Texte
Jean Pecquet
Nova de thoracicis
lacteis Dissertatio
(1654)
Expérience i  >

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Je prends un chien, ou n’importe quel autre animal domestique, même un chat (parce que Riolan n’a guère lu ce nom-là dans mes Experimenta, il pense que je ne l’ai pas suffisamment étudié, [1][2][3] s’imaginant peut-être que la crainte de ses griffes m’en aura dissuadé) : ne me contentant pas de le disséquer, [4] je l’y prépare en le nourrissant copieusement au moins quatre heures avant.

J’ouvre l’abdomen de l’animal solidement attaché, puis ayant aussitôt ôté le sternum, j’expose la cavité du thorax et cherche les canaux lactés [5] derrière l’aorte. Les ayant repérés, je les ligature tous autant qu’il y en a, l’un après l’autre, afin que le chyle ne puisse s’écouler du réservoir [6] vers les veines subclavières. [7]

J’élimine aussi ce qui peut faire obstacle à l’observation sur toute l’étendue du diaphragme ; l’ayant ainsi dégagé de ses enveloppes, je coupe le tronc de la veine cave (ou pour mieux dire sa branche sus-hépatique), [2][8] là où elle émerge du dôme hépatique, puis j’incise largement la veine cave, [9] au-dessous et au-dessus du foie. Après avoir épongé le sang qui s’écoule du cœur vers le confluent iliaque, [10] je [Page 104 | LAT | IMG] scrute avec la plus grande attention, pendant un long moment et jusqu’à m’en lasser, la survenue d’un écoulement de chyle provenant du mésentère[11] ou même du réservoir. Pour avoir vainement attendu une telle irruption de chyle au cours de plus d’une centaine d’expériences semblables, je conclus enfin que pas une goutte ne s’en répand dans ce vaisseau.

Ensuite, je dissèque le tronc de la veine porte, [12] ainsi que les deux branches de l’artère cœliaque [13] ou, comme la variante est fréquente, de l’artère splénique, qui vont au foie, sans oublier tous les ligaments qui l’arriment au tronc ; et après avoir enlevé le foie, [14] j’incise pareillement le tronc de la porte sur toute la longueur que me permet le mésentère et j’éponge le sang qui s’en épanche. J’inspecte les veines mésaraïques[15] qui sont toutes exsangues, comme est entièrement affaissé tout le réseau de la veine porte. Je vois pourtant que les lactifères d’Aselli [16] demeurent tous enflés ; le liquide blanc qui les emplit ne se répand nulle part, du moins si l’opération a été soigneusement menée et si aucun lactifère n’a été blessé par la lame d’un anatomiste qui ne sait pas bien disséquer.

Déductions de cette expérience.

  1. Puisque le suc contenu dans les veines lactées, que Riolan appelle du chyle, ne s’écoule pas du cœur dans la cavité de la veine cave inférieure en direction du confluent iliaque, ni dans leurs branches (comme les yeux les plus exercés peuvent en témoigner après une multitude d’expériences), il est clair que l’argument que présente Riolan (page 187, deuxième partie de ses Opuscula, où il discute les lactifères thoraciques) est parfaitement faux (au moins pour ce qui touche à la veine cave inférieure) : « Ces deux [Page 105 | LAT | IMG] veines lactées sont donc ainsi faites et disposées, peut-être afin que le sang qui coule avec trop de violence dans les artères par la circulation se rende plus grossier dans les veines, aux endroits où le tronc de la veine cave se divise, à savoir vers les rameaux axillaires et près des iliaques, car le tronc de la veine cave reçoit ces veines lactées en ces deux lieux-là. » [3][17] Il n’y voyait pas plus clair quand il écrivait tout aussi obscurément à la page 23 de la première partie : « Il ne doit pas paraître étonnant qu’une partie du chyle, une fois dérivé vers la grande glande du mésentère, [18] s’écoule par les veines lactées chylifères en haut, dans le tronc de la veine cave, à côté des subclavières, et en bas, à côté des émulgentes. » [4][19] J’apporterai une troisième preuve de sa méprise, tirée de la seconde partie de ses Opuscula, page 184, où il dit : « Telle est cette grosse glande remplie de chyle, qui n’est pas faite en forme de petite cavité, mais est un corps spongieux, d’où le chyle est puisé par des canaux, dont : < 1 > les uns gagnent le foie ; < 2 > les deux canaux pecquétiens montent s’insérer dans le tronc de la veine cave supérieure ; < 3 > et d’autres s’insinuent dans le tronc de la veine cave inférieure. » [5]

    Hélas, quelle obstination dans l’ignorance, par évident défaut d’expérimentation ! Le voilà qui établit l’existence de trois voies par où le chyle s’écoule dans les veines caves, en dépit de la distance qui les sépare, à savoir au niveau des subclavières, des émulgentes et des iliaques. En se trompant tout autant, il appelle glande le réservoir que j’ai découvert, mais s’il avait respecté la rigueur expérimentale, c’est-à-dire s’il y avait vraiment posé les yeux et la main, il saurait sans aucun doute qu’il y a une grande différence entre la glande d’Aselli et notre réservoir, dont il aurait parfaitement vu qu’il gonfle très souvent (s’il est d’abord vide). Je ne disconviendrai pourtant pas qu’on y trouve quelques lactifères contenant beaucoup de grumeaux visqueux ayant l’apparence du lait caillé, comme il m’est plus d’une fois arrivé de l’observer chez des chiennes grasses, mais ce phénomène n’en est pas moins rare [Page 106 | LAT | IMG] et le réservoir ne ressemble en aucune façon à une glande. [6][20]

  2. Puisque les lactifères mésentériques n’ont aucune communication avec la veine porte, pas une goutte de chyle ne s’y écoule, j’estime donc faux de penser qu’ils en soient des rameaux ou des branches, et la gloire personnelle de Riolan ne l’autorise pas à croire le contraire et à juger précipitamment ce qu’il ne connaît pas. Tu peux comparer les propos contradictoires qu’il tient dans la seconde partie de ses Opuscula : « Encore que ces veines lactées se trouvent dedans les animaux bien repus, en leur ouvrant le ventre quatre heures après, il ne s’ensuit pas qu’il s’en puisse trouver d’identiques chez les hommes », conclut-il page 184 ; il oublie là sa vantardise de la page 153, « Il est vrai qu’elles y existent, telles qu’Aselli les a décrites, comme je l’ai jadis démontré, avec l’admiration des Écoles, [21] avant même la publication d’Aselli » ; page 185, il ajoute que « S’il s’y en rencontre, je crois que ce sont de petites branches du rameau mésaraïque de la veine porte qui, pour lors, sont remplies de chyle, qu’elles portent au foie par le tronc de la veine porte » ; ainsi donc, croirait-il que les lactifères convergent dans ledit tronc porte, oubliant qu’il a dit, page 151, « Pour ma part, je soutiens que, par la grande prévoyance de la nature, ces quatre canaux ne se réunissent pas en un tronc », en parlant des canaux par lesquels Aselli estime que le chyle s’écoule dans le foie ; page 183, contre Harvey[22][23] dont il dit qu’« Il fait peu de cas des veines lactées, croyant et soutenant que le foie suce le chyle par les veines mésaraïques, de quoi néanmoins je m’étonne fort puisqu’elles existent bel et bien, et que nous les voyons manifestement » ; à la page suivante, 184, il soutient imprudemment que « Puisque les veines lactées n’ont pourtant pas de tronc auquel elles s’unissent et se rendent, comme les mésaraïques, tout au moins doivent-elles avoir un lieu commun, dans lequel elles versent le chyle ». [7]

    [Page 107 | LAT | IMG] Je constate avec pitié la lamentable arrogance du raisonnement d’un homme qui a tant brillé jusqu’ici. Il estime (en espérant que sa sentence soumettra les lecteurs à l’obéissance, sur le seul froncement de son sourcil plus que pythagoricien) [8][24] que les lactifères d’Aselli sont des rameaux de la veine mésaraïque, qui blanchissent quand le chyle coule dans le mésentère ; et que pendant le temps où il est gonflé de chyle, tous les vaisseaux qui y sont rouges ne sont pas des veines, mais des branches de l’artère cœliaque.

    Je supplie Riolan de me faire croire malgré moi ce qu’il dit à la page 185 : « Les autres rameaux dispersés par le mésentère, qui paraissent rouges et pleins de sang, sont des branches de l’artère cœliaque, lesquelles fournissent aussi des aliments aux boyaux lorsque les veines mésaraïques sont remplies de chyle. » Il ne conclut pas du tout plus heureusement et sagement ladite page en disant : « Ce transport peut ne durer que deux ou trois heures, après quoi le sang retourne aux intestins par les veines mésaraïques. Or, comme en un animal vivant le foie attire continuellement le chyle par la veine porte, le sang se retire aussi dans le foie ; et comme les veines mésentériques sont alors remplies de chyle, une fois que l’animal est mort et que la faculté attractrice est abolie, le sang qu’elle retenait dans le foie retombe dans les veines mésaraïques et, en ce cas, les veines lactées disparaissent à cause du mélange à ce sang qui, par sa rougeur, détruit la blancheur du chyle. » [9]

    Me voilà pourtant absolument dégoûté de recopier tant d’absurdités, et je ne pense pas, mon cher lecteur, que tu supporteras avec plus de calme et de patience que moi ce déplaisant flot d’erreurs. Une incartade isolée éveille l’esprit, mais leur accumulation le relâche, et de trop riposter naît ordinairement l’injustice. Je voudrais quand même que tu admires la sagesse de notre prophète quand il dit, page 184, Dies diei eructat verbum et nox nocti indicat scientiam : car à vrai dire, Dies diei verbum eructavit[25] puisqu’il a enrichi [Page 108 | LAT | IMG] l’anatomie de ses livres, mais c’est sans limite que nox indicavit nocti scientiam, puisqu’il a démontré par tant de signes flagrants qu’il s’est entièrement aveuglé. [10]

  3. Puisqu’aucun chyle ne s’écoule plus après qu’on a enlevé le foie du corps de l’animal, il est clair que pas une goutte ne lui en parvient, et que n’existe par conséquent aucune des cavités qu’Aselli a supposées destinées à l’y mener. Si son canal est rompu, le chyle n’y restera pas mieux prisonnier que dans le mésentère, et si tu incises le moindre de ses lactifères, tu verras immédiatement jaillir à profusion le liquide laiteux qu’il contient : et voilà pourquoi Riolan s’est vainement acharné à montrer qu’il faut « rendre le chyle au foie », comme il l’a signifié dans le titre de son opuscule. [11]

  4. Puisqu’aucun chyle ne gagne le foie pour assurer l’hématose [26] il est évident que seul lui parvient le sang que contient la veine porte (comme j’en ai discuté dans mon autre Dissertatio anatomica[12] et celui qu’y apportent les artères hépatiques, c’est-à-dire les deux branches lui venant de l’artère cœliaque ou splénique ; [27] et qu’étant donné la texture fort épaisse de ce sang, sans qu’il soit pourtant aussi noir que celui de la rate, [28] il ne saurait jouer un rôle majeur dans la nutrition de tous les parenchymes corporels. Il est donc tout aussi évident que la bile, qui se retranche dans la vésicule, [29] n’est pas l’excrément du chyle, mais celui du sang. [30] Et puisque tout le sang que contient la veine porte lui vient de l’artère cœliaque ou splénique, il plaît à Riolan, page 171, de concéder que « Le parenchyme hépatique filtre la bile que la veine porte reçoit de l’artère cœliaque. » [13] C’est ainsi que le parenchyme des reins filtre le sérum du sang qu’il reçoit des artères émulgentes, [31] et que la rate sépare la très noire humeur tartrée ou mélancolique qui y afflue par les branches de l’artère splénique.

