« Sur cet Apollonius de Tyane, voyez Flavius Vopiscus dans la Vie de l’empereur Aurélien, édition in‑4o de Casaubon, page 920, où sont contées des merveilles à son sujet. Il y dit : “ Car qu’y a-t-il en effet eu sur terre de plus saint, de plus vénérable, de plus considérable, de plus divin que ce personnage ? Il a ramené des morts à la vie ; il a accompli et dit quantité de choses qui dépassent les capacités humaines. Que celui qui les veut connaître lise les livres grecs qui ont été écrits sur sa vie, etc. ” {a} Sur Apollonius de Tyane, voyez l’Epitome de Baronius, dans l’index du tome i. » {b}
- Flavius Vopiscus, qu’on dit natif de Syracuse et contemporain de l’empereur Constantin ier (ive s., v. note [24] du Naudæana 3), est l’un des six auteurs de l’Historia Augusta [Histoire Auguste], dont Isaac Casaubon a donné une édition commentée (Paris, 1603, deux parties en un volume in‑4o, v. notule {a}, note [32], lettre 503), mais celle que j’ai consultée ne contient pas de page 920. La vie de Divus Aurelianus [le divin empereur Aurélien], qui a régné sur Rome de 270 à 275, occupe les pages 307‑333 de la première partie. Le passage cité (mis en exergue dans ma transcription) est à la page 320 et concerne la prise de Tyane par Aurélien :
Taceri non debet res, quæ ad famam venerabilis viri pertinet. Fertur enim Aurelianum de Tyanæ civitatis eversione vere dixisse, vere cogitasse : verum Apollonium Tyanæum, celeberrimæ famæ auctoritatisque sapientem, veterem philosophum, amicum vere deorum, ipsum etiam pro numine frequentandum, recipienti se in tentorium ea forma, qua videtur, subito adstitisse atque hæc Latine, ut homo Pannonius intellegeret, verba dixisse, “ Aureliane, si vis vincere, nihil est quod de civium meorum nece cogites. Aureliane, si vis imperare, a cruore innocentium abstine. Aureliane, clementer te age, si vis vivere. ” Norat vultum philosophi venerabilis Aurelianus atque in multis eius imaginem viderat templis. Denique statim attonitus et imaginem et statuas et templum eidem promisit atque in meliorem rediit mentem. Hæc ego a gravibus viris conperi et in Ulpiæ bibliothecæ libris relegi, et pro maiestate Apollonii magis credidi. Quid enim illo viro sanctius, venerabilius, antiquius diviniusque inter homines fuit ? Ille mortuis reddidit vitam, ille multa ultra homines et fecit et dixit. Quæ qui velit nosse, Græcos legat libros, qui de eius vita conscripti sunt. Ipse autem, si vita suppetat, atque ipsius viri favori usquequaque placuerit, breviter saltem tanti viri facta in literas mittam : non quo illius viri gesta munere mei sermonis indigeant, sed ut ea, quæ miranda sunt, omnium voce prædicentur.
Les commentaires de Casaubon se lisent à la page 508 de la seconde partie. Je les ai insérés dans la traduction empruntée à l’édition de Désiré Nisard (Paris, J.J. Dubochet et Cie, 1845, in‑8o, Aurélien, chapitre xxiv, pages 577‑578) :
« Il ne faut pas omettre ici un fait qui intéresse la gloire d’un grand homme. Aurélien avait, dit-on, résolu et ordonné la destruction de cette ville ; mais Apollonius de Tyane, ancien philosophe d’une haute réputation de science et de sagesse, le véritable ami des dieux, et digne lui-même d’être vénéré comme une divinité, se présenta soudain à l’empereur, sous sa forme accoutumée, {i} et au moment où celui-ci entrait dans sa tente. Alors, s’adressant à lui en latin afin d’être entendu de ce prince, qui était Pannonien, {ii} “ Aurélien, lui dit-il, si tu veux vaincre, garde-toi de songer au massacre de mes concitoyens. Aurélien, si tu veux régner, crains de verser le sang innocent. Aurélien, montre-toi clément, si tu veux vaincre. ” L’empereur connaissait les traits de l’illustre philosophe, dont il avait vu le portrait dans plusieurs temples. Étonné de cette apparition, il promit de lui consacrer un tableau ; il lui promit aussi des statues et un temple, et il revint à de meilleurs sentiments. Ce fait, je l’ai appris des hommes les plus graves de notre temps ; je l’ai trouvé dans les livres de la Bibliothèque ulpienne, {iii} et je le crois surtout par respect pour Apollonius. A-t-il jamais existé, en effet, un mortel plus saint, plus vénérable, plus sublime, plus divin ? Il a rendu la vie aux morts ; {iv} il a fait et dit une infinité de choses qui sont au-dessus des forces de l’homme. On peut en voir le récit dans ceux des auteurs grecs qui ont écrit son histoire. {v} Pour moi, je veux, si je vis assez pour cela (et puisse-t-il accueillir favorablement cette promesse !), je veux donner un abrégé de la vie de ce grand homme : non que ses actions aient besoin du secours de ma plume, mais parce qu’on ne saurait trop multiplier l’éloge de ce qui est admirable. » {vi}
- Aurélien vivait au iiie s., soit deux siècles après Apollonius : c’était donc quelque chose comme son fantôme qui apparaissait à l’empereur.
