L. 179.  >
À Nicolas Belin,
le 5 juin 1649

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Nicolas Belin, le 5 juin 1649

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(Consulté le 04/12/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Pour réponse à la vôtre, je vous dirai que ceux de Bordeaux [2] qui assiégeaient Libourne [3] y ont eu du pis et que M. d’Épernon [4] les a dissipés ; et néanmoins, on dit que la reine [5] a envoyé un nouveau commandement d’abattre les fortifications de cette place afin de mettre la paix partout. [1] Le roi, [6] la reine, le Mazarin [7] sont à Compiègne. [8] On dit qu’ils s’en vont à Amiens [9] en prendre le gouvernement pour le Mazarin sur le maréchal de Chaulnes, [10] qui ne le veut pas rendre autrement, et qui veut tâcher d’attraper ainsi les autres places de cette province. [2] M. le Prince [11] est à Chantilly. [12] Toutes les troupes ont passé la rivière de Somme et entrent dans le pays ennemi. Les Suisses [13] grondent bien fort, qui ne reçoivent aucun argent. [3] Il y a du bruit en Hollande pour un envoyé d’Angleterre nommé Ladislas [14] qui y a été massacré à table par des Anglais, d’autant qu’il avait été un des juges de leur feu roi. [4][15] Le jeune et nouveau roi d’Angleterre, [16] par ci-devant prince de Galles, et le prince d’Orange, [17] son beau-frère, sont soupçonnés d’avoir fait faire ce massacre qui déplaît aux Hollandais. L’Angleterre est tout à fait réduite en république[18] Gerardus Io. Vossius, [19] le plus savant homme de Hollande, si demas Salmasium[5][20] est mort à Amsterdam [21] depuis six semaines. J’ai céans 15 volumes de sa façon. Il y est mort aussi un fort savant ministre nommé Frid. Spanheim, [22] c’est celui qui a autrefois écrit le Soldat suédois et Dubia evangelica en quatre volumes in‑4o[6] On dit ici que le roi d’Espagne [23] est mort le 17e de mai, à Madrid ; mais je ne sais plus qu’en croire, vu qu’on l’a dit plusieurs fois. [7] Je vous prie de faire mes recommandations très humbles à monsieur votre père, [24] lequel j’exhorte de penser à sa santé et de se purger [25] souvent avec séné [26] et sirop de roses pâles, [27] du vieux, in decocto portulacæ ; [8][28] et même de se faire saigner [29] quelquefois, tantôt d’un bras, tantôt de l’autre, ut liberetur a tam importuno hospite ; [9] comme aussi de ne boire que du vin vieux [30] et de le fort tremper. J’ai lu tout le livre des Jésuites sur l’échafaud[31] je pense que tout cela est vrai car il n’y a mal imaginable que ces fourbes ne commettent. [10][32] Ces carabins sortis de la braguette du P. Ignace [33] sont aussi méchants que le diable et néanmoins, ces fins pharisiens paraissent réformés comme pets d’apôtres. [11][34] Depuis la mort de feu M. Piètre, [35] notre ancien [36] qui était un homme incomparable, nous avons perdu le vieux père < Le > Vignon, [37] de 92 ans, et un jeune, nommé Crespon, [38] âgé de 38 ans. [12] Il n’y a ici aucun livre nouveau que l’Anthropographia Riolani [39] in‑fo, qui est un très excellent livre. [13] Je vous baise les mains, à monsieur votre père, à Mme Belin, à Messieurs vos deux oncles, à MM. Camusat, Allen et Sorel. Il y a grand désordre à Bordeaux contre M. d’Épernon qui a fait tuer par trahison M. de Chambaret, [14][40] chef du peuple qui s’est soulevé contre la tyrannie de ce gouverneur. Un avocat du Conseil nommé M. de Bautru [41] est dans un cachot au Châtelet, [42] accusé d’avoir fait un libelle [43] depuis six semaines, dans lequel le prince de Condé et le premier président [44] sont offensés. [15] Plusieurs se mêlent d’intercéder pour lui, et même M. le duc de Beaufort. [45] Je souhaite qu’on lui pardonne, quandoquidem tam multis in hunc diem licuit insanire[16] Je vous baise les mains et suis de toute mon affection, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 5e de juin 1649.

Hier au soir, M. le Prince arriva ici de Chantilly, presque inconnu et sans aucune acclamation. [17] Gaston [46] est encore à la cour à Compiègne, on dit qu’ils s’en vont à Amiens. [18] On parle ici du mariage de la nièce [47][48] du bateleur avec M. le duc de Mercœur, [49] lequel est accordé de parole. Les effets s’en pourront ensuivre, adeo sunt infatuati principes nostri ; [19] et néanmoins, il y a sur ce mariage plus à penser qu’à dire. Lisez le proverbe dans Érasme : [50] Aut regem aut fatuum nasci oportet. Heroum filii noxæ[20][51]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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