  5. [Page 109 | LAT | IMG] Par conséquent, le foie évacue du sang, et non du chyle, et c’est pour cette raison que la nature a donné une vésicule du fiel aux animaux dont le sang contient une bile fort abondante et amère. Il est même possible que le foie agisse comme émonctoire pour maints autres excréments : cela m’est apparu plus d’une fois en disséquant des brebis qui avaient mangé certaines sortes d’herbes, sous la forme d’une autre humeur visqueuse chargée de nombreux animalcules qui se déposait dans ladite vésicule ; à la couleur des plus petits, tu aurais dit que c’étaient des fourmis ; quant aux plus grands, qui atteignaient une longueur d’un pouce et avaient la forme de soles et se distinguaient par une pellicule verdâtre striée de petites lignes cendrées ; d’ailleurs (comme je l’ai appris d’un berger), on tue ces brebis car elles meurent dans l’année. [14][32]

  6. En outre, Riolan dit justement, page 176, que les maladies qui se localisent dans le foie comme sont la diarrhée chyleuse, [33] la diarrhée hépatique, [34] la cachexie, [35] l’atrophie, [36] l’hydropisie [37] ne dépendront plus de son action lésée, à savoir lorsque l’attraction ou rétention du chyle est diminuée ou abolie, ou la sanguification est empêchée ; et il n’est pas surprenant qu’il en soit ainsi car le foie n’attire pas le chyle et ne fabrique pas le sang. Je suis pourtant loin d’être convaincu que ces maladies ne dépendent en rien du foie. [15]

    La diarrhée chyleuse, où le chyle est évacué mêlé aux excréments, peut être provoquée par une obstruction du mésentère (comme Riolan le père le déclare sagement au chapitre xlviii) : [16][38][39] pourtant alors, même si un foie parfaitement sain et conformé procure à l’estomac la chaleur requise pour une chylose, ou plutôt une chymose, [17][40] parfaite, il faudra soit que le mésentère ait été obstrué, soit que la viscosité de l’humeur qui lubrifie la tunique interne des intestins [Page 110 | LAT | IMG] ait obstrué les orifices des lactifères, et que le chyle, empêché d’y pénétrer, s’en sépare pour être évacué avec les détritus des aliments. La même chose se produit nécessairement si les lactifères thoraciques sont bouchés : les intestins remplissent leur cavité, mais le chyle ne peut s’en écouler à cause de l’obstruction, et alors ou bien son réservoir rompt, [41] ou bien il reflue vers les reins pour être éliminé dans les urines avec le sérum en excès. [42] Cela se produit parfois et Riolan en convient dans la seconde partie de ses Opuscula, page 169, quand il ne nie pas [18] qu’« il apparaît alors un sédiment lacté dans les urines pendant quelques jours ou mois, il ne s’agit ni de pus, ni de pituite [43] corrompue ou puriforme (dans la mesure où il n’y a pas, ni jamais eu de douleur dans les reins, ni d’émission préalable d’urines sanglantes), mais il s’agit d’une fraction du chyle », provenant de notre réceptacle, qu’il a quitté par les artères rénales. Son père dit en effet que quand les lactifères du mésentère sont obstrués, du chyle s’écoule dans les excréments, même quand l’estomac et les intestins ont louablement rempli leurs offices, « il est bien expulsé, mais épais et digéré, et non délié et aqueux comme dans le flux cœliaque, où il s’en écoule certes, mais liquide parce qu’il vient d’une faiblesse de l’estomac et des intestins. » [16] Je me persuaderais pourtant volontiers que ces défaillances de l’estomac et des intestins sont souvent le résultat des obstructions du foie ou de son intempérie, car si l’obstruction des lactifères est diffuse et se montre rebelle aux effets des remèdes apéritifs, [44] il s’ensuivra nécessairement une atrophie, par pénurie d’aliment absorbé, car les pertes de sang ne seront plus compensées et la substance du corps tabide ne sera plus restaurée. Cela s’observe parfois dans le déboîtement de l’épine dorsale, qu’il s’agisse d’une cyphose, d’une lordose ou même d’une scoliose[19][45]

    Quant à la diarrhée hépatique, que Rondelet[46] dans sa Méthode pour soigner les maladies, livre iii, chapitre xxxix, appelle un flux chyleux [Page 111 | LAT | IMG] ou sanguinolent, parce que les excréments ressemblent à de la lavure de viande, mais que Galien nomme flux hépatique, dans le livre v, chapitre vii, des Lieux affectés[20][47] il peut résulter d’une altération de la fonction hépatique ou d’une obstruction de la veine porte.

    Je n’entends bien sûr pas parler ici de l’altération de la fonction que l’antique médecine a unanimement jusqu’à ce jour attribuée au foie dans la fabrication du sang, mais à tort (comme nos découvertes le montrent clairement) : je veux parler de celle qu’il possède en propre dans la filtration du sang, qui consiste à en extraire la bile et les excréments de ce genre. Si cette action purifiante du foie est perturbée, soit par l’obstruction des veines de la porte, ou des pores [48] par où le sang pénètre dans la substance hépatique proprement dite, soit encore par la surcharge corruptrice d’un abcès, [49] soit enfin par l’invincible opiniâtreté d’un squirre, [50] il est certain que l’intempérie ainsi imposée au parenchyme hépatique affaiblira sa capacité à séparer la bile du sang : quelque sérosité sanglante ou, si tu préfères, quelque humeur aqueuse rougeâtre passera par les canaux cholédoques pour s’épancher dans les intestins. Cela provoquera un flux continu et colorera les excréments qui les encombrent ; ainsi le foie, l’estomac et les autres parties manqueront-ils de la vigoureuse chaleur qui leur permet d’assurer la chylose, ou plutôt la chymose, [17] et s’écouleront des matières non digérées et parfaitement semblables à la lavure de viande.

    L’obstruction de la porte s’établit soit dans les racines (pour employer une expression courante) ou dans les branches qu’elle déploie à la partie concave du foie ; soit dans les extrémités de ses branches, ou plutôt dans les rameaux de ses racines (comme préfère dire Galien), [21][51] puisqu’elles tendent vers les intestins ou vers la rate, ou se divisent de quelque autre manière qu’on voudra.

    Dans le premier cas, l’obstruction fige dans le foie le sédiment inerte fort épais du sang, que contiennent les canaux radiculaires. [Page 112 | LAT | IMG] J’entends déjà les protestations de ceux qui auraient lu nos écrits sur le mouvement rapide du sang depuis la porte jusque dans le foie : [22] par quel miracle (te dis-tu) se fait-il que tu déclares qu’un sang, que tu appelles inerte, se rue impétueusement et à profusion dans les cavités du foie ? Ne peut-il pas s’écouler par les racines qui s’y éparpillent qu’à proportion de ce qui parvient dans le tronc porte par ses branches ? Tu dois pourtant tirer savoir du ralentissement d’une rivière très bourbeuse quand elle est poussée dans une gorge : elle fait couler la même masse de liquide de manière continue, mais sans pouvoir lui imprimer le même élan ; l’étroitesse du passage où monte l’eau oblige son flot à reculer et à refouler le limon qui lui est mêlé, car il lui barre l’accès et pousse les ordures les plus lourdes dans la profondeur, pour aller parfois jusqu’à obstruer le déversoir. Cet exemple naturel te démontre à l’évidence la manière dont le sang chargé de déchets provoque la stagnation, et du même fait comment les racines des émissaires sanguins engendrent parfois une obstruction qui va jusqu’à empêcher entièrement le sang de pénétrer dans le foie, hormis sous la forme ténue et rougeâtre d’une sérosité sanguinolente. Cela nuit bien moins à l’aliment qu’à ce viscère, dont la chaleur s’éteint quand tous les canaux qui sillonnent son hile se contractent sous l’effet du froid humide, et quand ce resserrement provoque l’engorgement des méats qui leur permettent de se décharger dans le foie ; ce remplissage aqueux relâche la capsule du parenchyme hépatique qui refoule le sérum qu’elle contient, jusqu’à provoquer la formation d’une ascite hydropique dans la cavité de l’abdomen, à moins peut-être que l’ardeur des autres viscères qui s’y trouvent ne soit si vigoureuse qu’elle vienne au secours de la défaillance hépatique, en transformant cette masse d’eaux en vapeurs qui tendent le ventre et y engendrent un [Page 113 | LAT | IMG] tympanisme[52] Si toutefois, face à la faiblesse du foie et à l’expulsion continue de ces eaux rougeâtres, les méats des pores cholédoques offrent une issue à ces humeurs, il est certain qu’elles s’écouleront dans les intestins, produisant la diarrhée qu’on appelle hépatique[23]

    Dans le second cas, pourquoi l’obstruction ne peut-elle pas se faire aussi dans les rameaux les plus éloignés de la porte, auprès du mésentère ou de la rate ? Notre rivière serait en effet capable de se boucher à l’entrée de la même façon qu’elle s’embourbe à la sortie, comme il est montré plus haut ; et alors si le sang, mû par la poussée continue de l’artère cœliaque, ne peut trouver un passage dans le rameau de la porte, tout ce qu’il contient de plus séreux et de plus fluide ne pourra-t-il pas s’épancher dans les intestins affaiblis par le défaut de chaleur, lié à la défaillance du foie, et provoquer, en se mélangeant aux excréments, un écoulement sanguinolent semblable à de la lavure de viande ? Il s’agit là pareillement d’une diarrhée hépatique, même si l’appellation est moins adaptée à cette maladie, où l’acrimonie de la bile mêlée à cette sérosité rongerait l’extrémité des artères et la membrane interne des intestins, ce qui transformerait la diarrhée en dysenterie[16][53]

    Quand le sang contenu dans l’artère cœliaque ne peut s’écouler, il se produit la même chose que quand les racines de la porte sont obstruées à la face concave du foie ; mais dans ce cas il y a douleur ou gonflement de la rate. [54] Le fait est donc que les obstructions du foie se condensent dans sa propre substance ou se figent dans la multitude de vaisseaux qu’il possède. Elles engendrent aussi une obstruction et un engorgement dans la rate puisque la veine splénique ne peut alors s’évacuer dans le foie, le sang qui lui parvient par l’artère splénique étant forcé d’y stagner, distendant sa capsule autant qu’il lui est permis de le faire ; mais si [Page 114 | LAT | IMG] l’enveloppe splénique est faible, elle laissera les humeurs s’épancher dans l’abdomen, exactement comme cela se produit dans le foie.

