sed in omnibus aliis functionibus principatum deberi, præter summorum Virorum authoritatem, plurima confirmant argumenta, quibus recensendis nunc supersedeo. Unus sufficiet Hippocr. l. i. de Diæta. tex. 12. calidissimus et validissimus Ignis (quem in Corde reponit idem) omnibus dominatur, obien omnia secundum naturam, sine strepitu, cum visu, cum tactu. In hoc anima, mens prudentia auctio, motio, demissio, mutatio, somnus, evigilatio . Hic omnia per omnia gubernat, et hæc et illa, nunquam quiescens. Ego hîc namum de Tabula.

[Telles sont entre autres les fonctions du foie, dont l’importance, la noblesse et la nécessité sont moindres. Du reste, la première place doit être concédée au cœur, non seulement dans la sanguification, mais dans toutes les autres fonctions vitales. Maints arguments le confirment, outre l’autorité des plus éminents hommes. Je me dispense de les mentionner maintenant, me contentant de n’en citer qu’un, à savoir Hippocrate, au livre i du Régime, texte 12 : {b} « Le feu le plus chaud et le plus fort, qui surmonte tout, réglant tout selon la nature, étant inaccessible à la vue et au toucher, c’est là qu’est l’âme, l’entendement, la pensée, la croissance, le mouvement, la décroissance, la permutation, le sommeil, le réveil, il gouverne incessamment, et ceci et cela, sans jamais se reposer. » Sur ce, je pose la plume].


  1. V. notule {f}, note [10], Historia anatomica, chapitre xv, pour le rôle de Pierre Bourdelot dans la supercherie de van Horne.

  2. Littré Hip, volume 6, § 10, page 487, où le titre du paragraphe ne mentionne pas le cœur : « Le feu a tout disposé dans le corps conformément à sa nature. Comparaison de cette disposition avec l’arrangement du monde. C’est dans le feu intérieur que gît l’âme, la pensée, le mouvement ».

a.

Page 164, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

viro clarissimo
D. Ioanni Pecqveto,
med. d. celeberrimo
venarum lactearum thoracicarum
inventori sagacissimo
Sebastianus Alethophilus

Ευτυχιας.

Qvod nudiustertius me præsente, Pratæo
nostro, Auzotio tuo, et Aquinis præstan-
tissimis medicis adstantibus, iterasti Ex-
perimentum Vasis lacteis thoracicis demon-
strandis, rem fecit adeo indubiam, Pec-
qvete Svavissime
, ut nullus deinceps am-
bigendi locus nec mihi, nec illis reliquatur. Visa est
enim cavitas illa, quæ sub duplicaturâ peritonæi in-
fra mesenterij centrum latens oculos Anatomicorum
hucusque fefellerat, tam manifestè, presso mesente-
rio, adimpleri chylo; visus est chylus per ductus à te
detectos olim in subclavias venas, et inde in cavam,
atque in dextrum cordis sinum, cujus mucronem re-
secueras, tam apertè delabi, ut oculis nulla inposte-
rum fides adhibenda videatur, nisi res certa, evidens

b.

Page 165, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

compertissima habeatur.

Gaudeo igitur, ex animo gaudeo, Medicinæ
primùm caussâ, quam novo locupletasti invento, et
quo quidem egebat ; quippe quæ fædè jacuerat in
scholis oppressa gravi sub Magistrorum supercililo ;
et amici deinde nomine, qui tam felix fuit, ut rem
adeo utilem primus invenerit.

Perge, quæso, investigare, perscrutari, et tene-
bris quæ desiderantur adhuc eâdem quâ cœpisti fe-
licitate in lucem eruere ; nec ne terreant lividorum
quorumdam senum minitanti murmure fulmina ;
sed eò magis acrem virtutem irrita animi, confrin-
gere ut arcta Naturæ primus portarum claustra cu-
pias, et referas nobis victor, quâ ratione corporis
nostri machina moueatur : exæquabit te victoria
cælo.