Commentaire de Casaubon sur Ipsum etiam pro numine frequentandum [Digne lui-même d’être vénéré comme une divinité] :
Constat ex patrum scriptis et antiquis historicis insignem istum planum divinis honoribus vulgo passim affectum : cum haberet hunc unum stupor gentium, cuius magicas imposturas veris veri Dei Iesu Christi miraculis opponeret. Cum igitur hoc tibicine fulcirent homines pagani ruentes iam superstitiones suas, nemo debet mirari Vopiscum hoc loco in illius laudes ferri πλησιστιον.
[Les écrits des Pères et les historiens antiques font bien voir que cet insigne charlatan a partout et communément été honoré d’un culte divin : la stupidité des gens tenait au seul fait que ses impostures magiques l’opposaient aux véritables miracles du vrai Dieu, Jésus-Christ. Bien que les païens se précipitassent alors en foule pour vénérer ce joueur de flûte, personne ne doit s’étonner des louanges de ce personnage que Vopiscus chante à pleines voiles en ce passage].
- Ancienne province romaine englobant l’actuelle Hongrie et les contrées limitrophes ; Aurélien était né à Sirmium, aujourd’hui en Serbie.
- La Bibliotheca Ulpia, fondée à Rome au début du iie s. de notre ère, sous le règne de Trajan (Marcus Ulpius Traianus, v. note [2], lettre 199), a été détruite vers le ive s.
- Commentaire de Casaubon sur Ille mortuis reddidit vitam [Il a rendu la vie aux morts] :
Historiam respicit Philostrato narratam extremo libro quarto ; sed non audet Philostratus affirmare puellam quæ mortua efferebatur, vere mortuam fuisse. Nam ait inter cætera, ειτε σπινθηρα της ψυχης ευρεν εν αυτη, ος ελεληθει τους θεραπευοντας. Elatos multos vitam recuperasse quam videbantur amisisse, ex Plinii septima historia notum est : ut taceamus de similibus memoriæ nostræ exemplis.
[Réminiscence de l’histoire que Philostrate a racontée à la fin du livre iv (de sa Vie d’Apollonius de Tyane) ; mais Philostrate n’ose pas affirmer que la petite fille, qu’on avait présentée (à Apollonius) comme morte, le fût véritablement, car il dit entre autres : « Peut-être trouva-t-il en elle une dernière étincelle de vie, qui avait échappé à ceux qui la soignaient. » D’après le livre vii de l’Histoire (naturelle) de Pline, il est connu que de nombreuses personnes ont retrouvé la vie quand elles paraissaient l’avoir perdue ; sans parler de maints cas semblables survenus de nos jours].
- Ma traduction, au début de la présente note, est volontairement plus littérale.
- Il ne reste aucune trace d’un tel écrit de Vopiscus, mais il a mentionné les apparitions merveilleuses d’Apollonius en plusieurs autres endroits de sa Vie du divin Aurélien.
- L’index de L’Abrégé des Annales ecclésiastiques du cardinal Baronius, fait par Henri de Sponde {i} renvoie à plusieurs passages sur Apollonius de Tyane, dont le plus disert est à la page 202, sur l’an 68 après Jésus-Christ :
« § xi. Apollonius Tyaneus vient à Rome. Et néanmoins le diable, comme ennemi du genre humain, fit venir cette même année un nouveau magicien à Rome, plus méchant que tous les autres, qui est Apollonius Tyaneus, qui se disait philosophe pythagoricien ; lequel étant arrivé à Rome, fut dès le jour d’après connu par le consul Telesinus, qui le protégea de son autorité, selon < ce > que rapporte Philostrate, {ii} qui dit, de plus, qu’une jeune fille qui était portée en terre fut ressuscitée par cet Apollonius ; encore qu’il dise qu’il n’oserait assurer si elle était véritablement morte. Mais je tiens que ce qu’il dit en cet endroit est autant véritable comme la pronostication du foudre {iii} qui devait tomber sur la table de Néron, qu’il rapporte en cette année sur le consulat de Telesinus ; ce qui était advenu il y avait six ans passés, Néron étant consul pour la quatrième fois, avec Cornelius Cossus, ainsi que Tacite l’assure, qui a plus exactement recherché les ans qu’aucun autre par les fastes consulaires. {iv} Et par conséquent, Philostrate ayant parlé faux en ces choses de néant, {v} comment sera-t-il cru ès {vi} choses de grande conséquence et admirables qu’il dit de cet imposteur ?
