Je vous eusse plus tôt écrit si je n’eusse espéré de parler à MM. Seguin [2] ou Cousinot, [3] le premier desquels n’est pas en cette ville, et le second que je n’ai pu encore attraper depuis la vôtre reçue. Je vous écris néanmoins afin que ne soyez pas davantage en peine. Je ne crois pas que M. Bouvard [4] vous puisse faire continuer votre syndicat, [5] outre que je ne sache personne qui l’en veuille prier, pas même M. Cousinot : le bonhomme n’est pas comme le grand prêtre Héli, [6] qui nimium erat indulgens in suos ; [1] et pour ce faire il faudrait avoir un arrêt du Conseil, contre lequel vos jeunes s’opposeraient, n’étant donné que sur simple requête et parties non ouïes. [2] Il faut qu’en cela la coutume vous juge, et sans doute que le Parlement en jugera ainsi. Si on s’en rapporte à l’usage de notre École, notre doyen [7] est changé de deux en deux ans, et un nouveau établi selon les statuts, [8] lequel est appelé à la visite et à l’examen des apothicaires [9] et des chirurgiens. [10] Si votre coutume immémoriale est formellement contraire à cela, c’est à vous à l’exhiber et à la faire valoir car, si celui qui a eu devant vous le syndicat ne l’a eu perpétuel en sa personne, on vous montrera l’usage formellement contre vous ; et en ce cas, ne le pourrez retenir si vous ne récusez d’incapacité ceux qui veulent jouir du même droit. Voilà ce que m’en a dit un homme qui sait plus de ces affaires-là que MM. Seguin ni Cousinot. Excusez si je vous en parle librement, nec fortassis omnino ex voto tuo. [3] Je vous envoie deux thèses [11] qui me plaisent bien fort, l’une pour être bien polie et l’autre pour contenir bien de la doctrine. Je vous remercie de la vôtre, De idengraphia, [4] de laquelle je vous envoie le manuscrit que j’en avais de l’an 1624. M. du Chastelet [12] mourut ici d’hydropisie, [13] il y a aujourd’hui huit jours. [5] Hier à onze heures y mourut subitement [14] et inopinément la femme du premier président de la Cour des aides, [15] après avoir pris un breuvage que lui avait donné Séviny, [16] empirique [17] italien, qui l’avait invitée sanam et valentem [6] de le prendre pour se rafraîchir et delà s’en aller aux champs. Elle ne se servait que de ce charlatan [18] à cause qu’elle haïssait la saignée ; [7][19][20][21] elle n’y a guère gagné. Je ne vous mande rien de nouveau de la guerre, vu que tout est ici fort incertain ; je ne m’attends pas à la paix sitôt. Je vous baise très humblement les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Patin.
De Paris, ce 12e d’avril 1636.
Ms BnF no 9358, fo 34 ; Triaire no xxviii (pages 101‑102) ; Reveillé-Parise, no xxi (tome i, pages 35‑36).
« qui avait trop d’indulgence pour ses fils ».
Le Livre de Samuel rapporte les désordres des fils du grand prêtre Héli, Hophni et Phinées, leur rapacité, leurs violences et leur libertinage. Déjà vieux, Héli ne pouvait les réprimer et irritait Dieu en montrant trop d’indulgence à leur égard. Ils allaient probablement succéder à leur père lorsque, heureusement pour les Hébreux, ils furent tués dans une bataille contre les Philistins, où ils étaient allés accompagner l’arche sainte qui tomba entre les mains de l’ennemi. Héli, en apprenant ces fatales nouvelles, tomba de son siège et se tua. Il avait 98 ans et sa judicature en avait duré 40. Samuel lui succéda (G.D.U. xixe s.).
Le Collège des médecins de Troyes (v. note [1], lettre 52) était alors sans doute agité par une querelle, où les jeunes devaient contester une organisation donnant la prééminence perpétuelle aux deux plus anciens (sans élection), qui portaient respectivement les titres de doyen (décanat) et de syndic (syndicat). Troyes était placée sous la juridiction du Parlement de Paris.
« On dit des jugements qu’ils sont rendus parties ouïes, ou par défaut [parties non ouïes] » (Furetière).