Nihil humano generi, secundùm animi tranquil-
litatem, quæ vera pietate comparatur, utilius bona
valetudine ; cùm non sit vivere, sed valere, vita : At
bonam istam valetudinem quî tueri quis poterit et
conservare, nisi rectè primùm teneatur quibus in re-
bus consistat ? quî reparari semel amissa valebit, nisi
probè cognita fuerit corporis nostri compages ? si
quis igitur exoriatur Democritus alter, qualem te
præstas, Amice, qui sine ambagibus, experientiâ du-
ce, mathematicarum disciplinarum famulante soler-
tiâ, rationem ostendat quâ cibus in chylum, et viam
aperiat, quâ chylus in sanguinem mutatur ; doceat-
que viscerum, et partium singularum ministeria, san-
guini defæcando, carnibus reparandis, salibus depo-
nendis, fermento conficiendo, semini præparando,
spiritibus perficiendis, sensuum facultatibus exeren-

c.

Page 166, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

dis : nonne decebit hunc hominem numero divûm
dignarier esse ?

Nullum equidem, Mî Pecqvete, novi doctos
inter et rei anatomicæ studiosos, qui te comparatior
existat, qui pluribus instructus sit ad illius artis po-
mæria promovenda. Nam Geometricis imbutus
abundè præceptis (sine quibus res naturales qui tra-
ctare sustinent, næ illi sine cortice nare vel sine pyxi-
de Oceanum præternavigare tentant) mechanicarum
inventionum peritissimus, πολυδαιδαλος, homo factus
ad unguem, ad omnia solers, hydraulicarum et nulla-
rum non machinarum sedulus explorator, longo usu
effecisti ut curvo rectum, quid solidum crepet di-
scernere valeas ; nec rationum et demonstrationum
nomen tribuas nugis, sine pondere verbis, et perplexi
sermonis offuciis.

Talia enim pridem invexere in Medicinam homi-
nes eruditi, qui ex alieno cerebro potius quam ex
suo sapere didicere, qui memoriam potius quam ex
suo sapere didicere, qui memoriam potius quam
judicium et ratiocinandi facultatem excoluere, qui
propriùs ad Naturam nunquam accessere, qui expe-
rientiis animum non appulere, qui Rhetores, Phi-
lologi, Moralis Philosophiæ et subtilitatum Meta-
physicarum haud ignari, circa res Physicas conati
sunt philosophari tersè, subtiliter, et eruditè, po-
tiusquam ex rerum ipsarum inspectione. Vnde il-
lud Ens quod magis Ens Physicum sit, quod plus es-
sentiæ habet alio molis ejusdem ; unde illa essentiæ et
existentiæ ; unde illa Entium, semientium, et modo-
rum subtilissima distinctio. Vnde illa nobilioris et
ignobilioris materiæ differentia ; unde illud faculta-
tum ministerium ritè munere suo fungentium, vel

d.

Page 167, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

dissidentium ; unde illa in corpore humano ad instar
civitatis vel Reipublicæ excogitata dispositio ; unde
sensuum excubiæ ; unde significata imaginationi in
limine regni præsidium agentis sensu communi as-
sentiente objecti præsentia ; unde per Spiritus anima-
les tanquam delatum per cursores ad Iudicium, seu ad
Regem quendam nuntium ; unde tradita hujusce rei
custodia Memoriæ ; quasi graphyario alicui vel the-
saurario, cujus ex thecis, loculisve suo tempore de-
promatur ; unde iratæ aliquando tum facultates, tum
spiritus, tum partes administræ officio suo fungi de-
trectant, et vel vi cogendæ, vel pretio veluti et bonis
verbis sunt deliniendæ. Atque ista dum grato ple-
runque verborum lenocinio proferuntur perscribun-
turque lectores inveniunt viros bonos rebus politicis
tractandis vel spectandis assuetos, qui talibus dele-
ctantur, et rebus physicis, quâ jure quâ injuriâ inve-
ctis gaudent.

Verùm qui verborum istorum inaniis non tam fa-
cilè capiuntur, et præter corpora, figuras et motum
plura non admittunt, quibus seu machinis Naturæ
phænomena interpretuntur ; cùm nec pluribus indi-
geant quæ artis sunt, nec alia sanè ab opificibus adhi-
beantur. Quis enim unquam Architectus non emo-
tæ mentis, ædificij sui rationem exponere jussus, alia
præter figuram, magnitudinemque lapidum, tra-
bium, contignationumque narravit ? an tribuit un-
quam ullus camino suo fumi, an mensis ciborum, an
latrinis stercorum, an pergulis imaginum et statua-
rum, an atriis famulorum, an equili equorum, an
bibliothecæ librorum attrahendorum continendo-
rumque facultatem ? Verùm, inquam, qui sine fuco

e.