    Devrait-il alors sembler étonnant de suspecter que des désordres identiques à ceux que nous avons remarqués dans le foie et dans la rate puissent aussi survenir dans l’estomac ? [55] Toute la chaleur qu’il utilise lui vient principalement des deux viscères susdits, et s’il n’en reçoit pas suffisamment, tu conclus qu’il devient incapable d’assurer une digestion de bonne qualité ; et qu’en résultent une chylose défectueuse et une cachexie, en lien avec le chyle non digéré par les humeurs corrompues ; et quiconque raisonne correctement n’attribuera pas cette sorte de cachexie aux anomalies engendrées par une faiblesse hépatique. Voilà comment le foie n’est que fort peu destitué de ses maladies (je veux parler de celles qui lui ont été attribuées jusqu’ici), ce qui fait que Riolan, page 176, a tort de le déplorer.

  7. Puisque la rate purge l’excrément mélancolique, le foie ne le reçoit pas par la veine splénique ; [56] il est donc, tout comme la bile, entièrement éliminé du sang, étant donné qu’indiscutablement aucun chyle ne pénètre dans le foie et n’est donc capable d’en sortir pour passer dans le sang.

    Tu iras contre le bon sens si tu dis que le chyle parvient dans le parenchyme splénique en passant par le canal de Wirsung [57] puisqu’ils ne communiquent pas l’un avec l’autre. Le témoignage exact de l’expérience s’y oppose : en ouvrant l’abdomen de chiens, j’ai très souvent pratiqué une longue incision du duodénum, [58] d’un prompt coup de lame, et j’ai toujours trouvé que sortait indiscutablement de ce canal, bien qu’en fort petite quantité, un liquide limpide comme de l’eau et de saveur acidulée. [59] Je me suis aisément persuadé que la providence de la nature a établi ce conduit pour purger la lymphe du sang, et qu’ensuite [Page 115 | LAT | IMG] il s’écoule dans les intestins, comme fait la bile par les canaux cholédoques.

    J’aurais pensé que ce suc était celui dont l’ancienne médecine a cru qu’il se séparait du sang, mais j’ai observé qu’une telle extension du pancréas jusqu’à la rate n’existe presque que chez les hommes ; chez le chien, le chat et les autres animaux, leurs limites sont séparées par un tout petit espace, et ledit canal de Wirsung est maigre, mais émet une branche de capacité conséquente qui semble se diriger vers la rate. J’ai donc pensé que le pancréas était un tamis, tout comme sont la rate et le foie, et que le sang qu’il reçoit de l’artère pancréatique (qui est assurément une branche du tronc cœliaque) s’y délivre de cette humeur limpide, laquelle se déverse par le canal de Wirsung dans le duodénum ; [60] et qu’ensuite le sang filtré s’en va dans la porte par divers rameaux venus de la veine splénique, que le pancréas reçoit en son sein ; et je crois que la raison pour laquelle le pancréas possède un parenchyme moins dense que le foie ou la rate tient au fait qu’une humeur subtile et limpide le lave entièrement. [24]

    Je conjecturais ainsi sur l’utilité du canal de Wirsung quand le curieux livre du très brillant M. Thomas Bartholin, l’un des plus clairvoyants anatomistes de ce temps, au sujet des vaisseaux lymphatiques [25][61] m’a donné le courage de m’astreindre à de nouveaux travaux. Je recherchai donc les conduits lymphatiques en disséquant l’abdomen d’un chien vivant : embrassant le tronc de la veine porte comme du lierre, ils sautèrent immédiatement aux yeux très attentifs des amis qui assistaient à ma démonstration ; et après avoir chanté les louanges de leur immortelle description par Bartholin, leur inventeur, je ligaturai les uns après les autres ceux qui se détachent en grand nombre de la porte, comme autant de rigoles, en direction du duodénum ou du centre du mésentère. [Page 116 | LAT | IMG] Tous étaient gonflés depuis le foie jusqu’aux lacs, mais ils étaient affaissés en aval, échappant au regard le plus acéré ; puis ayant desserré les ligatures, nous vîmes réapparaître la lymphe, qui sortait du foie par divers détours, sous forme de très visibles méandres aqueux, pour se ruer dans le pancréas ; il y avait aussi comme un petit rameau qui descendait dans notre réservoir du chyle. [62] Avec tout le soin dont je fus capable, je m’efforçai pendant un long moment de suivre la lymphe dans les canaux venus d’ailleurs que du pancréas ; ils restèrent constamment bien visibles, mais la lassitude vint à bout de ce travail infructueux.

    L’énigme n’a pas résisté longtemps à la plus attentive diligence que j’ai mise à la résoudre entièrement : l’amoureux de la vérité ne craint pas la sueur, et il ne doit pas épargner sa peine s’il veut couronner son effort de succès.

    J’ai donc eu à cœur, non sans y perdre bien des chiens, de répéter cette dissection pour rechercher les vaisseaux lymphatiques (dès l’ouverture de l’abdomen). Tous réunis au niveau du tronc de la veine porte, ils s’éparpillaient en divers chenaux : tournés vers le duodénum, les uns atteignaient le pancréas, en suivant un trajet presque identique à celui de la veine splénique ; tu aurais dit que les autres suivaient la branche mésaraïque, mais ayant parcouru une distance d’environ deux pouces depuis le foie, ils se glissaient clairement vers diverses parties du réservoir chyleux, comme font les lactifères d’Aselli, pour l’enfler très évidemment (car après qu’une pression du doigt en a évacué le chyle, de la lymphe y pénètre, issue de vaisseaux plus translucides que les lactifères). Je dirais être parvenu à lever mes doutes réitérés sur l’utilité que peuvent avoir les veines lactées et mon réservoir chez les animaux à jeun et chez le fœtus, [63] où tu ne peux voir la moindre trace de chyle : tu les aurais crus sans fonction, mais tu les découvres désormais très occupés à charrier les flots de lymphe qui y confluent.

    [Page 117 | LAT | IMG] L’utilité du canal de Wirsung n’est pas moins évidente : elle consiste à éliminer les eaux qui ont été filtrées dans le foie ou dans le pancréas lui-même. Une plaie des canaux scintillants qui sortent du foie au-dessus du tronc de la veine porte fait couler une lymphe dont la saveur, la fluidité et la clarté sont identiques à celle qui sort dans le duodénum par le canal de Wirsung[26]

    J’estimerais que la lymphe est l’excrément aqueux du sang, [64] sans suspecter qu’elle soit en aucune façon inutile. Elle s’écoule dans le réceptacle du chyle, afin que ce qu’il en reste de fort épais et visqueux ne stagne trop longuement dans son fond, jusqu’à s’y putréfier ou solidifier en une matière propice aux obstructions. Ainsi le chyle a-t-il besoin de ce lavage pour être transporté en même temps qu’un autre liquide plus fluide que lui jusqu’aux veines subclavières. À ce pouvoir nettoyant de la lymphe s’ajoute celui, lié à sa faible acidité, de favoriser la fermentation du sang, comme aussi du chyle. [27] Elle s’écoule dans les intestins pour modérer l’impétuosité corrosive de la bile, et c’est pourquoi la nature a très souvent pourvu l’homme d’un abouchement commun des voies cholédoques et du canal de Wirsung dans le duodénum ; et la plupart du temps elle a assujetti les unes et l’autre à la caroncule pancréatique. [28][65] Pourquoi cette lymphe qui s’écoule dans les intestins ne se mélangerait-elle pas aussi aux aliments pour les dissoudre et, peut-être en association avec la bile, extraire le chyle de leurs composants les plus épais et terrestres, et lui conférer la subtilité qui lui permet de pénétrer dans les veines lactées ? [29]

  8. Je tire encore d’une autre expérience la conclusion qu’aucun chyle ne s’écoule dans la rate humaine [66] en passant par le canal de Wirsung : il partage son orifice avec celui des écoulements cholédoques, lequel, comme j’ai dit, existe chez la plupart des hommes, et j’en déduis que le chyle ne passe en aucun cas par là, [Page 118 | LAT | IMG] puisqu’on ne nous forcera pas à admettre que les mouvements contraires de deux liquides puissent se faire à l’intérieur d’une même cavité, à savoir la bile qui descend à grands flots du foie, et le chyle qui monterait en abondance vers la rate.

    Je ne puis non plus être aisément poussé à croire que la rate puise le chyle dans le fond de l’estomac, de la même manière qu’aucune voie ne permet d’en faire sortir les eaux superflues pour les envoyer aux reins. Il n’y a aucune communication entre l’estomac et la rate, à l’exception des branches de la veine splénique, car de très courts vaisseaux, uniquement éparpillés le long de la courbure gastrique gauche, [67] l’attachent au corps de la rate ; or ceux-ci ne charrient ni le chyle ni le sérum de l’estomac dans le parenchyme splénique (car les lois de la circulation l’interdiraient) ni dans les reins voisins (puisque la veine splénique ne s’y rend pas), mais dans le foie, par le canal continu qui traverse la rate, où le contenu de ces vaisseaux s’écoule et se mélange au sang de la veine splénique. [30][68]

    Le chemin que Riolan prête à ces liquides n’est pas non plus vraisemblable, quand il dit, page 168, que « c’est ainsi que la rate suce les eaux minérales et le vin à l’aide des veines qui sont éparpillées sur le bord gauche de l’estomac, puis qu’ils sont rapidement emportés dans les artères émulgentes. » [31][69] Puisque le sang est poussé dans la rate par le torrent permanent de l’artère splénique, pour s’y décharger de ses détritus terreux (à moins que je ne m’en fasse une opinion erronée), il est impossible que lesdites boissons refluent dans le même vaisseau, à moins de préférer admettre, comme j’ai dit plus haut, les mouvements en sens inverses de deux liquides coulant dans le même conduit.

    J’estime donc, quant à moi, que la rate se nourrit de la substance fort épaisse et noire que véhicule le sang ; une fois qu’elle s’y est déposée, le sang s’en trouve filtré et débarrassé, et se retire dans le foie par la veine splénique ; son transfert par les branches de la porte est facilité par la fluidité qu’il a ainsi acquise, [Page 119 | LAT | IMG] et mêlé au reste du sang, il pourra ensuite se décharger de l’excrément bilieux dans le foie. Il s’agit en effet d’une humeur importune, qui serait manifestement rendue plus amère par les effervescences continuelles de la nouvelle digestion, peut-être plus poussée, qu’elle aurait à subir dans le cœur.

