L. 408.  >
À Charles Spon,
le 26 juillet 1655

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 26 juillet 1655

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0408

(Consulté le 19/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Je vous envoyai ma dernière le mardi 13e de juillet avec une autre incluse pour M. Huguetan l’avocat, notre ancien ami. Depuis ce temps-là, nous apprenons que M. le comte d’Harcourt [2] est tout à fait réconcilié au Mazarin [3] et qu’il est ici de retour ; il y est arrivé avec grand train, les princes de la Maison de Lorraine [4] lui sont allés au-devant.

Ce 15e de juillet. Un courrier est aujourd’hui arrivé qui a apporté la nouvelle que Landrecies [5] s’est rendue au roi, [1][6] que le prince de Condé [7] s’est retiré avec les Espagnols devers Cambrai. [8] Nous pouvons sans doute inférer que le roi d’Espagne [9] est bien faible. Un homme de qualité a dit au Palais que M. le prince de Condé traitait avec le roi pour quitter les Espagnols, qu’il baillera ses troupes au roi et qu’il se retirera à Venise pour deux ans, et qu’il croit que cet accord se fera ; que la princesse de Condé [10] et le duc d’Enghien, [11] son fils, viendront à Paris d’où ils ne bougeront tandis que le père sera hors du royaume.

J’ai aujourd’hui passé par la rue Saint-Jacques [12] où j’ai vu tout de nouveau arrivé un beau livre réimprimé à Francfort en deux volumes in‑fo, qui n’est guère moins gros qu’une rame de papier entière : c’est Matthiæ Martinii Lexicon etymologicum philologicum sacrum [13] de la seconde édition ; [2] c’est celui que M. Ravaud [14] m’a promis de me rendre pour le premier que j’avais et que je lui donnai il y a plus de cinq ans ; [15] je vous supplie de me faire la faveur de l’en faire souvenir et de me pardonner tant de peines que je vous donne. J’ai bien de la peine à m’empêcher d’acheter celui-ci car ce livre est, d’une part, fort bon et d’une autre, fort nécessaire ; néanmoins je tâcherai de me retenir jusqu’à ce que j’aie des nouvelles de M. Ravaud car autrement, j’ai de la peine à m’en passer. Je n’aime point à faire beaucoup de dépense, mais celle d’acheter des livres ne m’a jamais déplu et je ne doute point que cela ne me soit fort raisonnable pour le fruit de mon étude. [16]

Mais si vous me voulez permettre, je vous prierai encore d’une autre grâce, c’est que j’attends ici dans un mois ou environ M. Rigaud [17] qui a entre ses mains notre manuscrit de M. Hofmann. [18] Je vous supplie de lui dire que, puisqu’il vient à Paris, que je le prie de nous rapporter notre manuscrit que je lui délivrai ici l’an 1651, il y a tantôt quatre ans. Quand je l’aurai, je tâcherai de le faire imprimer ici. Peut-être que le temps changera, les gens de bien l’espèrent tous les jours et y a quelque apparence que cela arrivera. J’apprends de bonne part qu’il y a negotium perambulans in tenebris[3][19] qui pourra bien nous engendrer la paix. Il faut premièrement voir ce que deviendra le prince de Condé pour qui le pape [20] nouveau a été prié de faire envers le roi quelque chose pour son retour et d’intercéder pour lui afin qu’il puisse faire sa paix. C’est qu’il est en mauvaise posture avec les Espagnols et qu’il a envie de les quitter.

On a ici chanté le Te Deum [21] pour Landrecies et fait des feux de joie. On a mis prisonnier dans la Bastille [22] un fourbisseur de la rue Saint-Honoré [23] nommé Dantan [24] pour avoir parlé contre l’Éminence du cardinal Mazarin. [4]

Un noble vénitien nommé Cornaro [25] a été convaincu de trahison et d’intelligence avec l’ambassadeur d’Espagne et en a eu le poing coupé, [26] a été étranglé et puis pendu par les pieds. [27]

M. Riolan, [28] avec lequel je traite un Hollandais depuis quatre jours, [29] m’a dit aujourd’hui que, dès que son livre contre Pecquet [30] sera achevé, il fera réimprimer son Encheiridium anat. et pathol. in‑8o [31] qui sera augmenté d’environ douze feuilles et que sa copie est toute prête. [5]

Ce 21e de juillet. Un Allemand m’a dit aujourd’hui que les Polonais donnent contentement au roi de Suède [32][33][34] et qu’il n’y aura point de guerre entre eux ; mais qu’il pourra bien y en avoir entre le roi de Suède et l’empereur [35] pour la Silésie, [6][36] d’autant que ce dernier chicane ces peuples et ne leur tient point la parole qu’il leur a donnée par la paix d’Allemagne ; [37] d’ailleurs, que le roi de Pologne [38] a regagné à son parti les Cosaques [39] qui étaient cause de la guerre qu’il a avec les Moscovites ; [7] lesquels ne sont forts que de ce qu’ils ont de leur parti quantité de bons colonels allemands que l’on veut détacher de là et les regagner.