Page 168, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

et pensiculatè ratiocinantur à physicis metaphoras
procul amandant ; nec alio utuntur quàm rerum ipsa-
rum calculo. Pauci quidem isti reperiuntur Iupiter
quos æquus amavit, rarique nantes in gurgite vasto :
quippe qui soliti simus ab ineunte adolescentia non
in res ipsas intueri, nec verborum significationem
expendere ; sed verbis (humani ingenij miro herculè
ad ratiocinationum compendia facienda invento)
uti plenrunque temerè, nec factâ cum rebus quas re-
præsentare debent ullâ comparatione.

Quàm vera dicam ingenuus quivis, neque naris
obesæ odorari poterit, qui retorquens oculos in
emensum literarij stadij spatium seriò perpendet
quam nihil aliud egerit, dum Medicinam addiscere
tentavit, nisi ut voces quasdam pronunciare assuesce-
ret ; quarum quidem seorsim sumptarum significatio
aliquando non absona, at series junctarum nullum sæ-
pius sensum idoneum habebat ; et Græcæ in primis
usurpatæ sunt non inelegantes, Hippocratis Coï au-
thoritate fultæ, atque Galeni Pergameni judicio
confirmatæ.

Viros illos egregios Medicinæ Deos colendos et
venerandos proposuerunt præceptores, quasi fuerit
ab illis ars Medica inventa primùm et ad umbilicum
perducta ; ut in hoc laborandum nunc uno restet pro-
bè quid sibi in scriptis suis voluerint intelligere. Ni-
hil ego detractum cupio tantorum virorum famæ ; sed
ausim affirmare, hallucinatos esse magistros nostros
qui tales discipulis obtruserunt, quorum præclaris co-
natibus nihil superaddendum habuerint. Certè mul-
tum restat operis, multumque restabit, nec ulli nato post
mille secula præcludetur occasio aliquid adjiciendi.

f.

Page 169, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

Admirandi Hippocratem fuisse ingenij, indefessi
laboris medicum extitisse, ingenui virum candoris,
et quàm nec fallere ne falli potuerit, testantur ejus
scripta ; in quibus scilicet diligenter annotavit, quæ-
cunque occurrerint in exercenda praxi circa morbos
vel non satis animadversa, vel de quibus nondum om-
nino liquebat, vel quæ ad incudem revocanda. Inde
conflati Aphorismorum libri, quos sedula posteritas,
indigestos quamvis et nullo ordine conscriptos, ut
planè constet Hippocratis schedulas et miniatulas ce-
ras fuisse, reverenter excepit, ut quidem par erat ; sed
pro oraculis è tripode perperam et præter mentem
scripturientis habuit. Quod ostenturum aliquando
Pratæum, subacti judicij medicum, confido ; si pro-
deant in lucem quæ meditatur, quantum per nego-
tia licet, in Aphorismos senis optimi, quos vel ratio-
cinij sui acumine explanat, vel quorum veritatem
experientiâ suâ confirmat, vel quibus superfœtatione
quadam laudanda aut instar mantissæ superstruit in-
numera, tum medicinæ utilissima, tum ad rerum na-
turalium cognitionem enucleatiorem conferentia.

Galenum quoque, alterum ab Hippocrate Medi-
cinæ illius, quæ docetur in scholis inventorem, mul-
tiscium, et ingenij elegantissimi virum extitisse tot
perhibent conscripta volumina, ut nequaquam de-
beat inter postrema literatorum ornamenta reponi.
Vel uno illo de Vsu partium libro donandus venisset
eâ immortalite quam et opera reliqua perpetêre ;
frustra nitente Argenterio sæculis confirmatam plu-
ribus gloriam eripere. Verùm liceat mihi coram te
παρρησιαζεοθαι, et de Asiatica illa quâ madet prolixi-
tate conqueri, ut cum Plinio dicam, Heu vana et

g.

Page 170, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

imprudens diligentia. Numerus librorum computa-
tur ubi quæritur pondus. Vbertas illa sermonis et in-
defessa garrulitas ab scriptis medicis, non minùs, quàm
à Mathematicis et Physicis, procul eliminari debet,
et multa paucis, quantum fieri potest ; modò clarè, êr-
spicuè et enucleatè, complectenda. Næ, sui quis secus
faciat, et in scriptis didacticis tantopere luxurietur,
ut rem unam eandemque, nec magni aliquando mo-
menti, centies stylo vario enunciare gaudeat, otio ille
abutitur lectorum et suo.

