L. 348.  >
À Charles Spon,
le 1er mai 1654

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 1er mai 1654

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(Consulté le 19/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Je crois que vous avez reçu ma dernière des mains de M. Falconet votre collègue, datée du 17e d’avril. Depuis ce temps-là, le curé de Saint-Paul [2] a reçu ordre du roi [3] de se retirer en sa maison des champs pour avoir troublé le sermon du P. Lingendes, [4] glorieux loyolite prêchant dans Saint-Paul. [1][5][6] On avait, en délibérant sur cette affaire dans le Conseil, avancé quelque chose de pis, mais pour ce coup, on a trouvé bon d’en demeurer là. Les curés de Paris commencent à s’assembler pour faire en sorte que leur confrère leur soit rendu, ce qui pourra enfin arriver après quelques jours de pénitence. Voilà le commencement d’une guerre de gens désarmés et qui n’ont pour tout canon que celui de la messe, et pour épée que le bâton de la croix. [2][7] Cette controverse ne tuera personne, mais seulement engendrera quelques livrets à l’avenir, dont nous rirons. Si j’étais l’arbitre de ce différend, je sais bien ce que j’ordonnerais là-dessus : j’ai un secret infaillible pour les accorder, mais je ne le révélerai point si on ne m’appelle à l’assemblée où elle se doit juger. [3] Les jésuites se targuent du crédit qu’ils ont à la cour, et principalement du P. Annat [8] qui a tout nouvellement été pris pour confesseur du roi. Ne vous souvenez-vous pas bien de ce qu’a dit Buchanan [9] in Franciscano :

Sancta quidem certis fulcitur secta columnis,
E quibus imprimis locuples Confessio largo
Proventu gnarum non deceptura colonum, etc. ?
 [4][10]

C’est un point de la foi qui leur donne grand crédit car par ce moyen, penetrant aulas et limina Regum ; scire volunt secreta domus, atque inde timeri, etc[5][11][12] Mais nous avons beau nous plaindre, frustra gemimus[6] il sera toujours des moines [13] et des flatteurs, des imposteurs et des faux monnayeurs ; [14] donec erunt homines, vitia erunt ; [7][15] le monde aime trop à être trompé, il ne s’en saurait passer.

Ce < mardi > 21e d’avril. On danse aujourd’hui le ballet du Louvre, [16] qui est très beau, pour la troisième fois. [17] Jeudi prochain ce sera pour la quatrième, et puis il en viendra encore quatre autres après. [8] Quoi fait, on dit que le roi s’en ira à Fontainebleau [18] ou à Compiègne [19] pour faire passer les troupes. On parle toujours fort douteusement des Anglais et de leur armement. Les dernières lettres de Rome portent que le pape [20] était tombé dans une apoplexie : [21] gare la triple tiare du bonhomme[9] On dit qu’à Montpellier [22] s’imprime quelque chose contre M. Riolan [23] touchant la Circulation du sang[24] je vous prie d’en savoir quelque nouvelle si vous y avez de la connaissance. C’est un médecin de M. de Vendôme, [25] nommé M. Du Four, [10][26] qui l’a dit à M. Riolan même, avec lequel j’ai consulté ce matin et lequel m’a dit que l’on parle de faire partir dans huit jours, [27] à la cour, M. le prince de Conti [28] pour la Catalogne [29] avec M. le maréchal d’Hocquincourt [30] qui sera son lieutenant général ; que l’on va faire dans le Bois de Vincennes [31] un nouveau bâtiment, que le marché en est fait à 500 000 livres[11] que le roi s’y retirera souvent et sera là-dedans souvent enfermé afin de n’être vu de guère de monde ; qu’il y aura grande chasse dans ce bois et là alentour, pour l’entretenir ; que l’on ôte le gouvernement de la Lorraine [32] à M. le maréchal de La Ferté-Senneterre, [33] qui demeurera au Mazarin, [34] etc.

