L. 638.  >
À André Falconet,
le 21 septembre 1660

Monsieur, [a][1]

J’ai enfin reçu la vôtre qui m’apprend de vos nouvelles, mais qui ne sont pas si bonnes que je voudrais bien. Vous savez aussi bien que moi les remèdes de votre mal, nempe enemata, venæ sectionem, frigidæ potum, et topica anodina[1][2][3] Je veux pourtant croire que vous serez guéri avant que celle-ci vous soit rendue. Noël Falconet [4] étudie et me demande souvent de bonnes questions. Je lui prêtai quelques livres pour étudier, mais il a désiré en avoir à lui ; sur quoi, je l’ai mené à la rue Saint-Jacques [5] et lui ai acheté en sa présence les œuvres de Riolan père [6] en deux tomes in‑8o et l’Encheiridium anatomicum et pathologicum du fils. [7] Je lui ai promis encore un Perdulcis[8] Je lui ai baillé un Fernel [9] in‑fo où il prend goût. Il veut avoir l’Anthropographie de M. Riolan [10] et l’Houllier [11] in Aphorismos Hippocratis, quia conciliavit doctrinam Veterum cum nostra methode Parisiensi[2] qui est meilleure que celle des Italiens. Le roi [12] et la reine [13] sont de retour de Saint-Germain, [14] on dit qu’ils partiront jeudi pour Compiègne [15] et La Fère. [3][16] Son Éminence [17] est ici en meilleure santé. On dit que les Turcs en veulent à Varadin [18] et qu’après ils viendront à Vienne. [19] Ils la pourront bien prendre faute de grand secours et puis après, gare à l’Allemagne et l’Italie. Les huguenots [20] disent qu’il y a une prophétie qui menace que l’an 1666, il n’y aura plus de pape à Rome : c’est peut-être qu’il viendra à Avignon [21] ou qu’il sera à Castel Gandolfo. [22] C’est Érasme [23] qui a dit dans ses Épîtres, Calculus meus carnifex ; [4][24] je voudrais bien apprendre de certaines nouvelles de votre guérison.

M. Bordier, [25] intendant des finances et grand partisan, se meurt, ce sera une belle âme devant Dieu. [5] Je ferai demain l’opération de la piqûre du scrotum à un jeune enfant, [6][26] j’y mènerai Noël Falconet. Nous avons examiné et reçu une sage-femme [27] pour l’Hôtel-Dieu, [28] M. Blondel [29] et moi. Bientôt nous examinerons des chirurgiens [30] pour avoir la commission et permission de tailler [31] la pierre au même Hôtel-Dieu et les ferons travailler devant nous. Je n’y irai point que je ne l’y mène car il témoigne beaucoup de curiosité pour ces opérations et c’est un bon signe pour un jeune médecin. [32] Il a lu aujourd’hui dans Riolan le père tout le traité de Anima et y a pris grand plaisir. [7] J’espère que tout ira bien si vous avez soin d’être bientôt guéri. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 21e de septembre 1660.


a.

Bulderen, no ccii (tome ii, pages 118‑120) ; Reveillé-Parise, no dxxxiii (tome iii, pages 264‑265).

1.

« savoir lavement, saignée, boisson d’eau froide et topique anodin [v. note [12], lettre 803] ». Dans les lettres de 1649 à 1653, Guy Patin a plusieurs fois parlé à André Falconet de ses coliques néphrétiques ; sa lithiase le faisait de nouveau souffrir (avec l’espoir raisonnable d’une guérison rapide).

2.

« sur les Aphorismes d’Hippocrate, où il a concilié la doctrine des Anciens avec notre méthode parisienne. » V. note [7], lettre 629, pour cette liste d’ouvrages médicaux très chers à Guy Patin.

3.

La mauvaise santé de Mazarin coupa court à ces projets de voyage. Louis xiv ne quitta pas la région de Paris avant son voyage de Nantes en septembre 1661 pour l’arrestation de Nicolas Fouquet (Levantal).

4.

« Mon calcul est mon bourreau » : v. note [5], lettre latine 4, pour cette plainte d’Érasme sur la lithiase urinaire qui le torturait.

5.

Jacques Bordier, seigneur de Raincy et Bondy, est cité dans le suspect Catalogue des partisans (page 4) :

« Bordier, fils d’un chandelier, {a} qui demeure au Marais, rue des Trois Pavillons, a été généralement de tous les traités qui se sont faits jusqu’à présent ; dont il s’est enrichi au point qu’outre les grandes dépenses et avantages qu’il a faits à ses enfants, ayant donné à sa dernière fille 800 000 livres, il a fait faire un bâtiment qui lui coûte plus de 400 000 écus et a acheté une charge 800 000 livres, sans compter sa maison de Paris, ses beaux meubles et plusieurs autres biens qu’ils possèdent, montant six fois plus que ce qui est ci-dessus. »


  1. Fabricant et vendeur de chandelles.

Tallemant des Réaux lui a consacré une historiette (tome ii, pages 179-184).

Avec trois autres financiers, Le Tillier, Foullé, et Bordeaux, Bordier avait obtenu la création de quatre nouveaux offices d’intendants des finances contre un million de livres qu’ils mirent longtemps à verser à la Couronne (Bayard).

6.

Le scrotum est la peau des bourses, formant le sac qui contient les testicules ; piquer le scrotum, c’était l’ouvrir avec une lancette (ce que Guy Patin ne devait pas faire lui-même, mais confier à un chirurgien placé sous sa supervision) pour guérir l’hydrocèle (v. note [6], lettre 437), gonflement des bourses par l’accumulation de sérosité. « On guérit l’hydrocèle par des remèdes dessicatifs ou en faisant sortir les eaux avec la lancette, ou avec le séton, ou avec le trocart ; mais parce que ces remèdes ne sont que palliatifs, il faut avoir recours aux cautères si l’on veut faire une cure éradicative » (Trévoux).

7.

Entre autres livres (v. supra note [2]), Guy Patin faisait lire à Noël Falconet les Universæ medicinæ Compendia [Abrégés de toute la médecine] de Jean i Riolan (Paris, 1598, v. note [9], lettre 22), dont la section vii de la partie physiologique (pages 68 vo‑88 vo) est composée de 17 courts chapitres de Facultatibus animæ [sur les Facultés de l’esprit].


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 21 septembre 1660

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0638

(Consulté le 18/04/2024)

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