Arrisit tamen stylus ille Galenicus scholarum do-
ctis moderatoribus, et visus est aptissimus demulcen-
dis auribus ægrotantium, muliercularum, et homi-
num ratiocinij solidioris expertium. Et sanè meritò
eò deventum est, ut labor unicus fuerit Medicorum
filiis eam sibi comparare disserendi facultatem, ut de
nullo non morbo vel morbi symptomate possint ex-
temporali facundiâ tandiu disserere, donec dixerit
cute perditus ô he jam satis est. Ea enim arte impor-
tunis adstantium quæstionibus rursum fatigandi non
veniunt, dum ipsi responsionis prolixæ tædio, vices
auditoribus larga manu rependunt. Et quidem me-
mini vidisse me olim in Aulâ Principis cujusdam Medi-
cum doctissimum sanè et solertissimum, qui, ut li-
beraret se ab ista maleferiatarum mulierum remedia
suggerentium importunitate, si quæ vel minimùm
hiscere auderet, parata habebat centena aliquot re-
mediorum agmina, quæ ex armamentario materiæ
medicæ depromebat et ordine alphabetico uno spi-
ritu non injucundè proferebat, et magna cum ad-
miratione clinicarum muliercularum et ægrotan-
tium ; quippe ad unicum prolatum ab ipsis morbo

h.

Page 171, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

profligando remedium, seu militem, exercitum statim
paratum quasi summus Imperator educebat et osten-
tabat. Decipi voluit populus, æquum est, ut decipiatur ;
et inerea sibi reique familiari consultant Medici. Quod
minùs commodè præstarent dubio procul, si hærere
aquam sæpius faterentur, et ulteriori disquisitioni
tempus concedi peterent admissi. Sed præsens igno-
rantiæ auxilium occurrit methodus illa disserendique
αυτοσχεδιως και ασκεπτως contracta facultas ; quâ, seu
offa Cerebro deglutienda, imperitis obtruduntur æ-
nigmata, et tenebræ quædam prætenduntur, quo sæ-
piam piscem, atro liquore effuso, elabi narrant stra-
tagemate. Hinc illæ circa ægros, ut Plinij verbis utar,
miseræ sententiarum concentrationes, nullo idem censente, ne
videatur assertio alterius. Hinc illa infelix monumenti in-
scriptio, turba se medicorum periisse. Mutatur ars quotidie in-
terpollis, et ingeniorum Græciæ flatu impellimur. Palàmque
est, ut quisque inter istos loquendo pollet, imperatorum illico
vitæ nostræ necisque fieri. Discunt periculis nostris, et expe-
rimenta per mortes agunt
.

Quæ cùm aliàs animadverterem, verebar tacitus, ne
quis emunctæ naris et petulanti splene cachinno
Medicinam definiret Artem nugarum gravi superci-
lio coram ægroto effutiendarum, et remediorum in-
certorum adhibendorum, ut animi mæror {a} aliquan-
tulùm deliniatur, et placidè bonæ valetudinis restau-
ratio, Naturâ partes suas agente, vel mors ultima re-
rum linea, fatis properantibus expectetur. Neu quis
fusiùs describens, praxeos habita ratione ulteriori,
diceret, Frontem esse proferendorum deliramento-
rum, venditandorumque verborum sexquipeda-
lium {b} ut magnum quid sonantium, cùm nihil planè si-


  1. Sic pour : mœror (errata).

  2. Sic pour : sesquipedalium.

i.

Page 172, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

gnificent ; temeritatem remediorum incertissimo-
rum, tanquam præsentissima essent, præscribendorum,
superbiendi ex non infausta temeritate audaciam,
declinandæ ex infaustis eventibus vituperationis, at-
que aliis authoribus imputandæ solertiam.

Quæ quidem, nisi aliter omnino se haberent, quam-
plurimorum eximiorum medicorum consilio, inge-
nuitate, et nunquam satis laudando juuandæ Medi-
cinæ, dissectionum ope, et detegendæ œconomiæ
coporis humani conatu ; frustra cæteri illâ se jacta-
rent in aulâ, in qua tam magno nisu tam magnæ nugæ
proferuntur. Amisso enim Veslingio, Asellio, Har-
wæo
, Wallæo, quantis per Apollinem tuum Viris !
superest adhuc Deo bene propitio, Bartholinus, Con-
ringius
, Patinus, Sponius, Mentellius, Pratæus, et su-
persunt alij diligentiæ tuæ æmuli, per quos sperare
licet quid lucis uberioris affulsurum.

