< L. 180.
> À Charles Spon, le 7 juin 1649 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Charles Spon, le 7 juin 1649
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Depuis ma dernière datée du vendredi 14e de mai, je ne vous puis dire autre chose sinon que l’Archiduc Léopold [2] a repris Ypres [3] le 11e de mai. Il s’en va assiéger Dunkerque. [1][4] S’il le prend encore aussi aisément qu’il a obligé Ypres de se rendre, n’aurons-nous pas grande obligation à la conduite et au gouvernement politique de ce très grand, très incomparable et éminentissime cardinal Mazarin, [5] qui fait si bien nos affaires que rien ne se peut mieux pour le profit des Espagnols ? Il assiège Paris, il emplit la campagne de France de troupes et de soldats plus déréglés que ne seraient des Turcs, et néanmoins, il n’a personne pour opposer en Flandres [6] à nos ennemis, tandis que le Poitou, la Provence [7] et la Guyenne, [8] le pays du Maine, la Normandie, la Picardie et la Champagne sont pleins de gendarmes sans aucune nécessité, qui ruinent et ravagent tout. [2] Nouvelles viennent d’arriver que le mariage est arrêté de M. le duc de Mercœur [9] avec la nièce du Mazarin, [10][11] moyennant cent mille écus que donne l’oncle, et la reine [12] 200 000 livres, avec la charge d’amiral [13] qu’on donne à M. de Vendôme [14] et des lettres de survivance pour son fils aîné, lequel sera vice-roi de Catalogne [15] où il s’en ira tôt après que le mariage sera consommé. [3] Avez-vous reçu mon portrait [16] que je vous envoyai l’an passé par M. Ravaud ? [17] Il me semble que vous ne m’avez point mandé que l’ayez reçu. [4] Je vous prie aussi de vous souvenir que vous m’avez promis le vôtre et que je m’y attends. [18] J’espère que vous ne frusterez point mon espérance, j’ai déjà une place apprêtée dans mon cabinet [19] pour cet effet iuxta suavissimos parentes et mihi carissimos, in quorum ordine, primatum tenes et familiam ducis. [5] Pensez donc à vous acquitter de votre promesse afin que je ne sois point trompé en mon attente, vu même que je ne vous ai point envoyé mon portrait qu’à condition que j’aurai le vôtre de même. Je viens d’apprendre une nouvelle qui m’afflige, savoir la mort de M. Spanheim [20] en Hollande ; c’était un homme honnête et très savant qui méritait de vivre plus longtemps. Je désirerais volontiers que ces grands personnages ne mourussent jamais que quand ils ne pourraient plus être utiles au public. Le même personnage m’a dit qu’il y a du bruit en Hollande pour le massacre que quelques Anglais ont exercé sur un certain Dorislas, [21] sous ombre qu’il était un de ceux qui ont travaillé à la mort du feu roi d’Angleterre. [6][22] Un avocat du Conseil, nommé M. Bernard < de > Bautru, [23] natif de Sens, [24] accusé ou plutôt découvert par quelque colporteur d’avoir fait imprimer ici un libelle depuis un mois dans lequel M. le Prince [25] et M. le chancelier [26] sont offensés, a été mis prisonnier dans le Châtelet [27] par ordre du lieutenant civil. [7][28] On lui a fait son procès, combien qu’il n’ait pas été convaincu d’être auteur du dit libelle (et de fait, on dit qu’il ne le peut être, n’étant pas assez habile homme pour cela). [8] Son affaire était en mauvais état, la pluralité des avis allait à l’envoyer aux galères. [29] Un conseiller du Châtelet encore jeune homme, nommé Joly, [9][30] venant à dire son avis, parla si hardiment, si librement et si bien pour ce pauvre avocat que la plupart des autres, qui le condamnaient, revinrent ad mitiorem sententiam, [10] et ordonnèrent qu’il serait plus amplement informé et que cependant Bautru serait élargi à sa caution juratoire. [11][31] Le procureur du roi du Châtelet, nommé Bonneau, [32] fils d’un riche et grand voleur de partisan, [33] en a appelé a minima et le prisonnier a été conduit à la Conciergerie. [12][34] Son procès, donc, lui a été fait à la Tournelle. [35] De deux présidents, l’un nommé M. de Longueil, [36] sieur de Maisons près de Saint-Germain-en-Laye, était d’avis que cet avocat fût traité rudement et comme un criminel, qu’il fût mis sur la sellette, [37] interrogé et traité comme une victime patibulaire ; [13] et semblait en tout cela n’agir qu’à la sollicitation de ceux qui semblaient avoir eu occasion de se plaindre de ce libelle en tant qu’ils s’y sentaient offensés, savoir M. le Prince et M. le chancelier. L’autre président, qui est un Gascon sourcilleux, homme de bien et de grande réputation, et qui peut être appelé justement et méritoirement integer vitæ scelerisque purus, [14][38] qui est M. de Nesmond, [15][39] fils d’un premier président de Bordeaux, [40][41] fut d’avis qu’on le traitât seulement comme un avocat qui était accusé, mais qui avait été absous par ses premiers juges au Châtelet, [42] lequel avis fut suivi au grand profit de l’avocat accusé, en faveur duquel la sentence du Châtelet fut confirmée. M. de Maisons qui était d’avis contraire en gronda fort, mais M. de Nesmond lui imposa silence en lui reprochant une bonne partie de ce que je vous ai dit ci-dessus et entre autres que cet