Annexe : Les deux Vies latines de Jean Héroard,
premier médecin de Louis xiii, note 88.
Note [88]

Siméon Courtaud n’a ouvertement parlé de Jean Héroard que dans le paragraphe intitulé Spermologia (en grec, « Bavardage » [des médecins]), à la page 33 de son Oratio (v. supra note [3]). C’est l’occasion de rendre hommage à son esprit et à sa plume :

Calamitosa insuper, et morbus alter ægrotantibus illorum sonora polylogia. Loquuntur ubi æger malo obmutescit, et ubi vita laborantis desinit in interim, istorum oratio pomposa, in miserum nec opportunum clysterem terminatur : atrum desinit in piscem mulier formosa superne. Contorta caudicula est elphantis. Detrahunt Medico in actu Medico, ut tradant oratori, et Rhetores apparent, ubi deberent esse Medici ; dumque loquentis lente fluit oratio, decumbentis repente furit ægrotatio. Omnis illorum magniloquentia decoquitur in Senæ folium aut radicem liquiritiæ. Hoc fuit olim, eos locutuleios appellantis, de illis, cum Ludovico Dureto, liberum ingenuumque iudicium viri Sapientissimi, vitæque integritate notissimi, quatuor Regum Medici, Ioannis Heroardi, μητραδελφου nobis et evergetæ ; de quo nemo, nisi pessimus, vel male loqui, vel male sentire potest. Non respuit ornamenta minerva, non medicina splendidam sermonis elegantiam ; gratiam hanc et nos, et illa, Cornelio Celso debemus. Non tamen hac elegantia sed remediorum excellentia morbi tolluntur. Valeat illa, dum hac non minus valeat æger. Medica philomela minus habeat vocis quam carnis, et minus carnis quam plumæ sive celeritatis et diligentiæ. Plus vincebat Alexander celeritate quam mole plaustrorum et exercitus. Celeritatem oportunam medicationis desiderat æger, verborum simplicitatem veritas. Videtis amplissimam verborum nubem per aera volitantem ? gravida est, non pluvia, sed halitu, lapidisque bezoardici conceptu, vel decoctulo ano destinato ; et in amplissima verborum pelvi pugillati substantia furfuris emulgetur. Oratio medentis, quia philosophus est, debet esse quidem plena pinguis et tersa, sed nervosa potissime, quæque semper sequatur et ostendat finis et subiecti sui caput, truncum, et artus. Plurima verborum sarcina non est oneranda necessitas auxilij : neque Pomis aureis Atalanta nostra remoranda.

[Leur bruyante polylogie {a} est par-dessus tout calamiteuse. C’est une seconde maladie pour le patient : quand son mal le rend muet, eux parlent ; et pendant que la vie du malade est en train de s’éteindre, leur pompeux discours s’achève par un lavement, aussi misérable que malvenu. Atrum desinit in piscem mulier formosa superne. {b} La petite queue de l’éléphant est entortillée. {c} En se laissant aller à l’art oratoire, ils enlèvent à l’acte médical ce qu’il a de médical : ils jouent les rhéteurs quand ils devraient être médecins ; et tandis que le discours du beau parleur s’écoule lentement, le mal de l’alité se déchaîne subitement. Toute leur grandiloquence se fricasse en feuille de séné et en racine de réglisse. {d} En les appelant jadis bavards, comme faisait Louis Duret, {e} tel fut le libre et ingénu jugement de Jean Héroard, homme très sage et connu pour la parfaite intégrité de son existence, qui fut le médecin de quatre rois et notre oncle maternel et notre euergète, {f} dont seul le pire des individus peut médire ou mal penser. {g} Minerve {h} ne rejette pas les embellissements, la médecine n’est pas opposée à la brillante élégance du discours ; et nous, comme elle, devons cette grâce à Celse. {i} Néanmoins, c’est l’excellence des remèdes qui écarte les maladies, et non celle de l’éloquence : que l’une prospère donc, dans la mesure où le malade titre profit de l’autre. L’hirondelle médicale {j} vaut moins pour son chant que pour sa chair, et moins pour sa chair que pour ses plumes, qui lui confèrent vitesse et diligence. Alexandre le Grand a plus vaincu par sa rapidité que par la masse de ses chariots et de son armée. Le patient recherche la promptitude opportune de la médication, et la vérité recherche la simplicité des mots. Voyez-vous l’immense nuée de paroles qui voltige dans les airs ? Elle n’est pas chargée de pluie, mais de vent, qui accouche de la pierre de bézoard ou d’un anus voué à la décoction ; {k} et quand le son a été bien battu, la plus copieuse averse de mots n’en extrait plus de substance. {l} Le discours du thérapeute, parce qu’il est philosophe, doit certes être sensé, riche et soigné, mais il doit surtout être vigoureux pour exposer successivement la tête, le tronc puis les membres de son but et de son sujet. La nécessité de porter secours ne doit pas s’appesantir d’un copieux attirail de paroles, et notre Atalante ne doit pas se laisser ralentir par des pommes d’or]. {m}


  1. Hellénisme, πολυλογια, l’« abondance du discours », la « logorrhée », le « verbiage », qui sont si coutumiers aux médecins.