Doctoratûs insignia an adeptus fuisses, cùm primùm
detectæ fuerunt tuâ solertiâ venæ illæ lacteæ thoraci-
cæ, non inquirirent, qui inuentis tibi in posterum gra-
tulabuntur ; et tantò plus tribuent laudis, quantò
prærepta gloria major à Philiatro (quo te nomine ca-
pularis senex deprimere conatur) veteribus illis Pro-
fessoribus, qui nihil aliud nisi crambem eandem re-
coquere didicerunt. Certè hostem qui feriet erit
mihi Carthaginensis. {a} Medicum existimabo, nec infi-
fimæ notæ Medicum, qui non fortè fortuna, sed per-
tinaci studio et datâ opera ultrà cæteris plus tendens
faustis avibus appulerit ad ostia chyli.

Quamvis autem, Pecqvete Clarissime,
jam Medici titulum habeas, velim Philiater semper
audias, nec te negotia quæ tractas totum adeo absor-


  1. Sic pour : Carthaginiensis.

j.

Page 173, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

beant, ut rei Anatomicæ curam omnem abjicias :
nam dum illustrissimus patronus tuus prosperè uti-
tur operâ tua rebus suis componendis, perit fermè
tempus universum, cujus vel pars non minima publico
bono impendi deberet.

Et in istâ sanè Medicinæ infantiâ seu pueritiâ, quip-
pe quæ nondum adolevit, sed ore blæso et titubanti
pede progreditur, mirum quî audeant homines suæ
sibi tenuitatis conscij et Doctoratûs insignia, et Aca-
demiarum privilegia jactitare : quasi Lutetiæ, et in
Occitania, et in Belgio, et in Italia pariter non cæcu-
tiatur. Itaque non possum non ridere et Curti et Fu-
stis, et cæterorum frigida scommata, quibus plerun-
que Clodius accusat mœchos, Catilina Cethegum ;
neutro quidem utiliora et frugis melioris pervi-
dente.

Institutionem Academiarum non arbitror eo fine
à Principibus factam, ut limites humanæ rationi et
solertiæ eruditorum præfigerentur ; sed ut eo loci
præclara quæque ingenia confluerent, et mutuo ar-
tritu veritatum scintillæ excuterentur. Nec doctrina
Hippocratis aut interpretatio Galeni tanti facienda,
ut ne latum unguem ab ea discedere concedatur. Et
multò minus id probarim, injectam civibus, liberis
hominibus, necessitatem illius tantùm Medici admo-
vendi et consulendi, qui in certâ quâdam Academiâ
doctoratum sit adeptus : quasi fungos et bardos tan-
tùm alerent exteræ regiones, nec constaret.

Summos posse viros et magna exempla daturos
Vervecum in patriâ crassoque sub aëre nasci
.

aut quasi non liceat cuique de corio suo ludere, et
plerunque illa quæ fecit artem experientia populum

k.

Page 174, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

non docuerit remedia præstantissima doctoribus
inaudita. Hinc enim nata, testante Plinio, Medicina.
Hæc sola Naturæ
(ait ille) placuerat esse remedia, parata
vulgo, inventu facilia ac sine impendio, et quibus vivimus.
Postea fraudes hominum et ingeniorum capturæ officinas in-
venire istas, in quibus sua cuique homini vænalis promitti-
tur vita. Statim compositiones et misturæ inexplicabiles de-
cantantur. Arabia atque India in medio æstimantur, ulceri-
que parvo medicina à rubro mari inponitur, 
{a} cùm remedia ve-
ra quotidie pauperrimus quisque cœnet. Nam si ex horto pe-
tantur, aut herba, vel frutex quæratur, nulla artium vilior
fiat. Certè nulla nunc inconstantior, nulla, quæ sæpius mute-
tur, cum sit fructuosior nulla
. Quæ gravissimus author,
fidus Naturæ interpres, referens postmodùm subne-
ctit, Non rem antiqui damnabant, sed artem. Ad nostra
tempora redeo.

