Si j’étais à Lyon auprès de vous, tête à tête, je pourrais bien vous dire plusieurs choses particulières que l’on dit ici et que je ne puis vous écrire, aussi ne le faut-il pas. [2] M. de Roquesante, [3] conseiller au parlement de Provence [4] et à la Chambre de justice, [5] qui parla si fortement et si heureusement pour M. Fouquet, [6] est ici de retour de Bretagne où il a été exilé quelque temps. Il est malade, j’y ai été appelé en consultation, [7] j’espère qu’il guérira. Je le trouve fort habile homme, et plus que ne sont ordinairement les Provençaux, car ces gens-là pipent plus en esprit ou en fourberie qu’en science ; ils sont trop glorieux pour apprendre avec peine et par étude. Celui-ci passe tous ceux que j’ai connus. Je l’ai un peu entretenu en secret et en particulier, je le trouve fort résolu et fort savant. C’est ce qui m’en a bien plu et qui m’a fait refuser son argent, bien que sa femme [8] m’en ait fort pressé et qu’elle ait fait tout ce qu’elle a pu pour m’en faire prendre ; mais je lui ai dit que la vertu de son mari, que j’honore très fort, m’empêcherait de faire cette faute. Cette dame provençale a fort bonne grâce et parle fort agréablement, et en vérité, elle est digne de louange pour le soin qu’elle a eu et pour la peine qu’elle a prise de solliciter la liberté de son mari, à présenter tant de requêtes au roi, [9] et à lui parler si sagement et si pathétiquement comme l’on dit qu’elle a fait. Vivent les gens de bien qui ont du courage et de l’esprit ; il y en a bien qui n’ont ni l’un, ni l’autre. [1]
On ne parle plus ici que de guerre, on dit que les troupes marcheront le 15e de ce mois vers la Flandre, [10] mais on ne dit encore rien de la déclaration de cette guerre, [11] etc. [2] On dit que la reine [12] demeurera à Compiègne, [13] que Mme la duchesse d’Orléans [14] demeurera avec la reine sa mère [15] à Colombes, que M. le duc d’Orléans [16] suivra le roi, que M. le maréchal de Turenne [17] sera le grand commandant duquel les quatre lieutenants généraux recevront les ordres, que M. le duc d’Orléans a reçu 200 000 livres pour son voyage, que Mlle de La Vallière [18] demeurera à Versailles. [19] Je viens de recevoir avec beaucoup de joie une lettre de notre bon ami M. Spon. Dieu soit loué de ce qu’il se porte mieux, je vous remercie du soin que vous avez pris de lui. [20] Messieurs du Parlement furent assemblés samedi dernier. On dit qu’il y eut trois de ces Messieurs qui parlèrent bien hardiment, savoir MM. Miron, [21] de La Grange [22] et de Nointel, [3][23] ce qui n’a pas plu à M. Colbert. [24] J’ai peur pour M. Miron de quelque exil, qui d’ailleurs n’a pas de santé ; les deux autres sont pareillement fort honnêtes gens. O mores ! o tempora ! [4] Je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.
De Paris, ce 3e de mai 1667.
Bulderen, no ccccxlix (tome iii, pages 238‑240) ; Reveillé-Parise, no dccxlviii (tome iii, pages 649‑650).
Comme Guy Patin, la marquise de Sévigné vouait une profonde admiration au « grand et divin Roquesante » (lettre 343 à sa fille, Mme de Grignan, le 19 novembre 1673, tome i, page 624) : « Je suis ravie que vous ayez Roquesante. C’est, sans offenser tout le reste, le plus honnête homme de Provence et celui dont l’esprit et le cœur sont les plus dignes de votre amitié » (lettre 457 à la même, le 15 décembre 1675, tome ii, page 187).
Pierre de Rafélis de Roquesante (v. note [3], lettre 804) retourna en Provence, mais il dut attendre 1674 pour la restitution des biens qu’on lui avait confisqués sur ordre du roi, et pour son entière réhabilitation.
La France déclara la guerre de Dévolution (v. note [3], lettre 883) à l’Espagne le 8 mai 1667. Le roi, accompagné de la reine, quitta Saint-Germain le 16 mai pour arriver à Amiens le 20. Les hostilités se déroulèrent dans les Pays-Bas espagnols. Le premier grand fait d’armes fut la prise d’Armentières le 24 mai, suivie par celle de Tournai, le 26 juin suivant, par Louis xiv en personne.
V. note [12], lettre 519, pour François-Pierre Miron, président au Parlement de Paris, ami et voisin de Guy Patin.
Louis de La Grange-Trianon, seigneur de Nandy, etc., reçu conseiller au Parlement de Paris en 1640, présidait la deuxième Chambre des requêtes depuis 1651 (Popoff, no 617).
Charles-François Olier (mort en 1685), seigneur de Nointel, avait été reçu, en 1661, conseiller en la deuxième des Requêtes ; plus tard, il fut ambassadeur à Constantinople (Popoff, no 1880).