[Ms BIU Santé no 2007, fo 182 vo | LAT | IMG]
Au très distingué Johann Georg Volckamer, à Nuremberg.
Très distingué Monsieur, [a][1]
Je dois réponse à vos deux dernières. J’ai trouvé la disputation de Simio Dei, nempe diabolo, [2] à l’endroit que vous m’avez indiqué, c’est-à-dire dans les thèses du très distingué Dilherr, [3] et je vous en remercie. Je me réjouis que vous ayez reçu les ouvrages de Baillou. [1][4] Si vous désirez autre chose de cette ville, il vous appartient de m’en prier, et à moi de vous l’expédier : je m’engage de bon cœur à vous envoyer tout ce que vous me demanderez car je vous suis très attaché et très obligé à quantité d’égards. Je souhaite que la négociation de paix qu’on a entreprise tourne à l’avantage de votre ville d’Erfurt et de ses habitants, en particulier du très distingué M. Eckard Leichner. [5][6] Veuille Dieu tout-puissant délivrer heureusement de la tyrannie des prélats et des moines votre Allemagne, qui est la reine de tant de bonnes industries. [7][8] Datatim ludunt [2][9] et trichent sciemment de façon que nul ne possède plus rien et, par fraude et imposture, ils raflent et saisissent tout sans rien laisser etc. Envoyez-moi la note de ce que vous avez dépensé pour moi en achats de livres, j’en réglerai le montant à M. Picques. [10] Malheur à ces soldats agités qui ont si misérablement ravagé votre Franconie, ils ne sont ni plus doux ni meilleurs que les Turcs. J’ai reçu une lettre de M. Felwinger, [11] à qui je répondrai. Je salue M. Richter. [12] Je vous demandais la Bibliotheca Romana de Philippus Carolus [13] si elle a été imprimée ; sinon, je n’en ai guère besoin. Je remercie néanmoins le très distingué M. Richter pour les trois manuscrits qu’il nous offre, s’ils demeurent inédits ; mais ne voulant importuner personne, je préfère modérer ma curiosité. [3] Je vous sais gré pour votre conseil en faveur de M. Felwinger ; je parlerai de cela avec M. Picques et vous en écrirai, pour que l’affaire soit arrangée de la façon que vous m’indiquez. [4] Le soir, tous ont ici regardé la comète, [14] elle n’a pas apporté plus de félicité que tant d’autres qui sont apparues jadis. Néanmoins, ces objets célestes ne m’inspirent aucune peur, pas même les étoiles : c’est sagement qu’on a dit a signis cæli nolite metuere ; [5][15] nous éprouvons chaque jour suffisamment de peines à discerner et à percevoir sans avoir besoin d’astres nouveaux. On parle ici d’une horrible guerre qui menace d’éclater entre les Anglais et les Hollandais, [16] si notre roi très-chrétien n’applique sa médiation et son autorité à réprimer ces fureurs excessivement belliqueuses, [17] lui qui médite bien d’autres interventions qui ne seront pas de moindre importance. [6] Dieu fasse qu’il y réussisse selon ses vœux, afin que notre France, qui a été si misérablement et malheureusement ruinée depuis plus de 40 ans, soit en quelque façon pacifiée et reprenne des forces pour être enfin rassérénée. [7]
Brouillon manuscrit d’une lettre que Guy Patin a dictée (avec quelques minimes corrections de sa plume) à Johann Georg Volckamer, ms BIU Santé no 2007, fo 156 vo ; lettre inachevée et sans date ; sa position dans le manuscrit et son contenu permettent de la supposer datée de la première quinzaine de janvier 1665.
V. note [5], lettre latine 315, pour « le Singe de Dieu, qui est le diable » de Johann Fabricius, thèse présidée par Johann Michael Dilherr (Iéna, 1640), et [5], lettre latine 283, pour la liste complète des livres de Guillaume de Baillou que Guy Patin avait tous envoyés à Johann Georg Volckamer.
« Ils jouent à se renvoyer la balle », Plaute, Curculio [Le Charançon] (vers 301‑302), contre les gens oisifs qui encombrent les villes :
Tum isti qui ludunt datatim servi scurrarum in via,
et datores, et factores omneis subdam sub solum.[Quant à ces esclaves des beaux esprits, qui jouent dans la rue à se renvoyer la balle, je les aplatirai tous sur le sol].
V. note [8], lettre 797, pour Erfurt aux prises avec l’impétueux archevêque-électeur de Mayence, Philipp von Schönbron.
Deux dépêches de la Gazette (ordinaire no 2, 3 janvier 1665, pages 15‑16) ont commenté ces événements, connus sous le nom de Mainzer Reduktion [Réduction de Mayence].