Bene quidem circa Theologiam et Iurispruden-
tiam coërcetur humani ingenij protervitas, et in uno
sudant discipuli, ut mens sacrorum codicum intelli-
gatur : quippe certæ sunt leges, certa sunt dogmata,
quæ nullo alio ex libro erui debent, quæque rationis
humanæ imbecillitati nequaquam sunt permittenda.
At non ita se habet circa rem medicam, quam nec to-
tam continent Hippocratis et Galeni libri, quæ sa-
gacitati experimentorum, et ratiocinationum acu-
mini non est impervia, et cujus tenuia rudimenta ma-
num tuam, Mî Pecqvete, et Anatomicorum
cæterorum opem implorare videntur.

Ne penicillum igitur deponas : Ne scalpellum, in-
quam, abjicias et microscopia, curiosorum omnium
voto communi postulo, priusquam de usu hepatis,
lienis, et viscerum cæterorum plura exploraveris ;


  1. Sic pour : imputatur.

l.

Page 175, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

nam segetem superesse observationum uberrimam
puto. Et erunt forsan quibus cognitis (utinam no-
bis superstitibus talia contingant) iter paretur ad mor-
tem integrâ bonâ valetudine jucundiùs paulò et diu-
tius expectandam, vel minùs acerbo doloris sensu
obeundam. Et quamvis nondum satis perspecta sit
inventorum physiologicorum utilitas in pathologicis
et therapeuticis ; nullum tamen bonæ mentis aman-
tem oblectare {a} non debet, sui cognitio dilucida vel
nunc paulò clarior facta.

Polos mehercule duos nominare soleo circulatio-
nem sanguinis, et chyli in cordis usque ventriculum
dextrum derivationem, quibus innitatur jam volua
túrque Medicinæ systema ; quibus antea punctis ca-
rens irrito conatu fuit excultum ; quibus verò immo-
tis perseverantibus promovebitur. Ad illa enim duo
revocari poterunt, et ex illis pendere debent, quæ
supersunt meditationibus et curiosorum hominum
sagacitati excogitanda circa læsas, vel integras par-
tium similarium, dissimilariúmque functiones : si pau-
cula nimirum adjiciantur circa latentes adhuc mea-
tus, canaliculos, valvulas, anastomoses, vasorum in-
sertiones, divaricationes, et hujuscemodi alia minu-
tiora, quæ fugiunt obtutum nostrum in cadaverum
dissectionibus ; quippe in quibus eversa funditus ja-
cet corporis viventis œconomia, vel effuso liquore,
vel exhalatis spiritibus, vel concidentibus vasis et alio
planè modo dispositis, quàm nuper Animalibus dis-
posita fuerant.

Præterire non possum, quàm apposita videatur et
elegans tua illa cerebri cum planta, quæ bulbosâ sit ra-
dice, comparatio. Cerebrum tuo nunc beneficio non


  1. Sic pour : objectare.

m.

Page 176, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

est, cur amplius vocitet Pratæus Terram Microcosmi
Australem incognitam : sed non satis est ad oras appulisse,
interiori opus est perlustratione ; ut quid in recessu tot
anfractuum, ventriculorum, callositatum, glandium
contineat, manifestum euadat. Bulbi illius filamenta
nervosa, quaquaversum per septem conjugationes,
et amplo dein spinæ dorsalis sese diffundente trunco
exeunt in musculos seu in folia, quæ arteriarum im-
bre jugiter irrigantur, recurrente scilicet per venas
ad id muneris sanguine : Sed non est, quare fusiùs ista
persequar, quæ sufficit intento digito indicasse, ut
scias, quàm bene memori narraveris.

Cæterum quod ad convitia attinet, quæ in scriptis
adversariorum tuorum, quos tanta vexat dementia
frugibus inventis ut glande vescantur, occurrent,
scito, Mî Pecqvete, hanc esse æruginem me-
ram, hunc nigræ succum loliginis ; quibus certare in-
columi gravitate et mansuetudine philosophicâ si cu-
pias, nihilo plus ages, quàm si velis operam dare, ut
cum ratione insanias.

Ελεγχ’, ελεγχου, λοιδοεισθαι δ’ ου πρεπει
Ανδρας ποιητας ωσπερ αρτοπωλιδας

At quantominùs philosophos Christianos. Elegan-
ter Augustinus ad Petilianum, Si ego tibi vellem pro ma-
ledictis maledicta rependere, quid aliud, quàm duo maledici es-
semus ? ut ij, qui nos legerent, alij detestati abjicerent sanâ
gravitate, alij suaviter haurirent malevolâ voluntate
. Ni-
hil autem ad convitia silentio et taciturnitate accom-
modatius, nisi poscas lusco dicere lusce, et in eodem
valetudinario deprehendi. Canes oblatrant, quos tre-
pidantes vident ; at si prætereas nescio similis, tacent.
Non posses majorum {a} ab hominibus sermonis amari


  1. Sic pour : majorem.

n.