« et peut-être pas tout à fait à votre goût. »
« De la brillante écriture » (hellénisme). Le catalogue Baron ne répertorie pas de thèse médicale parisienne sur ce thème entre 1620 et 1624.
« saine et bien portante ».
Guy Patin a beaucoup employé le mot empirique, dont son maître Galien a bien marqué le sens médical premier dans son traité De Sectis ad eos qui intoducuntur [Des Sectes, pour ceux qui commencent en médecine (ou pour les étudiants)] (Daremberg volume 2, pages 376‑377) :
Dans le livre iii de son traité De Methodo medendi [La Méthode pour remédier] (Kühn, volume 10, page 159), Galien a nuancé cette opposition radicale entre les deux sectes médicales :« Ceux qui procèdent exclusivement de l’expérience {a} sont appelés par dérivation empiriques ; {b} ceux qui prennent leur point de départ dans le raisonnement ont reçu de la même manière le nom de rationnels ; {c} ce sont les deux sectes premières de la médecine : l’une n’invoque que l’expérience pour trouver les moyens thérapeutiques, l’autre a recours aux indications, {d} et on a coutume d’appliquer à l’une le nom d’empirique et à l’autre celui de rationnelle ; on a coutume aussi d’appeler la première des ces sectes observatrice et mnémonique, {e} et la seconde, dogmatique et analogistique (raisonnante). {f} De même, les médecins attachés à l’une ou à l’autre secte son dits empiriques, observateurs et annalistes des phénomènes s’ils s’en tiennent à l’expérience, ou rationnels, dogmatiques et analogistiques (raisonneurs) s’ils admettent le raisonnement. »
- Experientia en latin, εμπειρια (empeiria) en grec ; le latin dispose d’un autre mot, periculum, qui dispose de l’intéressant double sens d’expérience et de danger : de fait, il n’y a guère d’expérience dénuée de péril.
- Empirici, εμπειρικοι (empeirikoï).
- Ou logiciens, rationales, λογικοι (logikoï).
- Ou au raisonnenement, ratio, λογος (logos).
- τηρητικην τε και μνημονευτικην : observatrice (têrêtikên) et mnémonique ou commémorative (mnêmoneutikên, fondée sur la mémoire des observations antérieures).
- δογματικην τε και αναλογιστικην : dogmatique (dogmatikên) et déductive ou analogistique (analogistikên, fondée sur l’analogie).
Ac empirici quidem per experientiam invenire omnia contendunt, nos partim experientia, partim ratione, quum neque illa invenire omnia queant neque sola ratio.
[Les empiriques cherchent certes à découvrir toutes choses par l’expérience, mais nous le faisons partie par l’expérience, partie par la logique, puisque ni l’expérience ni la logique ne peuvent à elles seules découvrir toutes choses].
Pour Galien, comme pour Patin, le bon médecin galéniste devait donc être à la fois empirique et rationnel (dogmatique) ; et Patin assimilait l’empirique pur, praticien sans dogme, au charlatan (v. note [16], lettre 6) et au chimiste polypharmaque (v. note [22], lettre 601). Ce glissement de sens est bien attesté par Furetière dans sa définition du mot empirique :
« médecin qui se vante d’avoir quelques secrets fondés sur l’expérience et qui ne s’attache pas à la méthode ordinaire de guérir. Il se dit particulièrement de ceux qui se servent de remèdes chimiques tirés de la préparation des métaux et des minéraux. Les médecins de la Faculté de Paris traitent tous les autres d’empiriques, de charlatans. »
Procédé thérapeutique employé pour tirer du corps le sang qu’on considère comme corrompu ou superflu, la saignée est aussi vieille que la médecine : elle s’est pratiquée depuis la plus haute Antiquité et fait plus curieux, dans toutes les civilisations humaines. Cette universalité historique et géographique a mené à croire que l’homme a tiré la saignée de l’observation des animaux, avec la fameuse histoire, que narre Pline (v. note [5], lettre 64), de l’hippopotame qui s’ouvre une veine en se frottant contre un roseau pointu, puis se vautre dans la boue pour étancher son sang.