Ce 25e d’avril. Le prix du bâtiment du Bois de Vincennes est changé ; d’autant que le roi n’a point d’argent, on n’y en emploie point tant. Le Mazarin lui prête seulement 200 000 livres pour faire un corps de logis qui sera bien plus tôt fait, car l’autre du premier dessein eût été quatre ans à bâtir.

Dans huit jours le roi s’en va à Fontainebleau où il sera suivi de toute la cour ; et tôt après, le prince de Conti partira pour Catalogne avec le maréchal d’Hocquincourt, qui sera son lieutenant général.

On parle ici d’une trêve de cinq ans avec l’Espagnol, à la charge que le prince de Condé [35] s’en ira passer un an à Venise et qu’après il viendra à la cour. Aliæ quoque nugæ effutiuntur de rebus aulicis, sed non ego credulus illis[12]

M. Moreau [36] m’a dit aujourd’hui qu’il travaillait à la vie de feu M. Naudé [37] et qu’il y mettait toutes les particularités qu’il savait d’an en an. Je suis ravi qu’il en veuille prendre la peine, j’espère que cela sera bon. Il se porte mieux qu’il n’a pas fait par ci-devant et < je > souhaite fort qu’il puisse achever ce travail pour l’heureuse et honorable mémoire de notre bon ami ; et qu’après, il nous donne son École de Salerne [38] raccommodée et augmentée comme il en a le dessein ; [13] mais vous savez bien que omnia sunt senibus metuenda[14] et le vieux proverbe hébreu, Iuvenes mori possunt, senes diu vivere non possunt[15][39] Nous avons ici son compagnon d’âge fort malade ex abscessu latente in mesenterio, qui per alvum et frequentem purgationem debet exhauriri[16][40] comme cela lui est déjà quelquefois arrivé : c’est M. Merlet [41] le père, âgé de 70 ans et plus, duquel on imprime le livre contre le Gazetier [42] et l’antimoine, [17][43] et qui nous veut donner, de sa façon, un commentaire in Epidemicas historias Hippocratis[44] après Galien, [45] Vallesius, [46] Mercuriali [47] et Phrygius. [18][48] Je voudrais bien qu’il ne mourût pas si tôt et qu’il vît cela imprimé ante obitum[19]

Je viens d’apprendre qu’enfin les héritiers de feu M. Naudé ont conclu le marché de sa bibliothèque [49][50] qu’il leur a laissée : le Mazarin la prend pour 10 000 francs, lesquels ont été comptés et livrés. [20][51]