Page 177, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

inire gratiam, quàm si scribendi ansam præberes scri-
pto aliquo tuo, hoc est, oleum adderes camino.

Sed audiamus Hippocratem ipsum in adversarium
tuum graviter insurgentem : quem cum senex doctis-
simus perlegerit, proculdubio mirum quî non anno-
taverit, quæ statim initio libri de Arte occurrunt, ce-
dro digna, auro quidem contrà non cara, et pro fori-
bus scholarum Medicarum inscribenda. Εισι τινες οι
τεχνην πεποιηνται, το τας τεχνας αισχροεπειν, ως μεν οιον-
ται οι τουτο διαπρησσομενοι, ο εγω λεγω, αλλ’ ιστοριης οι-
κειης επιδειξιν ποιευμενοι. Ε’ μοι δε το μεν τι των μη ευρισκο-
μενων εξευρισκειν, ο, τι και ερεθεν χρεσσον η ανεξευρετον,
ξυνεσιος δοκεει επιθυμημα τε και εργον ειναι. Και το τα ημιερ-
γα ες τελος εξεργαζεσθαι ωσαυτως. Το δε λογων ου καλων
τεχνη τα τοις αλλοις ευρημενα αισχυνειν προθυμεεσθαι, επα-
νορθουντα μεν μηδεν, διαβαλλοντα δε τα των ειδοτων προς
τους μη ειδοτας εξευρηματα, ουκ ετι δοκεει ξυνεσιος επιθυ-
μημα τε και εργον ειναι, αλλα κακαγγελιη μαλλον φυσιος, η
ατεχνιη. Μουνοισι γαρ τοισιν ατεχνοισιν, η εργασιη αυτη αρ-
μοζει, φιλοτιμεομενων μεν (ουδαμα δε δυναμενων κακιης υπουρ-
γεειν) εις το τα των πελας εργα η ορθα εοντα διαβαλλειν, η
ουκ ορθα μωμεεσθαι. Sunt quidam qui artem profitentur
hanc, quæ cæteras artes deshonestare docet. Attamen id, ut illi
sperabant, non conficiunt, sed tamen id, ut mihi videtur, fa-
ciunt, non aliam ob causam, quàm, ut variam suam erudi-
tionem ostentent. Mihi verò investigare aliquid eorum, quæ
nondum inventa sunt, quod ipsum notum, quàm ignotum esse
præstet, scientiæ omnium votis optabilis, negotium videtur
esse ; similitérque ea, quæ dimidium per vestigationis habent,

o.

Page 178, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

plenè absolvere. Contrà, maledicentiæ arte, ea quæ ab aliis
inventa sunt turpiter incessere velle, nullo quidem castigandi,
sed ea quæ à peritis pervestigata sunt apud imperitos calum-
niandi studio, id profectò non scientiæ optabilis negotium vi-
detur esse, sed aut (malignæ) naturæ, aut ignorantiæ argu-
mentum. Solos enim imperitos artis hoc factum docet, qui
ambitiosè quidem contendunt (quamvis maliciei non respon-
deant eorum vires) ut aliorum præclara opera calumnientur ;
vel, si illa vitiosa fuerint, ad reprehnedum se conver-
tant
.

Quidquid sit, ignoscendum arbitror seni de re lite-
raria non malè merito, qui floribus ex disciplinis hu-
manioribus operâ laudandâ decerptis Anatomiam
suam respersit, atque adeo trita et vulgaria elegantis-
simo convestivit ornatu, imò et ad praxin non sper-
nendâ curâ revocavit. Bene dictum olim, Neminem
mortalium omnibus horis sapere ; et in illâ longævi-
tate viri tandiu libris intenti multò magis mirandum
fuisset, si nulla excidissent {a} condonanda, quàm si non-
nulla scripserit quibus abstinere debuisset. Cur enim
antequam manum calamo admoveret ætatis utens
privilegio, et jure professorio, non te philiatrum ro-
gavit ut privatim, quod neutiquam detrectasses, imò
quod ultrò sæpius obtulisti, venas illas lacteas thora-
cicas, de quibus erat controversia, ostenderes. Cur
temerè adeo damnata opinio tanquam erronea, per-
niciosa, ac detestabilis paradoxi plena, quæ peritâ
Anatomici manu et oculis tantùm non cæcutienti-
bus indiget ut confirmetur ; et de qua auguror nemi-
nem deinceps qui expertus fuerit dubitaturum. Sed
hæc sunt vitia senectutis emeritæ, non solùm ut quæ
didicit aliâ ætate nolit perdenda fateri, verùm et à


  1. Sic pour : exscidissent.

p.