Hippocrate (ve s. av. J.‑C.) proposait la saignée, mais son plus grand zélateur antique fut Galien (iie s. de notre ère) ; son usage n’a commencé à décliner qu’au milieu du xixe s. L’abus de la saignée et ses accidents fréquents lui firent naître des opposants. Au fil des siècles, la liste de ces « hématophobes » (v. note [7], lettre 480) est devenue aussi longue que celle de leurs contradicteurs : on y trouve, par exemple, Érasistrate (iiie s. av. J.‑C.) et parmi les contemporains de Guy Patin, Van Helmont, meneur de l’École chimique, à qui la saignée inspirait la plus grande horreur.
Parmi beaucoup d’autres, Julien Bineteau a hardiment conspué la phlébotomie dans sa Saignée réformée… (La Flèche, 1656, v. notre bibliographie). Sa Préface est transcrite et commentée dans la note [9] de sa lettre du 8 octobre 1651. Il y contestait notamment le fait que Galien eût prôné la saignée aussi vigoureusement que le prétendaient ceux qu’on surnommait « saigneurs » ou « sangsues », dont Patin était l’une des figures de proue (v. infra).
Au xviie s., la saignée était prescrite par le médecin et réalisée par le chirurgien barbier, dont c’était la plus importante source de revenus. Il s’agissait ordinairement d’une phlébotomie (du grec phleps, veine, et temnein, couper) : section d’une veine (venæ sectio en latin), à l’aide d’une lancette (lame acérée, tranchante sur les deux bords), pour recueillir le sang dans une poêlette (ou palette, sorte d’écuelle pouvant contenir environ trois onces, soit une centaine de grammes de sang, et à peu près autant de mililitres). Patin, comme ses collègues, était extrêmement attentif au choix de la veine à sectionner (son côté, sa localisation qui, outre le bras, pouvait être la jambe, le cou, voire la tête), ainsi qu’à l’apparence du sang qu’on tirait, allant jusqu’à y voir de la boue ou des vers, qui n’étaient sans doute que des illusions créées par l’état plus ou moins avancé de la coagulation dans la palette. La conception galénique (pré-harveyenne) de la circulation du sang menait à rejeter la saignée des artères (artériotomie) : on croyait que le sang « actif » (mêlé aux trois autres humeurs, dont le mauvais mélange [tempérament] engendrait les maladies) n’était contenu que dans les veines ; il n’y avait donc pas lieu d’en tirer des artères. La section accidentelle d’une artère était regardée comme une complication fâcheuse de la phlébotomie. Patin n’a pas évoqué dans ses lettres l’emploi des sangsues, bien que cette autre manière de saigner fût connue et pratiquée de son temps.
Après avoir beaucoup lu et médité sur les anciennes indications de la saignée, je pense que la plupart correspondaient à ce qu’on appelle aujourd’hui les maladies inflammatoire (le plus souvent accompagnées de fièvre), et que ce traitement était un ancêtre des médicaments anti-inflammatoires, dont les corticoïdes (hormones stéroïdes produites par les glandes surrénales) occupent le premier rang depuis le milieu du xxe s. Le plus franc succès de la saignée s’observait néanmoins dans la défaillance cardiaque gauche responsable de suffocation par œdème du poumon, mais de puissants remèdes spécifiques l’ont désormais surpassée. La médecine moderne ne recourt plus couramment à la saignée que dans deux maladies : la polyglobulie, qui est un excès de globules rouges dans le sang, et l’hémochromatose, qui est un excès de fer dans l’organisme.
Patin était, comme le démontre amplement la suite de sa correspondance, un adepte déclaré de la saignée : son indication, dans la cure comme dans la prévention de toutes les maladies, n’était pas à remettre en cause ; à l’en croire, on ne saignait jamais trop, mais toujours insuffisamment. Le débat se limitait au choix de la veine à couper, et surtout au moment le plus opportun : l’idéal était, en théorie du moins, d’éviter la crudité du mal (première phase), pour saisir la transition entre la coction (deuxième phase) et la crise (troisième phase, qui aboutissait à la guérison ou à la mort) ; et pour aider alors la Nature, à évacuer le principe morbifique accumulé dans le sang. La saignée répétée que Patin a souvent recommandée avec obstination dans ses prescriptions vidait les réserves en fer de l’organisme et engendrait une anémie qui affaiblissait le patient et aggravait sa maladie. Patin a signalé un emploi de la saignée qui confinait au vampirisme dans le chapitre ii de son Traité de la Conservation de santé (v. sa note [68]).