L. 130.  >
À Claude II Belin,
le 16 décembre 1645

Monsieur, [a][1]

Je vous écrivis il y a environ huit jours une lettre que je pensais vous envoyer par monsieur votre fils [2] et l’avais donnée à mon fils, [3] le logicien, afin qu’il la lui délivrât en classe pour l’enfermer avec les siennes ; [1] mais je l’ai reprise de mon fils qui m’a rapporté que depuis huit jours son compagnon ne va pas en classe. Je ne sais s’il est malade ou autrement, mais s’il est malade, il me devrait avoir mandé et n’aurais pas manqué de le visiter. J’ai peur qu’il n’y ait quelque désordre en son fait ou quelque débauche ; néanmoins, je m’en enquerrai dès demain. Il y a plus de six semaines que je ne l’ai point vu et même, je ne l’ai vu qu’une fois depuis la Saint-Rémy ; ce que j’ai dissimulé doucement en attendant que je le pusse voir, mais je me tiens obligé de vous en donner avis puisqu’il perd ses leçons. Je recevrai votre thèse [4] de bon cœur puisque vous le voulez, j’entends celle de Bâle ; [5] et en récompense, je vous en enverrai une belle de deçà et fort bien faite, qui est contre l’antimoine ; [2][6] avec quelque autre chose qui est sur le bureau lorsqu’il sera achevé, avec notre arrêt [7] contre le Gazetier [8] et les deux harangues de M. de La Vigne. [9] Je pense que le libelle de Montpellier [10] nous obligera de réimprimer cet arrêt et ces harangues, et autre chose qui viendra ensuite. Miserandum scripsit libellum super ea controversia Decanus, ille Curtautius ; si in curandis ægris nil plus videt, væ miseris[3][11] Vous savez bien que les Espagnols ont repris sur nous en deux heures le fort de Mardyck. [12] Nous sommes mal avec Rome où on persécute le cardinal Antonio [13] que nous avons pris en notre protection. [4] On parle ici de censurer le livre de M. de Saumaise [14] de Primatu Papæ et je pense bien qu’on en viendra là. [5] Le 7e de ce mois est ici mort M. de Saint-Jacques l’aîné [15] qui a fait un miracle avant que de nous quitter, étant mort sans rendre l’esprit, qu’il avait perdu six mois devant. Je vous baise les mains, et à madame votre femme, et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 16e de décembre 1645.


a.

Ms BnF no 9358, fo 96 (inversion des fos 96 et 97) ; Triaire no cxxxiii (pages 489‑490).

1.

V. note [1], lettre 129, pour ces relations de collège entre les fils aînés de Guy Patin et Claude iii ou Jean-Baptiste Belin, fils cadet de Claude ii.

2.

Thèse quodlibétaire disputée le 20 décembre 1645 par le bachelier Pierre Régnier, sous la présidence de Jean Forestier : An contumacibus morbis ex stibio purgatio ? [La purgation par l’antimoine convient-elle dans les maladies rebelles ?] (conclusion négative).

V. note [5], lettre 129, pour la thèse de Bâle.

3.

« Ce Courtaud, doyen, a écrit un lamentable libelle sur ces controverses ; malheur aux misérables s’il n’y voit pas plus clair dans la manière de soigner les maladies. »

V. notes [3], lettre 129, pour le discours de Siméon Courtaud, et [59], lettre 104, pour l’arrêt du Parlement contre Renaudot et les deux discours latins de Michel de La Vigne. La Diffibulatio (v. note [4], lettre 137) et le Cantherius in fossa (v. note [56], lettre 348) allaient venir bientôt.

4.

Le cardinal Antonio Barberini (Rome 1607-Nemi, diocèse d’Albano, 3 ou 4 août 1671), connu sous le nom du cardinal Antoine (ou Antonio), était neveu du pape Urbain viii, et frère benjamin de Francesco (le cardinal Barberin, v. note [7], lettre 112) et de Don Taddeo (v. note [8], lettre 132) Barberini. Nommé cardinal en 1628, il avait bénéficié de toutes les largesses dévolues à sa famille. Le frivole Antonio et le rugueux Francesco, son aîné, avaient été les propulseurs de Mazarin dans le monde politique et diplomatique de l’Italie du Nord.

Dans ses Mémoires, Retz a écrit (page 305) que Mazarin « eut [en 1634] la nonciature extraordinaire en France par la faveur du cardinal Antoine, qui ne s’acquérait pas, en ce temps-là, par de bons moyens ».

Protecteur des affaires de France en cour de Rome pour 32 000 écus de pension annuelle, Antonio aurait dû faire partie du clan français dans le conclave de 1644, mais s’était fort mal acquitté de sa mission en favorisant l’élection d’Innocent x, contre les ordres formels de Mazarin (v. note [2] et suivantes, lettre 112). Antonio ne tira aucun bénéfice de sa trahison car, soumis aux poursuites du nouveau pape, il dut se réfugier à Paris en septembre 1645, où on le haïssait moins. En 1653, il reçut l’évêché de Poitiers, et les titres de grand aumônier de France et de chevalier du Saint-Esprit, tandis qu’il se réconciliait avec Innocent x. Revenu dès lors à une plus grande rigueur religieuse, il devint un des meneurs de la lutte contre le jansénisme, et reçut en 1657 l’archevêché de Reims.

5.

V. note [6], lettre 62, pour le livre de Claude i Saumaise « de la Primauté du pape » (Leyde, 1645).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 16 décembre 1645

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(Consulté le 26/04/2024)

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