§ xii. L’estime que l’on en fit. On ne saurait croire combien il {vii} a fait de mal en écrivant ces impostures, car il semble que ç’a été une invention du diable, lequel, envieux de la gloire de notre Seigneur Jésus-Christ, voyait que, par le moyen de son saint Évangile, elle croissait au large par toute la terre. De même (établissant un Antéchrist) a eu soin de faire écrire son faux évangile par un menteur excellent afin que les hommes, y ajoutant foi, crussent qu’Apollonius n’était moindre que notre Seigneur Jésus-Christ ou, qu’ainsi qu’il {viii} avait fait par magie plusieurs choses, comme beaucoup de gens le savaient (entre lesquels Dion l’historien, pour ce sujet magicien et sorcier fort expert), aussi ils crussent {ix} que notre Seigneur se servit du même art. Et de fait, le philosophe Hiéroclès, l’un des juges de l’Aréopage, n’a eu autre dessein en son livre contre les chrétiens que de faire voir qu’Apollonius était égal à notre Seigneur ; les folies duquel ont été excellemment réfutées par Eusèbe, qui a écrit contre lui. {x} Plusieurs ont adoré cet Apollonius comme un dieu, ainsi qu’Hiéroclès le dit des Éphésiens, Lampride, de l’empereur Alexandre, et Anastase de Nicée, de plusieurs autres. {xi} Et il {vii} dit que les démons firent plusieurs choses en son nom pendant sa vie, et qu’après sa mort, il se fit des signes près de son tombeau. Sur quoi aussi, il est écrit dans Justin {xii} que sa statue, par l’opération des démons, donna quelquefois des réponses ; mais enfin, Dieu lui ferma la bouche. Au reste, Philostrate dit qu’en cette même année, Telesinus étant consul, il se retira de Rome et alla en Espagne ; car le diable, à l’imitation de notre Seigneur, envoya par le monde ses faux apôtres, le chef desquels fut Apollonius. »
- Paris, 1655, tomes i et ii (in‑fo de 944 pages), v. note [19‑4] du Naudæana 3 ; première édition latine en 1613, v. note [21], lettre 408.
- Caius Luccius Telesinus n’est ainsi connu que pour avoir protégé et promu Apollonius.
- Sic pour « aussi véritable que la prophétie de la foudre… ».
- Registre qui, dans la Rome antique, contenait les triomphes, et les noms des consuls, des dictateurs et des censeurs. Une notre marginale renvoie au livre xiv des Annales de Tacite.
- Infimes détails.
- Dans les.
- Philostrate.
- Puisqu’il.
- « et qu’ils crussent aussi ». V. note [35] du Borboniana 6 manuscrit pour Dion Cassius.
- Méprise de Baronius (ou de Sponde) : Eusèbe de Césarée a écrit contre Hiéroclès Sossianos, et non contre le philosophe Hiéroclès d’Alexandrie (v. note [3], lettre latine 57) : v. supra note [1].
- Ælius Lampridius (Lampride) est un autre des six auteurs de l’Histoire Auguste. On lit dans Vie d’Alexandre Sévère (chapitre v) : « On lui donna le nom d’Alexandre parce qu’il était né à Arca, dans un temple consacré à Alexandre le Grand, où son père et sa mère s’étaient fortuitement rendus le jour de la fête d’Alexandre pour célébrer la cérémonie. »
Anastase est un improbable évêque de Nicée (viiie‑ixe s.), auquel on a attribué divers ouvrages de chronique ecclésiastique.
- Marcus Junianus Justinus, auteur d’un abrégé des Histoires philippiques de Trogue Pompée (v. note [5], 3e lettre de Roland Desmarets).
V. notes [43]‑[45] du Borboniana 7 manuscrit pour un autre supplément d’informations sur Apollonius, personnage, réel ou fabuleux, dont la réfutation a fort préoccupé les théologiens chrétiens. |