« Les troupes de notre évêque qui ont été employées au siège d’Erfurt étant revenues, {a} ont aussitôt été renvoyées dans leurs garnisons ; et nous attendons cette semaine celles qui étaient allées au secours de l’empereur contre les infidèles. {b} On nous écrit de Heidelberg que l’électeur palatin a fait marcher 1 500 fantassins pour s’opposer au dessein que cinq compagnies de cavalerie lorraine, qui étaient devant la ville d’Erfurt, témoignaient avoir de prendre leurs quartiers d’hiver proche ses frontières. »
- L’armée de l’archevêque-électeur, forte de 15 000 hommes, dont 6 000 Français (commandés par François de Pradelle, v. note [9], lettre 909), avait assiégé la ville, qui s’était rendue le 5 octobre après une courte résistance.
- Les Turcs.
« Nos habitants, même ceux qui paraissaient les plus mutins, ne peuvent s’étonner assez de la douceur avec laquelle ils sont gouvernés par l’électeur de Mayence, vu leur procédé qui le devait obliger à les traiter d’une autre manière : au lieu de quoi, il ne s’est pas contenté de les maintenir dans la plupart de leurs privilèges, mais il leur a fait espérer que sa clémence s’étendrait jusqu’à ceux qui étaient exceptés du pardon. Et ce qui n’a pas peu satisfait les gens de bien, le corps du bourgmestre Lamprecht, qui avait été décapité par les séditieux il y a près d’un an, ayant été déterré par l’ordre de ce prince le 20e du passé, fut porté avec grand honneur dans notre Maison de Ville et, le lendemain, inhumé en l’église des Marchands, en présence des principaux de la bourgeoisie, du sénat et des autres corps qui avaient assisté au convoi. Le 1er de ce mois, Son Altesse Électorale alla au-devant de l’évêque de Münster, qu’elle amena en cette ville, où il entra au bruit de trois décharges du canon, et du carillon de toutes les cloches ; et le 4e, il en repartit pour retourner dans ses États. »
V. note [4], lettre latine 295, pour la « Bibliothèque romaine » de Philippus Carolus, qui est restée à l’état de manuscrit. Guy Patin semblait craindre que ses amis allemands ne lui infligent le pensum de chercher un libraire français pour l’imprimer.
Dans sa lettre du 7 novembre 1664 à Johann Georg Volckamer, Guy Patin lui avait demandé comment remercier Johann Paul Felwinger pour un livre qu’il lui avait offert et dédicacé. V. la lettre de Patin à Felwinger, le 22 janvier 1665, pour la manière dont il lui a exprimé sa gratitude.
« ne soyez pas terrifiés par les signes du ciel » : v. note [3], lettre latine 299, pour cette citation biblique (Jérémie) et pour la comète de 1664-1665.
V. note [4], lettre 808, pour la seconde guerre anglo-hollandaise qui allait éclater le 4 mars 1665.
La Gazette (ordinaire no 3 du 3 janvier 1665) publiait deux préoccupantes dépêches (pages 20‑21).
« Le Sieur Goch, notre ambassadeur à Londres, a envoyé le secrétaire de l’ambassade aux États généraux {a} pour leur donner avis que, bien loin qu’il y eût aucune apparence d’accommodement, {b} le roi de la Grande-Bretagne leur déclarerait bientôt la guerre ; et qu’il avait résolu, pour la soutenir, de mettre en mer, à ce printemps, jusques à six-vingts {c} navires s’ils ne le prévenaient pas la satisfaction qu’il leur avait demandée, ce prince faisant amasser les fonds nécessaires pour entretenir 30 000 matelots durant un an. Cette nouvelle nous a grandement alarmés, mais non pas au point que les Provinces aient encore pu demeurer d’accord de la somme que chacune doit payer pour notre nouvel armement car, comme il n’y a que les maritimes {d} qui tirent le profit du commerce, les autres semblent n’être pas fort disposées à contribuer aux frais d’une guerre qui ne s’entreprend que pour le maintenir. Néanmoins, celle de Gueldre a consenti au paiement de 125 mille livres, à condition que les autres fourniront six millions que lesdits États généraux ont demandés pour l’équipage de 72 vaisseaux ; comme aussi trois millions pour la construction de 24 ; et que la Compagnie des Indes Orientales sera tenue de contribuer à proportion. »
- Les États généraux des Provinces-Unies.
- Le conflit était dû à la concurrence entre la Grande-Bretagne et les Provinces-Unies pour le commerce avec l’Afrique occidentale et les Antilles.
- 120.
- Les deux principales provinces tournées vers la navigation maritime commerciale étaient la Zélande et la Hollande.
