Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑1 (1701)

Note [31]

La mort de la maréchale de Guébriant, Renée Du Bec-Crespin (v. note [32], lettre 224), situe en 1659 la rédaction de cet article du Patiniana, qui ne figure pas dans le manuscrit de Vienne.

Dans sa note F sur la maréchale, Bayle a critiqué la manière dont Benjamin Priolo {a} a relaté l’affaire de Brisach : {b}

« Cet historien raconte une chose qui n’est pas trop honorable pour cette dame. Il dit que durant les derniers troubles, Charlevois, qui avait commandé dans Brisach, se brouilla avec le gouverneur que la cour y mit (c’était M. de Tilladet), et qu’il poussa si bien sa pointe que le gouverneur fut obligé de quitter la partie. {c} Qu’alors, la maréchale de Guébriant, soit par avarice, soit par ambition, se fit de fête, {d} et voulant faire à la cour un grand mérite de la conservation de cette importante place, noua une intrigue pour perdre Charlevois. Qu’elle se rendit à Brisach accompagnée d’une fille qu’il aimait et que, comme il eut l’imprudence de sortir de la forteresse pour voir cette fille, il fut pris et amené à Philippsbourg. {e} Que ce manège attira sur la maréchale une grêle d’injures, qui l’obligea à se retirer à Bâle le plus vite qu’elle put, et que Charlevois s’entendit avec le comte d’Harcourt, {f} mécontent du gouvernement, et fit la paix à des conditions avantageuses ; de sorte que la dame se vit haïe des deux côtés et en mourut de chagrin.

On voit là un exemple de ce qui arrive presque toujours à ceux qui donnent des abrégés : ils omettent plusieurs circonstances, sans lesquelles un fait n’est qu’une petite masse brute et informe, comme l’éprouvent ceux qui, après avoir lu une histoire étendue, comparent l’idée qu’ils en ont avec celle qu’un abrégé leur en donnait. Ceux qui liront dans l’histoire de M. de La Barde {g} cette intrigue de la maréchale de Guébriant feront une épreuve de ce que je dis ; mais laissant à part les omissions de Priolo, il est certain qu’il y a deux faussetés dans sa narration.

La première consiste à dire que Charlevois sortit de Brisach pour voir la maîtresse que la maréchale lui amenait. Rien de plus faux : il n’avait que faire d’en sortir pour la voir, puisqu’elle y était à la suite de Madame de Guébriant. C’est d’ailleurs un embarras pour le lecteur que de voir que cette dame soit à Brisach et que la maîtresse de Charlevois, par le moyen de laquelle on veut le prendre comme à la glu, ne soit pas auprès de la dame qui conduit l’intrigue, et qui se sert si bien des intrigues de Catherine de Médicis. {h} Il est certain qu’elle y était, et que l’artifice qu’on employa pour attirer Charlevois dans l’embuscade fut de l’accoutume à s’aller promener en carrosse loin de la ville avec Madame de Guébriant, accompagnée de la maîtresse en question. Mais le jour de la capture, la maréchale, qui voulait être dans Brisach lorsque la première nouvelle y arriverait, supposa je ne sais quelle affaire, qui l’empêchait d’être de la promenade, et voulut néanmoins que toute la troupe qui la devait suivre s’allât promener. La seconde fausseté regarde la mort de cette dame : M. Priolo la fait mourir de chagrin dans un temps où la guerre civile n’était pas encore terminée ; mais il est sûr qu’elle ne se déconcerta point pour le mauvais succès de son entreprise de Brisach, et qu’elle continua ses intrigues à Bâle même, et se remplit la tête de vastes desseins pour se faire valoir auprès de la reine mère {i} et auprès du cardinal Mazarin ; en un mot, qu’elle n’est morte qu’en 1659, après avoir fait une si grande figure à la cour qu’elle devait être première dame d’honneur de la reine Marie-Thérèse. » {j}


  1. V. note [9], lettre 637.

  2. V. note [8], lettre 40.

  3. V. note [10], lettre 389, pour Gabriel de Cassagnet, sieur de Tilladet. Dubuisson-Aubenay a mentionné ses déboires avec Charlevois (ou Charlevoix, prénom inconnu), militaire qui frondait pour les princes, en deux entrées de son Journal des guerres civiles, pour l’année 1651 (volume 2) :

    • Le 1er juillet (page 82) :

      « Avis de Brisach que Charlevois, lieutenant qui jadis a été au maréchal de Guébriant, ayant gagné la garnison, s’est saisi du sieur de Tilladet, gouverneur, et l’a mis dehors, demeurant maître de la place. On y veut envoyer le marquis de Vardes. On dit que le duc de Mercœur y est allé le premier. »

    • Le 1er octobre (page 121) :

      « Le comte d’Harcourt, déjà gouverneur d’Alsace, achète par cent mille livres le gouvernement de Philippsbourg, au-delà du Rhin, au sieur de la Carrière. Cependant, la maréchale de Guébriant est ou va à Briscah, vers le lieutenant Charlevois, qui en a mis dehors le sieur de Tailladet, gouverneur en chef. »

  4. S’en mêla.

  5. V. note [4], lettre 111.

  6. V. note [4], lettre 29, pour Henri de Lorraine-Elbeuf, comte d’Harcourt, qui s’était alors rallié au parti du roi.

  7. Jean de La Barde, v. note [7], lettre de Charles Spon, datée du 20 mars 1657.

  8. « L’histoire remarque qu’elle se servait de la beauté de ses filles d’honneur pour faire donner les grands dans le panneau, selon ses besoins. Sa fille l’imitait en cela » (notule de Bayle) ; la fille de Catherine de Médicis était Marguerite de Valois, future reine Margot, première épouse de Henri iv.

  9. Anne d’Autriche.

  10. Reine de France après son mariage avec Louis xiv en juin 1660.

    Tout cela ne lave pas la maréchale des reproches qui ont pesé sur sa conduite.


Pour les autres lieux et personnes cités, v. notes :


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑1 (1701), note 31.

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(Consulté le 05/12/2024)

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