Page 179, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

junioribus ægrè patiatur erudiri, γηρασκειν διδασκο-
μενη, και διδασκειν γηρασκομενη. Caveamus, Mi Pec-
qvete
, cùm id ætatis erimus (eò si perveniamus)
ne in scopulos illos impingamus ; Imò juventuti ani-
mos addamus, quò alacrior cœptis laboribus incum-
bat. Sed absonum in primis et indecorum ullam la-
rium et fortunarum rationem habere ; ac si in plumâ
et ostro nasci deberent rerum optimarum inventores.
Multum tui caussa societatem religiosissimam et eru-
ditissimam præstitisse, ait ille venarum lactearum re-
prehensor, ut inde significet, opus tibi fuisse alienâ
beneficentiâ. At quid hoc aliud est, nisi sortis ini-
quitatem incusare ; et in Diei providentiam obmur-
murare ? Quid hoc aliud sibi vult, nisi Reuerendos
Patres ex ungue leonem statim agnovisse, quem ne
rictu jam et lacertorum robore senex caligans ani-
madvertat ? Certè quod te inter ingenij monstra ob
chyliferi canalis inventionem vituperabundus repo-
nat, concoquere non possum : Rideas tamen suadeo ;
nam mihi videor audire portitorem vetulum aliquem
triobolarem ex illâ familiâ nautarum qui Sequanam
cymbulâ trajiciunt, Magellanos, Columbos, Marios,
Dracos, Baransonios floccifacientem, quod nomen
sodalitati suæ nondum dederint, et audeant tamen
ausu temerario sese committere Oceano atque igno-
tas nautis Parisiensibus terras detegere. Nam quantula
pars est urbis unius Facultas, quæ singulari quadam
methodo civibus suis medetur ; si conferatur cum uni-
verso genere humano, cujus interest ut subinde exo-
riantur viri industrij, veræ laudis appetentes, qui pri-
vata sua commoda utilitati publicæ posthabeant. Ne
tempus igitur teras in refutatione injuriarum quibus

q.

Page 180, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

tuum illud inventum frustra impetitur ; cum certatim
alij illud sibi vendicantes fidem cunctis faciant, quàm
certa res sit, et quàm solidæ gloriæ parens existime-
tur.

Scripsi ad Henricum Bornium professorem Ley-
densem, veterem amicum, mirari me quî fieri potue-
rit ut Clarissimus vir Iohannes Hornius de ductu chy-
lifero scribens non viderit tractatulum tuum biennio
ante typis editum, ut planè constet nulli non literato,
nec in Anatomicis hospiti, te primum exstitisse freti
istius Magellanico sanè potioris, detectorem. Atque
adeo ludibrium posteris debiturum collegam, nisi
quamprimum illud data occasione fateatur ; et dicat,
non visum sibi librum tuum, cùm tamen ipse eódem
fermè experientiâ sua pervenisset. Nolle enim me
ambigere, quin Hornius quoque ductum invenerit,
sed tamen à suspicione plagij famam viri jam aliunde
et per se magni nominis immunem non futuram, nisi
liberetur, nudâ et simplici narratione experimenti sui,
atque relictâ tibi inventionis primariæ gloriâ. Itaque
rogavi ut virum doctissimum cautè officij sui admo-
neret. Tu, Vale, Pecqvete Clarissime,
et rem Medicam juvare contende. Optandum enim
esset ut in re tam seriâ tandem homines nugari desi-
nerent. Iterum Vale. Lutetiæ Parisiorum Eid. Sextil.
m dc liv.


Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Lettres de soutien adressées à Jean Pecquet : Samuel Sorbière, alias Sebastianus Alethophilus (1654)

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/pecquet/?do=pg&let=0049

(Consulté le 13/06/2024)

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