Ce 25e de juillet. Mais Dieu soit loué, votre lettre du mardi 20e de juillet me vient d’être apportée, de laquelle je suis fort réjoui, et vous en remercie de toute mon affection.

Pour le Lexicon Martinii, je vous en ai parlé ci-dessus et vous prie d’en montrer l’article à M. Ravaud afin que je sache après ce qu’il veut dire et ce que j’en dois espérer.

Pour Analecta Rhodii in Septalium, je les ai céans, il y a un an. Je les ai vus, il y a bien du travail mais peu de fruit, d’autant que cela est sans choix, et Rhodius [40] n’est guère médecin. [8]

Nous avons parmi nous un Morisset, [41] mais point de Morisot. Il y a eu autrefois en Bourgogne un médecin Morisot [42] qui a écrit quelque chose, et entre autres des Colloques latins in‑8o que j’ai céans, il y a près de cent ans. [9] Il y a un avocat aujourd’hui dans Dijon [43] qui s’appelle Morisot, [44] qui a fait Orbis maritimus et alia plura[10]

Voilà ce que je vous puis dire pour le présent.

Mais dites-moi, je vous prie, je n’entends point ce que vous me dites de ceux de votre confession à Strasbourg : les luthériens [45] y sont-ils les maîtres ? Je pensais que cette ville-là fût tout purement de la confession de Genève, [11][46] comme je l’ai ouï dire de Bâle, [47] et que où les luthériens sont les maîtres, les calvinistes [48] y sont tellement haïs qu’ils aimeraient mieux y recevoir des papistes que de souffrir qu’on y fît quelque faveur aux calvinistes.

L’on m’a dit que Le Gagneur [49] s’ennuyait fort ici et qu’il a été bien aise de trouver occasion de s’en retourner de delà[12] Il était ici tout morfondu et n’y faisait rien. Il a fait courir le bruit qu’il avait touché 1 000 écus, mais je sais de bonne part (savoir de ses proches parents) qu’il n’a reçu que 1 200 livres. Ce M. Vilain de Lyon est frère d’un Vilain de deçà qui a fait banqueroute deux fois et qui a épousé la sœur de la femme de M. Le Gagneur. [50] Ne vous mettez pas en peine pour le Casaubon [51] contre Baronius, [52] il n’a pas été réimprimé, la nouvelle qu’on m’en avait donnée était fausse ; mais il est vrai que c’est un très bon livre et qui mériterait bien de l’être. Il fut imprimé en Angleterre la première fois in‑fo l’an 1614 et depuis, in‑4o à Francfort, mais il est aujourd’hui très rare partout ; et il est vrai que ceux de Genève feraient fort bien de le réimprimer, ce livre-là se débiterait tout autrement mieux que le Paracelse [53] et au plus grand profit du genre humain. [13]

M. Sorbière [54] est à Gênes [55] où il a vu M. Musnier [56] notre bon ami, à qui il a dit qu’il était assez (c’est signe qu’il ne l’est pas trop) content de son voyage. Il y a vu le pape nouveau, le cardinal Barberin [57] et M. le cardinal Antoine, [58] grand aumônier. C’est lui qui se doit rendre ici au commencement de l’hiver prochain pour présider à l’Assemblée du Clergé, [59] et c’est aussi de là que M. Sorbière prétend obtenir une bonne pension du Clergé par la recommandation du cardinal Mazarin et de son patron, l’évêque d’Agde, [60] qui est frère du surintendant M. Fouquet, [61] procureur général au Parlement. Ainsi M. Sorbière sera récompensé de son apostasie aux dépens du purgatoire ; [62][63] mais je ne sais s’il sera content de ce que M. Riolan dira de lui dans sa réponse à Pecquet dont on commence l’impression, car c’est lui qui est le vrai Alethophilus qui a bien dit de sottes injures à M. Riolan et qui a parlé fort indignement contre l’honneur de notre profession, cuius dignitatem numquam intellexit[14] C’est pourquoi je ne m’étonne pas s’il s’est fait prestolin de clergerie[15] afin d’attraper pensions et bénéfices, et pour vivre à l’ombre d’un crucifix sans rien faire en faisant l’esprit fort, étant bien profondément enrôlé dans le régiment de ceux qui profitentur se nihil credere [16] s’ils ne sont bien payés pour cela. C’est ainsi que les turcs croient en Dieu, et la plupart des moines d’aujourd’hui et quantité d’autres quibus utilitas facit esse Deos, mercede colentes, non pietate Deum. O pudor ! o mores ! o tempora ! [17][64]

