L. latine 394.  >
À Nicolaas Heinsius,
le 19 mars 1666

[Ms BIU Santé no 2007, fo 206 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Nicolaas Heinsius, à Stockholm. [a][1]

Je fus transporté d’une immense joie quand, chez le très éminent M. Hannibal Sehested, [2] ambassadeur danois, je rencontrai le distingué M. de Chassan ; [1][3] en mentionnant votre nom dans notre conversation, il m’a témoigné de l’amitié que vous me portez. Mon souvenir de vous s’en est trouvé rafraîchi, ou plutôt ranimé, car il n’était ni éteint ni enseveli. Voilà pourquoi je vous écris, très distingué Monsieur, afin que vous reconnaissiez clairement par ma lettre que mon cœur est bien assuré de notre affection mutuelle. Par la grâce de Dieu, je suis en vie [Ms BIU Santé no 2007, fo 206 vo | LAT | IMG] et me porte bien, ayant passé ma 64e année d’âge, mais sans gêne aucune. Quant à vous, je prédis, ou du moins souhaite et espère que vous vivrez encore de nombreuses années. Je peine pourtant à trouver quelque chose à vous dire de neuf sur la république des lettres. Vous avez sans doute entendu parler de ce nouveau fragment qu’un Dalmate a publié en Italie, à ce que j’apprends ; [4] peut-être l’a-t-il lui-même forgé et supposé, longe enim aliter olent catuli quam sues ; [2][5] or, ce texte n’a en rien la saveur et n’approche pas des si subtiles délicatesses du grand Pétrone, l’Arbitre des élégances, dont a parlé Tacite au 16e livre de ses Annales[3][6][7] L’Abrégé de l’histoire des rois de France de M. de Mézeray ne court pas ici sous la presse, il ne progresse que lentement. [8] On dit que paraîtra bientôt la nouvelle Chronologia ab Adamo ad nostra tempora d’un certain jésuite, nommé Philippe Labbe, en 4 tomes in‑12 ; [4][9] enfin, devrais-je dire, car nos libraires n’osent rien entreprendre de nouveau, tant sont grandes leur paresse et leur incurie, et même leur indigence. [10] La France gît en effet aujourd’hui, telle

Spurcum cadaver pristinæ venustatis
Et imago turpis puritatis antiquæ
[5][11]

Vous savez ce que j’entends par là : elle gît, dis-je, misérablement tondue par deux empourprés[12][13] dont j’aurais souhaité que les griffes ne nous eussent jamais atteints ; mais il est plus prudent de se taire car dies mali sunt et durissima tempora[6][14] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, le 19e de mars 1666.

Vôtre en tout, hier comme aujourd’hui, Guy Patin, docteur, etc.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Nicolaas Heinsius, ms BIU Santé no 2007, fo 206 ro et vo.

1.

Historien suédois francophone, le comte Fredrik Ulrik Wrangel (1853-1929) a mentionné M. de Chassan (prénom inconnu) dans sa Liste des diplomates français en Suède, 1541-1891 (Stockholm, P.A. Norstedt et Soner, 1891, pages 30‑31, note 3) :

« Depuis l’année 1660, M. de Terlon eut pour secrétaire M. de Chassan, né comme lui à Toulouse, et qui dirigea à plusieurs reprises les affaires pendant les différentes absences de l’ambassadeur. {a} En 1660, à la veille de la mort de Charles x, {b} il fut envoyé par M. de Terlon auprès des ambassadeurs de France en Pologne et en Allemagne, et rentra dans la suite à Stockholm, où il fut continuellement exposé à des tracasseries de toute sorte à cause de sa religion (il était calviniste). Rentré en France en 1665, il allait être mis à la retraite, mais ayant su se défendre contre ses calomniateurs, il fut nommé ministre plénipotentiaire en Saxe (instructions datées du 24 novembre 1666). En 1670, on songea à le nommer en cette même qualité auprès du roi de Suède. » {c}


  1. Le chevalier Hugues de Terlon (vers 1620-vers 1690) a été ambassadeur de France à Stockholm de 1660 à 1665.

  2. V. note [28], lettre 345, pour le roi Charles x Gustave de Suède, mort le 13 février 1660.

  3. V. note [16], lettre 603, pour Charles xi, fils et successeur de Charles x Gustave.

2.

« car les chiens et les porcs n’ont pas du tout la même odeur » (Plaute, v. note [8], lettre latine 341).

3.

V. notes :

4.

V. notes :

5.

« L’immonde cadavre de sa beauté d’antan, et le honteux spectre de son antique pureté » (deux premiers vers du scazon de Joseph Scaliger In Romam [Contre Rome], v. note [24], lettre 207).

6.

« les jours sont mauvais et les temps très durs » (saint Paul, v. note [2], lettre 396). Les duo purpurati que Guy Patin maudissait encore et encore étaient les deux défunts cardinaux ministres, Richelieu et Mazarin.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 206 ro.

Cl. Viro D. Nic. Heinsio, Holmiam.

Exultavi gaudio maximo, quum apud amplissimum virum D. Annibalem
Sesteed, Legatum Danicum, occurrit mihi vir egregius D. de Chassan,
qui in colloquio mutuo, de Te facta mentione, amicitiam vestram mihi pate-
fecit : statimque tuæ memoriam mihi renovavit, licet nec extinctam, nec sepultam :
et tamen ut verum fateor, eam quodammodo excitavit : idcirco ad Te scribo, Vir Cl. ut ex me
et per me agnoscas mutuis benefidum pectus amoribus : Vivo per Dei gratiam,
et valeo, anno æt.

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 206 vo.

et valeo, anno ætatis 64. exacto, sed absque ullo incommodo : Tibi v. melius esse augu-
ror, aut saltem spero ac voveo multos annos. Sed quid ad Te scribam novi de re
literaria, vix habeo quidquam : haud dubiè audisti de fragmento illo novo, à quo-
dam ut audio, Dalmata, in lucem emisso, in Italia, et forsan ab eodem ficto et
supposito ; longè enim aliter olent catuli quàm sues : et sanè nihil sapit illud,
nec accedit ad delitias elegantissimas magni illius Petronij Arbitri, cujus
meminit Tacitis, lib. 16. Annal. Hîc sub prælo non currit, sed lentè procedit
liber historicus D. Mezeray, sub hoc lemnate : Abregé de l’hist. des Rois de France.
Dicitur brevi proditura nova quædam Chronologia cujusdam Iesuitæ P. Labbe, en 4.
tomis, in 12. ab Adamo ad nostra tempora
 : et hoc tandem : nihil enim novi audent aggredi
nostri Bibliopolæ, tanta est eorum socordia et ignavia, imò et miseria : jacet enim
hodie Gallia tanquam Spurcum cadaver pristinæ venustatis, Et imago turpis
puritatis antiquæ :
scis quid velim : jacet enim tainquam, miserè expilata à duobus
purpuratis, quorum ungues utinam nos numquam attigissent. Sed tutius est
tacere, dies enim 2 sunt 1 mali, et durissima tempora. Vale igitur, et me ama, Vir Cl.
Parisijs, 19. Martij, 1666. Tuus ut olim et nunc ad omnia Guido Patin, D. etc.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Nicolaas Heinsius, le 19 mars 1666

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(Consulté le 26/04/2024)

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