avocat l’aurait pu refuser pour juge vu le parti qu’il avait tenu durant notre guerre, et qu’il s’en était fui à Saint-Germain au lieu de tenir ici sa place au Parlement, etc. [16] Enfin, l’avocat est délivré, qui a eu belle peur, et qui est fort accusé par ses amis mêmes de ne s’être pas bien défendu comme il le devait et pouvait faire en une affaire et pour un crime dont il ne pouvait être convaincu vu qu’il n’en est pas l’auteur, et qui néanmoins, n’a pu être découvert parmi toutes ces formalités. Je ne sais qui est le vrai auteur, mais je lui conseille de se bien cacher. Pour l’imposteur qui s’est servi de mon nom, je vous assure que je ne lui veux point de mal, Non equidem invideo, miror magis. [17][43] J’ai pitié de lui et souhaite à ce pauvre jeune homme une meilleure fortune que de mendier alieno nomine supposito. [18] C’est peut-être quelque chimiste [44] ou quelque apothicaire qui pense me jouer de la sorte ; mais ce sont gens dont je ne fais pas grand compte. Pour Montpellier, [45] je pense qu’il n’est pas besoin que vous preniez la peine d’y écrire qu’ils se gardent de pareil accident que vous, vu que je n’y connais personne que M. de Belleval [46] à qui j’ai seulement écrit depuis quinze ans environ huit fois en lui recommandant des candidats qui s’y en allaient prendre leurs degrés. Et néanmoins, on m’a dit céans depuis deux ans que M. Courtaud [47] disait qu’il voulait écrire contre moi un livre sous le nom du bedeau de leur Faculté, [48] faisant ses plaintes de ce que j’empêchais que de jeunes hommes allassent prendre leurs degrés à Montpellier. Je ne sais si ce bonhomme a songé cela, si ce n’est peut-être que le Gazetier [49] lui aura mandé telle sottise pour tâcher de m’y rendre odieux. Quoi qu’il en soit, je ne le crains point, et s’il ne fait contre moi tout autrement mieux qu’il n’a fait contre < le > défunt M. de La Vigne [50] et notre arrêt, je ne ferai point provision de plumes taillées pour lui répondre. [19] J’ai autrefois connu feu M. Ranchin [51] qui était un homme d’honneur, et même l’ai vu deux fois en cette ville. Il m’a aussi quelquefois honoré de ses lettres et lui ai quelquefois recommandé des candidats qui allaient passer docteurs à Montpellier, qu’il a toujours reçus de bon œil. Et quand feu M. le président Miron [52][53] était intendant de justice en Languedoc, l’an 1631-32-34 et 35, etc., [20] de qui j’avais l’honneur d’être médecin et allié d’assez près, M. Ranchin lui demandait souvent de mes nouvelles, et le bonhomme M. Miron me l’a maintes fois ici raconté depuis son retour. Et je crois certainement que si feu M. Ranchin, qui était habile homme, eût encore vécu l’an 1644, il eût bien empêché que ceux de Montpellier ne se fussent adjoints au procès [54] contre nous avec le Gazetier. Je n’ai point encore la nouvelle édition de l’Ophthalmographia de M. Plempius [55] et je ne sais même s’il en est encore arrivé à Paris aucun exemplaire. Cet auteur me fit l’honneur de m’écrire l’hiver passé une lettre de compliments sur mes deux thèses et me priait de lui en envoyer aussi quelques exemplaires. [21] J’avais ici l’an passé traité un Flamand qui se disait son parent, et qui m’a lié d’affection et d’amitié avec lui ; je lui ai fait réponse et n’en ai rien ouï depuis. Ce Plempius est natif hollandais, né de parents catholiques et ipse catholicus, [22] mais qui est tout près de se faire du parti contraire pourvu que ceux de Leyde [56] le veuillent, avec une bonne pension, faire professeur en leur Académie. C’est M. Heinsius, [57] le fils, qui m’a dit le savoir de sa propre bouche. Je n’ai rien ouï dire de l’épitomé de la Pratique de Sennertus, [58] mais il sera vrai là ou jamais ce que l’on dit des abrégés : compendia sunt dispendia. [23] Pour la Pratique de Lazare Rivière, [59] je m’étonne qu’on la réimprime à Lyon : [24] ce ne sera point < pour > l’avancement des lecteurs, ce livre est trop empirique ; [60] nimis pauca continet de morborum natura, causis et signis ; nimis multa de remediorum formulis. [25] M. Bouvard [61] m’a dit qu’il lui en avait refusé l’approbation pour ces défauts et plusieurs autres qu’il y avait remarqués. Pour le livre du P. Fichet, [26][62] je l’ai reçu par l’ordre de M. Falconet, [63] et l’ai vu. C’est un loyolite qui a fort mal fiché. [27] J’en ai écrit mon avis fort franchement au dit M. Falconet, auquel j’ai fait réponse tout exprès. Eum, si placet, meo nomine salutabis. [28] Surtout ce père a très malheureusement rencontré sur le fait de la médecine, il vaudrait mieux qu’il s’amusât à dire ses patenôtres. [29] Je vous prie, nisi molestum fuerit, [30] de faire mes recommandations à Messieurs les deux nouveaux associés, MM. Huguetan [64] et Ravaud. Je suis bien aise qu’ils aient fait ce bon accord ensemble, et qu’il dure longtemps à leur contentement et profit. J’espère aussi que le public s’en ressentira. [31] Je suis de toute mon âme, Monsieur, votre très humble, etc. De Paris, ce 7e de juin 1649. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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