J’ai céans cet Interrogatoire de Roch Le Baillif [65] fait par les médecins de Paris en plein Parlement. Je ne sais qui en est l’auteur, il faut que je le demande à M. Riolan. [18]

Pour M. Gassendi, [66] je ne sais ce qu’il fera, mais je crois qu’il n’y a rien de pressé. Sa copie n’est pas prête, il y aura sept volumes dont les deux premiers ne seront prêts qu’à Pâques prochaines. L’auteur est bien vieux, un libraire fera-t-il sagement d’entreprendre ce grand ouvrage en tel état, auquel il n’y a point d’assurance de longue vie ? Montrez cet article, s’il vous plaît et si vous le jugez à propos, à MM. Huguetan et Ravaud ; joint que j’y vois intervenir plusieurs autres difficultés : d’une part, ils n’ont personne par qui la correction puisse être bien assurée et vous avez bien fait de dire tout plat que vous ne pourriez pas vous en mêler ; d’ailleurs, M. Gassendi veut que le tout soit fait de même lettre, de même grandeur et de mêmes rames. Je ne sais ce que tout cela deviendra, mais il n’est pas content de bailler sa copie à M. Barbier. De tali et tam difficili negotio Deus ipse viderit[19][67]

On dit que Cromwell [68] fait une alliance avec le Turc [69] et que les Hollandais en sont bien marris ; que le prince de Conti [70] s’en va à Perpignan. [71] Notre premier président [72] est encore ici malade, il a refusé une sixième saignée que ses médecins lui proposaient. Le lieutenant criminel a pris aujourd’hui à quatre heures du matin un de nos curés et l’a fait emmener prisonnier dans le Châtelet, [73] sans doute que c’est pour le cardinal de Retz. [74]

Le roi est à La Fère [75] avec la reine, [76] etc. On dit que La Capelle [77] est assiégée ; que la duchesse de Lorraine [78] s’en va être remise et rétablie en ses états, [20] qu’on lui baille M. de Guise [79] pour son lieutenant, que c’est pour arracher ce gouvernement des mains du maréchal de La Ferté-Senneterre [80] et pour obliger le roi d’Espagne de mieux traiter le duc de Lorraine [81] qu’il tient prisonnier.

Je vous supplie de faire mes recommandations à MM. Gras, Guillemin, Garnier et Falconet.

Quand le Theatrum vitæ humanæ [82] et le Sennertus [83] seront achevés, MM. Huguetan et Ravaud seront de loisir et se trouveront déchargés d’un horrible fardeau. Il y a de l’apparence qu’ils ont quelque autre dessein, je me suis laissé dire qu’ils s’en vont imprimer en plusieurs tomes in‑fo une continuation des Annales eccl. de Baronius faite par un père de l’Oratoire [84] nommé Rinaldus [85] que l’on dit avoir bien rencontré ; et je pense que leur dessein est fort bon et en suis bien aise car le jacobin polonais Bzovius [86][87] et l’évêque de Pamiers, M. de Sponde, [88] n’ont guère contenté personne en son sujet. [21][89]

Ceux qui viennent de la cour parlent fort de l’amour du roi envers Mlle de Mancini, [90] nièce [91] de Son Éminence. On dit que le roi en est extrêmement féru, que le Mazarin tient le loup par les oreilles [22] et qu’il ne sait qu’en faire, mais que la reine ne veut rien entendre de pareil ; [92] de sorte que, de part et d’autre, il y a à craindre et à soupçonner.

Le présent porteur est un jeune homme de mes amis, fils de M. Papelard, [93][94] chirurgien célèbre de Paris. [23] Je vous prie de le voir de bon œil et de croire que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce lundi 26e de juillet 1655.

Le présent porteur vous délivrera deux petits livrets, dont l’un est de M. Guillemeau et l’autre de M. Le Noble, [95] de Rouen. [24]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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