Je vous supplie de dire à M. Devenet [52] que je lui baise les mains et que je le remercie d’un catalogue de ses livres que l’on m’a délivré de sa part, chez M. Bertier [53] (il y a merveilleusement des fautes, je pensais que l’on n’en fît qu’à Paris), [21] et vous supplie très instamment, en continuant mes importunités vers votre bonté, de m’acheter chez lui les livres suivants : Carcanus de Cordis vasorum in fœtu unione, etc. et le Cremoninus de sensibus internis, externis, et facultate appetitiva, in‑4o[54][55] qui sont tous deux cités dans cedit catalogue, page 73, en blanc ou reliés, il n’importe, je vous prie de les prendre tels que vous les trouverez ; [22] comme aussi Aulæ tyrocinium per Tilmannum in‑4o[23][56] Bosquieri Pilatus, quis et cuius ? [24][57] Vita Lutheri per Cochlæum in‑8o[25][58][59] Peucerus de Henrici iv Periculis in‑4o[26][60] Reinerus Reineccius de Familiis quæ mundum gubernaverunt in‑fo[27][61] Sanderi Gandavum in‑4o[28][62][63] Tabula compendiosa de origine, successione, ætate et doctrina Philosophorum in‑8o[29][64] Tabula chronographica ex collatione temporum, Hebræorum, Italorum, Chaldæorum, Ægyptiorum, ab Adamo ad I. Christum (c’est en la page 98), [30][65] Vernulæi Henricus viii seu Schisma Anglicanum in‑8o[66][67] eiusdem Dissertatio de peregrinatione in Italiam, Hispaniam, Galliam et Germaniam (page 99), [31][68] Balinghem contra Intemperantiam in‑8o[32][69] Epitaphia Augustanæ civitatis per Praschium in‑4o[33][70] Lapis Lydius inediarum prodigiosarum in‑12, [34][71] Martini Quæstionum philosophicarum centuria decem in‑4o[35][72] Mureti Institutio puerilis in‑8o[36][73] Metaphysica universalis Rutgersii in‑8o[37][74] Oratio Bertii ante explicationem libri Senecæ de vitæ Brevitate in‑4o[38][75][76][77][78][79] Physica dubia Zapfii in‑8o[39][80] Rugerii Orationes et declamationes oratoriæ in‑8o[40][81] Ruthardi Usus rationis humanæ in‑8o[41][82] Souterii Pædagogus divitum, seu de luxu et vero opum usu in‑8o[42][83] Theophili Raynaudi Sandapila hæreticorum in‑16, [43][84] Refutatio totius doctrinæ Calvinianæ per Schultingium in‑4o[44][85][86][87] Causes véritables des malheurs d’Espagne par Eus. Nier. [88] in‑8o, Prodigieux enfant pétrifié en la ville de Sens in‑8o[45][89][90] En voilà plusieurs, mais je pense que la plupart sont petits. Je vous prie de les payer argent comptant et de les faire porter chez vous afin de m’en faire un paquet avec d’autres qui se pourront rencontrer, et de me mander quelle somme vous en aurez déboursée afin que l’argent vous en soit porté chez vous sur-le-champ par l’associé d’un marchand que j’ai ici mon voisin. Excusez mon importunité à laquelle je pense que vous êtes tout accoutumé. Cette mienne bibliomanie [91] vous fait souvent de la peine, mais peut-être que je serai plus sage et plus supportable l’année qui vient. Pour vous soulager de telles peines que je vous donne, souvenez-vous du proverbe latin, Amici vitia noveris, non oderis[46][92] Je viens d’apprendre que la reine de Suède [93] a tout à fait quitté la royauté et qu’elle s’est réservé une grosse pension ; qu’elle s’en va voyager en Italie sans passer par la France ; et que son cousin, le prince palatin, [94] est reçu et reconnu roi et qu’il se va marier à une autre dame, laquelle deviendra reine, [95] et celle-ci sera individuum vagum[47] Elle veut voir l’Italie, le royaume de Naples, [96] la Sicile, la Grèce, Constantinople, [97] le Pont-Euxin, [98] la Perse, et puis enfin elle mourra comme ceux qui n’auront point voyagé. Enfin, elle quitte de son plein gré une place que beaucoup d’autres auraient briguée et ardemment souhaitée, qui est, au sens de Juvénal, [99]

Summus nempe locus, nulla non arte petitus, etc. [48]

Je suis bien en peine de M. Alcide Musnier, [100] médecin de Gênes, [101] notre bon ami. J’ai grande peur qu’il ne soit mort, il y a trois mois entiers qu’il ne m’a point écrit ; il était faible et délicat. Je suis assez malheureux pour cela, et en train de perdre mes bons amis depuis deux ans. Depuis que j’ai vu cette longue interruption de lettres, j’ai soupçonné ce qui pourrait bien être, et en demeure saisi d’une juste et forte appréhension jusqu’à ce qu’il m’en vienne de l’éclaircissement, quod utinam sit felix et gratum[49]

Ce 1er de mai. Nous sommes ici à la veille de quelque désordre à cause des Anglais qui se sont saisis de plusieurs barques de pêcheurs appartenant à ceux de Saint-Malo ; [102] lesquels par représailles se sont jetés sur les Anglais qui étaient dans Saint-Malo, ont arrêté leurs effets et leurs marchandises ; plaintes de part et d’autre, cela ne peut pas être sitôt assoupi. [50] Mardi dernier on fit sortir un régiment d’infanterie sur-le-champ, qui était là-dedans en garnison, dans Beauvais, [103] que l’on dépêcha aussitôt à Calais. [104] Il y a de l’apparence que quelque entreprise est à craindre de ce côté-là, tant de la part des Anglais que du prince de Condé. Cette puissance si grande et si forte de Cromwell [105] doit faire peur aux deux couronnes, lesquelles en ressentiront bientôt de mauvais effets et grand affaiblissement si elles ne s’accordent ensemble pour réprimer la nouvelle République de Londres ; si bien que nous ferions bien de faire la paix générale et particulière, combien que tel ne soit pas le profit des mignons ; sed talis sapientia apud nos non habitat[51][106]