    Pour l’abondance de sang qui la traverse et le très grand nombre d’artères qu’elle possède, je considère la rate comme un second foie, [70] c’est-à-dire comme une émule de l’étuve hépatique, et aussi du combustible gastrique, parce qu’elle fournit de la chaleur à la cuisine ; et je pense que c’est pourquoi la providence de la nature a pourvu d’une plus grande rate les animaux qui boivent beaucoup car, en vue d’assurer une digestion de bonne qualité, il faut à leur estomac un complément de chaleur pour contrer la fraîcheur de l’eau. Inversement, les animaux qui boivent peu ont une petite rate, et ceux qui ne boivent jamais n’ont pas de reins, ni même de vessie urinaire : la chaleur hépatique leur suffit comme Aristote [71] l’a noté avec sagacité. Riolan, page 168, a donc tort de croire que « la rate est placée à côté de l’estomac pour en puiser les humidités superflues ». [32]


1.

V. note [3], 3e partie de la première Responsio de Jean ii Riolan, pour sa remarque sur ce point.

2.

Le verbe abscindo, « je coupe » est ici surprenant : pour garder la veine porte pleine de sang (comme Jean Pecquet va le mettre à profit dans le paragraphe suivant), on se serait plutôt attendu à innodo, « je ligature ».

3.

Seconde partie des Opuscula anatomica varia et nova [Opuscules anatomiques divers et nouveaux] de Jean ii Riolan (Paris, 1652) contenant sa première Responsio aux Experimenta nova anatomica de Jean Pecquet (1651), qui est entièrement transcrite et traduite dans notre édition : la page 187 y appartient à la 5e partie (Discours contre la nouvelle doctrine des veines lactées, v. sa note [24]).

Toutes les citations que Jean Pecquet a extraites de ce livre sont absolument fidèles au texte de Riolan. Je les ai mises entre guillemets dans ma traduction et en italique dans ma transcription (accessible par les notes lat).

4.

Tractatus de motu sanguinis eiusque circulatione vera, ex doctrina Hippocratis [Traité sur le mouvement du sang et sa véritable circulation, en conformité avec la doctrine d’Hippocrate], Opuscula de 1652, première partie, chapitre v (pages 20‑23), intitulé De Circulatione Sanguinis ex Hippocratis doctrina [La circulation du sang en conformité avec la doctrine d’Hippocrate].

Jean ii Riolan donnait au réservoir du chyle le nom de grande glande du mésentère, glandula magna mesenterii. Jean Pecquet tronquait malheureusement l’intéressante spéculation de Riolan sur l’utilité du chyle :

vt crassities Sanguini comparetur, ad nutritionem adipis, et ossium, atque formationem fibrarum Sanguinis.

[afin que le sang prenne de l’épaisseur pour nourrir la graisse et les os, {a} et former les fibres du sang]. {b}


  1. Selon Hippocrate repris par Cecilio Folli en 1644, v. note [33], lettre de Thomas Bartholin à Johann Daniel Horst (mars 1655).

  2. Fibrinogène et fibrine, v. note [6], Dissertatio anatomica, chapitre v.

5.

V. note [19], première Responsio de Jean ii Riolan à Jean Pecquet, 5e partie ; les « canaux pecquétiens » sont les deux lactifères thoraciques canins.

6.

La « glande d’Aselli » est ce que Gaspare Aselli avait cru être le pancréas (v. note [4], Experimenta nova anatomica, chapitre i), qui est bel et bien un organe (glande) qui ne se vide jamais, contrairement au réservoir du chyle, tel que décrit par Jean Pecquet, et depuis reconnu par tous les anatomistes (avec des variantes de conformation selon les espèces animales et en leur sein).

V. note [21], seconde Responsio de Jean ii Riolan, première partie, pour l’assimilation du réservoir de Pecquet à la « grande glande lactée du mésentère » (ou « second pancréas ») décrite par Thomas Bartholin en 1651 pour excuser l’erreur d’Aselli.

7.

Toutes ces citations se lisent dans le Discours contre la nouvelle doctrine des veines lactées (5e partie) et dans la 2e partie et la 3e partie de la première Responsio de Jean ii Riolan.

8.

V. note [4], épître dédicatoire des Experimenta nova anatomica, pour le respect, réputé aveugle, des pythagoriciens envers les préceptes de leur maître.

9.

Modernisation de la traduction qui figure dans le Discours contre la nouvelle doctrine des veines lactées, empruntée au Manuel anatomique et pathologique de 1661 (v. sa note [1]).

10.

Jean Pecquet tournait en dérision un autre passage du Discours contre la nouvelle doctrine des veines lactées que le traducteur de 1661 a préféré omettre : v. sa note [19].

Jean ii Riolan y empruntait aux Psaumes (19:3), sur la gloire de Dieu, pour résumer son jugement sur les veines lactées : « Le jour au jour en publie le récit, et la nuit à la nuit en transmet la connaissance. » Pecquet le scindait en deux propositions : « Le jour au jour en a publié le récit », mais « La nuit à la nuit en a transmis la connaissance ».

11.

V. note [1] de la Préface de Jean ii Riolan.

12.

Chapitre iv de la « Dissertation anatomique sur la circulation du sang et le mouvement du chyle » dans les Experimenta nova anatomica de 1651.

13.

L’artère splénique est la plus grosse branche terminale du tronc cœliaque (avec la coronaire stomachique et l’hépatique commune). Elle irrigue la rate et une grande partie de l’estomac. V. note [39], seconde Responsio, 3e partie, pour l’idée que Jean ii Riolan se faisait de son fonctionnement.

Bien que convaincu de la circulation harvéenne, Jean Pecquet pensait que la qualité du sang artériel n’était pas partout la même, mais pouvait varier selon l’organe irrigué, comme si les humeurs et esprits qu’il contenait étaient capables de choisir leur destination. Il est aussi curieux que, pour la troisième fois dans son expérience i (deux fois dans le présent paragraphe et une fois dans la description du protocole), il ne paraisse pas intégrer les mésentériques (et surtout la supérieure) dans les artères qui alimentent la veine porte. V. note [39], première Responsio, 4e partie, pour l’obscure déclaration de Riolan sur la production de la bile à partir du sang apporté par le tronc cœliaque.

14.

La description de Jean Pecquet correspond à la douve hépatique du mouton (fasciolase), contractée en mangeant des plantes marécageuses (cresson, renoncule, etc.) contaminées par un ver plat (trématode), dont la forme adulte est bien visible à l’œil nu.

V. note [15], lettre de Charles Le Noble à Jean ii Riolan, 1re partie, pour une autre mention de la douve et l’origine de son nom.

15.

Jean Pecquet n’a pas mis ce propos de Jean ii Riolan en exergue car il ne s’agit pas d’une transcription mot à mot, mais d’une fidèle interprétation de son latin.

L’atrophie, « maladie qui fait que le corps ou un de ses membres ne prend point de nourriture, et devient dans une étrange maigreur, ce que le peuple appelle “ être en chartre ” », est synonyme de tabès et de la cachexie (v. note [5], Dissertatio anatomica, chapitre v) qui atteignent néanmoins toujours la totalité du corps, et non une de ses parties.

16.

Ioannis Riolani Ambiani, Medici Parisiensis, viri clarissimi, Opera omnia… [Œuvres complètes du très brillant M. Jean Riolan, médecin de Paris natif d’Amiens…] (Paris, 1610, page 516), {a} Ex Particulari Methodo Medendi, Sect. iii. Tract. ii. De Morbis et Symptomatis Hepatis [Section iii, tiré de la Méthode particulière de remédier, traité ii sur les Maladies et symptômes du foie], chapitre xlvii (et non xlviii), Fluor cœliacus [Le flux cœliaque] :

Sub hoc affectu chylosa quidem deiiciuntur, sed liquida, quia ventriculi et intestinorum imbecillitate accidit, saltem alimenta exeunt semicocta, non qualia sumpta sunt, ut in lienteria : At chylosæ deiectiones quæ accidunt hepatis attractrice languida, vel mesenterio obstructo, sunt crassæ : Sanè iam confectus chylus à ventriculo et intestinis, quia non potest ditribui, excluditur, sed crassus et coctus, non tenuis et aqueus vt in fluore cœliaco. Itaque si liquidæ et albæ fuerint deiectiones, quia ventriculi et intestinorum imbecillitatem arguunt, curetur hic fluor vt lienteria […].

[Lors de cette affection sont certes expulsées des matières chyleuses, mais liquides, parce qu’elle vient d’une faiblesse de l’estomac et des intestins. N’y sont émis que des aliments à moitié digérés, et non tels qu’ils ont été ingérés, comme dans la lientérie. Les déjections chyleuses sont épaisses quand elles sont le résultat d’une attraction affaiblie du foie ou d’une obstruction du mésentère : le chyle que l’estomac et les intestins ont déjà entièrement élaboré est expulsé car il ne peut être absorbé, mais il est épais et digéré, et non délié et aqueux comme dans le flux cœliaque. Si les déjections ont été liquides et blanches, elles témoignent d’une faiblesse de l’estomac et des intestins, le traitement sera donc le même que celui de la lientérie (…)].

Embarrassé par ce vocabulaire suranné, je suis allé chercher des éclaircissements sur la distinction entre les différentes sortes de diarrhées dans la Pathologie de Jean Fernel {b} sur les diarrhées, mais elle ne dissipe pas entièrement les obscurités de ce discours : {c}

« Le flux de ventre se fait par des causes toutes contraires, savoir est quand la viande {d} est trop liquide, trop coulante ou trop grasse ; quand elle surcharge trop l’estomac et les intestins par le poids de son excessive quantité ; quand ces parties sont irritées et époinçonnées {e} par l’acrimonie de quelque médicament, ou par quelque viande corrompue, ou par quelque excrément bilieux et âcre du corps, qui se jette là, ou qui s’y est engendré. Car ces choses émeuvent le ventre, le font couler et se décharger plus que de coutume. Or il faut établir les différences des flux de ventre par la diversité des matières qui en sortent. Quand sans cesse il sort du ventre des matières crues, c’est-à-dire aqueuses, liquides, humides, blanchâtres ou grises, et très puantes, et ce seulement avec rugissement et murmure du ventre, sans manifester tranchées {f} ni douleur, c’est lientérie ou cœliaque : car si les matières sont unies et comme du chyle ou de la crème, c’est cœliaque ; {g} mais si elles sont inégales et dissemblables, et que la substance de la viande s’y remarque encore entière sans être digérée, c’est lientérie. {h}

L’affection cœliaque n’est point causée de crudité ni de débilité d’indigestion de l’estomac, mais de l’imperfection et mauvaise distribution du chyle, {i} provenant de l’obstruction du mésentère, de la rate ou du foie, ou de l’imbécillité de la vertu attractive ; ou de l’abondance excessive des aliments, et particulièrement des fruits de peu de durée {j} et du breuvage immodéré ; car ce chyle ne se peut tout distribuer, mais la plus grande partie demeure dans le ventre. Il se fait, ensuite de ces causes-là, un grand amas d’ordures, lesquelles s’augmentent peu à peu dans les menus boyaux ou dans le ventricule, {k} ou dans le mésentère, ou bien autour des viscères, < et > se corrompent avec le temps. Et leur quantité venant à surcharger la nature, il s’en fait une évacuation par les selles et quelquefois par le vomissement, ou de leur mouvement propre, ou par l’effort de la nature qui ne les peut souffrir ; quelquefois elles sortent par la moindre émotion d’un lavement ou d’une médecine. […]

