L. 541.  >
À Charles Spon,
le 11 octobre 1658

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 11 octobre 1658

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0541

(Consulté le 19/03/2024)

 

< Monsieur, > [a][1]

Le 27e de septembre dernier, il arriva un courrier qui apporta la nouvelle de la prise d’Ypres [2] par M. de Turenne. [3] Ils se sont rendus par capitulation, 800 hommes en sont sortis, desquels le prince de Ligne [4] était le chef. [1] La semaine passée mourut ici un grand et célèbre traducteur de livres nommé M. Du Ryer. [5] C’est celui qui a traduit le Polybe[6] le Famianus Strada [7] et M. de Thou, [8] dont on vendra bientôt les trois premiers tomes, lesquels finiront à la mort de Charles ix[9] l’an 1574. Henri iii [10] et Henri iv[11] qui restent, feront encore quatre bons volumes, mais il faudra trouver un autre traducteur puisqu’il en est de lui comme de ces peintres de l’Antiquité dont Pline [12] a parlé, quorum manus exstinctæ desiderantur[2]

Le 1er de ce mois d’octobre, le roi [13] et la reine [14] ont été à Notre-Dame [15] où l’on a chanté le Te Deum pour la prise d’Ypres. [16] On a retranché, de douze, six intendants des finances, savoir MM. de Brisacier, [17] de Boislève, [18] Housset, [19] de Fieubet, [20] Paget [21] et Le Tillier. [3][22]

Le 2d d’octobre courant fut mariée la fille [23] de M. de Servien [24] au fils de M. de Sully [25] qui est gendre de M. le chancelier[4][26] M. de Guillon, [27] conseiller d’Église de la Grand’Chambre, est ici mort le 6e d’octobre courant. Guénault [28] l’a vu, qui a dit que c’était de la rate ; [29] Merlet [30] et plusieurs autres l’ont vu depuis, qui ont dit que c’est un abcès avec un fungus in regione lumborum[5][31] qu’il y a dedans des chairs baveuses et que la rate est beaucoup au-dessus. [6] Je tiens que Guénault s’est trompé, cela lui arrive souvent ; il n’y regarde point de si près, ce lui est assez d’avoir dans sa pochette de l’argent du malade. Fecit enim sibi nebulo iste vectigalem medicinam, et putat sibi cuncta deberi per fas et nefas, tanta laborat animi impotentia et φιλαργυρια . Somnia sunt canibus panes, piscatoribus pisces ; isti vero homini aurei et argenti nummi quoquomodo parati[7][32]

On parle beaucoup d’une censure qu’a faite Monsieur l’archevêque de Sens [33][34] contre le dernier livre des jésuites intitulé Apologie pour les casuistes. Elle est fort belle en latin, il l’a fait mettre en français et imprimer, [8] et aussitôt on publiera l’une et l’autre. Ces sourcilleux carabins du P. Ignace [35] vivraient plus sagement et ne seraient point si impudents si tous les évêques les traitaient comme celui-là, aussi bien que quelques autres. [36] Qui est ce M. Restaurand, [37] médecin du Pont-Saint-Esprit, [38] est-ce quelque docteur avancé en âge ? J’ai céans son livre de Monarchia microcosmi qui me semble fort barbare. [9][39] Je pense que cet auteur est encore quelque jeune homme bravache de la race de ce Miles gloriosus de Plaute. [10][40] Je n’entends presque rien à son livre, je ne sais s’il l’entend lui-même. J’apprends que c’est à Genève, chez MM. Tournes, [41] que l’on imprime le Recueil des thèses de feu MM. Du Moulin, [11][42] Rambour, [12][43] Cappel, [13][44] de Beaulieu [14][45] et d’autres. Ce sera là un excellent livre, et qui pourra servir extrêmement à détromper beaucoup de tant d’impostures, de fraudes et de fables que les moines [46] ont inventées de temps en temps pour tromper le peuple et faire leurs affaires de sa sotte crédulité. Ce sont les plus fins qui gouvernent le monde et qui le mènent par le nez. Il va paraître un journal de toutes les assemblées que les députés de Sorbonne [47] ont faites pour examiner le dernier livre intitulé Apologie pour les casuistes contre les calomnies des jansénistes qu’a fait un jésuite breton nommé le P. Pirot ; [8][48] il est censuré comme un très spécieux et très méchant livre, mais la censure n’a pas été publiée, les bons pères loyolites ayant obtenu du roi qu’elle ne le serait point ; à quoi ils ont employé diverses petites finesses, pro more loyolitico[15] Les curés d’Évreux se remuent contre les carabins du P. Ignace, aussi bien que par ci-devant ont fait ceux de Paris et d’Amiens, [49] car ils ont présenté une requête à leur évêque contre cette nouvelle Apologie des casuistes ; laquelle n’est que de quatre pages, mais elle est fort bien faite, généreuse, vigoureuse et savante. Tous les autres évêques et curés en devraient faire de même, et courir sus à ces maîtres passefins dont l’impudence et l’ambition vont jusqu’à corrompre la pureté de l’Évangile et à troubler la conscience des infirmes. [16] Bon Dieu, que les princes sont malheureux, qui ne connaissent pas ces fourbes qui, sous le manteau de l’Évangile, trompent insolemment tant de monde in nomine Domini ! [17] Certes, ces opérateurs d’iniquités sont plus dangereux que n’étaient autrefois, du temps du Messie, les scribes et les pharisiens qui, [50] néanmoins, ne valaient rien, et qui n’ont jamais été que les prototypes, les prodromes de ceux-ci, [18] et les échantillons de cette méchante bête que l’on appelle l’Antéchrist [51] qui viendra bientôt, s’il n’est déjà venu.

L’électeur de Cologne [52] est aujourd’hui maître de Liège, [53] dont il s’est rendu tel par force et par finesse. L’empereur [54] y a pris goût et a envie de s’en saisir par une conspiration. Son favori, le comte de Furstenberg, [55] y a envoyé un sien secrétaire nommé Marets [56] qui, moyennant l’intelligence qu’il avait là-dedans, y devait faire entrer 6 000 chevaux, et le mot de guet était Vive l’empereur et la liberté ! (il me semble que ces deux choses sont incompatibles). La trahison a été découverte, le pauvre Marets a été rompu [57] tout vif, quelques autres ont eu la tête coupée [58] et plusieurs ont été pendus : [59] les voilà récompensés de leur trahison et du bon service qu’ils ont tâché de rendre à leurs maîtres. [19] M. le cardinal Mazarin [60] a rendu visite à M. le premier président [61] en sa propre maison, rue Aubry-le-Boucher. [62] Vale et me ama, qui sum totus ex animo tuus et quantum suus[20]

De Paris, le 11e d’octobre 1658.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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