  2. « Le corps de la belle femme se termine en hideuse queue de poisson » : Horace, Art poétique, vers 3‑4, avec desinit (indicatif) pour desinat (conditionnel).

  3. Pour dire que la montagne accouche d’une souris.

  4. Séné (v. note [6], lettre 15) et réglisse (v. note [69], lettre latine 351) étaient deux purgatifs végétaux chers aux médecins parisiens. J’ai emprunté à Furetière le sens figuré du verbe « fricasser » : « consommer son bien en débauche et en bonne chère, ou même en mauvais ménage. »

  5. Un des maîtres de Jean Héroard en médecine, v. supra note [28]. Courtaud l’a loué page 29 :

    Sapiens cum re mutat consilium. Hoc primi nostri proceres fecerunt ; et omnes qui candide suos errores confitentur ut publico prosint ; dum enim confitentur, docentis munus exercent. Hoc idem a vobis desiderat consulitque, præter Fernelium, nobilis et vere prius vester doctusque Duretus, cuius de cautione phlebotomiæ loquentis, verborum acumen, instar oraculi vobis esto.

    [Le sage change d’avis devant les faits. C’est ce qu’ont fait nos premiers maîtres, et tous ceux qui ont humblement confessé leurs erreurs pour être utiles au public, car ils les ont reconnues du haut de leurs chaires professorales. C’est bien là ce qui vous manque ; mais outre Fernel, c’est aussi ce que conseille Duret, qui a été le plus éminent et le plus savant d’entre vous, et dont la pénétration des propos, à l’instar d’un oracle, vous a mis en garde quand il parlait de la phlébotomie].

  6. Hellénisme, ευεργητες, « bienfaiteur ».

  7. Seule possible attaque masquée contre Charles Guillemeau que j’aie su trouver dans l’Oratio de Courtaud.

  8. Symbole de la sagesse et de toutes les formes du savoir, v. note [13], lettre 6.

  9. V. note [13], lettre 99.

  10. Curieuse mais intelligible allégorie médicale : philomela est la métonymie de Philomèle, héroïne mythique, sœur de Progné, épouse de Térée, qui lui avait donné un fils nommé Ithys ; Térée s’éprend follement de Philomèle, la séquestre et la viole ; Progné et sa sœur se vengent sauvagement en sacrifiant Ithys ; elles cuisinent ses membres et les font manger à Térée ; le repas fini, Philomèle jette la tête d’Ithys sur la table ; Térée prend ses armes pour les tuer, mais les deux sœurs lui échappent en se transformant l’une en rossignol et l’autre en hirondelle.

  11. Fâcheux effet que peut avoir une purgation trop drastique sur le fondement. Médicament ordinairement frelaté, la pierre de bézoard était souvent enrichie d’antimoine (v. note [9], lettre 5).

  12. Je n’ai pas su traduire autrement qu’en tenant pelvi (datif de pelvis, chaudron) pour une coquille d’imprimerie, à la place de pluvia (pluie).

    Quand il a été bien battu, le grain de blé ne laisse que du son, sans le moindre résidu de farine : le laver à grande eau n’en extrait aucune substance nutritive.

  13. Dans le mythe, la beauté d’Atalante, fille de Schénée, roi de Scyros, lui valait d’attirer quantité de prétendants ; mais son entraînement à la chasse et à la course lui permettait toujours de les distancer ; pour aider Hippomène à l’attraper, Vénus lui donne trois pommes d’or cueuilies au jardin des Hespérides ; il les pose adroitement de loin en loin dans le champ où il doit poursuivre la princesse ; en fuyant, elle voit les joyaux, et freine son élan pour les ramasser ; Hippomène la dépasse et gagne le droit de l’épouser.

Imprimer cette note
Citer cette note
x
Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Annexe : Les deux Vies latines de Jean Héroard,
premier médecin de Louis xiii, note 88.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8225&cln=88

(Consulté le 29/03/2024)

Licence Creative Commons