On appelle lientérie la lubricité des intestins en laquelle ce qui coule par le fondement est semblable, tant en substance qu’en couleur, aux aliments que l’on a pris. La cause de cela est non l’empêchement de la distribution, mais l’imbécillité de la première digestion, qui fait que les viandes étant encore crues sortent sans être changées, soit parce que l’estomac n’ait pas assez de chaleur pour les digérer, soit qu’étant trop relâché, il ne les retienne pas assez longtemps pour les bien digérer. […]

La diarrhée, bien qu’on puisse appliquer ce mot à toute sorte de flux de ventre, est proprement celui par lequel s’écoulent les humeurs plus sincères, sans faire beaucoup de douleur ; car tantôt la pituite, tantôt la bile jaune, tantôt la mélancolie, paraissent séparément toutes pures. La pituite crasse et morveuse se détache ordinairement des plus gros boyaux, où elle a coutume de s’amasser et s’épaissir. Elle vient aussi bien souvent du mésentère, où étant amassée en grande abondance, elle engendre des ordures et des squirres, et de là viennent d’ordinaire tous les flux pituiteux. […] La diarrhée bilieuse {l} est celle en laquelle la bile jaune ou citrine, fort ardente et souvent écumante, sans causer beaucoup de tranchées au ventre, parce qu’elle trouve le passage libre et ouvert. Cette bile dégorge souvent du foie trop échauffé, ou de la vessie du fiel, dans les intestins ; quelquefois aussi du mésentère, où la nature étant oppressée se décharge d’ordinaire des humeurs superflues ; et quelquefois, mais plus rarement, des plus grandes veines, et même de l’habitude du corps : car c’est ainsi qu’Hippocrate veut que la surdité et les autres maladies qui viennent de bile, se guérissent par la diarrhée. La diarrhée mélancolique procède de la rate ou du mésentère, lorsque la nature oppressée pousse et rejette dans le ventre la mélancolie naturelle ou la bile noire. Or celle-ci arrive moins souvent que toutes les autres. Les déjections paraissent alors quelquefois tellement noires qu’on les pourrait comparer ou à de la poix fondue ou à de la moelle de casse, {m} en laquelle plusieurs ont été trompés par la ressemblance qu’elle a avec la mélancolie. Cela vient assurément du sang, lequel tombant dedans les intestins quand il y a quelque veine des entrailles ouverte, rompue ou mangée, se brûle et noircit tellement dans les longues sinuosités et détours de ces parties, qu’il ressemble entièrement à de la poix. Or on le discerne en ce que les linges qui en sont mouillés deviennent rouges, et qu’il survient devant ou après un vomissement de sang. {n} […]

La dysenterie {o} est une déjection sanglante avec douleur et tranchées : d’où vient que les Latins lui ont donné le nom de tormina. Il sort au commencement une morve des boyaux, puis cette graisse, qui sert à les enduire par le dedans, mêlée d’un peu de sang, et c’est ici la première espèce de dysenterie. L’autre se fait lorsque la tunique intérieure des boyaux est emportée, de laquelle on voit les pellicules et les fibres mêlées parmi les déjections. La troisième est quand l’ulcère pénétrant et rongeant plus avant, la chair même et la propre substance de l’intestin tombe pourrie ou mangée. »


  1. Jean i Riolan, père de Jean ii : vnote Patin 9/22.

  2. V. note [17], Dissertatio anatomica, chapitre xi.

  3. Référence médicale majeure du xvie s., traduite en français en 1655, livre vi, chapitre x, Les symptômes des intestins, leurs causes et leurs signes, pages 448‑453.

  4. « des causes toutes contraires à la constipation, car alors l’aliment… »

  5. Excitées.

  6. Coliques, vnote Patin 2/347

  7. Contrairement à Riolan l’Ancien, Fernel ne semble pas établir de claire distinction entre les diarrhées cœliaque et chyleuse, dont Jean Pecquet traitait ici.

  8. Ainsi définie, la lientérie correspond à la diarrhée qu’on attribue désormais à l’insuffisance pancréatique externe (absence ou insuffisance des enzymes digestives produites par le pancréas). Dans l’ancienne pathologie, elle caractérisait la diarrhée hépatique.
  9. Fruits saisonniers qui se conservent peu de temps, comme les melons, les pêches, etc., si on n’en fait pas des confitures.

  10. Dans l’intestin grêle ou dans l’estomac.

  11. Traduction fidèle du latin d’origine, chyli imperfecta malaque distributio (Medicina, Paris, 1554, page 185), où Fernel n’établissait pas de distinction entre chyle et chyme : v. infra note [17].

  12. V. note [14], première Responsio de Jean ii Riolan, 5e partie.

  13. V. note [16], Historia anatomica, chapitre ix.
  14. Hémorragies digestives avec mælena et hématémèse (vnote Patin 1/8141).

  15. Vnote Patin 8/147.

Pecquet simplifiait ces nuances, désormais difficiles à comprendre, en distinguant seulement les flux chyleux et hépatique (bilieux), respectivement liés à la mauvaise absorption du chyle et à la défaillance du foie.

17.

Jean Pecquet établissait fort justement une nuance, trop souvent omise dans les discussions sur la digestion (même encore de nos jours), entre la formation du chyme (chymose), qui est la bouillie mêlant tous les aliments, en cours de digestion par l’estomac puis l’intestin grêle (dont il est véritablement question ici), et celle du chyle (chylose), qui est le suc extrait de leur portion graisseuse, extrait du grêle par les veines lactées.

18.

Ma traduction a remplacé abnuit [il nie] par son contraire, non abnuit, pour accorder la citation qui suit avec le propos de Jean ii Riolan sur la question dans la 4o partie de sa première Responsio, pages 169‑170.

19.

Déjà fumeux, à l’aune de la pathologie moderne, ce débat sur l’obstruction des voies du chyle prend un tour cocasse quand Jean Pecquet y insère le rôle joué par les gibbosités : une des causes acquises la plus commune en était alors la spondylodiscite tuberculeuse (dite mal de Pott depuis la fin du xviiie s.), qui peut certes aboutir à une phtisie, mais par des mécanismes bien différents d’une malabsorption mécanique du chyle.

20.

Ces deux citations ne sont pas exactement référencées et renvoient à des notions aujourd’hui inintelligibles.

21.

Jean Pecquet voulait montrer qu’il connaissait bien la vascularisation cœlio-mésentérique décrite par Galien, livre iv, chapitre xx de l’Utilité des parties du corps (Daremberg, volume 1, pages 333‑334, avec ses additions entre parenthèses et en italique) :

« Chacun des intestins reçoit un grand nombre d’orifices des veines, semblables aux dernières et minces extrémités des radicules d’un arbre ; mais la nature, qui dans les arbres réunit ces petites radicules en racines plus fortes, réunit également dans les animaux les vaisseaux plus déliés en vaisseaux plus grands, ceux-ci en d’autres plus grands encore et continue ainsi jusqu’au foie, où elle les confond tous dans la veine unique qui est située aux portes du foie (tronc de la veine porte), veine d’où prennent naissance les veines qui se rendent à l’estomac et à la rate. À l’égard des artères, elle les réunit également toutes en une grande artère qui repose sur le rachis (tronc cœliaque). »

Le squirre hépatique mentionné dans le paragraphe précédent correspondait à la cirrhose (vnote Patin 19/436), qui est responsable d’une obstruction des branches portes dans le foie, avec élévation de la pression qui y règne (hypertension portale), qui peut provoquer une augmentation du volume de la rate et des hémorragies digestives.

22.

Chapitre ii de la Dissertatio anatomica de Jean Pecquet.

Les « canaux radiculaires » (canales radicales) de la veine porte sont les extrémités de ses branches d’origine.

23.

« Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette » : sans que je sois fervent adepte des railleries de Molière sur la médecine, la conclusion de Sganarelle (Le Malade imaginaire) s’applique admirablement à cette accumulation d’arguments spécieux et imaginaires, alignés dans un latin boiteux (que j’ai tenté de rendre à peu près intelligible), pour prouver que le foie est un égout du sang qui peut déborder (diarrhée hépatique ou bilieuse, qui correspond à l’obstruction biliaire de Guillaume Rondelet, v. supra note [20]), mais qui n’interviendrait en rien dans l’absorption des aliments. Le paragraphe suivant, qui touche à la seconde variété d’obstruction, est malheureusement issu du même tonneau.

On y croise l’ascite qui accompagne l’hydropisie (vnote Patin 14/396), et le tympanisme abdominal (caractéristique du pneumopéritoine), qui ne s’observe que dans la perforation d’un viscère creux.

24.

Le canal excréteur du pancréas, alors récemment décrit par Johann Georg Wirsung (v. note [5], Dissertatio anatomica, chapitre x), était sujet à maintes spéculations. Chez aucun animal il ne sort du pancréas pour communiquer avec la rate. Cette glande sécrète le suc (enzymatique et ionique) qui est indispensable à la digestion complète des aliments (sucres, graisses et protéines) ; elle libère aussi l’insuline et d’autres hormones dans la veine porte, mais ne filtre en aucune façon le sang, comme l’imaginait Jean Pecquet.

25.

Jean Pecquet avait lu les Thomæ Bartholini Vasa lymphatica nuper Hafniæ in animantibus inventa, et hepatis exsequiæ [Les vaisseaux lymphatiques découverts par Thomas Bartholin à Copenhague chez les animaux, et les funérailles du foie] (Copenhague et Paris, 1653, vnote Patin 18/322) et désirait à son tour marier le chyle à la lymphe nouvellement caractérisée.

Cet ouvrage marquait un progrès décisif de la médecine, mais avec deux défauts :

Dans ses Vasa lymphatica, Bartholin n’a mentionné ni le pancréas ni le canal de Wirsung, mais à la fin de sa lettre à Johann Daniel Horst (1655), il a poliment jugé intéressante l’idée de Pecquet sur la filtration pancréatique de la lymphe.

26.

Dans ce paragraphe, Jean Pecquet se fourvoyait sur la fonction du suc pancréatique (v. supra note [24]), mais il avait vu juste dans le précédent : le fœtus n’élabore pas de chyle, son tube digestif n’absorbe pas de graisses car elles lui sont fournies prêtes à l’emploi dans le sang maternel qui lui arrive par le cordon ; après la naissance et durant toute la vie, la citerne et le canal thoracique véhiculent à la fois le chyle et la plus grande partie de la lymphe corporelle.

27.

N’ayant trouvé nulle part l’adjectif latin lotivus, le contexte et sa proximité avec lavatus, « nettoyé » (plutôt que lotium, « urine »), m’ont incité à le traduire par « nettoyant » (plutôt que par « urineux »).

La faible acidité de la lymphe qui favoriserait la fermentation du sang et du chyle ne correspond à aucun mécanisme biologique que la médecine moderne permet de comprendre.

28.

