< L. 540.
> À André Falconet, le 11 octobre 1658 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À André Falconet, le 11 octobre 1658
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Nous avons enfin un premier président au Parlement, savoir M. de Lamoignon, [2] maître des requêtes fort habile, fort savant et de grande réputation. Il est de bonne famille, fils d’un président à mortier, [3] et n’a que 42 ans. On dit que cette charge ne lui coûte rien et que le cardinal Mazarin [4] lui a dit lui-même que le président de Novion [5] lui en avait offert 120 000 pistoles qu’il a refusées. [1][6] N’est-ce pas une merveille qu’un ministre d’État comme lui, qui a pris 30 000 écus en plusieurs articles d’un charlatan inconnu et ignorant pour le faire premier médecin du roi, [2][7] ait refusé une si belle somme pour faire un premier président ? S’il est vrai, c’est à cause du grand mérite de celui à qui il donne cette charge, de même que pour sa naissance et pour sa capacité dans les affaires. Les hommes ne sont pas toujours méchants, ils s’amendent et reconnaissent la vertu tôt ou tard car elle n’est pas en tout temps ce que disait Brutus, [8] l’ombre de la Fortune ; [3][9][10] même les méchants se lassent de mal faire. Nous avons été ce matin en corps saluer le premier président au nom de notre Faculté. Le doyen [11] lui a porté la parole et lui a fait une petite harangue en latin de douze lignes ou environ, [4] à laquelle il a répondu sur-le-champ en même langue. Il nous a promis merveilles, plus que nous ne lui demandions et plus qu’il ne nous tiendra, si du moins il fait comme les autres grands qui ne veulent pas être esclaves de leur parole. Tout le monde est fort content de sa promotion, il y a seulement quelques gens de longue robe qui souhaiteraient qu’il fût un peu plus vieux puisqu’il sera le chef et le plus jeune de la Grand’Chambre. J’en vois d’autres qui se réjouissent de ce qu’il est dans son âme janséniste, [12] et qu’il n’a point l’âme moutonnière, servile et tyrannique. Il sait les poètes grecs par cœur, Plutarque, [13] Cicéron [14] et Tacite, [15] qui ne sont pas des mauvais originaux. Il sait aussi par cœur la Pathologie de notre Fernel, [5][16] qu’il a autrefois lue par mon conseil. M. le cardinal Mazarin lui a rendu visite. Comme M. de Lamoignon lui disait qu’il lui avait beaucoup d’obligations, on dit que Mazarin lui répondit Monsieur, si le roi [17] eût pu trouver dans son royaume un plus homme de bien que vous, il ne vous eût pas donné cette charge. Tous ses amis disent qu’il n’a rien promis ni donné, mais d’autres parlent autrement, et nommément même, de deux grandes sommes, savoir sa charge de maître des requêtes et 120 000 écus d’une autre part ; ce que je ne puis croire car, outre qu’il est fort réglé, il n’est pas assez riche pour donner de telles sommes car il n’a jamais eu 30 000 livres de rente. On dit que la reine [18] en parlant de lui a dit : Voilà la première fois que M. le cardinal a été généreux. [6] Il y eut dernièrement un docteur de Sorbonne, [19] janséniste des plus échauffés, qui me vint voir. Il me dit que M. le chancelier [20] leur est fort contraire et leur fait plus de mal que les jésuites [21] même, qu’ils ont trois livres à faire imprimer et qu’ils n’osent néanmoins l’entreprendre. L’un est un journal de leur voyage à Rome en 1652, dont ils n’eurent pas grand contentement car l’année suivante, il vint une bulle [22] qui condamna les Cinq Propositions [23] prétendues être de Jansenius, [24] quoique ceux de deçà nient fortement qu’elles se puissent trouver dans son livre. [7] Ce fut dans ce voyage qu’un cardinal de leurs amis leur dit qu’un jour le pape Innocent x, [25] étant en colère contre un moine qui n’avait pas assez hardiment parlé de sa toute-puissance papaline dans un livre qu’il avait fait, dit plaisamment en italien : Je m’étonne fort comment ce moine est si fat de ne pas relever ma toute-puissance, puisqu’il doit savoir que tous les moines ensemble ne sont que mes soldats, et que je suis leur premier capitaine et général d’armée. Feu M. Servin, [26] avocat général qui mourut dans la Grand’Chambre d’une apoplexie [27] en faisant des remontrances au roi contre les édits qu’il allait faire vérifier, disait quelquefois en raillant que les jésuites étaient janissaires du pape, et les autres moines ses argoulets. [8][28] Le bon mot du pape Innocent n’a pas été oublié et a été enchâssé en bon endroit à ce que me dit le docteur de Sorbonne, qui en sait bien quantité d’autres. Il m’a dit qu’ils ont un autre journal prêt à être mis sous la presse, touchant les assemblées qui furent faites en Sorbonne pour examiner le livre de M. Arnauld [29] il y a deux ans, où 38 moines de diverses couleurs eurent séance et voix, ce qui fit trébucher la balance contre M. Arnauld. Plusieurs bons mots y furent dits, en voici un qui m’a toujours plu : un janséniste disait hardiment son avis ; un évêque du parti contraire le voulut interrompre, c’était l’évêque de Rodez, précepteur du roi ; [9][30] le docteur lui dit qu’il n’avait nul droit de l’interrompre et qu’en cas qu’il parlât mal, cela n’appartenait qu’à M. le chancelier ou à M. le doyen qui était présent ; cela irrita encore davantage Monsieur l’évêque qui lui dit C’est que vous avez nommé Jansenius ; [31][32] le docteur lui répondit Cela ne vous doit pas déplaire, Monsieur, il était évêque comme vous et aussi bien que vous ; l’évêque répliqua C’était un bel évêque, il ne l’a été que 18 mois ; le docteur lui repartit sur-le-champ Monsieur, pensez-vous à ce que vous dites ? Il est mort les armes à la main dans son évêché, et s’il est mort fort jeune, souvenez-vous que Cito raptus est ne malitia mutaret intellectum ; [10][33] à quoi l’évêque se tut, et tous se mirent à rire, même M. le chancelier ne s’en put pas retenir. Je suis tout à vous. De Paris, le 11e d’octobre 1658. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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