Le roi [2] a accordé la paulette [3] à plusieurs officiers et presque à tous ceux qui avaient affaire. M. de Puyguilhem [4] a été envoyé au même lieu que M. Fouquet, [5] à Pignerol, [6] sans que nous sachions la cause de sa disgrâce. On l’appelle à la cour le comte de Lauzun. [1] M. de Bezons, [7] intendant de justice en Languedoc, a été fait par le roi premier président de Provence [8] à la place de M. d’Oppède. [2][9] Le roi d’Angleterre [10] nous donnera du secours contre les Hollandais, étant fort ami du nôtre.
Il court ici beaucoup de fièvres catarrhales [11] et des rhumatismes, [12] mais nous les guérissons aisément par la saignée [13] et la boisson d’eau. Le vin nouveau [14] a déjà fait des goutteux [15] et des hydropiques. [16] Je vous envoie deux de nos thèses, [17] notre dernier catalogue [18] et la dernière affiche de notre Collège royal. [19] Au mois de novembre de l’an 1672, nous aurons un nouveau doyen et un nouveau catalogue, mais qui y sera ? [20]
Prudens futuri temporis exitum
caliginosa nocte premit Deus. [3]
Les rabbins [21] disent que Dieu s’est réservé trois clefs, dont la première est du beau ou du mauvais temps, la seconde de la fertilité ou stérilité, la troisième est la science du futur. Certes, voilà trois beaux secrets, mais qui n’appartiennent qu’à ce Grand Maître.
M. de Puyguilhem a été arrêté le même jour que le fut à Londres le duc de Buckingham. [4][22] Mme la duchesse d’Orléans [23] est à Saint-Germain [24] où tout est en réjouissance. Elle trouve la cour fort belle, elle y fait bonne chère et y trouve le vin fort bon. [5] Bientôt on la doit mener promener à Saint-Cloud, [25] logis de M. le duc son mari, [26] pour lui faire voir les belles cascades et les fontaines qui y sont.
Pour la guerre, [6][27] on la tient certaine si les Hollandais < ne > la préviennent par leur prudence républicaine. Il est vrai que M. le chancelier [28] est bien vieux et qu’apparemment, sa place sera bientôt remplie par M. Le Tellier, [29] père de M. de Louvois, [30] ou par M. Pussort, [31] oncle de M. Colbert. M. le cardinal de Bouillon [32] est grand aumônier de France. Je me souviens bien de Damascène, [7][33] ce n’est qu’un fou. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.
De Paris, ce 21e de décembre 1671.
1. |
V. note [15], lettre 1011, pour l’incarcération à Pignerol d’Antonin Nompar de Caumont de Puyguilhem, comte de Lauzun. |
2. |
V. note [18], lettre 311, pour Claude Bazin sieur de Bezons. Henri de Forbin Maynier d’Oppède (1620-Lambesc 13 novembre 1671), conseiller au parlement d’Aix en 1637, en était devenu premier président en 1655. Nommé en 1667 lieutenant du roi commandant en Provence, il était le vrai chef de la province où il faisait les fonctions d’intendant. M. de Grignan, le gendre de Mme de Sévigné, était l’un de ses très fidèles « clients » ; lettre 219 à Mme de Grignan, le 22 novembre 1671 (tome i, page 382) :
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3. |
« Dieu dans sa sagesse a enveloppé d’une nuit épaisse les événements futurs » : Horace, v. note [20], lettre 564. Guy Patin ne vécut pas jusqu’à l’élection du nouveau doyen en novembre 1672, qui fut Jean-Baptiste Moreau. |
4. |
George ii Villiers, duc de Buckingham (v. note [2], lettre 993), négociait alors les traités d’alliance entre l’Angleterre et la France. Il était aussi littérateur : intitulée The Rehearsal [La Répétition], sa comédie satirique en cinq actes ridiculisant les excès des drames héroïques, avait été jouée pour la première fois à Londres le 7 décembre 1671 ; l’édition critique qu’en a donnée Edward Arber (Londres, Bloomsbury, 1868, in‑8o de 136 pages) contient une biographie détaillée de Buckingham, qui ne fait pas état de son arrestation à cette époque ; sa vie privée fort dissolue avait pu lui valoir des démêlés avec la justice ; la Gazette de France n’en a rien dit non plus. |
5. |
L’arrivée d’Élisabeth-Charlotte, Madame Palatine, animait la cour, tout en attisant la nostalgie inquiète de la Grande Mademoiselle (Mlle de Montpensier, Mémoires, seconde partie, chapitre xix, pages 310‑311) :
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6. |
La guerre de Hollande (v. note [51] de l’Autobiographie de Charles Patin) allait être déclarée par Charles ii, roi d’Angleterre, le 28 mars 1672, puis par Louis xiv, le 4 avril suivant. |
7. |
V. note [6], lettre 325, pour le médecin chimiste Jean-Baptiste Damascène. |
a. |
Du Four (édition princeps, 1683), no cxcv (pages 520, numérotée 518‑522, numérotée 520) ; Bulderen, no dliv (tome iii, pages 438‑440) ; Reveillé-Parise, no dcccxxxiii (tome iii, pages 792‑793). |