Ampoule hépatopancréatique (décrite par Abraham Vater en 1720), dans le deuxième duodénum, dont l’ouverture et la fermeture sont assurées par un sphincter (décrit par Ruggero Oddi en 1887).

29.

Cette spéculation aurait été visionnaire si Jean Pecquet y avait ajouté le mot « graisses », car les acides de la bile sont indispensables à la formation du chyle en permettant la saponification des lipides qui prélude à leur absorption, mais il n’avait probablement pas compris ni même lu le livre de Cecilio Folli sur le sujet (v. supra note [4], notule {a}).

30.

V. note [20], Dissertatio anatomica, chapitre xi, pour les relations anatomiques et fonctions fictives que l’ancienne médecine conférait au vas breve de la rate, mais auxquelles Jean Pecquet n’accordait déjà plus guère de crédit.

Le « chyle » de l’estomac est à comprendre ici comme le chyme qu’il contient et va envoyer dans l’intestin grêle (v. supra note [17]).

31.

Jean Pecquet a ajouté celeriter, « rapidement », à ce passage qu’il a emprunté à la 4e partie de la première Responsio de Jean ii Riolan.

32.

V. note [31], première Responsio de Jean ii Riolan, 4e partie, pour les errements d’Aristote sur lesquels Riolan et Jean Pecquet ergotaient aussi pathétiquement l’un que l’autre.

a.

Page 103, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
Nova de thoracicis lacteis Dissertatio
.

                              experimentum i

Canem suppono, vel quolibet ex domesticis
animal, adeóque felem ipsum (cujus, quia no-
men in Experimentis meis riolanus mini-
mè reperit, non sat cognitam mihi naturam, vel un-
guium forsitan metu tentatam nondum, perperam
putat) ad Anatomem expositum non tantum, sed,
quod nunquam omitti debet, administratâ quatuor
ad minus horis præparatoriæ saturitatis largitate an-
teà dispositum.

Vincti abdomen aperio, sublatóque sine morâ ster-
no thoracis patefacio specum : lacteas sub aortâ quæ-
ro canales, repertósque propriis omnes, quotquot
fuerint, seorsim filis innodo, ne ad subclavios exitus
ex receptaculo chylus diffluat.

Extermino item ad expeditionem quidquid ope-
tanti obesse potest ex diaphragmatis amplitudine,
detectumque post dissipata involucra venæ cavæ
truncum (meliùs ramum dixerim) abscindo, quà je-
coris gibbo inseritur, et separatam à jecore cavam
supra infráque (quantum quidem licet) in longum
diffindo ; ac tum, exhausto spongiis sanguine, paten-
tem à corde alveum ad iliacorum bivium, num illuc

b.

Page 104, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
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.

aliqua chyli scaturigo vel ex mesenterio, vel etiam
ex receptaculo præcipitet, attentissimis oculis collu-
stro longâ usque ad tædium morâ. Et, quoniam post
centenum ad minus hujusce experientiæ periculum
frustra semper expectata chyli fuit eò loci proruptio,
nullum chylum in eum canalem effundi concludo.

Rursus venæ portæ reseco truncum, ambos quo-
que cœliacæ aut, ut sæpe contigit, splenicæ ad je-
cur arteriæ ramos, necnon omnia, quibus corpori
adhærescit jecur, retinacula. Tum, eliminato jeco-
re, portæ truncum (quantum mesenterium sinit) in
longum similiter findo, effusúmque exhaurio cruo-
rem. Specto mesaraïcas venas ; sanguine vacuantur
universæ : pari fato flaccescit tota venæ portæ distri-
butio. Specto Asellij lacteas, omnes turgent perseve-
ranti plenitudine ; nulla quaquaversum candidam,
quâ tumet, substantiam vomit : saltem si operatum
fuerit exactè, nec inter dissecandum imprudentis
anatomici gladius aliquam libaverit.

            Ex quo Experimento hæc sequuntur.

I. Quandoquidem contentus in lacteis ve-
nis, quem Riolanus chylum nuncupat, succus
nec in descendentem venæ cavæ alveum à corde ad
iliacorum usque dissidium, nec in ipsos iliorum ca-
nales (siquidem possit exertissimis oculis haberi post
multiplicem experientiam fides) influit, patet esse
quod ait ipse Riolanus (opusuclorum in secunda parte
pag. 187. ubi de thoracis lacteis disputat) evidentis-
simo (saltem quod ad cavam descendentem attinet)
falsissimum argumento. Sunt igitur, inquit, istæ venæ

c.

Page 105, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
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.

duæ lacteæ ita conditæ, et dispositæ, forsan ut sanguini vio-
lenter fluenti intra arterias per circulationem, in venis cras-
sities addattur, circa diremptas trunci cavæ, versus axillares
ramos et iuxta iliacos. Nam in istis duobus locis truncus ca-
væ venas lacteas admittit
. Cæcutierat anteà non mino-
ri caligine 23. primæ partis paginâ his in verbis ; non
mirum videri debet si ex chylo pars quædam ab illa glandula
magna mesenterij derivata, per venas lacteas chyliferas su-
perne trunco cavæ juxta subclavias, et infra juxta emul-
gentes infundatur
. Afferram tertium hallucinationis te-
stimonium : depromitur scilicet hoc ex pagina 184.
secundæ partis opusc. vbi ait, Talis est glandula illa
magna differta chylo, non est ventriculus, sed spongiosum
corpus, ex quo depromunt suum chylum canales ad hepar de-
lati, alij duo
Pecquetiani ad superiorem truncum cavæ as-
cendentes, alij ad truncum inferiorem venæ cavæ insi-
nuati
.

Proh obstinatam ex facillimi profectò experi-
menti defectu ignorantiam ! tres emissariorum, quà
chylosus humor in cavam influit sedes, juxta qui-
dem sublcavias, iuxta emulgentes, iuxta denique
iliacas, quidquid distantia reclamet, instituit. Nec
minori errore glandem nuncupat detectum à me re-
ceptaculum : quod quidem si experimentali exami-
nasset scrutinio, id est si oculo explorasset et manu,
nosset dubio procul inter Asellij glandem et recepta-
culum nostrum discrimen grande. Observasset pror-
sus hoc (illâ vacuâ) sæpius turgescere. Non diffite-
bor tamen interdum in receptaculo nostro lacteos
quosdam et viscosos in coaguli modum reperiri gru-
mulos ; hoc ipsum equidem non semel in adiposis ca-
num femellis animadverti : sed nec nisi rarò tale quid

d.

Page 106, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
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.

evenit, nec glandularem ullatenus æmulatur consi-
stentiam.

II. Qvandoqvidem nullum habent mesen-
tericæ lacteæ cum vena Porta commercium, nec ul-
lum proinde chylum in eam effundunt, perperam
ejusdem ipsas ramos putari censeo vel propagines :
nec ob id honori suo consulere Riolanum, dum in in-
cognita re judicium præceps effundit. Concilia, si
potes, contradictorios eorundem ipsius opusculo-
rum locos, 184. partis secundæ paginâ sic conclu-
dit : Quamvis extent et reperiantur in animalibus bene pa-
stis, et post quatuor horas aperto abdomine ; non sequitur in
hominibus consimiles reperiri
 ; immemor jactantiæ quam
ibidem 153. pag. continet hisce verbis : Verum est
istas venas lacteas ab
Asellio descriptas in homine extare,
id à me olim publicè in scholis demonstratum cum admiratio-
ne, etiam si tum essent mihi ignotæ venæ lacteæ
Asellij.
Rursus si repiriuntur (ait 185. ibidem paginâ) credo
surculos rami mesenterici venæ portæ, qui tum temporis re-
ferti sunt chylo, quem deferunt ad hepar per truncum venæ
portæ
. Censet igitur in unum venæ portæ truncum
coire lacteas, immemor paginæ 151. in qua Ego verò
sustineo
(inquit) magnâ naturæ providentiâ in truncum
non coïsse canales illos quatuor
. De iis loquitur per quos
existimat in jecur Asellius chylum defluere. Pagina
183. adversus Harveum, ait, venas lacteas flocci facit
et chylum per venas mesaraicas exsugi ab hepate putat et
sustinet, quod miror
(inquit) cum revera extent, et mani-
festè spectentur
. Imprudens etiam paginæ sequentis
184. quæ sic habet : cum autem lacteæ venæ non ha-
beant truncum ut mesentericæ, ad quem confluunt et vniun-
tur : debent habere locum communem in quem chylum re-
fundant
.

e.

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.

Miseret me tam lamentabilem in illustri hactenus
viro ratiocinij jacturam animadvertere. Existimat
(et in eam sperat sententiam Pythagorico plusquam
supercilio legentium obsequia subjugare) Aselianas
lacteas
esse mesentericæ propagines, ejusdemque
venæ tunc ramos esse candidos cum per mesente-
rium diffluit chylus : at, quoquot illic vascula ru-
bent, non venas esse, quandiu lacteæ chylo turges-
cunt, verùm arteriæ flagella cœliacæ.

Mihi, obsecro, noli, sed ipsius Riolani opusculis cre-
dre pagina 185. Alios verò ramos interspersos per mesen-
terium, qui rubri comparent, et sanguinei sunt esse ramos
arteriæ cœliacæ qui præbent etiam alimentum intestinis, quan-
do venæ mesaraicæ sunt refertæ chylo
. Nec feliciùs profec-
tò aut sapientius paginam claudit : nempe Traductio
(inquit) illa forsan non durat ultra duas tresve horas ; postea
remeat sanguis per venas mesaraicas ad intestina. Cum au-
tem in vivente animali continua fiat attractio chyli ad he-
pate per venam portam, retrahitur sanguis intra hepar : cum
jam sint oppletæ chylo venæ mesentericæ, extincto animali et
facultate attractrice exolutâ, relabitur sanguis in venas me-
saraicas, tumque evanescunt istæ venæ lacteæ, propter afflu-
xum sanguinis qui candorem illum destruit
.

Sed me jam oppido valde tædet tot absurda trans-
cribentem : nec te puto qui hæc legis, tam ingratam
errorum multiplicitatem æquiùs aut patientiùs su-
stenturum. Vnica injuria animum acuit, multiplex
laxat : et redarguendi parit incuriam delinquendi
consuetudo. Velim tamen admirêre prophetici ho-
minis sapientiam dum pag. 184. ait Dies diei eructat ver-
bum et nox nocti indicat scientiam
. Tunc enim revera
Dies diei verbum eructavit, cum variis ipse libris locu-

f.

Page 108, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
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.

pletavit anatomen ; sed nox prorsus indicavit nocti
scientiam
, cum occæcatum se penitus tam evidentibus
signis testatus est.

III. Qvandoqvidem nil effluit chyli, dum
separatur ab animalis corpore jecur : patet in jecur
nullum chylum influere, atque adeò nullos esse, quos
inibi suspicatur Asellius devehendo chylo alveos.
Neque enim pertinaciùs illic rupto chylus canale
consisteret, quàm in mesenterio, cujus si vel minimam
libaveris lacteam, videas illicò inclusi lactis proflu-
vium : et eâ de causâ vano Riolanum allaborantum ire
conamine ut, sicut in opusculi sui frontispico definit,
chylus hepati restituatur.