« Le 12 de ce mois, les nôtres s’emparèrent encore de trois vaisseaux hollandais, où il y avait diverses marchandises, que le vent avait jetés dans le havre de Plymouth. Le 14, on en amena cinq autres, et il y en a 30, chargés de vin, qui ne sauraient éviter de tomber au milieu de notre flotte et d’être enlevés. Le roi de la Grande-Bretagne a aussi ordonné que l’on en arrêterait jusques à la concurrence des prétentions des Compagnies des Indes, et des autres marchands intéressés au commerce de l’Amérique et de la Guinée, ainsi que des dépenses extraordinaires que Sa Majesté a été obligée de faire pour équiper ses flottes, ayant vu qu’Elle ne pouvait tirer raison des États généraux, tant sur ce point que sur les demandes qu’Elle leur a faites depuis si longtemps par le chevalier George Downing, son résident à La Haye. Le Parlement continue de délibérer sur les moyens plus faciles de trouver deux millions cinq cent mille livres sterling qui doivent être levés pour l’entretien de l’armement contre les Hollandais. »
En 1662, la France avait conclu un traité d’alliance bilatérale défensive avec les Hollandais pour s’assurer leur appui contre les Espagnols dans les Flandres (v. note [3], lettre latine 176, et [1], lettre 819, pour l’avis de Louis xiv sur la question).
Les desseins du roi de France se tournaient surtout vers l’Espagne chancelante, et ses Pays-Bas : on attendait la mort de Philippe iv (survenue le 17 septembre 1665) qui n’avait pour successeur qu’un enfant débile et malingre, jugé incapable de régner (v. note [3], lettre 837).
Brouillon inachevé, sans signature ni date (v. supra note [a]).
Ms BIU Santé no 2007, fo 182 vo.
Cl. Viro D. Io. Georgio Volcamero, Noribergam.
Vir Cl. duobus tuis postremis responsum debeo. disputationem de
simia Dei, nempe diabolo, in eo loco inveni quem mihi indicasti,
nempe in Disput. Cl. Dilheri : pro quo gratias habeo. Gaudeo
quod Ballonium acceperis : si aliud ex hac Urbe nostra requi cupias,
tuum est petere, et meum mittere : mittam enim quæcumque
petieris, quod libenter profiteor, cùm sim Tibi tot nominibus
devinctissimus et obligatissimus. Utinam Erfurto vestro bene cedat,
et ejus incolis, præsertim v. Cl. Viro D. Eccardo Leichnero negotium
pacis antehac agitatum : et Germaniam vestram tot bonarum
artium Reginam, feliciter liberet Deus Opt. Max. à tyrannide
Præsulum et Monachorum, qui datatim ludunt, et ac ex
industria fraudulenter agunt, ne quis quid habeat, et omnia
converrant atque ad se convertant cum pulvisculo fraudis
et imposturæ, etc. eEorum quæ pro me impendisti in emendis
antehac libris, mitte indiculum quem persolvam D. Picques ;
malè sit male feriatis istis istis militibus, qui Franconiam vestram
tam miserè devastarunt, Turcis ipsis nec mitioribus nec
melioribus. Domini Felwingeri Epistolam accepi cui respondebo.
D. Richterum saluto. Phil. Caroli bibliothecam Romanam
typis editam postulabam : quod si talis non prostet, nihil amplius
requiro. De Ms. tribus quæ nobis offeruntur à Cl. Richtero,
gratias ago, nisi typis mandata prostint : nemini enim volo
esse incommodus, ideòque malo minùs esse curiosus. dDe monito
tuo in gratiam D. Felwing. gratias habeo : de quo agam cum
D. Picques, et ad Te scribam, ut negotium perficiatur eodem ipso modo
quem indicasti. Hîc ab omnibus, nocturnis horis conspectus fuit
cometes, qui majorem nobis felicitatem non protendit quàm
tot alij, qui antehac apparuerunt : nihilominus tamen, meteora
ista hihil me terrent, nequidem stellæ : quoniam sapienter
dictum est, à signis cæli nolite metuere : satis multa damna
quotidie experimur, nec opus est novis sideribus, ut ea intelligamus
aut sentiamus. Hîc agitur de atroci bello imminente inter Anglos
et Batavos, nisi furores illos plusquam bellicos interventu et authoritate sua compescat Rex noster christianissimus,
qui et alia multa non minoris momenti futura meditatur : quæ utinam illi ex voto succedant, ut misera nostra
Gallia, ab annis plusquam 46. 40. tam miserè et tam infeliciter attrita, aliquo modo lenetur, et tandem
recreatur atque convalescat.