Je vous supplie de dire à M. Barbier [107] que j’ai eu l’honneur d’entretenir M. Gassendi [108] et que nous avons fort parlé de lui ; que c’est une chose réglée et arrêtée, dont je suis fort aise, qu’il imprimera sa Philosophie d’Épicure en trois volumes in‑fo. Il est fort déplaisant de ce que son in‑4o, qui est ici sur la presse, s’achève si lentement. Il a peur qu’il ne soit fait qu’à la Saint-Jean ; il n’y a pourtant plus à imprimer que quelques petits opuscules, et dès qu’il sera dégagé et délivré de ce travail de lire les épreuves, il mettra sa copie en ordre afin de l’envoyer à M. Barbier à la Saint-Michel, qui est à la fin de septembre, sunt ipsissima eius verba[52]

Il y a ici un livre nouveau d’environ 30 feuilles in‑4o qui se vend chez un nommé Piot, [109] dans la rue Saint-Jacques, [53][110] sans nom d’auteur et sans privilège du roi ; en voici le titre : Seconde Apologie de l’Université en médecine de Montpellier, répondant aux Curieuses recherches des universités de Paris et de Montpellier, faites par un vieil docteur médecin de Paris. Envoyée à M. Riolan, professeur anatomique, par un jeune docteur en médecine de Montpellier, etc[54][111] Ce livre est plein d’injures, contre M. Riolan premièrement et puis après contre moi, contre M. Moreau et feu M. de La Vigne. [112] Je serai bien marri de n’y être pas maltraité avec ces trois grands hommes, je me tiendrais déshonoré s’il y disait du bien de moi. Il me fait auteur de la Légende[113][114] quod est falsissimum ; [55] que j’ai par ci-devant écrit contre les médecins de Montpellier, il veut dire ce livre intitulé Navicula Solis que feu M. Bérault [115] fit contre le latin de Courtaud ; [56][116] et que tous les jours il me revient un esprit dans mon étude, [57] celui-là est vrai mais c’est celui des auteurs que je lis céans quand j’en ai le loisir. Il y a force tripe de latin des auteurs anciens, [58] ce n’est pas Courtaud qui a fait cela ; je crois que c’est quelqu’un de ce pays, et que plusieurs des nôtres y ont fourni et apporté quelques mémoires, même foncé pour l’impression (car l’imprimeur [117] ne l’a point fait à ses dépens). [59] Guénault [118] a ainsi fait imprimer celui du Gazetier ;[17] et ainsi quelques autres de cette cabale antimoniale en ont ici fait autant, tâchant de nous faire dépit et surtout d’arrêter M. Riolan à y faire quelque réponse, afin qu’il ne puisse achever son dessein qu’il a d’un beau livre contre celui du Gazetier et adversus stibii venenatam malignitatem[60] Il s’escrime à tort et à travers contre moi, et perinde est illi modo in me aliquid effutiat etiam falsissimum[61] Je me moque et méprise fort tout ce qu’il a dit contre moi, aussi bien que MM. Riolan et Moreau en font de même. M. Riolan ne les épargnera point, il est vrai qu’il a beau jeu et qu’il y a bien moyen de les étriller rudement, et de les frotter dos et ventre, combien que tant d’ignorance et tant d’injures ne méritent pas une bonne et équitable réponse. [62]

Le ballet se danse encore au Louvre lundi prochain, [8] et trois jours après le roi partira pour Fontainebleau. Je vous baise les mains, et à MM. Gras, Garnier et Falconet, et suis de toute mon âme, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

Paris, ce 1er de mai 1654.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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