IV. Qvandoqvidem nullus in jecur ad αιματω-
σιν influit chylus, planum est nil nisi sanguinem in
jecur effundi, nimirum quem (ut in altera Disserta-
tione anatomica disputavi) continet Porta, et quem eò
devehunt hepaticæ arteriæ, id est, gemini ex arteriâ
cœliacâ vel splenicâ ramusculi ad jecur ipsum perti-
nentes ; et ejusdem sanguinis crassiore quidem, nec
tamen ut lien nigriore substantiâ maximum totius
corporis nutriri parenchyma. Planum quoque proin-
de bilem, quæ in cystidem secedit, esse non chyli
certè, sed sanguinis excrementum. Et quoniam to-
tum, quem porta continet, ab arteria cœliaca splenica-
ve sanguinem excipit, Riolano placet p. 171. concede-
re parenchyma hepatis bilem transcolare sanguinis quem ac-
cepit porta ex cœliaca arteria
. Ita renum parenchyma,
quem ab arteriis emulgentibus ipsi excipiunt, trans-
colat sanguinis serum. Ita pariter splen tartareum
aut melancholicum nigrioremque separat sanguinis
eò per splenicas arterias confluentis humorem.

g.

Page 109, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
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.

V. Esse proinde sanguinis etiam, non chyli
emunctorium jecur, ob eamque causam fellis cysti-
dem iis animalibus naturam concedere quorum co-
piosior in sanguine amaror est. Imò potest nonnun-
quam hepar et laiis esse excrementis emunctorio :
patuit id mihi non semel in dissectis vervecibus quo-
rum hepar post esum herbarum quarundam ad fellis
cystidem alteram apllicuerat viscoso quodam hu-
more et animalculis gravidam non paucis ; horum
minima formiculas ex colore dixisses ; et amplitudi-
ne maxima pollicali longitudine soleas imitantia
subviridem cuticulam cinericiis lineolis distingue-
bant ; cæterùm vervecibus intra annum (ut ex pasto-
re didici) perituris lethalia.

VI. Atque, ut rectè Riolanus infert pag. 176.
Morbi qui in hepate collocantur, quales sunt diar-
rhæa chylosa, diarrhæa hepatica, cachexia, atrophia,
hydrops, non ampliùs dependebunt ex ejus actione
læsa scilicet imminuta vel abolita attractione et re-
tentione chyli, vel ex frustratione sanguinificationis ;
nec sanè mirum id videri debet, cum ipsum nec chy-
lum trahat, nec sanguinem conficiat. Absit tamen ut
prorsus ab hepate morbos ejusmodi nullatenus cén-
seam dependere.

Chylosa diarrhæa, quâ scilicet mixtim cum retrimen-
tis excernitur chylus, oriri potest (sicut Riolanus pater
in peculiari sanandi methodo, cap. 48. sapienter indi-
cat) ex obstructo mesenterio ; Nam licet sanissimum
hepar congruentissimum accendat, ad optimam chylo-
sin, aut chymosin potiùs calorem ventriculo, si tamen
vel obstructum fuerit mesenterium, vel humoris vis-
cositas intimam intestinorum tunicam lubricans ob-

h.

Page 110, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
Nova de thoracicis lacteis Dissertatio
.

turârit lactearum infundibula ; certum est prohibitum
ingredi chylum pariter secretum iri cum ciborum fæ-
cibus. Idipsum necesse est obstructis thoracicis lacteis
contingere : nam ubi repletus fuerit ab intestinis ad
obstructionem alveus, nulla tunc profectò fieri chyli
poterit infusio, nî receptaculum vel rumpatur, vel ad
renes cum sero superfluo refundat per urinas excer-
nendum. Accidit hoc interdum et agnoscat Riolanus,
quod abnuit opusculorum part. 2. pag. 169. Dum in
urinis sedimentum apparet lacteum per aliquot dies et menses,
non esse verum pus, neque pituitam puterefactam, aut puri-
formem ; modo dolor nullus adsit in renibus, nec fuerit unquam,
neque cruentæ urinæ præcesserint, sed esse portionem chyli
è re-
ceptaculo nostro per arterias emulgentes secedentis.
Quod si propter obstructas mesenterij lacteas cum ex-
crementis defluat chylus, etiam ventriculo et hepate
suum quoque officium laudabiliter agentibus, exclu-
ditur quidem
(ait ibidem Riolanus pater) sed crassus et co-
ctus, non tenuis et aquaeus, ut in fluore cœliaco, ubi chylosa
quidem dejiciuntur, sed liquida, quia ventriculi et intestinorum
imbecillitate accidit
. Mihi tamen facilè persuadeam ejus-
modi ventriculi et intestinorum imbecillitates crebro
ex obstructionibus hepatis, vel ejusdem intemperie
procedere. Quod si multiplex fuerit lactearum ob-
structio, et adversus aperientium remediorum vim
pertinax ατοφιαν sequi necesse est interdicti alimenti
penuriâ, unde nec reparantur sanguinis impensæ, nec
corporis tabescentis substantia resarcitur : hoc in spinæ
luxatione contingit aliquando sive fuerit illa κυφωσις
sive λορδωσις, sive etiam σκολιωσις.

Quod ad hepaticam diarrhæam spectat, quæ dicitur
Rondeletio lib. 3. meth. curand. morb. c. 39. Fluxus chylo-

i.

Page 111, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
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.

sus vel lotivus quia excrementa similia sunt loturæ
carnium ; et Galeno 5. de locis affect. 7. Fluxus hepaticus ;
vel ex jecinoris actione læsa, vel ex obstructione Por-
tæ potest illa procedere.

Non quidem ejus actionis læsionem intelligo,
quam hactenus ei tota perperam (ut inventis nostris
planum factum est) antiquitas ad sanguinis confectio-
nem tribuit ; sed eam præcisè, quam revera propriam
jecur habet excolandi sanguinis, et bilis à sanguine
excrementorúmque id genus separandorum officio.
Si ergo colatoriam ejusmodi jecoris actio perturbetur,
sive illud eveniat ab obturatis portæ venis, sive ab
obstructis poris, quibus per propriam hepatis sub-
stantiam sanguis inerrat, sive ab abscessûs corruptoria
sarcina, sive denique ab impervia scirrhi pertinacia,
certum est contractæ intemperiei valetudine debilita-
tum hepatis parenchyma præpedito colandi officio
non segregaturum à sanguine bilem ; sed per cholido-
chos meatus sanguinei aliquid seri, vel si mavis, rubes-
centis aquæ humorem quendam in intestina deposi-
turum fluxu continuo et obviorum retrimentorum
tinctorio : et hæc sanè, quia caloris ab hepate ventri-
culo et cæteris ad chylosin, aut potiùs chymosin in-
strumentis ministrandi vigore destituuntur, incocta
decidunt et carnium loturæ simillima.

Obstructio portæ fit vel in radicibus (ut cum
vulgo loquar) sive ramis, quos per concavam jecoris
partem explicat ; vel in extremis ramorum aut potiùs
radicum (ut Galeno placet) ejus flagellis, sive ad in-
testina tendant, sive ad lienem aut quolibet aliò divi-
dantur. Primo modo, radicalium intra jecur canalium
capacitas retinet crassius pigri sanguinis sedimentum.

j.

Page 112, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
Nova de thoracicis lacteis Dissertatio
.

Audio reclamantes extemplò, qui nostra legerint
de cito ex porta sanguinis in jecur motu. Quónam
miraculo fit (inquis) ut pigrum appelles sanguinem,
quem affatim asseris et impetuosè in jecinoris anfra-
ctus irrumpere ? num tantundem effluit per dispersas
in jecur radiculas, quantum in portæ truncum ex ra-
mis infusum est ? Sed ipse memineris à fæculentioris
morâ fluenti dum in angustum pellitur hauriendam
sapientiam. Flumen eâdem mole devolvit undas, ve-
rumtamen non eodem impetu ciet, etiamsi continuo :
Alvei angustia aquam attollens recedentem fluorem
incitat et unà commixtas fæces protrudit, acceden-
tem verò reprimit, et in profunditatem graviora sor-
dium corpora subtus cogit usque ad emissariorum
nonnunquam obstructionem sidere. Habes ita propa-
lam quotidianâ exempli naturalis evidentiâ obstru-
ctorium pariter in certissima mora fæculenti sangui-
nis negotium : et eo pacto fit interdum ejusmodi
emissariorum sanguinis ex radicibus obturatio, ut
nihil in jecur penetret se sanguinis, nisi serosa quæ-
dam humoris sanguinei rubeo liquore exilitas, jecori
sanè detrimento potiùs futura, quàm alimento ;
Hinc hujusce visceris calor extinguitur contrahun-
tur aqueo frigore quoquot cavæ gibbo hepatis er-
rant canales eóque restrictu meatus illi per quos sese
jecur exonerat obducuntur, et ob aqueam plenitu-
dinem relaxata parenchymatis hepatici tunica con-
tentum serum resudat, ad usque asciten hydropisin, in
abdominis capacitatem ; nisi fortè aliorum viscerum
atque adeò inferioris alvi fervida constantia jecoris
defectui suppetias ferat, resolutâ in vapores earum
aquarum copiâ, qui tenso abdomine faciunt tympa-

k.

Page 113, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
Nova de thoracicis lacteis Dissertatio
.

niten. Quod si ultramodum, cum jecoris de-
bilitate, tum assiduo rubescentium ejusmodi aqua-
rum effluxu, cholidocorum pororum meatus etiam
præbeant iis transitum humoribus, certum est, ut in
intestina effusio futura est, ita etiam fluxum produ-
ctum iri, cui hepatici vocabulum indiderunt.

Secundo modo potest etiam in extremis ad me-
senterium splenem-ve ramulis fieri portæ obstructio :
quidni ? si ad introitum, ut supra monstratum est
aquæductus obturari possit, et pariter exitus obfar-
cinari : ac tum si nequeat impulsus continuo cœlia-
cæ arteriæ nixu sanguis in portæ ramusculo transi-
tum reperire, in debilitata caloris, quem jecur in-
validum habet, defectu intestina quidquid est se-
rosius in sanguine et fluidius refundere poterit, eó-
que cum excrementis admixto hæmorrhoën loturæ
carnium similem producere ? hepaticus pariter fluxus,
et si minùs propriè, dicetur hoc pathema, nisi mix-
tæ cum sero illo bilis acrimonia arteriarum corrodat
extremitatem et internam intestinorum tunicam ;
nam ea circunstantia verteret in dysentericum.

Potest idipsum ex radicum portæ in concava je-
coris parte obstructu contingere, impedito sangui-
nis, quem cœliaca arteria continet, refluxu ; sed in
hoc casu splenis dolor est tumór-ve : nempe jecoris
obstructiones, sive in ejus substantia condensentur,
sive in vasculis quæ multiplicia habet, obstipentur,
etiam spleni obstructionem afferunt seu tumorem.
Cum enim nequeat in jecur vena splenica exonerare
se, cogitur in splenem impulsus ab arteria splenica
sanguis in eodem consistere, et eum quantum qui-
dem sinit tunicæ capacitas distendere : ac tum si de-

l.

Page 114, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
Nova de thoracicis lacteis Dissertatio
.

bilitetur splenis tunica, etiam in abdomen pari cum
jecore fato ad hydropisin humores resudabit.

Hinc an mirum videri debeat, si animadversa in
jecore atque liene ejusmodi incommoda etiam in
ventriculo posse contingere suspicemur ? ventricu-
lus totum, quo utitur, à duobus iis præcipuè visce-
ribus calorem mutuatur, quem si debilem excipit,
perperam concludes legitimæ coctioni suffecturum ;
Hinc prava chylosis oritur et cachexia corruptis incocto
chylo humoribus : et cachexiam ejusmodi sanæ men-
tis quilibet non injuriâ debilitati jecinoris acceptam
retulerit. Atque ita suis hepar morbis, hoc est qui
hactenus hepati tributi sunt, minimè (sicut imme-
ritò Riolanus 176. pag. conquestus est) destituetur.

VII. Qvandoqvidem excrementum splen
expurgat melancholicum, ergo nec ipsum ab hepate
per splenicum canalem excipit ; et ideo excremen-
tum illud sicut et bilis ex tota sanguinis massa expri-
mitur, cum indubitatè nullus in jecur chylus succe-
dat, nec in sanguinem proinde illic ullus valeat com-
mutari.

Quod si dixeris per Virsungi canalem in splenicum
parenchyma chylum infundi, reclamabit ratio, nul-
lum est inibi canalium commercium ; contradicit ex-
perientiæ exactum testimonium : Apertis ego sæpius
canum abdominibus, in longum diffidi celeri gladio
duodenum, atque eodem semper exitu reperi cer-
tum quendam instar aquæ limpidæ et aciduli, perexi-
guè tamen ut videbatur, saporis liquorem ex eo ca-
nali in duodenum effluere. Vnde mihi facile per-
suasi canalem eiusmodi naturæ providentiâ lymphæ
sanguinis expurgandæ institutum, atque, in intesti-

m.

Page 115, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
Nova de thoracicis lacteis Dissertatio
.

na, sicut per cholidocos poros bili effluit, effun-
dendæ.

Hunc ego succum putassem esse quem in liene
credidit antiquitas à sanguine separari, verùm solis
propemodum observavi in hominibus ad usque lie-
nem extendi pancreas, in cane, fele, cæterisque ani-
mantibus minori spatio propagare fines suos, ipsum-
que Virsungi canalem jejunum versus perinde ac ver-
sus splenem non exiguæ capacitatis ramum produ-
cere, et ob id censui colum esse pariter pancreas ip-
sum cum splene et jecinore, et in ipso sanguinem
per pancreaticam exceptum arteriam (quæ sanè cœ-
liacæ productio est) limpido hujusmodi liquore
dissociari, quo per Virsungicum canalem in duode-
num deposito colatum demum sanguinem in portam
per varios quos à venâ splenicâ sinu suo pancreas
excipit ramos, iterum secedere : et eâ de causâ, ut
quidem puto, rariori quàm splen aut jecur constat
pancreas parenchymate, utpote quod totum abluat
subtilis et limpidus humor.

Sic apud me conjectabam virsungici canalis usum
cum viri Clarissimi et inter ætatis hujus Anatomicos
oculatissimi Thomæ Bartholini de vasis lymphaticis li-
ber curiosum ad novos labores exantlandos animum
provocauit. Ecce diffissa viventis, quæ infima est, ca-
nis alvo meatus exquiro lymphaticos : hi trunco venæ
portæ hederaceo more suffulti, statim avidissimis ac-
cersitorum ad spectaculum amicorum oculis exhi-
bent se se ; ac tum encomiis æternæ detectoris Bar-
tholini
memoriæ decantatis, alios duodenum versus,
versus mesenterij centrum alios incilium instar de-
currentes multiplici stringo seorsim à porta ligami-

n.

Page 116, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
Nova de thoracicis lacteis Dissertatio
.

ne. A jecore omnes ad vinculum turgidi, aliorsum
flaccescentes exertissimos obtutus effugiebant ; la-
xato demum vinculo, exundans è jecore lympha per
varios rursus aspectabilis latices evidentissimis aquæ-
ductuum curriculis in pancreas irrepere videbatur.
Num autem ramusculus aliquis in nostrum chyli re-
ceptaculum descenderet, quantâcunque diligentiâ
constantem dudum perspicuos intra ductus lympham
conarer deducere, frustranei aliò à pancreate laboris
tædium operationi finem imposuit.

Non diu vacavit exactiori diligentiâ totum verita-
tis mysterium evolvere. Non est Aletophili sudo-
rem metuere ; nec parcendum labori est ubi cona-
men secutura felicitas.

Novum igitur placuit, non sine canum dispendio,
extispicium iterare, statimque (apertâ alvo infimâ)
venas indagare lymphaticas. Omnes trunco portæ va-
riis invicem euripis dissitæ cohærebant : aliæ duode-
num versus ad pancreas eodem fere cum splenicâ de-
cursu pertingebant : alias mesentericum sectari ra-
mum dixisses, ast ubi secundum circiter à jecore
pollicem attingerant, juribus suis commissæ in varias
sese chylosi receptaculi partes, Asellianarum instar la-
ctearum, insinuabant ; sicut evidentissimè patuerit
lacunam ejusmodi (post exhaustum digiti pressurâ
chylum exsudante è venis pellucidioribus lymphâ)
retumescere. Ego, inquam, quod multis dubium
fuerat quis venarum usus lactearum et receptaculi
nostri in jejunis animantibus aut fœtu, queis chyli
suspicio nulla, penitus solutum est ; quæ enim otiosa
credidisses ea excipiendis vides confluentium aqua-
rum diluviis occupatissima.

o.

Page 117, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
Nova de thoracicis lacteis Dissertatio
.

Nec minùs est evidens virsungici canalis usus, eli-
minandis videlicet aquis in jecore vel in ipso etiam
pancreate transcolatis. Vsum confirmat utriusque
lymphæ per vasorum è jecore micantium supra por-
tæ truncum vulnus, atque intra duodenum è canali
diffusæ virsungico et sapor et fluor et claritas.

Et licet excrementum sanguinis aqueum ejusmo-
di liquorem existimem, non eum tamen suspicer
inutilem usquequaque ; In chyli cupam defluit, ne
superstes intrò crassior et visciosior chylus lacunæ pe-
netralibus adhærescens ex diuturniori morâ putres-
cat, aut indurescat, sicque apta fiat obstructionibus
materies ; sicut ei lavacro opus fuerit quo ad subcla-
vias venas unà cum fluidiori liquore amandetur ;
Adde virtuti lotivæ, ex acidiusculo succo, sanguinis
ipsius aut chyli fermentativam. In intestina diffundi-
tur, ut bilis mordacem reprimat impetum ; atque hinc
in homine sæpius commune cum poris cholidochis
intra duodenum ostium canali virsungico natura con-
cessit, in animantibus autem cholidochæ, ut pluri-
mum, carunculæ pancreatici canalis alteram suppo-
suit. Quidni etiam huiusmodi lympha in intestina
defluens confunditur alimentis, ut dissolventis for-
sitan unà cum bile spiritûs fungatur officio, et ex iis
quæ crassiora sunt et terrestria magis, chylum expri-
mat, et in venas lacteas eidem penetratoriæ virtutis
conferat subtilitatem ?

Quod per Virsungi canalem nullus in humanum
splenem chylus influat, ex aliâ rursus observatione
colligo ; nimirum ex communi utplurimum in homi-
nibus, sicut dictum est, ejus canalis cum cholidochis
potis ostio, et ob id infero nullum illac chylo transi-

p.

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Nova de thoracicis lacteis Dissertatio
.

tum, ne eodem in alveo contrarios duorum liquorum
motus, bilis videlicet ab hepate ruentis descensum,
et sursum versus in splenem copiosum chyli ascensum
cogamur admittere.

Nec facilius adduci possum, ut credam ex imo ven-
triculo à splene chylum excipi, uti nec aquas super-
fluas, quas ad renes deferat ; nullum quippe inter illa
duo viscera nisi per splenicæ venæ ramos commer-
cium, qui quidem per splenis corpus sparsi sinistro
demum ventriculi lateri vasculis brevissimis appli-
cantur : et hi certè chylum aut ventriculi serum non
in splenis ipsius parenchyma (circulationis leges pro-
hibent) non in vicinos renes (eò nempe splenica vena
non fluit) at in jecur canali continuo trans splenem
et in effusa, et cum sanguine splenicæ confusa de-
volverent.

Neque enim simile vero est quod eis iter aquis
Riolanus tribuit pag. 168. dum ait ideoque illæ mi-
nerales et vinum exsuguntur à liene per venas in latus si-
nistrum ventriculi dispersas, dein per arteriam splenicam
peculiarem lieni celeriter traducuntur in arterias emulgentes
 :
nam impulsus in lienem assiduo arteriæ splenicæ im-
petu sanguis, ut illic (nisi quidem mea me fallat opi-
nio) terreas fæces deponat, seri ejusmodi refluxum
per eundem canalem impediat necesse est, nisi ma-
luerimus eodem in alveo duorum, ut dixi liquorum
æquali fluore contrarios motus admittere.

Existimem igitur ego crassiori nigriorique trans-
euntis sanguinis substantiâ nutriri splenem, illâque
depositâ colatum et expeditiorem sanguinem per
splenicam in jecur secedere, ut faciliorem illuc san-
guini per ramos portæ transitum eâ, quam acquisivit,

q.

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Nova de thoracicis lacteis Dissertatio
.

fluiditate præstet, ac demum cum reliquo sanguine
excrementalem exoneret in hepate bilem, ingratum
scilicet liquorem, cui ex assidua et forsitan crebrio-
ris in corde recoctionis ferventiâ manifestus ama-
ror est.

Ex tanta sanguinis copia, támque multiplici ar-
teriarum numerositate lienem specto quasi alterum
jecur, id est æmulum hepati æstuarium, proprio quo-
que fomite Ventriculari coquinæ calorem submini-
strans ; et eam ob rem naturæ providentiâ factum
puto, ut bibulæ magis animantes ampliori splene
donatæ sint : ventriculus nempe talium ad coctionem
legitimam densiore indiget adversus aqueum frigus
incalescentiâ. Versâ pariter vice, quæ parum bi-
bunt exiguum splenem habent, uti nullum ne vel re-
nes, atque adeò vesicam urinalem, quæ bibunt nun-
quam ; Ea notavit Aristotelis sagacitas ; utpote queis
hepaticus sufficit calor. Perperam ergo Riolano pag.
168. lien creditur appositus ventriculo, ut ex eo attrahat
superfluas humiditates
.


Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean Pecquet, Nova de thoracicis lacteis Dissertatio (1654) : Expérience i

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(Consulté le 14/06/2024)

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